Les aventures extraordinaires de deux canayens/01/IX


IX

PAR QUOI BAPTISTE COURTEMANCHE EXPLIQUE DES CHOSES INCOMPRÉHENSIBLES AUX FACULTÉS INTELLECTUELLES DE TITOINE PELQUIER


« Cher ami, dit Titoine Pelquier en débouchant sa pipe et s’apprêtant à remettre du tabac dans le fourneau brûlant, ton histoire m’intéresse au plus haut point, mais je t’avouerai que le tabac et le whiskey m’ont légèrement chauffé le palais et la langue, ceci, sans compter que je me sens l’estomac dans les talons.

« C’est justement ce que j’éprouve moi-même, dit Courtemanche.

« Alors je vais sonner et nous faire apporter de quoi boire et manger, dit Titoine en se levant.

« À quoi bon, fit Courtemanche. Allons sur l’avenue acheter des sandwiches et de la bière, puis nous reviendrons causer tout en mangeant.

Connue il ne se faisait pas très tard, les commerçants n’avaient pas encore fermé leurs boutiques et nos amis ayant trouvé ce qu’ils désiraient, revinrent à l’hôtel les bras chargés de paquets.

« Maintenant, mon brave ami, dit Titoine Pelquier, buvons et mangeons et j’écouterai avec plaisir la suite de ton histoire.

En effet, lorsqu’il fut bien repu, Baptiste Courtemanche ayant allumé sa pipe continua son récit :

« Comme je te le disais, j’avais à étudier les deux nouveaux éléments et surfont savoir quelle pourrait être leur utilité. J’avais pris, ai-je dit, plus de cinq mois à les isoler, et je savais que le « Légium » était une substance pour ainsi dire incolore, très malléable. Mais en même temps d’une résistance extrême. N’ayant pas d’affinité pour les autres métaux sauf pour le Populéum auquel il semblait être attiré par la puissance électro-magnétique de ce dernier. L’air ne l’oxydait pas et je constatais que les acides les plus corrosifs ne semblaient pas avoir de prise avec lui.

« Le Populéum est une substance d’apparence métallique, d’un jaune nacré, possédant, comme je viens de te le dire, une puissance électro-magnétique dont je ne puis encore m’expliquer l’origine.

« Tout cela c’est « p’tête ben beau ».

« Tout cela c’est « p’tête ben beau », dit Pelquier, mais ces grands mots-là, vois-tu, ça m’emplit. Mais il y a une chose qui me frappe, sans me faire du mal, bien entendu, c’est ton histoire de métal qui s’envolerait en l’air comme un vulgaire volatille. Quand j’étais enfant et que j’allais à la « p’tite » école, on jouait à pigeon vole, tu te souviens sans doute de ce jeu-là, mais si on eut levé la main lorsqu’on aurait dit « métal vole », on aurait été condamné à payer un gage.

« Pourtant cela est, continua Courtemanche. Je sais fort bien que mes dires vont en faire crier beaucoup, que des savants par jalousie diront que je suis un halluciné, que ma découverte est anti-scientifique, ne reposant sur aucune donnée logique. Mais que m’importe après tout, ils en seront pour avoir crié trop vite, resteront étonnés en voyant le résultat, et le monde entier s’en tordra les côtes, se désopilera la rate, ce qui sera très bon pour les fabricants de médecines patentées ou brevetées comme on dit à Paris.

« Et pourtant, continua Baptiste Courtemanche, il n’y a rien qui soit impossible à la science moderne, un chimiste allemand a découvert que l’hydrogène placé à la pression de milliers d’atmosphères pouvait se solidifier. Il est vrai qu’il n’en aperçut que de minuscules parcelles, mais l’expérience n’en était pas moins concluante, l’hydrogène cependant est connu comme gaz, entre dans la composition de l’éther. Pourquoi pas le « Légium » ? Pourquoi refuserait-on de reconnaître son existence ? Tout simplement parce qu’on ne le connaît pas et, de ce fait, on ne l’a jamais étudié.

