Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Troisième Ciel/Chapitre X

CHAPITRE X.

Avant de quitter le monde de Venus, je priai le génie de nous instruire des mœurs & de la religion de ces peuples. Les Idaliens, nous dit-il, adorent le feu, parce qu’il est le plus noble des élémens ; ils le regardent comme une vive image du soleil ; & lorsque l’on voit dans quelques provinces de ce monde que le feu qu’ils y entretiennent toujours commence à diminuer, ils se persuadent qu’ils sont menacés des plus grandes calamités : c’est pourquoi ils le conservent avec soin dans des lieux fermés des murailles sans toits, & le peuple soumis & crédule vient à certaines heures du jour prier les personnes les plus qualifiées de se charger d’y jetter des essences précieuses, ce qu’ils regardent comme un des plus beaux droits de la noblesse. Ces peuples prétendent être les premiers qui aient découvert le feu, si nécessaire aux besoins multipliés de la vie, & sans lequel les principales opérations des arts qui en dépendent, dont le détail est devenu presque infini, ne pourroient se perfectionner ; c’est pourquoi dans toutes leurs villes capitales on y voit un temple superbe, destiné à y conserver le feu sacré : ce soin n’est confié qu’à de jeunes filles, les plus belles qu’on peut trouver dans la ville, & cet honneur est brigué par les plus grands, pour les privilèges qui y sont attachés ; mais si malheureusement une de ces prêtresses vient à laisser éteindre le feu par sa négligence, elle en est rigoureusement punie : ni la naissance, ni l’âge, ni la beauté ne peuvent jamais la sauver.

Cependant à la fin de chaque année on laisse mourir le feu, pour le rallumer au commencement de celle qui suit, avec beaucoup de paroles mystérieuses ; car le mystère, la crédulité & l’ignorance sont, à ce qu’on dit, des oreillers sur lesquels se reposent la plupart des Idaliens. Je remarquai encore que lorsque leur souveraine sent approcher le terme de sa vie, elle ordonne que le feu soit éteint dans les principales villes de son empire ; & ce n’est qu’après sa mort, & au courronnement de celle qui lui succède, que ce feu est rallumé avec pompe & magnificence : alors finit le deuil de toute la nation par de grandes réjouissances, & on brûle dans ces fêtes une prodigieuse quantité de pastilles & des essences les plus précieuses : ces fêtes coûtent des sommes immenses.

Ces peuples ont encore le culte des étoiles ; ils croient une espèce de métempsycose astronomique, & disent que les ames, après avoir quitté leurs corps, sont contraintes de passer par cent portes consécutives, ce qui doit durer plusieurs millions d’années avant qu’elles puissent arriver au soleil, qu’ils regardent comme le séjour des bienheureux : chaque porte est composée d’un métal différent, placée dans la planète qui préside à ce métal.

Comme rien n’est plus mystérieux que cette métempsicose, ils la représentent sous l’emblême d’une échelle très-haute, divisée en sept passages consécutifs ; c’est ce qu’ils appellent la grande révolution des corps célestes & terrestres, ou l’entier achevement de la nature ; se persuadant que les ames vont habiter successivement toutes les planètes & les étoiles fixes qui sont autour du soleil, & qu’elles se purifient dans ces passages par une vertu secrete, à mesure qu’elles approchent de cet astre, qui est le centre de la félicité.

Les Idaliens sont encore persuadés que c’est le soleil & la lune, qui, par leur éclat & leur lumière, se rendent dignes des principaux hommages qu’on doit aux astres ; ils le nomment le roi & le souverain du ciel, & disent que la lune en est la reine & la princesse. Comme ils ne sont jamais inspirés que par l’amour, ils croient, en suivant leurs principes, que le soleil n’avoit pu voir la beauté de la lune sans en devenir amoureux, & sans lui communiquer ses feux ; c’est pourquoi, afin de mettre plus de décence dans cette union, ils ont imaginé de les marier ensemble. Ce mariage du soleil & de la lune est regardé chez eux comme la source & l’origine de toutes productions, parce que c’est sur la terre, rendue par eux féconde & abondante, que se font sentir les fruits de cette union. Les avantages les plus considérables qu’on en retire, sont les métaux & les pierres précieuses. Il est certain qu’on ne peut mieux assortir un mariage céleste.

Ces peuples, toujours enclins à l’inconstance, n’ont pas voulu que le soleil en fût exempt ; c’est ce qui leur fait regarder ses éclipses comme des adultères, parce qu’il semble, pendant leur durée, que la terre veuille s’attirer les faveurs du soleil, pour les dérober à la lune, en l’empêchant d’en recevoir sa lumière accoutumée ; on voit qu’ils s’efforcent de répandre de la coquetterie jusques dans les astres.

Pour orner la majesté des deux époux, ils ont voulu donner au roi & à la reine du ciel une cour aussi pompeuse que brillante ; c’est pourquoi ils font passer tous les autres globes lumineux pour leurs ministres, leurs gardes, leur armée, ou pour leurs sujets ; voilà ce qui compose leur croyance. Ils sont persuadés que ce sont les génies amoureux des plus belles femmes qui, dans les fréquentations qu’ils ont eues avec elles, leur ont révélé tous ces secrets, & une infinité d’autres qu’ils n’auraient jamais connus sans le secours de ces génies. Monime les trouva très galans, & dit que les Idaliens devaient s’estimer très-heureux d’avoir eu des femmes assez belles pour en faire la conquête, & assez adroites pour leur tirer des secrets, qui, vraisemblablement, ne devoient jamais être découverts aux mortels, toujours faits pour admirer, & non pas pour connoître.