Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Cinquième Ciel/Chapitre I

CINQUIÈME CIEL.
LE SOLEIL.


CHAPITRE PREMIER.

Description du Palais d’Apollon.


Placés sur les aîles du génie, qui par son vol rapide perce aisément à travers l’air en s’avançant parmi des astres innombrables qu’on voit briller de loin, semblable à des étoiles de toutes grandeurs, le ciel nous parut semé comme un champ de tous ses astres lumineux.

Le génie, après nous avoir donné le tems d’admirer ce brillant spectacle, se précipita ensuite dans l’atmosphère du soleil, & nous descendit dans un endroit que nous prîmes d’abord, Monime & moi, pour les Isles Fortunées des Hespérides. Nous ne pouvions nous lasser d’admirer ce bel astre qui parcourt, avec un appareil si éclatant, son immense carrière.

Zachiel nous fit remarquer ces plaines émaillées de mille fleurs nouvelles, ces bocages délicieux. ces vallées fleuries, dont l’herbe tendre & la verdure étendoient sur le pré un coloris charmant. Toutes sortes de plantes nouvellement écloses, en développant leurs couleurs variées, paroissoient égayer le sein de la nature & la parfumoient en même-tems des plus douces odeurs. Là on voit l’humble arbrisseau & le buisson touffu s’embrasser l’un l’autre ; ici des arbres majestueux s’élèvent pompeusement jusqu’au ciel ; d’un autre côté, des fontaines dont les bords sont garnis de bouquets & de plantes salutaires.

La variété, la grandeur & la beauté de mille & mille spectacles nouveaux, des oiseaux étrangers à tous les autres mondes, des plantes bisarres & inconnues ; cet assemblage formoit à nos yeux un mélange inexprimable, dont le charme s’augmentoit encore par la subtilité de l’air qui rend les couleurs plus vives, les traits plus marqués : en rapprochant tous les points de vue, les distances en paroissent moindres que par-tout ailleurs, où l’épaisseur de l’air semble couvrir la terre d’un voile ; enfin on peut dire que ce monde a je ne sais quoi de magique & de surnaturel, qui ravit l’esprit & les sens ; le feu divin qui vous anime vous fait tout oublier ; on s’oublie soi-même, on ne sait plus où l’on est ni ce qu’on est.

En avançant dans ce globe lumineux, nous découvrîmes un mont superbe, dont la cime soursourcilleuse se perd dans les nues ; des buissons incultes & sauvages en défendent l’approche. Ces buissons sont précédés d’une magnifique futaie de cèdres, de pins & de palmiers, dont les rameaux qui s’embrassent les uns dans les autres, forment par leurs rangs disposés par étages, un superbe amphithéâtre qui présente un coup d’œil ravissant.

Au-dessus de ce bois enchanté on voit le palais d’Apollon. La première porte est pratiquée sur un roc d’albâtre. Ce palais, dont le sommet superbe s’élève jusques aux cieux, renferme dans sa vaste enceinte un parc & des jardins admirables. Nous eûmes besoin des secours du génie, qui, par sa vertu, empêcha que la splendeur de ces lieux ne nous éblouît.

Nous promenâmes nos regards de tous côtés, sans que l’œil & la vue rencontrassent ni obstacles ni ombrages ; tout y brille d’une lumière éclatante ; les feux & les rayons que darde le soleil de toutes parts, ne sont jamais interrompus par la rencontre d’aucuns corps opaques ; l’air plus pur & plus serein que dans aucun monde, semble rapprocher les objets les plus éloignés, ce qui fut pour nous un nouveau sujet d’admiration.

Uriel, un des écuyers d’Apollon, esprit le plus éclairé de ce monde, sachant l’arrivée du génie, vint au-devant de lui pour le présenter à son maître ; il nous conduisit dans le palais d’Apollon par une route large & superbe, dont la poussière est d’or & le pavé de diamans. Ce palais me parut d’abord un globe de feu ; des colonnes de lumières soutiennent des arcades qu’on pourroit prendre pour autant d’arc-en-ciels : ce qui forme une architecture si brillante, que nos regards eurent peine à en soutenir l’éclat.

