Les Voyages de Kang-Hi/Lettre 14

Chez Ant. Aug. Renouard (tome Ip. 142-168).


LETTRE XIV.


KANG-HI À WAM-PO.


Paris, le 10 juillet 1910.


Depuis mon arrivée dans cette capitale, je consacre une partie de la matinée à visiter les monuments publics, à admirer les chefs-d’œuvre qu’ils renferment, et l’autre à étudier les meilleurs ouvrages qui traitent des beaux arts, branche des connoissances humaines où je reconnois, avec quelque peine, cpie les Européens ont de l’avantage sur nous.

Le Musée, les palais des souverains, et plusieurs églises, sont remplis de superbes morceaux de peinture et de sculpture, immense collection que tous les âges et tous les pays ont contribué à enrichir. Je n’entreprendrai pas, mon cher Wam-po, de vous faire la description de cette multitude de tableaux, et de ce peuple de statues. Il est reconnu que, malgré leur perfection, le grand nombre rend cet examen fatigant et pénible, à plus forte raison la lecture de détails sur un pareil sujet est fastidieuse ; et je m’étonne que les voyageurs en surchargent leurs récits. Je me bornerai à vous faire part de l’impression générale que j’ai reçue, et je finirai par quelques observations sur le génie des différentes nations relativement aux arts.

Je dois vous dire d’abord, mon ami, que j’ai été extrêmement choqué de l’indécence de la plupart de ces représentations. Les artistes européens, et sur-tout les sculpteurs, ne se font aucun scrupule d’offrir aux hommages ou même au culte public des figures dont on auroit honte d’imiter la nudité. Un pareil usage blesse sans doute davantage ceux qui habitent, comme nous, un pays où il y a de l’inconvenance, non seulement à montrer quelque partie de son corps, mais même à en laisser deviner les formes. L’ampleur de nos vêtements, la longueur des robes et des manches n’a point d’autre objet[1]. Certains philosophes pourront se moquer de cette coutume, et même soutenir qu’une excessive réserve est nuisible sous le rapport des mœurs ; mais leurs raisonnements sont plus spécieux que solides ; je crois très facile de prouver que la pudeur est, ainsi que la bienséance et la politesse, une qualité dont l’exagération est sans inconvénient. Cependant il faut convenir que les habillements orientaux nuisent infiniment aux progrès des arts imitatifs. Les yeux ont tellement besoin d’être guidés par le jugement dans la représentation des objets animés, que, pour bien copier les surfaces, il faut absolument connoître ce qui est dessous. Il est même très probable que l’imperfection de nos artistes tienne à cette cause, car l’on remarque en Europe que les peintres qui n’ont pas étudié l’anatomie pechent continuellement contre le dessin.

La perspective et la dégradation des teintes sont, il est vrai, inconnues à la Chine ; mais elles l’étoient aussi en Occident chez les anciens, et pourtant l’on sait à quelle étonnante perfection les peintres grecs étoient parvenus. Ils réussirent même à faire illusion aux animaux. On connoît entre autres exemples le trait de ces oiseaux qui vinrent béqueter les fruits d’un tableau, et de tels juges, inaccessibles à l’influence de la mode et de l’esprit de parti, sont irrécusables. Si les artistes modernes connoissent mieux quelques parties de l’art, il est incontestable que leurs prédécesseurs remportaient beaucoup sur eux par la beauté du coloris, non seulement parceque les plus belles substances colorantes sont perdues, mais aussi parcequ’ils peignoient toujours à la fresque ou à l’encaustique. L’introduction de l’huile dans la peinture, invention assez récente, peut être utile pour conserver les tableaux dans des climats humides ; mais elle agit sur les couleurs, les noircit, et nuit ainsi que le vernis à la fidélité de l’imitation. Voilà pourtant l’objet principal sans lequel la peinture n’est plus qu’une espece de convention comme l’écriture ou les hiéroglyphes ; expliquez comment tant d’artistes européens le négligent et même affectent de le mépriser ; l’habitude empêche souvent que l’on ne s’aperçoive de cette déviation des vrais principes, et quelquefois le mauvais goût s’y joint et accorde de l’estime aux défauts qu’elle consacre ; d’où il résulte que le jugement d’un ignorant ou même d’un sauvage pourroit être préférable à celui de ces connoisseurs de profession dont les lois ne contrarient que trop celles de la nature. C’est sur-tout dans la recherche du beau idéal qu’ils semblent s’en écarter davantage. Mais, sans me jeter dans des discussions métaphysiques sur cette hypothèse de beauté surnaturelle que le génie découvre, que le goût admire et qui étonne le vulgaire, je vous dirai avec franchise, mon ami, ce que j’ai éprouvé, et comment ce que j’ai vu ici m’a fait changer entièrement d’opinion à ce sujet.

