Les aventures de Perrine et de Charlot/26

Bibliothèque de l’Action française (p. 209-216).



XXIV

Devant le roi Louis XIII et la reine Anne d’Autriche


Enfin le premier de l’an 1639, les sauvages sont avisés qu’ils verront le roi. D’abord, ils l’apercevront à l’église, dans une cérémonie religieuse ; puis, une semaine plus tard, ils seront attendus au Louvre. Louis XIII et la reine Anne d’Autriche, les accueilleront officiellement. Sans doute, aussi, apercevra-t-on au passage le grand ministre, le tout-puissant cardinal de Richelieu ; et sa nièce, la gracieuse Madame de Combalet[1], qui s’attarde dans le voisinage cardinalice pour le plus grand bien des missions de la Nouvelle-France. Madame de Combalet a même près d’elle une petite fille sauvage qu’elle instruit des vérités de la religion.

À l’heure du départ pour le Louvre, les sauvages pénètrent dans la grande salle de l’auberge. Tous sont revêtus de leurs belles fourrures, le cou orné de colliers de porcelaine. Iouantchou fils est paré des insignes de son rang, des plumes d’aigles forment un diadème autour de sa tête. Il domine de sa haute taille tous ses compagnons. Des curieux s’appuient au rebord des fenêtres, d’autres masquent les portes. Quelques-uns même s’approchent tout près des sauvages. Leur accoutrement leur donne si grand air ! Et quelle impassibilité ! Pas un muscle de ces figures bronzées ne bouge. Charlot et les deux jeunes sauvages se glissent en arrière. Ah ! quelle nouvelle et torturante épreuve pour Charlot ! Comme il a supplié le bon Iouantchou fils de le laisser à l’auberge ! Mais tout a été inutile. Sagement, Iouantchou a remarqué que leur nombre étant maintenant connu des Parisiens, cela ne manquerait pas d’attirer l’attention. Mieux valait venir et se tenir habilement au dernier rang.

Un père jésuite entre. La petite troupe se met aussitôt en marche sous sa conduite. Cette fois, aucun sourire dédaigneux ne marque la physionomie des personnes accourues. De la sympathie éclaire les visages.

À l’église, des places de choix ont été réservées aux sauvages, dans la galerie ! De la sorte, ils assisteront à l’entrée du roi qui traversera la grande nef, avant de venir s’agenouiller sur un prie-dieu de velours rouge et or, placé dans le chœur.

Le bruit des orgues éclate. Les têtes des sauvages se relèvent étonnées. Quelle étrange et formidable harmonie ! Le tonnerre dans la forêt canadienne, alors que les sons s’adoucissent et vibrent au loin, toujours plus au loin, ne peut être comparé à cet instrument. Ils écoutent en soupirant d’aise. Un commandement bref, très haut, venant de la grande porte de l’église, distrait leur attention. Ils se penchent. Le roulement des tambours succède à la voix vibrante. Les gardes entrent, une épée nue à la main, précédant les Suisses aux uniformes chatoyants, riches, de couleurs très vives. Les sauvages ferment les yeux. Ils se sentent éblouis. Ce faste sans égal fatigue leurs regards. Et les tambours qui battent sans interruption, blessent leurs oreilles. Enfin un cri un seul, est jeté : « Le roi. » Louis XIII, grave et digne, s’avance. Il s’incline bas devant l’autel, puis rejoint à pas lents le prie-dieu. Il s’absorbe dans l’adoration. Les sauvages fixent leurs yeux sur le monarque et tant que dure la cérémonie ne les en détournent pas. Ils sont profondément impressionnés et remarquent combien l’attitude du souverain témoigne de foi ardente ! « Le grand sagamo français, se disent-ils, supplie le Père en paradis avec la même ferveur que les hommes de la prière, là-bas, dans le pays de Canada. »

De retour à l’auberge, Iouantchou fils garde le silence. Toute la journée, il va, vient dans un recueillement inaccoutumé. Interrogé, le soir, par le père jésuite, curieux de connaître ses impressions, le sauvage lève sur lui un regard plein de feu : « Nikanis, ô Nikanis, j’ai tout vu, puisque j’ai vu ce matin le roi. Quand partons-nous ? »

L’audience royale est cependant accordée aux sauvages, à la date indiquée. Remettant leurs beaux ajustements, ils franchissent le seuil du palais du Louvre. La vue des escaliers de marbre, des galeries ornées de sculptures, des tableaux, des tapisseries luxueuses, de la lumière ne filtrant qu’à travers d’immenses vitraux coloriés à mailles de plomb, toutes ces richesses les charment et leur apparaissent ainsi qu’un décor d’une beauté irréelle.

