Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Premier Ciel/Chapitre IV

CHAPITRE IV.

Portrait d’une vieille Coquette.


Damon vint le lendemain à la toilette de Monime. Vous êtes bien cruel, lui dit-elle, de nous laisser si long-tems dans l’inquiétude ! Cette malheureuse nouvelle s’est-elle confirmée ? Souvent on grossit les objets. Je ne suis pas au fait, madame, dit Damon : quelle est donc cette nouvelle ? La question est singulière, reprit Monime ; j’ai tout lieu d’être étonnée de votre sécurité : auriez-vous déja oublié la perte de cette bataille, qui a dû répandre la consternation dans tous les cœurs ? Quoi ! vous n’êtes pas touché de la désolation d’un grand nombre de familles, du désespoir de la veuve & de l’orphelin ? Ah ! ciel, s’écria Damon, arrêtez, belle dame, on n’y résiste pas ; ce débat est d’un ténébreux qui obscurcit l’imagination, & quand vous auriez été payée pour faire l’oraison funèbre de tous ces pauvres défunts, vous ne vous en acquitteriez pas mieux : sur mon honneur, on n’a jamais vu personne porter si loin ses inquiétudes. Ah ! nous sommes plus raisonnables ; cette affaire est déja oubliée. Que voulez-vous ? Nous espérons bientôt avoir notre revanche. À propos, j’ai plusieurs couplets de chanson qu’il faut que je vous montre ; l’air en est très-joli, les rimes assez heureuses : ils ont été faits à l’arrivée du courier ; on les chante par-tout. Je suis désespéré de n’avoir pu vous les apporter hier ; ce n’est que la nouveauté qui plaît. Damon se mit à chanter ces couplets avec un enjouement qui auroit déconcerté la gravité d’un recteur.

Monime, loin d’applaudir à ces misères, en fut indignée. Comment, monsieur lui dit-elle, est-ce donc avec des chansons qu’un bon citoyen doit se consoler des malheurs de l’état ? Est-ce ainsi que les personnes d’un rang distingué s’occupent du soin de réparer des maux qui doivent accabler tous les peuples ? Vous, par exemple, monsieur, qui vous flattez d’avoir l’oreille de votre souverain, vous qui prétendez en être toujours écouté favorablement, je croirois que, pour mériter sa confiance, il faudroit au moins s’intéresser davantage au bien public. Oh ! parbleu, je n’y tiens plus, dit Damon en éclatant de rire ; voilà des réflexions qui me paroissent du premier rare. Permettez-moi de vous dire, belle dame, que vous êtes un peu misantrope : mais fi donc ; à votre âge, en vérité, cela est honteux. Je suis pétrifié de vous entendre : je serois tenté de croire que vous n’êtes pas de notre monde. J’ignore les usages qui se pratiquent sous le climat qui vous a vu naître ; mais apprenez qu’ici notre raison nous sert infiniment mieux : lorsqu’il arrive quelque événement qui intéresse la patrie, d’abord nous avons les yeux ouverts sur ce qu’il produira : souvent cet événement en fait naître mille autres, qui captivent également notre attention : on peut les comparer à des nuages qui se rassemblent : le premier est emporté par les vents ; un second lui succède qui nous amuse ; un troisième paroît, qui absorbe les deux premiers ; mais il sera lui-même anéanti dans un instant par une intrigue de cour. Ainsi de nouveaux projets nous amusent ; nous les saisissons avidement sans réfléchir, ni nous mettre en peine des suites qui doivent en résulter ; le soin de nos plaisirs est le seul qui nous flatte & qui nous occupe. Vous êtes, en vérité, trop aimable & trop spirituelle, pour ne vous pas conformer à nos usages. Bon jour, belle dame, je suis désespéré d’être obligé de vous quitter : il faut absolument me rendre au petit lever de la reine ; si j’y apprends quelques nouvelles, j’aurai soin de vous en faire part. Damon sortit sans attendre la réponse de Monime.