Après avoir traversé plusieurs pièces, nous entrâmes dans une grande galerie, au bout de laquelle étoit Apollon sur un trône environné de toute sa gloire ; une thiare d’or & des rayons brillans ceignoient son front ; sa chevelure admirable flottoit sur ses épaules, au gré d’un vent léger qu’animoit le zéphir, la jeunesse & les graces animent toutes ses actions, & l’on voit briller dans ses yeux un feu divin qui pénetre tous ceux qui ont le bonheur de s’approcher de ce prince, qui voulut bien, à la prière de Zachiel, tempérer l’éclat de sa majesté que notre foiblesse n’aurait pu supporter.

Au pied du trône étoient rangées toutes les intelligences qui conduisent les différentes évolutions de la nature. Ces intelligences me parurent placées par degrés, selon la noblesse de leur origine & la dignité de leurs fonctions ; leurs corps diaphanes reçoivent toutes les impressions de la lumière qui les pénètre & paroissent en même tems comme une vapeur légère teinte de couleurs fraîches, brillantes & variées.

Apollon est regardé dans ce monde comme un souverain prophète ; c’est de lui qu’on tient l’art de la devination. Il préside principalement à la poésie, à la musique & à la médecine ; il est le chef des muses, le souverain des Parques, sa lyre représente l’harmonie des cieux. Des neuf sœurs qui lui sont soumises, la première se nomme Uranie, elle préside à la sphère du firmament étoilé ; Polymnie, à celle de Saturne ; Terpsicore, à celle de Jupiter ; Clio conduit Mars ; Melpomène est pour le soleil ; Erato dirige Vénus ; Euterpe régle Mercure, & Thalie fait agir la lune : de ces huit sphères diversement conduites, naît une différence de tons qui forment une harmonie mélodieuse, comprise sous la neuvième Muse qu’on nomme Calliope.

Dès que Zachiel parut, Apollon, qui le reconnut d’abord pour un génie du premier ordre, à qui rien ne doit résister, le fit à l’instant approcher de son trône. Ce monarque, après avoir félicité le génie sur l’étendue de son pouvoir & sur ses différentes entreprises, eut avec lui une longue conversation sur toutes sortes de sciences. À portée de les entendre, leur éloquence élevoit mon ame & y répandoit un charme inexprimable ; un langage sublime exprimoit leurs pensées : mais je m’arrête & ne puis entreprendre de rapporter un discours qu’animoit le feu divin qui compose leur être ; il faudroit être inspiré d’Apollon lui-même pour le rendre avec la dignité qu’il convient d’employer lorsqu’on fait parler les Dieux. Est-ce à moi à vouloir semer des fleurs ? Le lot des esprits médiocres est d’applaudir dans le secret du cœur, & de laisser aux hommes extraordinaires le soin de célébrer les dieux.

Après que le génie nous eut présentés à ce monarque qui nous fit l’accueil le plus favorable, Uriel vint nous reprendre pour nous conduire chez la princesse Caparisse, une des favorites de ce prince. Nous trouvâmes chez cette princesse les muses & les graces qui s’y étoient rassemblées pour y entendre exécuter un morceau de musique de la composition de Terpsicore.

Lorsque le génie les eut instruites de l’objet de nos voyages, il pria ces belles déesses de vouloir bien nous accorder leur protection, & nous favoriser en même tems de quelqu’étincelle de leurs lumières. Elles parurent extrêmement surprises de la hardiesse de notre entreprise, aucun mortel du globe de la terre n’ayant encore paru dans cette planète non plus que dans les autres, ce qui fit que le génie fut obligé de leur faire part des moyens qu’il avoit employés pour nous y conduire. Il ajouta que nous avions déjà visité plusieurs planètes, ce qui engagea ces déesses, qui aiment un peu à causer, & qui sont naturellement curieuses, de nous faire cent questions, sans presque nous donner le tems d’y répondre.

Clio, savante dans l’histoire, parce qu’elle est journellement instruite de ce qui se passe dans tous les mondes possibles, nous demanda ce que nous avions vu de plus curieux dans ceux que nous venions de visiter : j’ai des nouvelles certaines, ajouta cette déesse, que dans plusieurs tourbillons les usages n’ont point changé, qu’on y rencontre toujours de ces prétendus savans, sans érudition, de ces périodiques qui conservent le sublime talent de mutiler toutes productions, & de les disséquer pour en rendre les lambeaux qu’ils rapportent, ridicules. Tous ces critiques qu’on voit fondre sur le mérite naissant, afin de tâcher de l’étouffer, ressemblent à des chouettes, qui par leurs cris aigus & discordans voudroient faire rentrer dans le néant des génies qui s’efforcent à prendre l’essor ; on les voit faire l’analyse de livres que souvent ils n’ont point lus, qui finissent ordinairement par de plates & indécentes railleries, qui servent également à tous les ouvrages qu’ils ont intérêt de décrier.