On fait antichambre une heure. Les sauvages deviennent fort intéressés. Des huissiers à la livrée écarlate et or, des Suisses, des chambellans, des pages traversent en tous sens la pièce d’attente. Un groupe de jeunes femmes, des filles d’honneur de la reine, font irruption par une petite porte à gauche. Quelles riantes figures encadrées de cheveux bouclés ! Cette jeunesse est vêtue de soieries chatoyantes, vertes, jaunes et bleues. Çà et là brillent des pierreries. Rapidement, elles passent devant les sauvages ébahis de leur grâce. Des officiers de tout grade, des mousquetaires, des ministres, des abbés entrent et sortent sans interruption.

Enfin, vient le tour d’Iouantchou fils et de ses compagnons. Ils s’avancent fièrement, nonobstant les murmures des courtisans moqueurs, les haussements d’épaules des grandes dames dédaigneuses. Près du dais royal, d’où leur sourient avec bonté leurs majestés, Iouantchou fait signe aux Hurons de s’arrêter. Lui seul doit gravir les degrés du trône. Il monte et se prosterne jusqu’à terre. Il dépose aux pieds de Louis XIII et d’Anne d’Autriche une couronne de porcelaine, symbole d’allégeance de diverses tribus sauvages du Canada. Louis XIII accepte en souriant cet hommage ; puis, se penchant, il s’entretient avec Iouantchou, à l’aide d’un truchement. Il s’informe « s’il est baptisé, s’il est marié ou sédentaire ? » Assise aux côtés du roi, bienveillante et attentive, la reine enchante les Hurons. Elle a offert sa main à baiser à Iouantchou fils. Anne d’Autriche est habillée avec somptuosité, mais de blanc entièrement. Sa robe de velours, à longue traîne bordée d’hermine, étale ses plis sur les marches du trône. De riches dentelles ornent la guimpe de son corsage. Sur ses cheveux est posé un diadème de perles. D’autres perles s’enroulent à son cou, à sa taille, à ses poignets. Ainsi



parée, l’éclatante beauté d’Anne d’Autriche resplendit.

Les sauvages qui, d’abord, osent à peine lever les yeux sur elle, avec quelle révérence ils la contemplent maintenant. La reine d’un geste de la main appelle Mademoiselle de Hautefort, sa fille d’honneur. Elle lui dit quelques mots à voix basse. Mademoiselle de Hautefort sort vivement et peu d’instants après, revient, accompagnée d’une dame de la cour et d’une nourrice splendidement enrubannée. Celle-ci porte sur un coussin de soie pourpre, marqué aux quatre coins des armes de France, le royal poupon encore au maillot. C’est le dauphin, le futur roi-soleil, Louis XIV, âgé de quatre mois. On le présente aux sauvages. Avec respect, ils le considèrent ; puis chacun d’eux baise gravement un bout de la frange de pourpre.

Louis XIII se soulève. Il ordonne à son tour. Son désir est aussi promptement satisfait que celui de la reine. Dans la salle du trône six Suisses pénètrent, les bras chargés d’habits magnifiques. On n’aperçoit que « toile d’or, velours, satin, panne de soie, écarlate. » C’est le cadeau du roi aux nations que représente Iouantchou fils. Les Hurons, dans l’enthousiasme, expriment leur reconnaissance séance tenante. Avec la permission du roi, ils exécutent une des danses religieuses de leur pays. Puis l’audience se termine. Ils ressortent, s’empressant auprès des vêtements fastueux, preuve de la bienveillance royale.

Dans la cour intérieure du palais, un carrosse très sobre, entouré de gardes nombreux, vient de s’immobiliser. Le père jésuite reconnaît les couleurs cardinalices et fait signe aux sauvages de porter les yeux de ce côté. Tous voient sortir de la voiture un personnage grand, mince, pâle, couvert de pourpre et d’hermine, un large rabat sur la poitrine, une calotte de soie sur la tête. Au passage, un regard observateur et froid glisse sur eux. Une ombre, semble-t-il, suit le prélat, un moine d’une maigreur surprenante, et dont la vue demeure baissée. Le père jésuite lance, bas, aux sauvages : « Voyez passer là son Éminence le cardinal de Richelieu, et son fidèle conseiller et confident, le père Joseph, capucin. »

Un autre carrosse, plus luxueux, s’approche à son tour. Une noble dame en descend posément. Elle semble hésitante. Puis, apercevant le cardinal et le capucin, qui s’engouffrent sous une porte à gauche du palais, elle se dirige de ce côté. Un gentilhomme, qui traverse en ce moment la cour du palais, voit la mine surprise du père jésuite qui suit cette scène muette, et décline avec un sourire les noms et les titres de l’arrivante : « Haute et puissante Marie-Madeleine de Vignerod, dame du Roure de Combalet, qui sera créée sous peu, duchesse d’Aiguillon, nièce de monseigneur le cardinal de Richelieu. Le gentilhomme ajoute en s’inclinant très bas devant le jésuite attentif : Madame de Combalet est, comme vous ne l’ignorez pas, la pieuse, la sincère, la généreuse protectrice des missions de la Nouvelle-France.




  1. La future duchesse d’Aiguillon.