Je ne puis concevoir, dit Monime, les raisons d’une conduite si extravagante. Dites-moi donc, mon cher Zachiel, pourquoi leurs loix & leurs usages sont si différens des nôtres ? Ce n’est point dans l’empire de la lune qu’on doit parler de science ni de politique, dit le génie : tout ce que je puis vous dire, c’est qu’ici aucun des hommes ne veut suivre les talens qu’il a reçus de la nature & de l’éducation : tout le monde sort de sa sphère ; on quitte son état, pour être employé à des choses dans lesquelles on n’a nulle sorte de connoissances. La folie des lunaires est de vouloir passer pour être universels ils ne veulent point borner leurs sciences ; c’est ce qui leur fait faire tous les jours de nouvelles sottises : mais leurs passions sont un labyrinthe où plus ils marchent & moins ils se retrouvent. Les grands sont quelquefois contraints de s’y livrer par état. Toujours agités, ils agitent eux-mêmes leur monde par l’extravagance de leurs visions. Voilà ce qui excite contre eux la haine des gens raisonnables, qui aiment l’ordre & le repos. Au reste, vous verrez dans tous les mondes un si grand mêlange de sagesse & de folie parmi les hommes, qu’on ne peut assez admirer l’inégalité qui les fait voir si contraires à eux-mêmes. Tel vous paroîtra le plus sage en une chose, qui est extravagant dans une autre. Ce n’est pas dans le tourbillon de ce monde qu’on doit critiquer leur folie : il y a trop de gens intéressés à la soutenir & à la défendre.

Licidas vint l’après-midi faire sa cour à Monime : il nous apprit qu’il s’étoit tenu un conseil extraordinaire ; car l’usage de ces peuples est de commencer par agir ; les réflexions viennent après. Ce conseil fut donc assemblé, afin d’y examiner ce qu’on venoit d’exécuter. Les avis furent partagés, comme de coutume, & chacun se sépara sans pouvoir rien résoudre pour le présent, ni rien prévoir pour l’avenir, soit qu’on ne trouvât aucun moyen pour remédier aux désordres, ou que les difficultés les rebutassent, il fut seulement décidé qu’il falloit laisser aux généraux le soin de se tirer d’affaire comme ils pourroient. Je crois que c’étoit le meilleur parti qu’ils pussent prendre.

Licidas nous engagea d’un air si pressant de venir passer l’après-dînée chez lui, avec plusieurs autres personnes qu’il avoit aussi invitées, que nous ne pûmes nous refuser aux instances de ce jeune seigneur. Son hôtel ne cédoit en rien pour la magnificence à celui de Damon. Licidas commença par nous faire voir tous ses appartemens ; il nous en fit admirer la distribution & les meubles qui étoient du dernier goût. Il est vrai que tout ce qui les ornoit étoit d’une élégance admirable : de beaux cabinets remplis de figures de bronze, de vases précieux, de magots, de petites poupées, de pantins, de découpures de sa façon, qu’il prétendoit être les portraits pris en profil de toutes les personnes de sa connoissance ; des estampes qui représentoient des figures indécentes ; des pots-pourris de formes différentes, étoient distribués dans tous les coins de ses appartemens, & y répandoient un parfum délicieux : enfin je ne puis nombrer la prodigieuse quantité d’inutilités dont sa maison étoit remplie & qui étoient toutes d’un prix infini ; mais pas un seul livre, ni rien de ce qui peut annoncer le goût d’un homme qui sait mettre à profit les momens qu’il devroit employer à s’instruire. Quelques brochures nouvelles étoient seulement répandues dans ses boudoirs, parce qu’il étoit du bel air d’en apprendre les titres. Monime en ouvrit une, qui avoit pour titre, le Singe Petit Maître. Elle ne douta pas que ce ne fût l’histoire de quelque chevalier lunaire qui devoit être curieuse & intéressante. Elle demanda à Licidas si ce livre étoit bien écrit. Écrit supérieurement, madame ; il est divin. Un éloge aussi complet, dit Monime, annonce que vous l’avez lu avec beaucoup d’attention. Moi ? point du tout ; je vous proteste que je ne m’en donne pas la peine : d’un coup d’œil on voit ce que peut contenir un ouvrage & lorsque le titre plaît, cela suffit. D’ailleurs, il est de monsieur l’Enthousiasme, qui, sans contredit, est un de nos meilleurs auteurs.

