Les aventures de Perrine et de Charlot/27

Bibliothèque de l’Action française (p. 217-222).



XXV

Le secours de Madame la Vierge


Depuis la visite au roi, Charlot se sent d’une faiblesse extrême. La tension des nerfs a été trop forte pour son organisme déjà miné par l’ennui, l’humiliation et le chagrin. Avec la permission d’Iouantchou, il se tient enfermé dans sa chambre. Le capitaine huron le quitte, chaque matin, le regard menaçant. Cette réclusion ne lui va guère. Le petit Français lui est utile pour traduire les gestes, les attitudes, ou les paroles des Parisiens. Et puis, on glisse à Charlot qui a le don de plaire, divers objets, des pièces de monnaie, dont il s’empare aussitôt. Il perd, par l’absence de l’enfant, des gains qui enchantent son avarice. La colère gronde en lui. Il n’ose cependant rien dire, car Iouantchou veille, fidèle à sa promesse de protéger Charlot.

Un soir, les sauvages, réunis dans la chambre du capitaine huron, s’entretiennent d’une excursion qui les tiendra deux jours éloignés de Paris. Le capitaine huron insiste pour que, cette fois, Charlot les suive. Habilement, il démontre qu’il serait dangereux de le laisser longtemps seul avec ses compatriotes. Volontairement ou involontairement, leur supercherie à l’égard de l’enfant pourrait être découverte. Et alors, il leur en coûterait cher, à Iouantchou fils surtout. N’est-il pas reconnu par tous comme le chef ? Iouantchou, assis au fond de la pièce, silencieux à son ordinaire, tressaille. Les paroles sournoises, et jusqu’à un certain point justes et sensées du capitaine huron blessent son cœur et troublent son esprit. Il se lève, se penche vers Charlot, à demi-couché sur une natte de jonc.

iouantchou fils

Mon jeune frère a-t-il entendu ? Que dit-il ? Peut-il se joindre à nous, demain ? Qu’il réponde sans crainte. J’ai foi en lui. Il ne trompera pas celui qui ne lui veut que du bien.

charlot, les larmes montent à ses yeux.

Ô Iouantchou, bon Iouantchou, comme je le voudrais. Mais je ne pourrai marcher si longtemps.

le capitaine huron, ricanant.

Crois-moi, Iouantchou, quelques bons coups réussiront mieux que tes paroles.

(Riant très fort.)

Ah ! Ah ! Ah ! que la faiblesse de ton âme nous amuse, Iouantchou, et que le petit chien de visage pâle, très madré, la devine et en abuse. Ah ! Ah ! Ah !

charlot, joignant les mains.

Non, non, Iouantchou, je ne te trompe pas, car, tu le sais, je t’aime. Est-ce que tu ne connais pas maintenant le cœur de Charlot ?

iouantchou fils, les dents serrées et s’avançant tout près du capitaine huron.

Te tairas-tu, sagamo, te tairas-tu ! Comme la vipère tu rampes, puis mords cruellement ceux qui t’entourent.

Mais le coup a porté. Iouantchou se retire dans un coin, se renfrogne, ne regarde plus Charlot. Il pétune avec force. Le capitaine huron, maître du terrain, commande à l’enfant de faire ses préparatifs. « Nul ne restera en arrière, demain, » prononce-t-il, son poing vigoureux sur la table.

Au petit jour, on se met en route. Afin de ne pas causer de nouveaux ennuis à Iouantchou qui, sans un regard vers lui, l’a pourtant déchargé de son lourd paquet, Charlot s’efforce de suivre les autres. Après une demi-heure de marche, le vertige s’empare de lui, le jette tantôt à droite, tantôt à gauche. Enfin, pris de syncope, il s’abat avec un cri, aux pieds du capitaine huron.

Furieux, celui-ci lève son bâton. Mais sans un mot, Iouantchou s’élance. Le reculant du poing, les yeux enflammés, il hisse Charlot évanoui sur son dos, et fait signe à tous de demeurer là. Au pas de course, il retourne à l’auberge, dépose Charlot sur son lit, et, dès que celui-ci ouvre les yeux, lui présente de l’eau d’un air contrit.

iouantchou fils

Mon jeune frère a du courage, mais peu de forces. C’est comme il l’a dit, hier. Nous l’avons tous reconnu. Qu’il demeure ici, bien en paix. Mais,

(et le sauvage baisse les yeux.)
je vais l’enfermer. Il ne faut pas qu’on lui parle, ni qu’il parle. Les provisions sont dans l’armoire. Que mon frère s’en nourrisse, dès qu’il le pourra. Il n’a pas la fièvre.

