Les aventures extraordinaires de deux canayens/01/VIII


VIII

LA PLUS GRANDE DÉCOUVERTE DU SIÈCLE.


« La science qui nous paraît être arrivée non loin de son apogée, comme je viens de te le dire, continua Baptiste Courtemanche, nous réserve les surprises qui semblent sortir du domaine de la fantasmagorie.

« Au nombre des études pour lesquelles j’ai toujours eu de la prédilection et qui suscitèrent tout particulièrement mon attention est l’aérologie. J’ai lu et étudié à peu près tout ce qui a été écrit et fait en ce qui concerne cette science, depuis les travaux des Frères Montgolfier jusqu’aux aéroplanes et dirigeables les plus perfectionnés de nos jours.

« La conclusion de mes études et de mes observations fut que l’on ne deviendrait jamais réellement et complètement les maîtres de l’air avec des machines plus légères que cet élément, ou, ne pouvant suivant les théories et procédés actuels, lutter en maîtres contre les courants atmosphériques et les caprices météréologiques.

« Mais comment ? me disais-je…, et j’en étais arrivé là, lorsqu’un jour, et ceci par le plus grand des hasards, je découvris ce que mon imagination m’avait fait entrevoir, la réalisation de mes rêves les plus chimériques.

« J’avais osé croire à un élément plus léger que l’air. Pourquoi pas ? Ne connaissons-nous pas des métaux qui existaient mais que nous ignorions, le « radium » par exemple, l’« uranium ». Il n’y a pas si longtemps qu’un savant découvrit que l’« hydrogène » se solidifiait et était de nature métallique. Nous avons le « mercure » par exemple qui est un métal liquide, si cette dénomination peut être considérée exacte. Tout ceci me torturait si bien l’esprit que je crus que je devenais fou et que si je ne mettais un terme aux fougues de mon imagination, je finirais par aller habiter une des cellules de l’Asile de la Longue-Pointe.

« J’en étais donc là dans mes vagues hypothèses, lorsqu’un beau jour il m’arriva l’étrange aventure qui devait bouleverser mon existence toute entière.

« J’étais depuis quelques mois de retour de mon voyage d’Europe et j’avais accepté — ceci pour remettre à flot mes finances ébréchées — une position en qualité d’ingénieur dans une compagnie opérant des tracés dans l’Ouest canadien, ceci pour le compte d’une compagnie de chemin de fer voulant établir une ligne jusqu’au Yukon.

« Tu me vois d’ici, moi venant tout droit de Paris, tomber dans la solitude la plus absolue, car à part une trentaine d’hommes qui étaient sous mes ordres, je ne voyais âme qui vive. Des montagnes, des vallées, des précipices, d’interminables forêts de sapins, rien que ronces et rochers, pas la moindre distraction que celle de travailler à relever des plans et étudier des chemins praticables.

Il faut avoir besoin de gagner sa croûte de pain pour se livrer à une vie semblable.

Il faut avoir besoin de gagner sa croûte de pain pour se livrer à une vie semblable. C’était parfois d’une monotonie écrasante, surtout l’hiver, lorsque terrés dans des grottes comme des bêtes fauves, ou vivant dans des huttes comme les hommes des chantiers, n’ayant le soir qu’une lanterne pour nous éclairer, nous ne savions parfois comment tuer le temps et la température s’en mêlant, nous ne pouvions sortir travailler au dehors.

« Ah ! mon bon ami, je regrettais bien alors les beaux jours d’autrefois, les heures d’études passées auprès d’un bon feu et les bibliothèques dans lesquelles je faisais mes recherches. J’avais bien avec moi un petit matériel chimique pour faire des recherches, mais le laboratoire rudimentaire que je m’étais construit était insuffisant et c’était tout juste assez pour procéder à de simples analyses.

« Or j’étais cette fois-là à la tête d’une équipe d’ingénieurs et d’ouvriers. Depuis huit longs jours nous avions eu un temps épouvantable, d’abord de la pluie, puis de la neige et un vent à ne pouvoir se tenir debout.

Profitant d’un jour que le temps semblait d’avoir des intentions de se mettre au beau, je voulus en profiter afin de prendre un peu d’exercice et donner à mes membres le mouvement qu’ils réclamaient. Je dis à mes hommes que j’allais voir dans les environs si je ne trouverais pas du gibier, car nous étions à court de viande fraîche.

Je saisis donc mon fusil et allègrement je prenais le chemin de la montagne.

Le gibier qui généralement était très abondant en cet endroit, ce matin-là était d’une rareté désespérante. Ne voulant cependant pas revenir bredouille au camp et croyant que je trouverais ce que je cherchais sur les crêtes escarpées qui étaient au-dessus de moi, je m’élançais dans un sentier débouchant à un endroit où j’avais d’un côté un mur de pierre coupé presqu’à pic et de l’autre un précipice. Devant mes yeux se déroulait un panorama de toute beauté. À mes pieds, mais à une hauteur vertigineuse, je pouvais voir notre campement et mes compagnons qui m’apparurent comme des pygmées. Au loin et bordant l’horizon, des montagnes immenses qui, se découpant dans l’azur du ciel, toutes blanches de neige, leurs glaciers miroitant aux rayons du soleil, prenaient un aspect vraiment féérique que le pinceau d’un peintre — même très habile — aurait eu de la difficulté à reproduire.