« C’est un chimiste boche qui a découvert le truc de l’hydrogène, alors ça m’épate plus, vois-tu, ces cochons-là sont susceptibles de mettre la science à toutes les sauces. N’ont-ils pas inventé le feu liquide, tu entends, Baptiste Courtemanche, c’est comme on dirait du feu qui serait de l’eau, après cela, mon vieux, on peut tout digérer, voire même une substance métallique qui prendrait son vol comme la gentille alouette de la chanson.

« Bah ! fit Baptiste, il ne faut pas aller si loin, et tout dernièrement encore le Professeur Reinflesh de Duceldorff, en étudiant les « diméthylphemylpyrazoton » et le « Méta-aminoparaoxylenzoate de hexamethylencletarmine » découvrit un jour que…

« Arrête ! s’écria Titoine Pelquier, en bondissant jusqu’au bout de la chambre, je veux bien croire à tout ce que tu voudras, mais épargne-moi, garde pour toi ces mots que je ne puis comprendre, dis-moi, et ceci en un style plus compréhensible pour moi, à quoi pourra te servir cette découverte et comment ces deux éléments pourront te conduire à la fortune ?

« Alors, je vais être bref, sache tout simplement qu’avec un grain de « Légium » j’ai pu soulever un poids d’au-delà de vingt livres. Donc, tu peux comprendre qu’en obtenant une quantité suffisante de cet élément, il me sera possible de soulever à une hauteur déterminée le poids désiré, fit Courtemanche en regardant fixement son ami.

« C’est ben beau, répondit Titoine, mais une fois rendu en l’air, comment le feras-tu redescendre ?

« C’est justement là la beauté de la découverte, et si tu comprends que le « Populéum » agit en sens contraire du « Légium », et que placé d’une certaine façon mathématiquement déterminée et que j’ai découverte, je puis régulariser et neutraliser cette puissance de telle façon que je la conduis à volonté tout comme avec un aérostat on peut régulariser l’intensité d’un courant électrique.

« Je n’y comprends pas grand chose, dit Pelquier avec une grimace, mais où veux-tu en venir avec tout ce chimagras ?

« Tout simplement que le « Populéum » étant un élément électro-magnétique, je puis non seulement régulariser l’action du « Légiun » mais aussi m’en servir comme agent pour activer un moteur.

« Je n’y comprends absolument rien du tout, répondit Titoine, dont les pupilles se dilataient tant il y mettait de bonne volonté, essayant mais en vain de voir clair dans tout ce que lui disait son ami. Et à quoi cela te servira-t-il ?

« À quoi ? malheureux ! mais c’est la clef de la navigation aérienne telle que je l’avais idéalisée et qui se trouve par ce fait non plus une simple possibilité, mais qui sera une réalisation le jour où ayant assez d’argent pour retourner dans le Nord-Ouest canadien. J’irai à l’endroit dont je t’ai parlé, et j’ai ici dans ces manuscrits les indications exactes de ces lieux, et alors prenant le minérai nécessaire je pourrais réunir assez de « Légium » et de « Populéum » pour réaliser la véritable navigation aérienne et me rendre maître de l’espace.

Et alors ? dit Pelquier, qui commençait à entrevoir quelque chose.

« Alors je ne serai pas ingrat et je saurai placer mon invention au service de la civilisation et de l’humanité.

« Accouches ! s’écria Pelquier palpitant, tu ferais… ?

« Oui. Titoine Pelquier, dit Baptiste Courtemanche. Je saisis ta pensée, je lutterais avec les Alliés contre l’hydre infâme de l’autocratie et je verrai à ce que justice soit faite aux droits de l’homme, à la liberté des peuples.

« Je suis ton homme, s’écria Pelquier. Je n’ai que quelque mille piastres à ta disposition, mais je te crois et si je ne te comprends pas du tout ça fait rien, marche toujours.

« Tope là. Titoine Pelquier, mon vieil ami, dit Courtemanche en serrant la main de son camarade, demain Philias Duval sera ici et nous jetterons ensemble les bases de notre association. En attendant, je vais te montrer toutes les pièces justificatrices et tout t’expliquer.

Les deux amis travaillèrent jusqu’à une heure avancée de la nuit, et Baptiste Courtemanche acceptant l’invitation de son ami Pelquier, partagea ce soir-là le lit de son ami.