Il est vrai, dit Monime, que nous en avons rencontré quelques-uns qui croient s’être acquis des lettres de noblesse par la digne profession de critique littéraire, quoiqu’on dise que les hautes sciences soient pour eux de l’algèbre, & les arts un grimoire. Un auteur éclairé nous compare à un de ces critiques, cerbère en furie, dont l’esprit n’est qu’une exhalaison impute de la méchanceté, & qui ne jouit de l’impunité qu’à l’ombre du mépris que font tous les savans de ses traits envénimés. Je conviens, dit la muse, qu’un auteur doit rougir de ces éloges bâtards ; un savant ne doit faire cas que de ceux qui partent d’un esprit judicieux ; d’un sage qui pense par lui-même, sans avoir égard à ces critiques microscopiques qui cherchent à grossir les plus petites fautes, en comptant les ci, les cas & les mais, & en citant des erreurs d’impression pour des défauts de grammaire ; mais je n’ignore pas que le bon-sens & la raison sont bannis de bien des mondes, les sages & les philosophes n’osent encore faire paroître librement leurs idées, & je doute qu’avec cette façon de penser, les princes puissent goûter de vrais plaisirs ; prévenus sans cesse par leurs favoris, ils ignorent ce bonheur qui fait le charme de la vie, c’est la certitude d’être aimé pour soi-même, sans que l’ambition ou l’intérêt aient aucune part au zèle qu’on leur fait paroître.

Clio, en continuant de nous interroger, nous demanda si le goût tenoit encore contre la nouveauté des objets ; si les personnes qui emploient le plus mal leur tems sont toujours celles qui en ont le moins de reste ; si l’esprit de présomption & de fatuité étoit encore le partage des petits maîtres ; si les généraux étoient présentement plus avide de gloire qu’ils ne l’étoient d’argent ; si on voyoit des ministres préférer le bien de l’état à leur propre intérêt ; si les harangues des sénateurs étoient toujours écoutées ; si les prêtres, les pontifes & les coribantes prêchoient l’humilité & la charité par leurs exemples, & mille autres questions qui nous surprirent infiniment, parce que nous ignorions jusqu’à quel point ces aimables déesses poussent l’étendue de leurs connoissances. Clio continua d’entretenir Monime pendant qu’Uranie & Polymnie me firent part de leur science sur la rhétorique & sur l’astrologie ; elles m’en parlèrent avec beaucoup d’éloquence, & je jugeai par leurs discours que personne ne pouvoit les égaler sur ces matières.

La princesse Caparisse nous proposa de passer dans les cabinets d’Apollon, pour y admirer les curiosités dont ils sont ornés. Le premier offrit à nos yeux plusieurs pièces de tapisserie que Minerve elle-même avoit travaillés, dans une on voyoit les trois Parques, filles de Jupiter & de Themis, occupées à filer la trame de chaque mortel ; une autre offroit la déesse renommée qui présente un trône à l’honneur, en face étoient représentées au naturel, Cirene, Daphné, Hyacinte, Caparis & Broncus, favorites d’Apollon.

Nous passâmes ensuite dans un autre cabinet qui renfermoit les choses du monde les plus curieuses : nous y remarquâmes, entr’autres, ce fameux trépied sur lequel la Sibylle de Delphes rendoit ses oracles, la barbe d’Esculape, le caducée de Mercure, le carquois de Diane, l’égide de Minerve, les flèches & le bandeau de Cupidon, la toilette de Vénus, l’enclume de Vulcain, & mille autres curiosités dont je parlerai dans la suite ; mais ce que nous admirâmes avec beaucoup d’attention, fut la harpe d’Apollon, dont les sept cordes répondent aux sept planètes sur lesquelles il répand sa vertu & sa lumière, ce qui représente en même-tems l’harmonie des cieux.

Les muses nous conduisirent dans la bibliothèque du souverain du Parnasse. Je mis d’abord la main sur un ouvrage d’un de nos philosophes, qui traite de l’attraction ou de la théorie du monde. Cet ouvrage me parut écrit avec tant de force & de lumière, qu’on diroit que ce philosophe ait pris la nature sur le fait ; je le parcourus avec avidité, en priant le génie de m’expliquer quelques endroits trop élevés pour mes foibles connoissances.

