Les Veillées du couvent, ou le Noviciat d’amour/05

LIVRE TROISIEME.


Vous savez tous, ou vous devez savoir qu’un Poëme n’est pas un Poëme, quand un chant ne commence pas par une belle morale, une belle description du matin, du midi, ou du soir. Ces emphatiques passepartouts se pillent et s’ajustent à tout ouvrage indistinctement, et cela, tout ennuyeux que vous le trouviez, prouve que l’auteur peut faire de l’esprit tout comme un autre et tracer le modèle d’un pompeux galimathias épique. Je vous dirais bien aussi, tout bête que je vous parais, que la fraîche et belle Aurore avait quitté le lit du vieux Titon, aussi vierge qu’elle y était entrée, et cela, on sait pourquoi. Déjà déployant l’or de ses tresses blondes et semant de rubis le chemin du Soleil, elle distillait de ses humides yeux les pleurs que lui arrache la mort de son fils Memnon, tué il y a 3 à quatre mille ans, je ne sais ni où, ni pourquoi, ni par qui, ni comment, mais je ne veux pas ressembler à M. Diafoirus le fils et je dirai tout bonnement qu’il étoit six heures, quatorze minutes et soixante secondes, lorsque la cloche la plus impatientante du monde vint éveiller nos jolies dormeuses par son bruit argentin et perçant. On s’éveille en sursaut, on se frotte les yeux, on s’étend, on bâille, on tousse, on essuie la sueur dont on a le… visage inondé, on soulève les draps, on se met à l’air, on jette un regard d’intérêt et d’amour sur sa bonne amie qui dort comme une marmote, et l’on veut avant de l’éveiller, se repaître encore du plaisir d’admirer tous ses charmes ; on la baise en haut, en bas, au milieu, devant, derriere et cela pour l’éveiller. L’appeler ? Il faut crier, d’autres l’entendraient et on en sent la conséquence ; la pousser, la pincer elle crierait et d’ailleurs ce n’est pas honnête ; enfin, Louise s’éveille aussi, embrasse Agnès, saute légèrement en bas du lit, s’habille en un clin d’œil, gagne lestement sa chambre, y défait son lit, (on devine pourquoi cette malice), et descend soudain pour aller à la prière. Agnès descend séparément et la rejoint bientôt ; un sourire expressif dont le mistère n’est connu que d’elles, dit beaucoup, et la prière faite, s’appercevant qu’elles ont les yeux battus, nos innocentes prétextent une migraine, un officieux mal de tête, pour motiver l’enflûre, la langueur et la pésanteur de leurs yeux.

Un frugal déjeuner succède à la prière. Le déjeuner est suivi d’une lecture de morale de l’école des jeunes filles, du théâtre de Mesdames de Beaumont et de Genlis, et qui pis est, d’un sermon impromptu de la maîtresse qui fait bâiller nos espiègles et peut empêcher la digestion de leur déjeûner. On travaille, on babille, on fait des niches à ses compagnes, on tue le tems à lire des Romans et bientôt midi sonne. On dîne, même lecture, même ennui, dont l’appétit dédommage et dont les graces viennent délivrer. La tâche du soir est donnée et il est permis de se promener dans les jardins, pendant une heure et demie.

Le Soleil étant à son plus haut périgée avoit fourni moitié de sa carrière. Ses rayons brûlans desséchaient le lit des ruisseaux. Le calice des fleurs s’inclinait languissamment vers son sol nourricier. Les troupeaux altérés cherchaient avidement un filet d’eau dans les marais que le soufle caniculaire avait taris. Les moissonneurs hâlés levaient avec peine la faucille qui s’échappait de leur main défaillante. Moi, qui ce jour là pêchais dans les étangs qui environnent ce Couvent, forcé de mettre à terre la ligne que ma main ne pouvait plus porter et de chercher un abri sous les saules qui bordent le jardin où nos pensionnaires se promenaient, j’invoquais les Nymphes de la rivière d’Aronde et la Napée qui préside à la fontaine de Braine, pour qu’elles me prissent dans leur sein. C’est alors que j’enviais le sort de ceux qui n’ont d’autre occupation que de promener leur molle indolence aux Thuileries, au Palais Royal, aux boudoirs des Laïs et des Phrynés, de ceux qui dans une charmille épaisse et souterraine, dans un sallon et un belvédère imperméables au Soleil, graces à de triples jalousies, ont encore peine à prendre sur eux assez de force pour soulever de leurs profonds et riches fauteuils, leurs corps appésantis par l’apathie et une mauvaise digestion.

