Les Veillées du couvent, ou le Noviciat d’amour/04

LIVRE SECOND.


Je vous dirais bien tout simplement et sans colifichets poëtiques qu’il était nuit et qu’il était huit heures du soir, si je ne voulais pas me conformer à l’usage de mes confreres qui ne voulant pas perdre l’occasion de montrer de l’esprit et des connoissances en mythologie, croyent qu’il y en a beaucoup à se rendre inintelligible aux trois quarts de leurs lecteurs. La mode étant un tyran impérieux qui dans ce siècle-ci soumet à son joug et le petit-maître et le philosophe, je suis forcé de les imiter, pour montrer que j’ai autant d’esprit et que je sais coudre des descriptions, aussi bien qu’eux, à des mots emphatiques, vuides de sens et rebattus. Je dis donc ou plutôt j’ouvre la bouche avec emphase et dignité, pour dire en style élocutoire, oratoire et poëtique : « La pâle Phébé quittait avec regret le sein brulant d’Endymion, son berger favori, et s’arrachant à neuf politesses successives dont il l’avait généreusement enivrée, parcourait le vaste horizon sur son char d’argent, attelé de deux coursiers noirs comme l’encre qui trace les sottises avec lesquelles je vous endors. Chemin faisant, elle regrettait de n’avoir pu rendre immortelle une politesse aussi grande, et sa main libertine, en essuyant les résultats de sa lubrique séance, en créait de nouveaux. Pleine de souvenirs délicieux, elle se mouillait sans cesse en travaillant à se sécher ; ainsi Pénélope défaisait la nuit ce qu’elle avait fait le jour ; ainsi plus d’une Agnès que je connais et que je pourrais nommer défait le jour avec des lavemens, de la rhüe, et des bains de pieds, ce qu’elle a fait pendant la nuit. C’était l’heure où le badaut va promener son inutilité sous les arcades du Palais Royal et dans la grande allée des Thuileries ; c’était l’heure où une foule d’ouvriers court au boulevard du Temple, écouter les équivoques, les pointes et les vaudevilles prosaïques de Deduit, lutiner les Viéleuses, et se battre les flancs d’ivresse et d’admiration au bruit des voix aigrelettes ou cassées des cantatrices des caffés Yon et Goda. C’était l’heure où un essaim de grisettes et de nymphes vénales fourmillant dans les allées du Palais Royal, dans celles de leurs maisons, à la place Louis XV, et dans la rue St. Honoré, habillent la mort d’une pelisse rose ou céleste, cachent leurs turpitudes sous les ajustemens de Flore, et vendent à beaux deniers comptant le poison mortel qu’elles recèlent, aux imbécilles amateurs des triomphes faciles. C’était l’heure où, dans ma patrie, l’avenue des soupirs est foulée par une infinité de couturieres, de petites marchandes et de femmes de chambre qui, la tête chaude comme l’ont toutes les Picardes et le reste un peu plus encore, vont chacune avec son Adonis serrurier, menuisier, cordonnier, soldat ou commis, coucher le gason, voir la Lune perpendiculairement, et se faire carresser en bourgeoise, les unes pour donner des cornes à leurs maris, comme Madame Etave et Madame P....., les jeunes filles pour anticiper sur les prérogatives de l’hymen et forcer ainsi la main de leurs parens, lorsqu’ils osent contrarier leurs amours, les autres enfin pour l’amour de l’Amour. C’était en un mot, le moment le plus favorable pour la promenade, les rendez-vous, les jeux de la main chaude, les concerts, les vielles, les orgues d’Arabie et les flûtes mélancoliques ; la Lune se répétait partout sur la superficie limpide des ruisseaux ; le frémissement des feuilles agitées par le Zéphyr invitait à la rêverie ; l’œil pouvait se perdre à travers le vaste Océan des Cieux, reconnaître partout un Etre suprême dans chaque Astre qui domine sur les montagnes, dans chaque flot et chaque ardoise qui sous les accidens et les reflêts de la Lune, ressemblent à une rose de diamant. O Dieux ! direz-vous que d’inutilités, que de verbiage ! quoi, trois pages pour dire qu’il étoit huit heures ; cela ressemble à des roles de Procureurs ; allons, ne vous fâchez pas, j’ai fini, et je vais parier d’Agnès et Louise.