J’étois autrefois persuadé (et je crois que ce sentiment est fort répandu) que la beauté étoit indéterminée, arbitraire, et qu’elle varioit suivant le goût ou plutôt le caprice des différents peuples : je voyois que les Africains, par exemple, admiroient les grosses levres et le nez épaté ; que des peuplades entières vouloient avoir le front aplati, et moi-même je croyois, avec tous mes compatriotes, qu’un bel homme devoit avoir le cou court, les yeux petits, écartés, et le ventre gros ; et je vous avouerai même que j’ai souvent regretté, en entrant dans le monde, de ne posséder aucun de ces avantages ; ce n’est qu’après avoir réfléchi sur l’admiration que j’éprouvois constamment à la vue des belles statues grecques, si différentes de ce qui chez nous constitue la beauté, que je me suis guéri de ce préjugé. Je suis à présent convaincu que, loin d’être une chose de convention, la beauté est une, absolue, la même dans tous les temps, dans tous les lieux, et qu’elle peut être ainsi définie : l’assemblage des proportions qui annoncent le développement le plus complet de toutes les facultés physiques et morales. Ainsi, par exemple, les signes qui dénotent la force doivent être tempérés par ceux de la légèreté, la majesté doit être adoucie par la bonté, etc. etc. Au premier coup d’œil il semble que les traits du visage ne peuvent pas être soumis à des regles positives ; mais depuis que les physionomistes ont découvert que les traits conservent l’empreinte ineffaçable des passions les plus habituelles, depuis sur-tout que d’ingénieux observateurs ont remarqué que la conformation de la tête indiquoit d’une maniere presque invariable certaines qualités ; il est reconnu que la beauté du visage est aussi déterminée que celle du corps. La sévere raison peut donc rendre compte de l’admiration que cause la vue d’une production de la nature ou de l’art qui approche du type de la perfection. Voilà pourquoi, si le plus ou moins d’attraits des jolies femmes est un éternel sujet de dispute, tout le monde rend hommage aux belles personnes.

Mon attention s’étant fixée sur ce qui a rapport aux arts, j’ai cherché à découvrir pourquoi les différentes nations avoient eu dans ce genre des succès si différents ; et je n’ai pas été long-temps sans m’apercevoir qu’il falloit dans cet examen avoir égard à l’influence de trois causes principales, le climat, la religion, les mœurs.

Si nous examinons sous ce premier rapport la Grece, nous trouverons que le climat, assez doux pour permettre, la plus grande partie de l’année, les exercices gymnastiques en plein air, n’étoit pas assez chaud pour amollir le corps et exciter au repos. La chasse étoit au contraire la passion favorite de ces peuples ; les femmes la partageoient avec les hommes, et leurs vêtements étoient aussi légers. L’on sait que la robe des Lacédémoniennes étoit ouverte des deux côtés jusqu’à la ceinture : il étoit naturel qu’une nation vaine voulût intéresser l’amour-propre à ces exercices. De là ces jeux solennels, ces courses, ces luttes qui furent pendant tant de siècles une affaire si importante pour les peuples et les rois. On chercha par tous les moyens à exciter les athlètes, à récompenser leurs efforts ; on pensa que les prix et les couronnes ne suffisoient pas, et on leur érigea des statues ; mais, afin de perpétuer leur gloire, et en même temps de présenter aux yeux un spectacle qui ne pouvoit manquer de plaire, les artistes s’attachèrent à représenter les combattants dans la chaleur de l’action : ils y réussirent ; le marbre et le bronze s’animèrent sous leurs ciseaux. Que si l’on compare à ces ouvrages pleins de vie ceux des Egyptiens, qui n’avoient pas l’usage de la lutte et des jeux du cirque, on verra le plus étonnant contraste, la froideur, l’immobilité, la roideur de la mort. Les statues égyptiennes ont toutes les bras collés contre le corps, et les pieds joints ; c’est-à-dire qu’elles sont dans la position exacte des momies. Si les arts et même les hommes sont venus, comme tout porte à le croire, d’Ethiopie en Égypte, il est infiniment probable que les sculpteurs de ces contrées prirent d’abord pour modèle la nature morte ; je ne sais si je m’abuse, mais il me semble les voir travaillant péniblement, dans les ateliers de Méroé, ce granit si dur, ce basalte compacte, devant des momies enfermées dans cette espece singulière de verre, dont le secret étoit déjà perdu du temps des Pharaons.