Damon qui entra nous interrompit. Que diantre faites-vous donc là, vous autres ? Comment ? dans un boudoir une belle dame, un livre à la main ? Oh ! parbleu, cela est trop comique. Sais-tu bien que ton grand salon est rempli, & que mademoiselle le Nayle est arrivée ? Madame, c’est une galanterie de Licidas ; il aime à surprendre & le fait toujours agréablement. C’est en votre faveur que se donne la fête ; vous allez entendre la plus belle voix qu’il y ait jamais eu. Cette fille fait actuellement les délices de la cour & de la ville ; elle joint à la flexibilité de son gosier, la déclamation la plus noble, la plus tendre & la plus touchante ; ses sons, ses gestes & toutes ses attitudes, mettent l’ame dans une espèce de délire. Ah ! Mahomet, si les houris destinées à exécuter la musique de ton paradis lui ressemblent, quelles délices pour tes bienheureux !

Voilà un enthousiasme, dit Monime, qui nous annonce une personne de beaucoup d’esprit, puisqu’elle a le talent de réveiller les passions avec tant de force. Vous êtes dans l’erreur, belle dame, dit Licidas : cette actrice n’est qu’une imbécille ; à peine végete-t-elle ; ce n’est qu’une espèce d’automate dont les organes les plus parfaits sont ceux du gosier : du reste, les fibres de son cerveau sont trop grossiers pour qu’on en puisse tirer aucune étincelle de bon sens. En causant ainsi, nous nous trouvâmes à la porte du salon, qui étoit rempli d’une nombreuse compagnie. Monime y fut reçue avec ces grâces que donne le bon ton : on la trouva coëffée à ravir ; on examina son habit, ses parures qui furent trouvées du dernier goût. Elle ne reçut point ces louanges en ingrate : elle savoit l’usage, & les rendit au centuple.

Nous n’eûmes pas de peine à distinguer dans le nombre des musiciens cette admirable actrice, par l’empressement que montroient tous les seigneurs à la prévenir dans ses caprices : ils essuyèrent tour à tour cinquante impertinences de sa part, avant qu’elle voulût les honorer d’un coup de gosier. Les complaisances qu’il plut à cette fille d’exiger d’eux, furent poussées jusqu’à leur faire faire mille bassesses. Je laisse à juger lequel étoit le plus fou ou le plus imbécille, de l’actrice ou des personnes auxquelles elle commandoit avec une si grande autorité.

Le hasard me fit placer à côté d’une vieille qui étoit extrêmement parée. Elle m’agaça d’abord par des propos galans, qu’elle accompagnoit de petites grimaces minaudières, propres à mettre le comble à la laideur de ces vieux siècles que la nature n’a jamais favorisés, & à faire remarquer à tous ceux qui les regardent, la folie de leurs prétentions. Lorsqu’elles veulent se donner un air galant & enfantin qui ne fut jamais fait pour elles, ne peut-on pas dire qu’elles sont les seules dans ce moment qui s’aveuglent sur leur mérite ?