N’est-il pas vrai, Manon, qu’alors l’aiguille avec laquelle tu brodes aussi joliment que Minerve ou Arachné, échappe mille fois de tes doigts ? Une chaleur étouffante t’ôte la respiration ; ta gorge bondit avec un élan plus actif, l’agitation de ton cœur est plus précipitée ; ton corset suffit à peine pour retenir prisonniers deux globes de neige qui voudraient prendre l’air loin du geolier qui les tyrannise. La sueur qui couvre ton corps donne à tes appas, sur lesquels le soleil ne luit pas, la couleur incarnadine de la rose et de la grenade : les deux bords de ta conque se dilatent. C’est alors que l’heure du berger sonne, c’est le moment favorable aux amans : alors on a besoin d’être nue, alors il faut un gazon et un ruisseau sous un épais coudrier ; la vertu n’a plus alors assez de force pour se servir de l’éventail contre un amant aimé ; les bras tombent, la pudeur avec eux, et l’amant se relève. O combien grande est l’influence du Soleil sur la constitution physique et morale du beau sexe et sur ses principes, encore plus que sur le nôtre. Souvent un fichu ôté pour se rafraîchir, à fait succomber la vertu, quand l’amant arrive à point nommé ; mais le tems fuit tandis que je jase, et il faut que je suive nos bonnes amies à la promenade. Voyons et contons : elles sont descendues au jardin, et delà par un sentier étroit, bordé de noisetiers jusques au bord de la rivière où elles se sont assises : J’étais vis-à-vis, je les voyais, je les entendais, mais la rivière nous séparait, et pour me garantir des rayons du Soleil, je m’étais caché derrière une touffe de roseaux, lorsque Louise ouvrant son cœur à son amie, lui parla en ces termes, autant que l’éloignement me permit de l’écouter : — Que je suis heureuse de t’avoir connue, ma belle Agnès, et d’être aimée de toi ! Il n’y a rien de plus agréable sur la terre qu’une amitié comme la nôtre ; seule, elle me fait aimer cet endroit-ci, et je ne regrette plus mes parens. Que la campagne est belle ! Que cette promenade est délicieuse ! quel parfum ces fleurs exhalent ! que ces arbres donnent de fraîcheur ! comme cette eau invite à se baigner, et à se rafraîchir ! le beau miroir ! qu’elle est claire ! Oh si nous avions le tems ! — Y penses-tu, dit Agnès, et Madame St.-Nicolas ? On nous gronderait, nous n’avons pas le tems : nous sommes ici comme des esclaves… — Hélas ! oui, dit Louise en soupirant, et cependant vois ces oiseaux, ils sont libres, ils voltigent de branche en branche, becquetent les fruits de ces arbres, toute la nature est leur domaine ; ils dorment et se baignent où ils veulent, et quand ils le veulent. Tiens, tiens, en voilà deux sur ce saule, qui sont l’un sur l’autre, ils font comme nous avons fait cette nuit. — Tais-toi donc, dit Agnès, quelqu’un peut être auprès de nous, et si l’on entendait ce que tu dis, nous serions perdues : Ah ! malheureux petits oiseaux, si votre plaisir n’est pas plus grand que le nôtre, je vous plains, car, tout grand qu’il est, il ne suffit pas à notre ame. — Tais-toi, sotte, Dieu y a pourvu : va, je suis sûre qu’à leur manière ils sont tout aussi heureux que maman a pû l’être avec son petit directeur, et si ces oiseaux font cela, pourquoi ne le ferions nous pas ? La belle saison que l’Été ! chere Agnès, mais qu’elle est dangereuse ! je ne sais si c’est elle, ou autre chose qui cause cela, mais je sens bouillonner mon sang ; ne penses tu pas comme moi que malgré tous les plaisirs que nous avons goutés cette nuit, il y a une autre manière de les rendre plus agréables, mais nous ne la savons pas, il faut encore éprouver et la chercher encore : C’est la nature qui nous a suggéré, comme à ces oiseaux, ce que nous avons essayé cette nuit et surement que la première fois elle nous apprendra le reste : En même-tems Louise soulevant doucement les jupons d’Agnès, et collant un baiser de feu sur ses lèvres, mit la main sur le petit vase de son amie, et en chatouilla légèrement les extrémités ; Agnès ne voulut pas être ingrate, et garder tout le plaisir pour elle seule : il y eut un combat de générosité, et les deux rivales travaillèrent avec le zèle le plus ardent et l’accord le plus parfait. Les langues se dardaient rapidement et sans interruption ; les soupirs sortaient avec bruit, leurs paroles étaient entrecoupées, quand tout-à-coup je n’entendis plus rien. Mais quel tableau digne de l’Albane, vint frapper mes regards ! ah ! Jules Romains ! où étais-tu ? j’avais écarté les roseaux avec la plus grande précaution, et la rivière étant peu large me permettait de distinguer parfaitement tout ce qui se passait devant moi. Que dirai-je ? je vis les cieux ouverts, et les deux sanctuaires de l’amour exposés dans toute leur étendue. Agnès était tombée évanouie sur le sein de Louise, et celle-ci couchée sur le gazon dans la même situation : Elles paraissaient mortes ou endormies profondément, et la bonté divine s’intéressant à ma bonne fortune, avait envoyé un Zéphyr mutin qui avait achevé de relever les jupes et la chemise de mes deux Hébés, par dessus leur ceinture, de sorte que jambes fines, cuisses rondes et potelées, peau d’une blancheur éblouissante, poil d’un noir qui aurait fait blanchir l’ébène, motte rebondie, un C.. mignon qu’on n’appercevait que par un léger sillon carminé, je vis tout cela, j’en vis deux, et un seul m’eût ravi dans les cieux. Que dis-je ? j’en vis quatre, car la Nymphe qui habite les bords fleuris et tortueux de l’Aronde, rendant ses eaux immobiles et diaphanes, comme la glace la mieux passée au teint, vint civilement les doubler. Oui : j’en vis quatre, et le pittoresque de ce tableau auquel je ne m’attendais pas, y ajouta un charme inexprimable. Je ne pus tenir à tant de prestiges et d’images enchanteresses, je ne fus pas changé, comme Actéon en Cerf, pour avoir vu Diane et ses Nymphes au bain ; mais des torrens de feu coulaient dans mes veines : j’étais tout-œil et toute ame, je tirai ou plutôt j’arrachai avec violence de son étui ce bijou précieux qui était l’objet des desirs et des recherches de nos deux recluses, et lui donnant quelques secousses avec une espèce de fureur, j’offris en moins de cinq minutes deux libations à Vénus, ou plutôt à ses charmantes prosélytes. Hélas ! dis-je, en voyant jaillir dans tes flots du tranquille ruisseau, les gouttes précieuses de cette manne, de cette ambroisie céleste, qui en troublèrent la limpidité, en y traçant plusieurs ronds : Nymphes, recevez et conservez, si vous le pouvez, le dépôt que l’amour m’a commandé de vous confier, c’est peut-être un Voltaire, ou un Rousseau que je plonge dans vos eaux ; nouvelle Thétis, c’est peut-être un nouvel Achille que je rends invulnérable et qui le sera toujours, puisqu’il meurt avant d’être né. Mais je m’aperçois que c’est trop déraisonner, que nos dormeuses sont désévanouies, et j’entends de loin une chanson répétée par l’écho, qui m’annonce un importun. Qu’Apollon te récompense de tes chants, ô qui que tu sois qui nous avertis ainsi, que tu viens, et nous empêches tous trois d’être surpris in flagrante delicto.