« Je marchais donc sur le bord du précipice et quoique j’eusse fait bien attention où je mettais mon pied, je glissais tout à coup et tombais sur le sol, la pente était assez forte et j’aurais été entraîné vers le gouffre lorsque, l’instinct de la conservation l’emportant, je saisis le rocher et pus enfin après un effort désespéré me remettre en sûreté.

« J’étais là-haut frémissant cramponné à l’aspérité d’un roc, et lorsque je revins de mon émoi je m’aperçus que dans ma main je tenais une parcelle de pierre qui dans les efforts que j’avais faits pour ne pas tomber dans l’abîme s’était détachée du rocher. Je jetai tout d’abord sur ce caillou un coup d’œil distrait et le laissai tomber à mes pieds, lorsque je m’aperçus, oh ! prodige ! qu’au lieu de tomber lourdement comme toute autre pierre aurait fait, elle tombait lentement comme si une force surnaturelle la retenait en l’air.

« Très étonné, du pied je l’empêchai de rouler dans l’abîme, et me baissant je la pris et la mis dans ma poche. Un peu plus loin et me trouvant en un endroit où je pouvais circuler plus à mon aise et sans danger, je renouvelai avec cette même pierre l’expérience et à plusieurs reprises le caillou retomba avec une lenteur extrême. De plus en plus étonné j’examinai cette pierre qui, dans l’ordre naturel des choses, aurait dû peser près d’une livre n’en avait à peine un once.

« Décidément, me dis-je, voici une particularité qui mérite d’être éclairée, et je glissai la pierre dans ma poche, cette fois dans l’intention de l’emporter au camp et tirer au clair l’étrange phénomène que j’avais observé.

« De retour au camp, sans rien dire de mon aventure à mes compagnons, je plaçai le minerai dans mon coffre remettant au lendemain le soin de l’examiner attentivement.

« Et qu’en advint-il ? demanda Titoine Pelquier, qui écoutait l’histoire avec intérêt tout en lançant au plafond des nuages de fumée.

« Tu vas voir, dit Baptiste Courtemanche en se versant à boire :

« Le lendemain, comme le beau temps continuait et cette fois-là probablement pour un certain temps, mes compagnons partirent continuer leurs travaux d’arpentage et je leur donnai — ceci dans le but de rester au camp — une raison qui leur parut logique.

« Lorsque je fus seul, j’allai à mon coffre, y prit le caillou et encore à plusieurs reprises je renouvelai l’expérience et ceci avec toujours le même résultat.

« Voyons, me dis-je, il n’est pas naturel que cette pierre, à l’encontre de ce que feraient ses congénères, tombe sur le sol comme une plume, lorsqu’elle devrait tomber comme du plomb.

« Et me souvenant de ce que nous disait notre professeur, M. Latulippe, au collège de l’Assomption : « Il n’est pas d’effet sans cause », je constatais l’effet, mais la coquine de cause, que pouvait-elle bien être ?

« Je me mis de suite à l’œuvre et après bien des tâtonnements, bien des recherches, je finis par isoler deux éléments distincts, nouveaux pour moi, mais dont je ne pouvais poursuivre l’étude n’ayant pas sous la main le matériel ni le laboratoire voulu.

« Je me souvenais bien de l’endroit exact où j’avais trouvé cette pierre, j’y retournais les jours suivants et je fus assez heureux pour en trouver de semblables incrustées au rocher, mais je remarquais qu’en cet endroit seulement ce minerai existait et constatais en plus qu’on ne l’y trouvait qu’en très petite quantité. J’en pris quelques échantillons que j’emportais avec moi et je plaçais le tout en sûreté, remettant mes recherches au jour où je serais en position de les examiner comme je le désirais.

« En effet, un mois plus tard, nous plions bagage et au printemps je revenais à Montréal après avoir touché un montant assez respectable, fruit de mon labeur.

« Une des premières choses que je fis fut, comme bien tu t’en doutes, de me monter un laboratoire et continuer mes recherches sur mon précieux minerai.

« Ceux qui ont fait de la chimie savent aussi bien que moi les difficultés sans nombre qui existent pour arriver à isoler des éléments. Il faut des soins minutieux, constants, une attention infinie aux moindres détails, ceci d’autant plus que je n’avais pas à traiter des éléments connus, mais au contraire des substances inconnues. Il me fallait les isoler et prendre en considération toutes leurs propriétés physiques et chimiques.

« Je n’avais à ma disposition qu’une petite quantité de minerai, car je n’avais pu en emporter avec moi plus de cent livres.

« Après cinq mois d’un travail incessant, je finis par obtenir — et ceci grâce à la richesse extraordinaire du minerai que je possédais — un gramme de deux éléments dont je dus étudier les propriétés et les affinités.

« Je n’entrerai pas dans des détails techniques qu’un homme du métier seul pourrait comprendre ; mais sache qu’un de ces nouveaux métaux était plus léger que l’air atmosphérique et que l’autre possédait une force électro-magnétique d’une puissance extraordinaire.

« Je donnais donc, non pas à cause de leurs qualités chimiques mais pour leurs facultés physiques aux deux éléments que je venais de découvrir, les noms de « Légium » et de « Populéum », le premier à cause de son incomparable légèreté, l’autre pour sa valeur électro-magnétique.

« Maintenant que je possédais ces deux trésors incomparables, je les étudiais et cherchais quelle pourrait être leur utilité.