Attentif à la musique, je reçus assez mal les agaceries de Cornalise (c’est le nom de cette vieille poupée) qui parut d’abord s’en offenser ; ce qui fit qu’aux manières agaçantes qu’elle avoit prises, & qui lui seyoient on ne peut pas moins, succéda un certain air piqué qui ne lui alloit pas mieux. Monime, qui ne pouvoit se lasser de l’examiner, me fit remarquer son ridicule & sa sotte vanité par un sourire & un coup d’œil fin. Je crois, me dit-elle, en s’approchant de mon oreille, que cette femme qui me paroît si fière & si manierée, pourroit très-bien avoir été la nourrice de la première femme qui soit née dans ce monde. Je regardai alors Cornalise avec des yeux que la folie de Monime venoit d’animer : mais soit qu’elle interprétât ce regard en sa faveur, je la vis sourire d’une façon si hideuse en montrant un ratelier postiche, que j’eus bien de la peine à garder le sérieux. Elle tira une boëte à bonbons : milord, me dit-elle, en affectant de grasseyer, goûtez de mes pastilles ; elles sont embrées & des meilleures. Je la remerciai assez froidement. Je crois, poursuivit Cornalise, en ouvrant son miroir de poche, que je suis faite à faire horreur : il fait aujourd’hui un vent perfide qui m’a toute décoëffée en descendant de mon carrosse. Elle rajusta les boucles de sa perruque, releva son aigrette, se pinça les lèvres afin de les rendre plus vermeilles, remit du rouge sur deux gros os placés au-dessous de deux petits trous, où l’on pouvoit appercevoir, en y regardant de près, des yeux qui sembloient être perdus dans cette concavité : ces deux trous étoient relevés par des croissans très-fins, mais du plus beau noir qu’on avoit pu trouver : on les auroit pris pour un fil de soie qu’on auroit artistement collé sur son front plâtré. Du milieu de ces deux arcades descendoit un nez en forme de perroquet, dont le bout venoit négligemment se reposer sur un menton des plus pointu, qui, charmé de cet avantage, s’avançoit pour lui en marquer sa reconnoissance par les petites caresses qu’il lui faisoit chaque fois que Cornalise fermoit la bouche ; ce qui lui arrivoit souvent par la raison que, pour avoir le plaisir de l’ouvrir, il faut nécessairement qu’elle soit fermée. Mais laissons ces deux amis se baiser autant de fois qu’ils en trouvent l’occasion, pour achever de peindre notre Sibylle, du moins le buste : je n’irai pas plus loin : je dirai donc qu’au-dessous de ce divin menton, on remarquait un squelette ridé, couvert d’une peau jaune & huileuse, dont le fond tiroit un peu sur le verd, malgré tout le blanc qu’on s’étoit efforcé d’y mettre. A tous ces agrémens se joignoit encore une bosse : il est vrai que ce n’étoit pas de ces grosses vilaines bosses qui viennent impunément se placer au milieu du dos ; mais une bosse complaisante, qui avoit bien voulu se ranger de mon côté pour la facilité des ouvrières. Je me suis un peu étendu : comment ne pas être prolixe lorsqu’on fait le portrait d’une nouvelle conquête ?

Le concert fini, on se mit à table où j’eus encore l’avantage de me trouver placé à côté de mon infante, qui s’empressoit à me faire servir ce qu’il y avoit de plus délicat. Monime qui étoit vis-à-vis, entre Damon & Licidas, examinoit toutes ces minauderies qui l’amusoient au point qu’elle ne songeoit pas à manger. Damon qui s’apperçut de mon air distrait & des agaceries de Cornalise, dit d’un ton plus grave qu’il put prendre, que c’étoit manquer à la politesse qu’on doit au beau sexe, d’affecter ainsi le cruel vis-à-vis d’une belle dame, qui paroissoit n’avoir pas trop le tems d’attendre, & que j’avois l’air de faire le second tome de Tantale. À cette saillie, Monime ne put s’empêcher d’éclater de rire ; ce qui donna le ton à toute la compagnie. Cornalise & moi fûmes d’abord les seuls qui ne fîmes point chorus : je la regardai dans le dessein de lui faire mes excuses sur mon manque d’attention ; mais je la trouvai si risible & si déconcertée, que perdant toute ma gravité, je ne pus m’empêcher de rire à mon tour, avec d’autant plus de force que j’y étois excité par l’exemple. La fureur de Cornalise éclata alors contre moi & contre toute l’assemblée : elle oublia sa dignité, ne respecta ni elle, ni personne : elle eût voulu avoir cent langues, afin de pouvoir les employer à multiplier les injures qu’elle nous débita. Comme elle étoit femme d’un homme qui tenoit un rang considérable dans l’état ; que d’ailleurs elle appartenoit à tout ce qu’il y a de grand, personne ne voulut entreprendre de lui répondre, dans la crainte de l’aigrir davantage ; de sorte qu’après avoir parlé long-tems avec beaucoup de véhémence & de volubilité, elle fut contrainte de se taire d’épuisement & de sécheresse de gosier.