Elles ont soupé, la priere a suivi le souper qu’ont suivi les graces répétées par nos deux Graces, ensuite une lecture pieuse dont elles se seraient fort bien passées. On s’achemine vers le dortoir, sous la conduite d’une vieille sorciere embéguinée, d’une vieille furie honorée du nom de religieuse et dont la tête eût pu servir de modèle à Rembrand Van-Ryn, dans la composition de ses grotesques, ou au facétieux Callot. On a soin de leur rebattre les oreilles d’un vieux sermon qu’on leur a repété tous les jours, de prendre garde en se déshabillant de ne se pas complaire à regarder le nud, de ne pas se toucher complaisamment la gorge et les autres parties du corps, de penser aux plaies de notre Seigneur et de dire un pater et un ave maria en leur honneur, toutes les fois que le malin esprit les tentera, et d’avoir attention en dormant de ne pas reposer leurs mains sur cet endroit deshonnête qui est la niche du Démon qui, si elles n’y prennent garde, viendra sous la forme d’un serpent, les piquer, et sur-tout de ne pas causer la nuit avec leurs compagnes… Finis, vieille sempiternelle, cesse d’étaler la morale usée de ton insigne cagoterie, et réfléchis qu’en défendant ces gestes et ces regards dont nos colombes ne connoissent pas le prix, tu vas leur donner l’envie de profiter du peu de lumières que leur donne ton indiscret sermon. Il y a donc du mal puisque tu le défends ? Pourquoi y a t-il du mal ? Parce qu’il y a du plaisir, et que ce plaisir est un crime : eh bien, c’est assez que ce soit un plaisir défendu, pour qu’il leur paroisse plus piquant, elles prendront le plaisir et laisseront le crime, qui est ton ouvrage. Eh ! de quel droit prétends-tu usurper un empire despotique sur les appas secrets de nos Graces, toi qui as soixante quinze ans, ne rougis pas d’employer ces cylindres consolateurs dans lesquels un tube artistement placé contient une liqueur chaude qu’à l’aide d’un piston, tu lances en grimaçant de plaisir dans les parois décrépits et décolorés de ta conque papillotée ? Si tu n’as pas à ton âge de pouvoir sur tes sens, pourras-tu en exiger de ces timides mais brulantes enfans ? et quand tu appeles niche du Démon et du Serpent qui les piquera bientôt, cette jolie coquille qu’un duvet des plus légers commence à velouter, ne leur laisses-tu pas à entendre sous quelle forme doit leur paroître ce joli Serpent dont ton god..... n’est qu’une insuffisante copie et de l’original de laquelle ta laideur te sèvre pour jamais. Va, ne discutons pas sur le faux ou le vrai de ce crime et laissons à la nature plus forte que notre morale humaine, le soin de donner l’impulsion à ces faibles créatures.

Mais, que vois-je ? et quel est le fruit de tes sermons ? Déjà pour se dédommager de l’ennui qu’il leur a causé, Louise gagne à pas comptés la cellule d’Agnès qui a laissé sa porte entr’ouverte. Je la vois, ses souliers à la main, l’œil aux aguets, la main étendue, le corps balancé sur la pointe du pied, et frissonnante au moindre bruit, le désir dans l’ame, et la crainte dans le cœur, tremblante d’être surprise, et guidée seulement par la voix du plaisir et de l’amitié, s’avancer en tâtonnant vers l’asyle solitaire qui va être le temple de ses premiers, de ses plus doux plaisirs. La Lune qui dans le corridor réfléchit les vitrages sur la muraille nue et blanchie, éclaire faiblement sa marche incertaine et semble participer à son effroi, en se cachant par intervalles sous un nuage dont l’ombre enveloppant Louise, la cachera aux yeux des Argus femelles, mais chaque nuage qui passe, est pris par Louise pour un objet animé, et la remplit d’épouvante. L’œil de notre voyageuse nocturne étincelle dans l’obscurité comme le ver-luisant sous les fleurs des prairies humides. Ouf !… Je respire : la porte s’ouvre et se referme sans bruit et Louise est enfin arrivée à bon port ; j’entre avec elle, rien de plus aisé, et je vais peindre la scène charmante que j’ai sous les yeux.