Oh ! oh ! c’est Colin, le jardinier de la maison. Sauvez-vous, Colombes ; mais elles ne m’entendent pas : elles se rajustent, l’attendent de pied ferme et se disposent à l’entretenir. — Il faut lui parler, dit Louise, et le prier de nous instruire. — Fi donc, y penses-tu, dit Agnès, il se moquera de nous, nous ne saurons rien et il le dira à tout le monde. — Laisse-moi faire, je t’en prie, dit Louise, eh bien ! je parlerai toute seule, moi, et je suis sûre qu’avec un peu d’argent que je lui glisserai dans la main, je saurai tout ce qu’il faut savoir. Ma bonne amie, Mlle. D.. S.... à Versailles, n’a pas employé d’autre moyen pour se délivrer de son ignorance, et le jardinier de son père lui a donné, pour un écu, toutes les notions qu’elle a pu désirer dans la théorie-pratique de la volupté. Colin ! écoute… Colin avance, salue avec une aisance qu’on n’aurait pas soupçonnée dans un jardinier. Un poëme exigerait en conscience que j’en fis un portrait étudié, bien élégant, bien pompeux. Je devrais donner à Colin des boucles dorées, flottantes sur des épaules d’ivoire ; mais d’abord les cheveux roux ne sont plus de mode, n’en déplaise à Phébus lui-même, tout mon maître qu’il est ; et Colin n’a pas montré ses épaules pour que je sache si elles sont d’ivoire, et je n’aime pas à mentir, quoique poëte : Je pourrais le comparer au juge charmant des trois Déesses du Mont-Ida, et j’emprunterais son portrait à mon camarade Imbert ; je pourrais le comparer au beau Narcisse, avant que le desir de jouir de lui-même et l’impossibilité d’y réussir, lui eussent donné la jaunisse, ou au favori de la belle Cythérée, l’incomparable Adonis, dont elle pleura si longtems la mort… Je pourrais encore mais non, tout cela est usé. Dédaignons ces tableaux mis en parade dans un galimatias plagiaire, pour afficher l’esprit de l’auteur. Tout le monde a de l’esprit maintenant, et tout le monde peut suppléer à ce que je ne dis pas, et moi qui n’en ai point, ni ne veux en faire le semblant, parce qu’il ne faut tromper personne, je dirai sans métaphore, sans périphrase et sans exagération, que c’était un de ces lurons vigoureux et plein de jus, qui n’ont pas la molle indolence d’un petit maître : un teint de crème, la figure efféminée de Michu, mais la taille et l’air d’un Hercule, et pouvant servir de modèle à un peintre ou à un sculpteur de l’académie, pour un gladiateur et un Antinoüs, ou un Milon de Crotone, et les lecteurs n’en douteront plus, quand je leur aurai dit qu’il étoit le consolateur de Madame l’Abbesse, qui, par parenthese et comme on le voit, avait très-bon goût en cherchant chaussure à son pied. Jugez donc de l’impression que dut produire sur nos deux tourterelles, la vue de ce gars si bien découpé.