La religion vint encore arrêter ou plutôt étouffer le goût que ces peuples auroient peut-être eu pour les arts : leurs symboles monstrueux dénaturerent tout ; Anubis à la tête de chien, Isis couverte de mamelles, et tant d’autres idoles, plus bizarres qu’ingénieuses, furent de Thébes à Memphis mille fois offertes à la vénération des peuples. Le seul monstre contre lequel le goût ne se révolte pas, et qu’il emploie même encore aujourd’hui, est le sphynx, dont la position horizontale sauve le mélange de deux êtres si dissemblables, une vierge et un lion.

La religion des Grecs étoit au contraire aussi favorable aux arts que leurs mœurs. Ils représentoient leurs divinités sous des formes nobles ou gracieuses ; Jupiter étoit majestueux, Minerve belle, Vénus charmante, Hébé, déesse de la jeunesse, en avoit toute la fraîcheur, et la troupe élégante et légère des Sylvains et des Dryades orna la terre aussi favorisée que l’Olympe. Leur riante imagination ne leur offroit point de ces tableaux hideux, si communs chez les autres nations ; dans leurs plus grands écarts ils ne se permettoient que de changer les extrémités du corps, sans toucher à la partie supérieure, et surtout à la tête. Aussi les faunes et les satyres n’eurent que des pieds de chèvre ; les divinités de la mer reçurent des queues de poisson, et le messager des dieux lui-même n’eut des ailes qu’aux talons.

Dans l’Inde le goût ne s’est pas montré plus délicat qu’en Égypte, et l’on a donné des têtes d’éléphants à plusieurs divinités ; nous-mêmes, à la Chine, nous représentons louy chin, l’esprit du tonnerre, au milieu des nuages avec un bec d’aigle ; et cette conformité avec le Jupiter tonnant des Grecs porté sur un aigle, est bien remarquable[2]. Mais arrêtons-nous un moment : je voudrois chercher à découvrir quelle peut être la cause de cette étrange subdivision de la Divinité commune à tant de peuples, ou pour mieux dire à tous. Ne seroit-ce pas l’impossibilité de peindre dans un seul individu les attributs si différents et si incompatibles, qui entrent nécessairement dans l’idée d’un Dieu éternel et tout-puissant ? En effet, on peut espérer de joindre dans les mêmes traits l’expression de la force, de la douceur, et de la majesté ; mais celui qui ne vieillit point ne sauroit être représenté sous la forme d’un vieillard, et il seroit absurde de donner la figure d’un jeune homme à celui qui a l’expérience des siècles. Cette difficulté n’est pas encore la plus grande ; de tous les attributs de la puissance divine, le plus embarrassant à exprimer est le pouvoir générateur ; parceque dans la nature entière chaque être animé étant le produit de l’union de deux autres, une analogie aussi constante ne sauroit s’accorder avec un Créateur unique. Les inventeurs d’emblêmes ont dû être frappés de ces inconvénients. Qu’en est-il résulté ? Il s’est formé deux systêmes : les peuples graves, renonçant à donner au grand être leur chétive image, ont adopté des symboles plus ou moins expressifs. On connoît la pierre ronde des Romains, le cercle mystérieux des Egyptiens, leur triangle mystique dans lequel les Juifs inscrivent le nom de Jéhovah, que je trouve encore dans les temples chrétiens. Les Indiens, s’attachant à figurer l’idée d’une force surnaturelle, surchargèrent leurs idoles de membres surnuméraires, et leur donnèrent jusqu’à cinquante paires de bras, ou placèrent à côté d’elles une armée entière de petits satellites[3]. D’un autre côté, les peuples qui avoient, comme les Grecs, plus d’imagination que de logique, dont le goût plus délicat répugnoit aux monstres, désespérant de réunir dans une seule figure tous les attributs de la Divinité, prirent le parti de la diviser, et de rendre un culte à chacune des vertus et même des qualités. Mais cette discussion nous meneroit trop loin. Je reviens à mon sujet.

