Les Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité/Protagore

PROTAGORE.

Protagore était fils d’Artémon, ou de Méandre, disent Apollodore, et Dion dans son Histoire de Perse. Il naquit à Abdère, selon Héraclide du Pont, qui, dans son traité des Lois, avance qu’il donna des statuts aux Thuriens; mais Eupolis, dans sa pièce intitulée les Flatteurs, veut qu’il prit naissance à Téjum : Protagore de Téjum, dit-il, est là-dedans. Lui et Prodicus de Cée gagnaient leur vie à lire leurs ouvrages. De là vient que Platon, dans son Protagoras, assure que Prodicus avait la voix forte.

Protagore fut disciple de Démocrite. Phavorin, dans son Histoire diverse, remarque qu’on lui donna le surnom de sage. Il est le premier qui ait soutenu qu’on toutes choses on pouvait disputer le pour et le contre; méthode dont il fut usage. Il commence quelque part un discours où il dit que « l’homme est la manière et la mesure de toutes choses, de celles qui sont comme telles en elles-mêmes, et de celles qui ne sont point, comme différentes de ce qu’elles sont. » Il disait que tout est vrai, et Platon dans son Théétète, observe qu’il pensait que l’ame et les sens ne sont qu’une même chose. Dans un autre endroit il raisonne en ces termes : « Je n’ai rien à dire des dieux. Quant à la question s’il y en a ou s’il n’y en a point, plusieurs raisons empêchent qu’on ne puisse le savoir, entre autres l’obscurité de la question, et la courte durée de la vie. » Cette proposition lui attira la disgrace des Athéniens, qui le chassèrent de leur ville, condamnèrent ses œuvres à être brûlées en plein marché, et ceux qui en avaient des copies à les produire en justice, sur la sommation qui leur en serait faite par le crieur public.

il est le premier qui ait exigé cent mines de salaire, qui ait traité des parties du temps et des propriétés des saisons, qui ait introduit la dispute et inventé l’art des sophismes. Il est encore auteur de ce genre léger de dispute qui a encore lui aujourd’hui, et qui consiste à laisser le sens, et à disputer du mot. De là les épithètes d’embrouillé, d’habile disputeur, que lui donne Timon. Il est aussi le premier qui ait touché à la manière de raisonner de Socrate et au principe d’Antisthène, qui a prétendu, dit Platon dans son Euthydème, prouver qu’on ne peut disputer contre ce qui est établi. Artémidore le dialecticien, dans son traité contre Chrysippe, veut même qu’il ait été le premier qui enseigna à former des arguments sur les choses mises en question. Aristote à son tour lui attribue, dans son traité de l’Éducation, l’invention de l’engin qui sert à porter les fardeaux, étant lui-même portefaix, selon Épicure dans quelque endroit de ses ouvrages, et n’ayant fait la connaissance de Démocrite, sous lequel il s’est rendu si célèbre, qu’à l’occasion d’un fagot dont ce philosophe lui vit lier et arranger les bâtons. Protagore divisa, avant tout autre, le discours en prière, demande, réponse et ordre. D’autres augmentent sa division jusqu’à sept parties, la narration, la demande, la réponse, l’ordre, la déclaration, la prière, l’appellation, qu’il nommait les fondements du discours. Au reste, Alcidamas ne le divise qu’en affirmation, négation, interrogation et appellation.

Le premier de ses ouvrages qu’il lut fut le traité des Dieux, dont nous venons de parler. La lecture s’en fit par Archagoras son disciple, et fils de Théodote, à Athènes chez Euripide, ou dans la maison de Mégaclide selon quelques uns, ou dans le lycée selon d’autres. Pythodore, fils de Polyzèle, un des quatre cents, le déféra à la justice; mais Aristote reconnaît Euathle pour accusateur de Protagore.

Ceux de ses ouvrages qui existent encore sont intitulés : de l’Art de disputer, de la Lutte, des Sciences, de la République, de l’Ambition, des Vertus, de l’état des Choses considérées dans leurs principes, des Enfers, des Choses dont abusent les hommes, des Préceptes, Jugement sur le gain, deux livres d’objection. On a de Platon un dialogue qu’il composa contre ce philosophe.

Philochore dit qu’il périt à bord d’un vaisseau qui fit naufrage en allant en Sicile. Il se fonde sur ce qu’Euripide le donne à entendre dans ss pièce intitulée Ixion. Quelques uns rapportent que pendant un voyage il mourut en chemin à l’âge de quatre-vingt-dix ans, ou de soixante et dix selon Apollodore. Au reste, il en passa quarante à exercer la philosophie, et florissait vers la soixante-quatorzième olympiade. Nous lui avons fait cette épigramme :

Tu vieillissais déjà, Protagore, lorsque la mort te surprit, dit-on, a moitié chemin, dans ton retour à Athènes. La ville de Cécrops a pu te chasser, tu as pu toi-même quitter ce lieu chéri de Minerve, mais non te soustraire au cruel empire de Platon.

On raconte qu’un jour il demande à Euathle, son disciple, le salaire de ses leçons, et que celui-ci lui ayant répondu qu’il n’avait point encire vaincu, il réplique : J’ai vaincu, moi! il est juste que j’en reçoive le prix. Quand tu vaincras è ton tour, fois-toi payer de même.

Il y a eu deux autres Protagores : l’un astrologue, dont Euphorion a fait l’oraison funèbre; l’autre, philosophe stoïcien.