Colin, dit Louise, tu me parais intelligent, honnête, et d’une éducation au-dessus de ton état ; je t’aime et j’attends de toi un service. — Parlez, belle Louise, je suis prêt à vous servir, mais je devine : vous voulez, je gage, me donner la commission de vous acheter quelque joli livre, comme celui que je viens d’acheter à la ville ? Et en même-tems Colin tire de sa poche une petite brochure, dont Louise et Agnès se saisissent avec avidité. L’amitié pour le coup allait disparoître ; on se l’arrachait. Pauvre livre, ton sort est celui d’Orphée, déchiré par les Bacchantes ; mais Agnès le céde à son amie. Louise l’ouvre et la première gravure qui se présente à ses yeux est le père Girard, le sage confesseur de filles, introduisant le bienheureux cordon de St.-François dans l’huis postérieur du temple d’Eradice, ou si vous l’aimez mieux la Cadière, et lui procurant par cette extase, que la dévote fille croit toute divine, les plaisirs de cette délicieuse réalité, objet des soupirs de nos deux colombes.[ws 1]

Elles aperçoivent bien assez de quoi les faire rougir, c’est à dire, une fille à genoux, la tête renversée, les coudes appuyés sur un coussin, montrant une chûte de reins ravissante, deux fesses rebondies et blanches comme neige ; derrière elle un vieux Satyre sous la livrée de la compagnie de Jésus, les deux-mains élevées : mais elles ne distinguent pas la cheville ouvrière, parce qu’elles n’en ont aucune idée. Elles rougissent de voir la Cadière ainsi nue, aux yeux d’un homme, mais sans deviner pourquoi. Colin, que lui fait-il donc ? — Mademoiselle, il lui met… — Quoi ? — Oh ! je n’ose achever. — Je t’en prie. — Est-ce que vous croyez que nous sommes faits comme vous ? — Non, mais je n’en sais pas plus, dis-le moi : j’ai vu des oiseaux, mais ils étaient l’un sur l’autre, cet homme est derrière. Tiens, prends cet argent, instruis-nous et garde-nous le plus grand secret.