Les vieilles coquettes n’ont point de fiel quand on sait les flatter à propos dans leurs folies : il étoit essentiel d’appaiser celle-ci ; je vis que j’étois le seul qui pût l’entreprendre. Ses poumons fatigués lui occasionnèrent une toux sèche qui dura un quart d’heure : pour l’adoucir, je lui présentai un verre d’ambroisie, qu’elle fit d’abord quelques difficultés de prendre. Vous avez trop d’esprit, lui dis-je, madame, pour vous offenser sérieusement d’une mauvaise plaisanterie qui est échappée sans réflexion. La feinte colère que vous venez d’affecter nous a tous intimidés, & je vous proteste que la joie ne reparoîtra que lorsque vous voudrez bien nous montrer un visage plus serein. Ignorez-vous que la jeunesse a quelquefois des écarts qu’on doit lui pardonner ? Personne ne le sait mieux que moi, dit Cornalise, car il m’en arrive souvent : je suis si vive, que la plupart du tems je ne sais ce que je fais. En disant cela, pour donner un échantillon de sa vivacité, elle fit un mouvement sur sa chaise qui pensa la culbuter, & fit échapper au maître-d’hôtel un plat qu’il alloit poser sur la table, qui fut entièrement renversé sur sa robe. Bon, dit Cornalise, voilà encore de mes étourderies.

À ce propos, j’eus toutes les peines du monde à m’empêcher de rire. Je me levai avec empressement pour essuyer sa jupe. Fi donc, dit l’enfantine Cornalise, ne prenez pas cette peine ; c’est une misère qui fera le profit de mes femmes : je puis vous assurer qu’elles ne seront point fâchées de l’aventure, quoiqu’elles en aient souvent de pareilles. Vous ne me connoissez pas ; je suis si folle que je déchire, j’arrache & m’accroche par-tout. Monsieur le vidame est quelquefois outré contre ma vivacité. Il est vrai que je ne sais ce que je fais ; tantôt je perds ma boëte, tantôt mon miroir de poche ; une autrefois, un de mes diamans ; enfin tous mes bijoux s’égarent, & mes gens ne sont occupés qu’à chercher : cela leur donne de l’humeur ; ils prennent souvent la liberté de me quereller ; j’en ris ; cela me réjouit beaucoup. Je leur fais aussi quelquefois des niches ; car il faut s’amuser avec ces animaux-là. Je suis sûr, madame, dit Damon, que monsieur le vidame est enchanté de toutes vos espiegleries : on peut dire que vos petites folies, puisqu’il vous plaît de nommer ainsi le brillant de vos saillies, sont des plus agréables, & vous faites certainement l’amusement & le charme de toutes les compagnies que vous voulez bien honorer de votre présence.

Je craignis que Cornalise ne se fâchât encore de cette ironie que je trouvois un peu forte ; mais loin qu’elle s’en offençât, son amour-propre la lui fit prendre pour un compliment délicat & recherché. Damon continua de flatter la folie de cette extravagante, en la louant sur sa beauté, sa taille, sa jeunesse, & les agrémens qui étoient répandus dans toute sa personne ; nous fit le détail de ses talens, vanta sur-tout celui qu’elle avoit pour la déclamation, ajouta qu’ils devoient incessamment jouer une comédie, & qu’il falloit qu’elle y choisît un rôle.

C’étoit encore une des folies de Cornalise : souvent on en jouoit chez elle, où elle avoit toujours la fureur d’y faire les premiers rôles. Une partie de la nuit se passa à décider de la pièce qu’on joueroit. C’est la manie de ces peuples ; tout est théâtre chez eux, quoiqu’il en coûte, le bourgeois, qui toujours veut être le singe des grands, en représente aussi. Il n’y a point de bonne maison où l’on ne s’assemble pour y jouer toutes les nouvelles pièces qui paroissent. Sans doute qu’ils croient perfectionner leurs talens & leurs graces par cet exercice.