L’attraction & L’électricité sont les causes, dit Zachiel, de tous les phénomènes, tant physiques que moraux. L’attraction est une force dont l’action est connue dans toute la nature ; elle opère, non-seulement sur tous les corps matériels, en raison directe de la masse & inverse du quart de la distance ; elle agit pareillement sur les objets intellectuels, en suivant exactement les mêmes loix. Elle est aussi la cause de la mémoire dans laquelle les idées se renouvellent par la forte conjonction, ou par le souvenir du tems ou du lieu où les choses se sont passées. On peut attribuer aussi à l’attraction les causes de l’analogie & de la sympathie ; c’est elle qui nous fait pencher pour un objet plutôt que pour un autre ; c’est elle qui engage deux cœurs ou deux personnes d’esprit à se lier d’une étroite amitié ; c’est elle encore qui fait naître ce penchant secret qui porte les deux sexes à s’unir. On peut croire que l’homme est animé par une double attraction, l’une qui l’entraîne au vice & l’autre à la vertu ; l’éducation & les circonstances lui donnent toute son activité & son énergie : en un mot, elle est cette cause inconnue, cet agent secret avec lequel la nature met tout en mouvement, tient tout dans l’équilibre ; c’est-à-dire, qu’elle agit universellement. Le tems ne me permet pas à présent de vous faire un plus long détail, il faut accompagner les muses à la promenade.

Nous suivîmes ces déesses qui descendirent dans les jardins, & prirent la route d’une grande allée plantée de lauriers, de palmiers, d’oliviers ; entre ces arbres on découvroit des collines enchantées, & la gorge fleurie d’une vallée coupée de plusieurs ruiseaux qui présentent mille nouvelles beautés. C’est dans ces lieux charmans que la rose croît sans épines. Là sont de sombres grottes qui invitent par leur fraîcheur à profiter de leur ombre pour se dérober aux ardeurs du soleil.

Ces retraites sont tapissées de lierres & de vignes qui s’empressent de livrer leurs grappes de pourpre, avec une agréable fécondité ; & ces richesses sont répandues en tout tems avec une égale profusion dans les campagnes qu’Apollon échauffe bénignement de ses divins rayons : d’un autre côté, on voit les ruisseaux qui tombent en murmurant doucement le long des collines, & se jettent en divers canaux qui se rassemblent ensuite dans un grand bassin, dont la surface présente son miroir de cristal à la verdure de ses rivages. Là l’humble arbrisseau & le buisson champêtre s’embrassent l’un l’autre ; plus loin on voit le cèdre majestueux s’élever pompeusement, & porter sur ses branches des oiseaux de toute espèce qui y forment des concerts mélodieux, & les zéphirs ne paroissent entre les feuilles que pour les agiter légèrement.

Ce fut dans cet endroit délicieux que les muses, & les graces, qui toujours les accompagnent, se reposèrent. Ces belles déesses, qui souvent aiment à badiner, se mirent à cueillir des fleurs qu’elles se jetoient les unes aux autres ; mais ces fleurs me parurent toutes différentes de celles que la nature produit dans les autres mondes ; je ne pouvois en deviner l’espèce, lorsque Polymnie, souriant de mon ignorance, me tira d’inquiétude : ces fleurs que vous admirez avec tant d’attention, dont vous ne connoissez ni la forme, ni la figure, sont des fleurs de rhétorique & de métaphysique ; c’est de cette colline d’où les tirent les savans de tous les mondes. Ce côteau que vous voyez plus loin s’élever jusqu’au haut de la montagne du Parnasse, est l’endroit où croissent les métaphores, les fictions & les hyperboles que les poëtes emploient si souvent dans leurs ouvrages.