Vous vous moquez, belle Louise, dit Colin, je ne puis décemment recevoir votre argent, et moins encore vous donner les leçons que vous demandez. Il faudrait joindre le geste aux paroles, et il importe que vous ignoriez encore au moins quelques années ces mystères dangereux : 1o. Je vous ferai rougir ; 2o. vous deviendrez plus amoureuses et vous ne pourrez éteindre vos feux ; 3o. je ne puis en cela vous servir parce que vous êtes deux, et que je suis déjà loué et responsable de ce que j’ai à payer. — Mais dis toujours, et le reste nous regarde, nous rougirons, nous souffrirons ensuite, mais au moins nous serons plus savantes, et cela nous consolera. — Dites plus malheureuses, l’attente sera plus douloureuse quand vous aurez eu une image des plaisirs que vous ne pouvez vous permettre, et vous me saurez mauvais gré d’avoir cédé à vos instances ; mais, vous le voulez absolument ? — Oui. — Allons, j’obéis et je commence.

Permets, Manon, que je supprime ici tout ce que le discours de Colin a, je ne dis pas d’érotique et de voluptueux, mais de trop philosophique et de trop supérieur à ta judiciaire. Il faut d’abord te dire que Colin n’est rien moins qu’un jardinier, mais bien un amant déguisé, ou plutôt un jeune homme plein d’esprit et bon poëte, que des malheurs ont forcé de se vendre comme une odalisque à la lubricité de Madame l’Abbesse, et qui, moitié par amour, moitié par intérêt, par philosophie, par amour pour la solitude, pour la vie champêtre et la tranquillité, passe ses jours dans le Couvent à se promener dans le jardin, à y inspecter les ouvriers, à faire la partie du Pater, qui, je crois est dans la confidence, et se fait payer en jouant, auprès de la Sœur du faux jardinier qui est très-jolie, le rôle que joue celui-ci auprès de l’Abbesse. C’est avec regret que je passe sous silence ce que son discours offre de plus lumineux et de mieux raisonné, mais la rage de montrer de l’esprit l’avoit engagé à une dissertation que Louise, Agnès et toi ne pouvez aucunement comprendre. Il ne vous faut pas un traité d’anatomie, et Venette, Lignac, Bienville et Tissot n’ont pas travaillé pour vous. Je vais donc en votre faveur faire un extrait de sa harangue pro sexu et mentulis, et tu chercheras le reste chez l’orateur.

Dieu a confié à l’homme le soin de propager, et il a jugé à propos de le faire en mettant une différence dans les sexes, et voici en quoi elle consiste :

L’homme né pour vous commander et être savant et laborieux, est robuste, et nerveux. Votre sexe créé pour nos plaisirs, pour nous consoler, nous amuser, est fait pour être beau, tendre, voluptueux, obéissant, et plein de bonté. Il nous a faits pour vous nourrir, et vous pour nous enivrer de voluptés : la femme ne doit rien à l’homme que son corps ; nous devons à la femme que nous avons choisie, nos soins, le salaire de nos peines, et le bonheur le plus parfait possible ; c’est au moins ce qui se pratique à Paris, et partout où le sexe est généralement beau. Dieu a teint vos cheveux d’un noir d’ébène, a mis dans vos yeux un feu pétillant ou un air langoureux qui nous invite à la tendresse ; il a coloré vos lèvres du vermillon le plus vif, il a donné à votre bouche le sourire le plus doux ; il a formé le poli de vos joues du plus agréable mélange de neiges et de roses. Lui-même s’est plu à dominer votre sein de deux petits monts, qui, pour être dans la plus belle proportion possible, si nous en croyons Anacréon qui se connaissait bien dans cette sorte de friandise, ne doivent pas être plus gros ni moins blancs que deux œufs de tourterelles, qu’un jeune rustre vient de dérober à leur mère. Ces globes, ces monts que l’on nomme Tétons, doivent, pour être de la beauté la plus régulière, ne jamais s’approcher si près, qu’une main ne puisse, en l’étalant, se placer entr’eux sans les toucher. Ils sont embellis du plus joli bouton de rose, et sont les réservoirs précieux du lait qui doit nourrir les fruits de l’accouplement des deux sexes ; mais je ne serai jamais assez éloquent pour vous peindre l’endroit charmant sur lequel ils dominent. N’importe, essayons.

