Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 3p. 20-24).

CHAPITRE X

COURS DE GÉOLOGIE


Baptiste s’en venait au petit trot de son cheval.

Il arrivait au ranch de Buck Martin.

— Whoa…

Buck le salua de sa galerie :

— Est-ce le bon vent ou bien un vent de malheur qui vous amène ?

— Ni l’un ni l’autre.

— Quoi alors ?

— Je suis venu pour bénéficier d’un cours de géologie de votre part.

Le rancher sourit…

— Vous voulez faire avec moi une promenade de canyon en canyon ?

— C’est ça.

— Correct, mais d’abord nous allons prendre le coup de l’étrier… Du ouisqui blanc, je suppose…

— Vous supposez bien.

Ils burent.

Montèrent à cheval.

Et s’éloignèrent…

x x x

Le coup de l’étrier…

La chanson favorite des cowboys canadiens français de l’Ouest canadien au cours des derniers milles du siècle dernier…

J. B., apparemment libre de tous soucis, entonna :

« Fanchon, c’est aujourd’hui dimanche,
le jour des cowboys heureux ;
Les oiseaux chantent dans les branches ;
pourquoi n’faisons-nous pas comme eux ?
Il doit y avoir encore une bouteille
dans l’fond de not’selle ohé !
Avant d’s’en aller chez Latreille,
Buvons le coup de l’étrier…
Allons vers la Fanchette,
L’ouisqui rend folichon,
puisqu’ell’nous fai trisette,
fais sauter le bouchon.
Guelou, guelou, tintin,
Guelou, guelou, tintin,
À ta santé, Fanchette ;
guelou, gelou, tonton,
guelou, gelou, tonton,
À ta santé, FANCHON !  !  ! »


Baptiste regarda en l’air.

— Cette affaire, pensa-t-il, va, si elle se prolonge, me faire attraper un fameux torticolis.

Il tressaillit.

Au dessus du volcan central dominant les canyons s’élevait une longue et mince spirale de fumée blanche.

Tiens, tiens…

La troupe décimée des chevaliers de la nuit bivouaquait-elle à cet endroit ?

Martin avait suivi le regard de son compagnon.

Il dit :

— Cette fumée vous étonne ?

— Oui, je l’avoue.

— Eh bien, ce n’est pas de la fumée…

— Non ?

— Non.

— Qu’est-ce alors ?

— C’est de la vapeur qui s’échappe de temps en temps du vieux volcan…

— Alors il n’est pas complètement mort ?

— Non, mais il agonise.

Ils se promenèrent.

De canyon en canyon.

Frôlant souvent des précipices.

Observant des plateaux d’une grande fertilité.

Martin en bon cicerone expliquait…

Le roc ici était de l’âge quaternaire.

Cet autre était de l’époque tertiaire.

Ce troisième était plus récent.

Beaucoup plus.

Il était de l’âge des mastodontes, animaux gigantesques…

À la taille incroyable…

Tiens, tiens…

Ce roc datait de l’âge de l’homme des cavernes, le premier animal à deux pattes…

Verchères suggéra :

— Alons rendre visite au cratère du volcan central.

— Impossible.

— Comment ça ?

— Il est entouré d’une solide muraille de roc intraversable…

— Ah…

— Il y a une légende attachée à cette muraille.

— Vous me la racontez ?

— Oui.

Buck commença…

x x x

Il y a de ça bien longtemps.

La légende se perd dans les siècles passés.

La tribu indienne des PIEDS-NOIRS adorait ce volcan et l’appelait le dieu-pierre.

Un jour un chef, un très grand chef vint aux pieds-noirs et leur dit :

— Capturez des milliers de bisons. Vous les transporterez sur un plateau immense d’une incalculable richesse de pâturage, où ils resteront prisonniers.

Prisonniers ?

— Oui.

Après des millions d’années de travail la nature avait fabriqué dans le roc qui encerclait le plateau et le volcan central, une porte parfaite qui basculait sur elle-même quand on la touchait au bon endroit.

Le grand chef avait trouvé le secret de la bascule que la nature avait forgée par le plus pur des hasards.

Pendant des années et des années, les sauvages pieds-noirs vécurent dans l’abondance.

Puis il y eut une guerre longue et sanguinaire entre Pieds-noirs et Cris. Ces derniers refoulèrent leurs ennemis jusqu’aux Rocheuses.

Et le secret de la porte fut perdu…

Martin demanda :

— Qu’en pensez-vous ?

J. B. dit :

C’est plausible.

Il ajouta :

— Les Alpes, les Pyrénées et les Hymalayas fournissent des exemples identiques de ce merveilleux travail de la nature aveugle…

Soudain Martin dit :

— Attention !

— Quoi ?

— Pour nous rendre au canyon suivant, il y a un étroit sentier bordant un précipice…

Baptiste regarda.

Le sentier était réellement dangereux.

D’un côté c’était l’abîme.

De l’autre de gros chênes touffus s’agrippaient au roc par des interstices de riche humus…

Martin s’y engagea le premier.

J. B. suivait à une distance respectueuse en arrière.

Il ne regardait pas à ses pieds.

Non.

Une autre fois il regardait en l’air.

Ce geste de sa part fut providentiel.

Les branches de l’un des chênes semblaient secouées par le vent, pendant que celles des autres arbres demeuraient immobiles.

— Curieux de vent !

Soudain le chêne se mit à pencher vers le précipice.

Verchères cria :

— Martin, pousse-toi de l’avant vite. VITE !

Buck obéit immédiatement.

L’arbre tomba dans le précipice.

J. B. dit :

— C’est un drôle d’accident.

Il se pencha sur le tronc de l’arbre qui venait de tomber dans l’abîme.

Le tronc avait été scié au godendard.

Aux quatre cinquièmes de sa circonférence.

Pour la dixième fois, Baptiste regarda en l’air.

Tout de suite il remarqua la broche attachée à l’arbre voisin.

Il en examina le bout libre.

Et tressaillit.

La broche avait été coupée avec des pinces.

Récemment…

Très récemment.

— Il n’y a pas de doute, dit-il, on a voulu attenter à nos deux vies, Martin.

Le chef expliqua :

— L’arbre avait été scié à son tronc et attaché au chêne voisin. Le chevalier de la nuit guetta notre passage, coupa le fil, poussa l’arbre qui tomba dans le ravin pendant que l’apprenti-meurtrier s’enfuyait…