Pendant ce discours, Monime badinoit avec les graces qui semblaient lui être devenues plus familières. Cette charmante personne se trouvant couverte d’une prodigieuse quantité de ces fleurs, vouloit à son tour leur en jeter, lorsqu’elle vit s’approcher un très-grand nombre d’animaux, qui dans les autres mondes n’habitent que les bois, les déserts, ou se retirent ordinairement dans des tanières. Monime, à l’aspect de ces animaux dont la plupart lui étoient inconnus, se trouvant saisie de crainte & de frayeur, je la vis pâlir & chercher à se cacher à l’ombre de quelques buisssns ; mais Polymnie, toujours attentive et officieuse, s’appercevant de son trouble, loin de se prêter à sa foiblesse, l’arrêta, & employa, pour la rassurer, un discours physique qui eut tant de force sur l’esprit de Monime, que non-seulement il dissipa ses craintes, mais la mit encore en état de prendre part aux divertissemens que ces divers animaux procurent souvent à ces belles déesses qui se trouvèrent dans l’instant entourées de lions, d’ours, de béliers, de capricornes, de scorpions. Monime prit sur-tout un singulier plaisir lorsqu’elle apperçut le taureau qui bondissoit devant elle, & l’éléphant matériel employer toute son industrie & contourner en cent différentes façons sa trompe flexible pour faire avancer l’écrevisse & l’empêcher d’aller à reculon. Nous découvrîmes enfin que tous les animaux de ce monde sont apprivoisés, se font entendre, & répondent avec précision aux questions qu’on leur fait.

Nous suivîmes les muses qui se levèrent pour continuer leur promenade. Ces déesses gagnèrent un large sentier qui alloit en serpentant, & qui me parut rempli de pierres brillantes. Je pris d’abord ces pierres pour des diamans ; j’en ramassai de toutes les couleurs, qui toutes jetoient beaucoup d’éclat. Vous aimez les saillies, à ce que je vois, dit une des muses ; il ne tient qu’à vous de vous en munir de toutes les espèces ; c’est dans ce sentier tortueux où elles croissent en abondance : il conduit à la fontaine d’Hypocrêne.

Lorsque nous fûmes arrivés à cette fontaine, je ne pus résister à l’envie d’en goûter l’eau dans sa source ; à peine en eus-je avalé quelques gouttes, que je me sentis animé d’un feu divin ; il me prit une espèce d’enthousiasme qui, en élevant mon ame, répandit dans mon esprit ce charme & ce brillant de la poésie ; à l’instant je composai une élégie des plus tendres, que j’adressai aux muses, qui me firent la grace de l’approuver.

Nous reprîmes le chemin qui conduit au palais d’Apollon. Ce monarque, par considération pour le génie, nous fit l’honneur de nous admettre à sa table : nous y fûmes régalés de l’odeur des parfums les plus exquis ; l’encens fume de toutes parts ; c’est la seule nourriture qu’on peut prendre dans ce monde : cependant cette nourriture, quoiqu’extrêmement légère, ne laisse pas de fortifier ; il est certain qu’elle ne charge point l’estomac, aussi les habitans de ce globe ne meurent jamais d’indigestion : c’est pourquoi la plupart des médecins ne s’occupent qu’à composer des livres qui puissent servir utilement dans les autres mondes.

Le génie voulut bien nous permettre de passer plusieurs semaines à la cour d’Apollon. Pendant ce court espace, les neuf Sœurs, toujours soumises aux volontés de ce Prince, se firent un plaisir de nous instruire, & de joindre à leurs instructions mille nouvelles fêtes, qui, quoiqu’elles ne parussent faites que pour l’amusement, étoient néanmoins des leçons fort utiles.

Je remarquai que ceux qui sont admis à la cour d’Apollon, ont un corps si subtile, qu’à peine les yeux d’un mortel peuvent-ils l’appercevoir ; mais, semblables aux génies, lorsqu’ils veulent se rendre visibles, ils ont comme eux la faculté de prendre des corps fantastiques, parce que la matière subtile obéit à l’instant à leur volonté.

Cette cour est remplie de savans de toute espèce : on y voit des astronomes, des géomètres, des chimistes, des cabalistes, des poëtes, des médecins, des oracles & des musiciens, toutes personnes protégées par Apollon. Nous ne pouvions Monime & moi nous lasser d’admirer un séjour aussi délicieux. Cependant Zachiel nous avertit qu’il falloit nous disposer à prendre congé du souverain du Parnasse, des muses & de toute la cour d’Apollon. Les muses nous témoignèrent avec bonté le chagrin qu’elles avoient de nous quitter. Ces belles déesses firent à Monime mille caresses ; elles la douèrent chacune en particulier des sciences auxquelles elles président ; elles ajoutèrent que, sans la certitude où elles étoient de la recevoir, on ne lui permettroit pas de s’éloigner d’une cour pour laquelle le destin l’avoit fait naître.