Entre deux colonnes d’un albâtre lisse, et arrondies, est situé cet ovale charmant, en forme de poire, protégé par une petite éminence et une jolie motte ; je nomme motte, une portion de terre détachée ou inhérente, sur une surface plane, ainsi ce mot ne doit pas alarmer votre pudeur, puisque vous dites bien mottes à brûler. Cet ovale charmant et cette motte sont couverts d’un poil noir bien frisé, comme d’une mousse légère, du milieu de laquelle coule une source féconde, filtrée dans les reins et élaborée dans vos testicules pour être répandue pendant le doux mystère et mélée à la nôtre pour multiplier notre espèce. Plus haut est un point que je crois très-petit encore chez vous, et qui chez certaines femmes est fort gros et fort long, mais qui disparoît ordinairement quand vous êtes devenues mères, et ce point, cette petite langue s’appelle clitoris : c’est une sentinelle qui veille au guichet, c’est le premier agent du plaisir, le dispensateur des extases ; c’est la baguette du magnetisme, la barre électrique, son toucher seul fait tressaillir et opère bientôt la crise après une titillation légère ; (ici nos deux espiègles se regarderent et sourirent, et cela signifie…) — Nous savons tout cela, nous en avons appris l’usage sans maître… Continuez. — C’est un isthme, une péninsule, un arc-boutant, un pont situé sur le ruisseau de Cythère ; enfin, tout ce qu’il vous plaira. Priape aime à se désaltérer dans ce ruisseau, il aime à s’y plonger et n’en sort jamais que la larme à l’œil, tant il a de regret d’en sortir, regret qu’il témoigne, en ayant la tête baissée et mourante, quand il s’y est noyé deux fois ; et ce que je nomme ici Priape, Mesdemoiselles, est la partie la plus belle de notre individu, faite pour entrer dans le vôtre, par les loix de l’attraction et de la sympathie, comme vous le verrez par la suite.

Indépendamment de ces trésors extérieurs, le créateur a donné aux femmes une ame sensible et tendre, un penchant fougueux pour l’amour, une plus grande irritabilité dans le genre nerveux, une vigueur proportionnée à cette brûlante sensibilité, une jouissance plus complette et quinze fois plus grande que la nôtre, de sorte que la nature, aussi juste que généreuse à votre égard, a proportionné vos plaisirs et vos transports aux inconvéniens, aux peines, aux dangers et à l’embarras d’une grossesse de neuf mois, qui est la suite de votre jouissance, tandis que, privés de toute votre somme de voluptés, nous sommes en dédommagement exempts de ce fardeau pénible dont la crainte est souvent la seule vertu de votre sexe. Ne soyez donc point étonnées si l’amour fait de si terribles ravages dans vos jeunes cœurs sans que vous le connaissiez ; tous les êtres ne se meuvent que par les loix immuables et éternelles de la sympathie : je vous dirai quels sont les moyens d’appaiser cette soif de voluptés que seules vous ne pouvez éteindre.