Charlot le regarde doucement. Ses yeux, un peu éteints, s’efforcent d’être reconnaissants. Péniblement, il se soulève et saisit la main brune d’Iouantchou. Il la presse contre sa joue, balbutiant : « Merci, Iouantchou, tu es bon ! »

Le sauvage, la figure impassible, pousse un ho ! ho ! très rauque et se dirige vers la porte. Il hésite, la clef à la main ; puis, sans se retourner, la remet dans sa poche. Au lieu d’exécuter sa menace et de tirer le verrou, Iouantchou témoigne encore une fois sa confiance envers l’enfant.

Une heure plus tard, Charlot, un peu remis, s’approche de la fenêtre. Pensivement, il examine sa blouse bleue à larges boutons qu’il vient de quitter. Il hoche la tête. Non, vraiment, il ne lui est plus possible de la remettre. Ce n’est qu’un lambeau devenu trop étroit. Mais aura-t-il le cœur de jeter ce vêtement chéri au rebut ? L’enfant soupire. Que de doux souvenirs demeurent attachés à sa petite blouse ! N’est-ce pas Perrine qui, la dernière, la lui a mise au matin de son enlèvement ? Que de recommandations lui avait faites, à ce moment, la sérieuse petite sœur !

Il se les rappelle. Il ne fallait pas la déchirer la tacher, ni surtout, oh ! surtout, ne pas perdre un seul des nombreux boutons dont elle était ornée.

Charlot sourit. Il compte de nouveau les boutons. Douze. Pas un seul ne manque. Il y a veillé. Qu’elle serait heureuse Perrine de le savoir ! Mais…, et les yeux de Charlot s’animent un peu, pourquoi ne pas tenter de rapporter ces babioles, au Canada ? Oui, oui, c’est cela. Quelle bonne pensée il vient d’avoir ! À l’œuvre ! Il se glisse sur le lit. Un à un, il enlève les boutons et les fait disparaître dans son ceinturon de cuir. De la sorte, ils sont invisibles. Il ne faut pas que le capitaine huron se doute de ce petit projet en l’honneur de Perrine. Avec quelle satisfaction, il lancerait au loin les menues choses.



Un moment, Charlot retient dans sa main le dernier bouton. Il le retourne en tous sens. Qu’il est pesant, dur, solidement bourré d’étoffe ! Qui donc a fait cet excellent travail ? Sa mère, jadis ? Peut-être. Rien d’étonnant à ce que Perrine en ait pris un tel soin. Ah ! Qu’est-ce donc que ce petit point jaune reluisant, ici, à gauche ? Avec son ongle, l’enfant fait une échancrure dans l’étoffe. Une autre, plus large. Et alors, quelle merveilleuse surprise ! Ses yeux s’ouvrent énormes, la sueur couvre son front. Pris d’éblouissement, il se renverse sur le lit. Hé ! ce qu’il presse si fort dans sa main, ce n’est plus l’humble bouton de tantôt, c’est une belle pièce d’or toute neuve, qui étincelle et rit au soleil.

De l’or ! Le grand rêve de Charlot ! De l’or !! Le symbole de sa délivrance ! Là ! Est-ce bien vrai ? Et, sans doute, les autres boutons sont fabriqués du même métal. Dominant sa faiblesse, se raidissant, l’enfant, les doigts tremblants, découvre les onze autres boutons ! Il regarde. Devant lui, ô bonheur suprême, une petite pile d’or s’est amassée.

Longtemps, les yeux mi-clos, la tête appuyée sur son oreiller, Charlot contemple son trésor. Se peut-il qu’il en soit le maître, qu’il en disposera à son gré ? Cela tient du miracle. D’où vient-il, mais d’où vient-il donc cet or précieux ? Qui l’a ainsi, très habilement, caché aux yeux de tous ? Quelle heureuse inspiration il a eue tout à l’heure de rapporter ces boutons à Perrine… Perrine, sa Perrine, est-ce qu’elle connaît, cette richesse ? Quel plaisir il aura, plus tard, à lui narrer cet incident sauveur. Charlot se met à genoux et remercie Madame la Vierge qui sûrement l’a guidé en tout ceci. Elle a répondu du haut du ciel, la bonne mère de Jésus. C’est le secours qu’elle envoie au petit orphelin. Puis Charlot se recouche. Il est fatigué, énervé, par l’excès même de sa joie. Il ne dort pas, non, trop de pensées et de projets s’entrechoquent dans sa tête. Que va-t-il faire ? Fuir ? Certes, oui. Mais de quelle façon procédera-t-il afin de ne pas ennuyer personne, le bon Iouantchou surtout ? Cela, Charlot ne le veut à aucun prix, et s’il lui fallait revenir de l’autre bout de la France pour venir en aide, en quoi que ce soit, à Iouantchou, il le ferait avec joie. Le sommeil prend enfin le pauvre petit.