Les doctrines pédagogiques des Grecs/05

Les doctrines pédagogiques des Grecs
Revue pédagogique, premier semestre 18793 (p. 541-559).

plutarque. — doctrines pédagogiques dans les traités de « l’éducation des enfants » et « de la manière d’écouter ».
(suite.)

Quand le choix du gouverneur est fait, la véritable éducation commence pour le corps, le caractère et l’intelligence. Les leçons pédagogiques de Plutarque sont loin de former un ensemble complet, et son traité n’est qu’une rapide esquisse ; mais presque tous ses conseils sont justes, d’un bon sens parfait et d’une application constante. Il ne s’arrête pas longtemps à la gymnastique. « Que les jeunes gens, dit-il, aillent aux gymnases, et qu’ils s’y exercent assez longtemps pour acquérir la force et l’élégance du corps. Une jeunesse saine peut seule procurer une longue vieillesse. Dans la bonne saison il convient de préparer des provisions pour l’hiver ; de même dans le jeune âge on doit par une vie sage et tempérante se ménager une vieillesse heureuse. Mais les exercices gymnastiques doivent être pris avec modération, pour ne pas mettre les jeunes gens hors d’état de s’appliquer à l’étude des lettres. Platon l’a dit : la fatigue et le sommeil sont ennemis des sciences. Il n’est pas moins essentiel de les dresser aux exercices militaires, à lancer des javelots, tirer de l’arc et aller à la chasse. À la guerre, les richesses des vaincus sont le prix des vainqueurs. Mais les corps nourris à l’ombre ne sont pas propres aux fatigues ; tandis qu’un soldat maigre et d’apparence chétive, bien exercé aux combats, est en état de repousser les athlètes les mieux armés[1]. »

Quant aux vertus morales qu’il faut inculquer à l’enfance les principales sont au nombre de quatre : s’abstenir de tout ce qui tient au vol, vaincre sa colère, savoir commander à sa langue, mener une vie modérée[2]. Les réflexions que fait Plutarque sur ces vertus sont tellement justes qu’elles nous semblent banales. Mais cette banalité du fond est commune à bien des moralistes anciens : c’est comme un trésor où tous les siècles ont puisé, et dont la monnaie, à force de courir, n’attire plus par la pureté de son métal, ni même par la beauté d’une effigie un peu usée, l’attention de personne. Il y a dans Plutarque, comme dans Sénèque, Horace et Montaigne, une foule de lieux communs. Cependant une vérité, pour être générale et universellement répandue, n’est pas vulgaire, surtout quand l’écrivain la relève par le charme, l’élégance, la force, la netteté ou le piquant de son style. Est-il besoin par exemple d’ouvrir Sénèque pour savoir que des lectures confuses et mal digérées n’enrichissent pas l’esprit ? Dans une lettre à Lucilius, cette idée si peu originale est revêtue d’un vif éclat par une série de comparaisons, banales en elles-mêmes, mais que l’auteur a su rendre intéressantes en les accumulant et en les exprimant avec sa concision sentencieuse. L’art d’enfermer en quelques vers élégants les leçons d’une morale mondaine, nous fait lire avec délices les Épîtres d’Horace. Montaigne doit son attrait à son ingénieuse diffusion, à sa langue imagée, à ses citations amenées avec tant d’à-propos.

Les anecdotes, les propos des anciens, que fournit à Plutarque son inépuisable mémoire, viennent réveiller à chaque instant l’attention qui allait s’endormir. Ne prodigue-t-il pas lui-même assez d’exemples pour défrayer l’enseignement « paradigmatique » d’un maître de morale, bien plus capable de toucher les enfants que le « didactique » ? Pour les prémunir contre le goût de cette « façon de larrecin furtivement faict » qui plaisait tant à Panurge, il leur citera Gylippe le Lacédémonien, qu’on chassa de Sparte pour avoir ouvert les sacs où était l’argent de l’État, Un jeune insolent avait frappé Socrate du pied ; comme les assistants se révoltaient et voulaient poursuivre l’insulteur : « Si un âne m’avait frappé du pied, leur dit le philosophe, trouveriez-vous bon de lui rendre la pareille ? » Voilà une belle leçon sur la nécessité de réprimer sa colère. Le sort d’un certain Théocrite, mis à mort par Antigone pour n’avoir pas su tenir sa langue, est bien fait pour dégoûter les enfants d’un dangereux bavardage[3]. Cet enseignement moral ne vise pas bien haut ; mais il est sage et pratique ; il ne surprend pas, il s’insinue ; il n’affecte pas la nouveauté ; mais aux effets salutaires qu’il produit dans le cœur de ceux qui le reçoivent, on s’aperçoit qu’il est assez efficace. L’originalité des stoïciens est plus grande en apparence ; ils la doivent surtout à cette lutte héroïque Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/545 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/546 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/547 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/548 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/549 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/550 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/551 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/552 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/553 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/554 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/555 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/556 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/557 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/558 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1879.djvu/559 les jette sur une terre trop dure, L’enseignement de la philosophie, par lequel Plutarque termine l’éducation, sera donc stérile, malgré le talent et la vertu des maîtres, si l’esprit et le cœur n’ont été préparés à le recevoir dès le commencement de la vie par une habile méthode. Nous aurions voulu que Plutarque insistât plus longuement sur les débuts, ou, en d’autres termes, que son traité : Sur l’Éducation des enfants, fût une étude longue et détaillée des procédés pédagogiques, au lieu d’être une simple esquisse. Cependant l’opuscule : Sur la lecture des poëtes, peut nous servir encore à combler quelques lacunes dans cette doctrine si incomplète.

  1. De Liber. Educ., p. 17.
  2. Ibid, p. 21.
  3. De Liber. Educ, p. 21 et suiv.