L’homme a la démarche noble, le port majestueux, le front haut, une couleur plus brune, un air mâle, une taille plus haute que la vôtre, les muscles mieux sentis, les épaules plus larges, l’omoplate bien rebondi, la jambe bien contournée, le molet jaillissant, la cheville saillante ; la force et le courage étincellent dans ses yeux, caractérisent toutes ses actions et donnent à son ame une énergie et une roideur nécessaires pour vous protéger et le rendre le roi de l’univers et le premier de tous les êtres possibles ; d’épais et noirs sourcils donnent à ses regards une gravité et une fierté qui forcent au respect, de longs cheveux lui tombent au bas de la ceinture ; et son menton est hérissé d’une barbe touffue qui caractérise la maturité, la sagesse et la supériorité de son sexe sur le vôtre auquel la nature a refusé cet apanage. L’homme est sérieux, porté à l’étude, et plus laborieux que la femme ; les arts, les sciences et les travaux de main sont de sa compétence, le grand, le sublime, le profond, l’abstrait, la philosophie, la métaphysique, toutes les connaissances occultes sont de son ressort ; la guerre, les fortifications, le commerce, l’architecture lui appartiennent, et quoique Madame Duchâtelet en commentant Newton, ait prouvé que votre sexe peut tout, aussi bien que le nôtre, et qu’une infinité de femmes ayent victorieusement suivi ses pas, je n’en dirai pas moins que la science ne doit pas être de votre district, et je crois que la peinture, la poësie, la danse, l’éducation des enfans, tout ce qui tient enfin à l’agrément, à la vie sédentaire, à l’amour, à la bienfaisance, aux talens de société, à la politesse, doivent être votre ouvrage et votre triomphe.

Venons à ce qui vous intéresse le plus dans notre sexe ; ce n’est pas notre ame, au moins, à votre age et dans votre position. Nous avons l’instrument de la génération que je suis fort embarrassé de vous nommer : depuis qu’on a sottement attaché de l’indécence à dire un mot plutôt qu’un autre, quoique ce soit souvent le mot propre, et que l’un peigne naturellement et aussi clairement à l’esprit le mot réprouvé par les mœurs et que l’on ne veut pas nommer. C’est à votre choix, le membre viril, le penil selon Lignac, la braguette selon Rabelais, Marot et autres poëtes anciens : la verge dans l’idiôme des nourrices et des parleurs timbrés ; le braquemart dans Robé, Rousseau, Grécourt ; Jean Chouart dans d’autres ; un Priape dans le texte Grec et Latin, idest, Priapus, virga, inguen, penis, nervus, mentula, pertundens membrum, &c., &c., &c. et plus généralement, enfin, dans nos contes gaillards, dans la bouche de nos romanciers modernes qui veulent appeller un chat un chat, et dans le dictionnaire du Palais-Royal un ... Vit-on jamais une plus grande confusion de langues et un tel labyrinthe de mots ? Combien il serait important que l’assemblée nationale qui supprime tout, coupe tout, élague tout, et s’approprie tout en prêchant la liberté, elle qui a ammené en France une foule de nouveaux mots barbares et aussi inintelligibles que les hyérogliphes Egyptiens : comme motions, districts, amendemens,… &c., &c., &c., &c., &c., voulut bien rédiger un dictionnaire à l’usage des citoyens de Cythère ! Ce tube que je viens de vous nommer, est le chef-d’œuvre de l’architecture divine, qui l’a formé d’un corps spongieux, élastique, traversé dans tous les sens par une ramification de muscles et de vaisseaux spermatiques. Il est à son extrémité supérieure, surmonté d’une tête rubiconde, sans yeux, sans nez, n’ayant qu’une petite ouverture et deux petites lèvres, couvert d’un prépuce, retenu par un frein délicat qui ne gène point le mouvement d’action et de rétroaction : au bas de cet instrument précieux sont deux boules ou blocs arrondis, qui sont les réservoirs de la liqueur reproductive, qu’aspire et pompe votre partie dans le mouvement et le frottement du coït, id est, de la conjonction ; ces deux boules enveloppent deux testicules, d’où elles ont pris leur nom, et sont soutenues par le ralphè, on les nomme en latin vasa genitalia, ou genitalia seulement, testes, coleos, inguina ; en français : bourses ; en langue vulgaire : testicules ; dans le sens médical, anatomique et scientifique ; parties génitales ou génitoires, mais plus généralement couilles et couillons. La gravure que vous voyez représente le luxurieux Girard introduisant l’instrument de la génération, qui comme vous voyez est gros, bien roide, bien quarré et de la longueur d’environ six pouces et demi, dans la fente, l’ovale ou le con que vous portez et que je vous ai peint : vous ne pouvez le voir parce qu’elle est prise par derrière, c’est-à-dire, en levrette, more canino, par les raisons que vous verrez dans l’ouvrage même que je vous procurerai. Tenez, vous serez plus instruites par cette gravure : regardez cet abbé, il vous le montre bien beau, et cette femme dont il chatouille légèrement la partie, vous offre le vôtre dans tous ses détails oh ! mon Dieu dit Louise, voilà comme j’ai vu maman et son directeur : elle était comme cela, et voilà pourquoi je suis ici ; et remarquant l’action de l’abbé, elle fit un soupir, et donna un petit coup de coude à Agnès en la fixant et lui souriant. — Mais tout ceci est-il bien vrai, Colin ? Les livres mentent, ce sont des hommes qui les font pour amuser. — Oui, Louise, les histoires brodent et mentent, mais le fond est vrai, les mots sont d’invention, mais les choses existent réellement. — Tu pourrais donc nous le prouver ? — Oui, Si j’avais assez de force pour guérir toutes les malades qui demandent mon topique, j’éclaircirais tout-à fait vos doutes, et je vous montrerais. — Alors, nos colombes, de rougir, de baisser les yeux, de se balancer sur un pied, de n’ôser fuir, ni parler, ni presser, ni refuser, de s’entre-regarder timidement, et de rester immobiles de desir et d’incertitude. — Tenez, mes enfans, voyez cette gravure et vous aurez un remède : c’est Thérèse, frottant contre le pilier de son lit la partie la plus sensitive et la plus sensuelle de son individu[ws 2] ; et cherchant comme vous une réalité qu’elle ne connaît pas encore ; faites comme elle, ou ce qui vaut mieux encore, vous avez des doigts, servez vous-en, en attendant mieux ; mais, franchement, tout cela ne vaut pas le diable… prenez patience, l’heure me presse… adieu… — Madame est bien heureuse, Colin. — Que voulez-vous me dire ? — Rien : elle est encore aimable, et elle a bon goût. — Comment ! penseriez-vous ? — Oui, Colin, que tu es Girard, et elle la Cadière ; mais au reste elle fait bien et toi aussi, nous tâcherons de profiter de tes conseils, et notre tour viendra peut-être… nous te demandons sur-tout le plus grand secret ; je suis sûre que tu ne pourras le garder avec Madame l’Abbesse, et que vous rirez à nos dépens ; mais, va, rira bien qui rira le dernier ; je te remercie de ton beau discours… adieu. — Vous êtes piquée ? belle Louise, — Moi, pourquoi ?… et on se pinçait les lèvres, en affectant une tranquillité dont on était éloigné de cent lieues.