L’histoire des arts chez les Romains ne demande pas un article séparé, car ce peuple, qui régna si long-temps sur une grande portion du globe, les reçut, ainsi que son culte et ses lois, de la Grece asservie. Son inaptitude à les exercer fut même toujours telle, que la vue des chefs-d’œuvre transportés à Rome après la prise de Corinthe ne put animer le génie de ses artistes. Ce fut le luxe, et la vanité plutôt que le goût, qui, vers la fin de la république, faisoient donner des sommes immenses pour les ouvrages de ces sculpteurs, dont nous pouvons encore apprécier les grands talents. Enfin, après de vains efforts, les Romains prirent le parti de regarder comme au-dessous d’eux l’art auquel ils ne pouvoient atteindre. Ce fut l’amour-propre national humilié, qui suggéra à l’un de leurs poètes ce conseil, que ses beaux vers ont rendu célebre, mais dont ses compatriotes n’avoient pas besoin[4].

Les arts, sans encouragement sous les empereurs, déclinerent même dans la Grece, leur terre natale : ils étoient dans une décadence complette au temps de Constantin, lorsque la religion chrétienne, si long-temps persécutée, s’assit à côté de lui sur le trône des Césars. Une nouvelle carriere s’ouvrit alors aux artistes : mais ils eurent à déplorer de grandes pertes. Un zele irréfléchi abattit les temples et brisa les statues, qu’il n’auroit fallu descendre des autels que pour en former des galeries et des musées. Cependant les peintres et les sculpteurs furent appelés pour orner les nouvelles églises. Il est extrêmement remarquable qu’on leur donnât à-la-fois à imiter ce que les deux sexes et tous les âges de la vie offrent de plus parfait. Ainsi Dieu le pere fut représenté sous la figure d’un vieillard majestueux, le Christ dans la force de l’âge ; ses traits sont pleins de douceur, d’onction, et de noblesse ; lorsqu’il est crucifié, la résignation se joint à l’expression de la douleur. La fraîcheur et la grace de la plus brillante jeunesse sont le partage de la milice céleste. Les anges sont le modèle de la perfection idéale. Dans toutes les langues européennes, leur nom, dont les profanes abusent étrangement, est le synonyme de celui de la beauté : on leur donne des ailes, et cette addition élégante n’a rien de monstrueux, parceque, appliquées plutôt qu’ajoutées au sommet des épaules, elles ne dérangent ni l’ordonnance ni la proportion d’aucune des parties du corps. Il fallut étudier les charmes naïfs de l’enfance pour représenter les chérubins et l’enfant Jésus. Mais ce fut pour peindre convenablement sa divine mere que les artistes eurent à surmonter le plus de difficultés ; en effet, il ne falloit rien moins qu’unir dans une jeune beauté la tendresse maternelle et l’innocence virginale. Raphaël et quelques autres grands maîtres ont prouvé que des sentiments qui paroissoient incompatibles ne l’étoient pas. Dans tous les genres les talents des peintres et des sculpteurs eurent occasion de s’exercer. L’un exprima dans une descente de croix la douleur profonde d’une mere, l’autre dans la Madeleine, le repentir touchant de la beauté ; celui dont l’imagination fut ardente, représenta, dans Agnès, l’amour passionné ; ou prêta à Sainte-Cécile tout l’enthousiasme dont il étoit ravi.

L’histoire sainte offrit à l’art les compositions les plus riches et les plus variées ; au temps des patriarches, des scenes pastorales, puis la cour des rois Juifs ; bientôt après tout le faste des empereurs Assyriens, plus tard les miracles de la nouvelle loi, enfin les martyrs et leurs terribles supplices : ces derniers sujets sont séveres, quelquefois même repoussants ; mais l’expression déchirante de la douleur, la contraction de tous les muscles obligent à des études approfondies, qui forment les véritables artistes.