Nous voilà bien avancées, dit Agnès, nous allons être trahies, moquées, peut-être punies, et ta belle équipée nous a instruites pour nous rendre plus malheureuses. — Mon Dieu ! tu te plais à te forger des tourmens ; et la Providence donc ? ne pouvons-nous pas être rappellées bientôt par nos parens, ou être apperçues par quelqu’un de ceux qui viennent se promener sur les bords de cette rivière, et sur qui notre vue peut faire quelqu’impression ? Ne désespérons de rien ; nous avons des doigts, des graces et du courage, et nous nous aimons ; tout ira bien.

Elles continuerent leur promenade et je n’entendis bientôt plus rien ; je me hâtai de regagner la ville, et de remettre par écrit tout ce dont je venais être l’acteur et le témoin ; me disposant à faire moins le revêche que Colin, si ma bonne fortune les conduisait encore une fois à l’endroit où s’était passée cette scène délicieuse.

Nous verrons dans le livre suivant de quelle manière l’Amour et la Providence s’y prendront pour combler les desirs de nos aimables pensionnaires. Car Colin, le Pater, et moi une fois exceptés, je crois qu’il faut un miracle pour leur faire rencontrer ce qu’elles cherchent.

Prairies charmantes, rives riantes et fleuries de l’Aronde, vallons délicieux et frais de M.... H.... c’est à cette scène voluptueuse, et à l’amour dont m’enivrait la brûlante F.... que vous devez mon hommage.


  1. Note de Wikisource : voir Thérèse philosophe planche 4.
  2. Note de Wikisource : voir Thérèse philosophe, éd. 1785, Enfer-406, planche 6 Gallica.