Ce ne fut pas cependant dans les premiers temps de l’église que l’on s’aperçut de tout le parti que les arts dévoient tirer du culte chrétien ; les barbares qui détruisirent l’empire d’Occident, et souvent ravagerent celui d’Orient, laisserent trop peu de calme pour qu’ils pussent fleurir ; la fureur des Iconoclastes leur fit des maux irréparables ; enfin Mahomet, fondateur d’une nouvelle secte qui devoit régner sur le tiers de l’ancien inonde, leur porta le coup le plus funeste en proscrivant toutes les représentations d’hommes et même d’animaux ; dans l’intervalle qui s’écoula depuis ce temps jusqu’au siecle qui devoit les voir renaître, les Francs, les Normands et les Vandales éleverent, dans les contrées qu’ils soumirent, des monuments, où, par un singulier contraste, les détails étoient aussi lourds que les masses étoient légères ; mais par-tout la simplicité, fille du génie, fut proscrite ; un goût mesquin, des formes grotesques remplacèrent l’élégance et la noblesse des contours adoptés par les Grecs, et le résultat fut presque le meme, soit que les conquérants arrivassent du midi comme les Arabes, soit qu’ils vinssent du nord comme les Huns et les Goths.

Enfin, lorsque d’heureuses circonstances détruisirent la barbarie, on vit se rallumer tout-à-coup le feu sacré qui paroissoit éteint. Mais pour juger de l’influence prodigieuse que la religion exerça sur les arts, il faut songer aux mœurs du quinzieme siècle. Les souverains ecclésiastiques si riches et si nombreux alors, les cardinaux, les évêques, les monasteres, le clergé enfin, qui dans toute la chrétienté possédoit, entre le cinquième et le tiers des revenus de chaque pays, ne pouvoit commander ni tableaux, ni statues sur des sujets profanes. Les princes laïques eux-mêmes, soit conviction, soit bienséance, ornoient leurs principaux appartements de la même maniere. Cela dura ainsi jusqu’à ce que la réforme qui sortit du nord, c’est-à-dire d’un côté d’où les arts sont sans cesse repoussés par le climat, proscrivit dans tous les pays où elle s’étendit les décorations des églises avec presque autant de rigueur que les Mahométans et les Iconoclastes.

Heureusement l’impulsion étoit donnée, et le mouvement ne pouvoit plus se ralentir. Les chefs-d’œuvre de Michel-Ange et du Correge, de Raphaël et du Guide signaloient la route de la perfection dont il n’étoit plus possible de s’écarter. Bientôt le relâchement des mœurs qu’amena le luxe permit aux artistes de tous les états européens de prendre des sujets dans l’histoire et la mythologie. La nature entière devint même une mine féconde, qu’ils purent exploiter à l’envi. Les scenes paisibles des champs, les bruyants combats, l’effrayante tempête, la pêche par un beau clair de lune, les palais des rois, comme l’humble chaumiere, tout fut imité par le pinceau fidele, et le tableau fut souvent payé bien plus que l’objet qu’il représentoit. Chaque peintre s’adonna à un genre séparé ; mais ce qu’il y eut de fâcheux, il eut aussi une maniere particulière ; ce qui ne prouve que trop l’imperfection de l’art, car la nature varie ses formes à l’infini, mais son expression est toujours la même.

Ce style différent, cette touche distincte sont devenus l’objet de l’étude approfondie d’une classe assez nombreuse d’amateurs ; plus curieux de distinguer les écoles et les maîtres, que zélés pour les progrès de l’art, ils jugent avec une importance inconcevable, non du mérite réel, mais de l’authenticité des tableaux. Cependant le haut prix auquel la fantaisie et la vanité portent des productions plus rares qu’estimables, tente la cupidité d’une troupe d’adroits copistes, qui s’attachent à imiter avec encore plus d’exactitude les défauts des originaux que leurs beautés ; car ils se rappellent d’avoir vu un connoisseur, au moment d’acheter fort cher une de ces imitations, la rejeter tout-à-coup, en disant : J’allois faire une belle sottise ; j’oubliois que ce maître ne dessinoit pas si bien.

  1. Les Chinois ont tellement en horreur les habillements étroits, qu’ils représentent sur le théâtre leurs diables ou quitse, vêtus de cette maniere, et voilà pourquoi ils traitoient aussi les Anglais à leur passage, de quitse. Hüttner. page 183.
  2. Kircher, sin. ill. fig. Barrow, t. 2.
  3. Il y a tel temple de Fo dans l’Inde et à la Chine, où son culte est aussi très répandu, qui ne renferme pas moins de quarante mille petites idoles à côté de la figure colossale du dieu.
  4.           Excudent alii spirantia mollius œra.

    C’est apparemment à ce vers de Virgile que Kang-hi fait allusion ; nous avouons que cette citation et quelques autres passages nous donnent des soupçons sur l’authenticité de ces lettres. C’est au lecteur à prononcer. (Note de l’éditeur.)