Est-ce toi, Louise ? — Oui. Et la veilleuse est tirée de l’endroit où on l’avoit cachée pour se convaincre que c’est bien Agnès, ou plutôt pour jouir du plaisir de se bien voir. Elles se précipitent dans les bras l’une de l’autre ; leurs petits corps étroitement liés n’en forment plus qu’un, leurs lèvres brulantes se confondent avec leurs soupirs amoureux, les larmes du sentiment sortent involontairement de leurs prunelles humides, leurs bras souples sont serrés aussi fort que le lierre s’incorpore, pour ainsi dire, à l’arbre nourricier dont il embellit l’antique tronc par ses caresses dangereuses ; leurs joues colorées du plus beau carmin feraient pâlir le corail, et la blancheur de leurs gorges naissantes égale celle de l’albâtre. Que de baisers que de larmes expressives !

Déjà la soie et le lin ont disparu. Louise est la femme de chambre d’Agnès, et Agnès est à son tour celle de Louise. Les deux fichus se sont envolés au même instant, et ce geste offre deux seins dignes de Jupiter et de Mars. Louise se récrie sur la beauté des contours et la fermeté des têtons d’Agnès ; elle les presse et les pitchotte amoureusement. Sa langue se porte naturellement sur chaque bouton de rose et cette action en augmente l’incarnat. Finis, dit Agnès, tu es folle, quelle invention ! tu me fais tressaillir, je brûle, finis, tu me ferais mourir ; finis, ou je vais t’en faire autant. Oh ! dit Louise, tu crois que j’aurai, comme tout mon sexe, la sotte manie de refuser ce que je desire ? non, fais, et tâche de mieux déviner une autre fois. Si ce badinage te fait plaisir, paye-moi de retour et si mon sein ne vaut pas le tien, que l’amitié y supplée… — Petite coquine, tu sais bien qu’il vaut mieux. Alors chaque baiser d’être rendu avec usure aussitôt que donné, et leurs ames pompées par ces douces effusions, de voler sur leurs bouches entr’ouvertes. Elles soupirent pourtant, en appercevant un vuide dans leurs plaisirs, et semblable au tonneau des Danaïdes, leur cœur plein de désirs leur échappe sans cesse et ne peut se remplir ; leur imagination est à bout. Vénus qui dans ce moment traversait les airs sur son char traîné par des Cygnes et des Tourtereaux, rit de bon cœur à la vue de l’embarras de nos ignorantes prosélytes. Elle ordonne à l’Amour de faire un tour de son métier, d’enfanter un prodige pour les éclairer. Cupidon promet tout ; le cortège disparaît ; et les Grâces, les Jeux, les Ris et les transports amoureux épuisent en passant, sur nos élèves, la coupe de l’ivresse et des désirs fougueux. Bon voyage, Madame Vénus. Or ça, je m’intéresse à ces enfans, ne les oubliez pas ; et toi, petit fripon, dépêches-toi ; c’est à toi de guérir les maux que tu fais.

Dormez, pieuses Mégères, vieilles bégueules ; que votre fureur pour vos tristes images ne vous permette pas de faire votre ronde et de troubler nos naissantes et apprentives Tribades. Elles vont dans peu l’être autant que vous. La Nature le veut ; c’est le seul moyen d’être sage au Couvent, puisqu’on ne peut l’être sans se clitoriser ou se manuéliser.

Reste un dernier voile, et c’est celui qu’a plus de peine à ôter toute femme qui a encore un peu plus de pudeur que de lubricité ; on veut être nue ; l’amant prie, mais l’idée effarouche ; quelquefois l’amour-propre se met de la partie et telle femme ne refuse de se montrer dans le deshabillé d’Eve, que parceque n’étant pas aussi belle et aussi neuve que notre première mère, elle craint de montrer ses imperfections et de dégoûter un galant. C’est, je crois, la seule vertu d’une femme ; et celles qui ont partagé mon lit, m’ont au moins donné cette raison en confidence, pour la plus grande justification de leur sexe. Une femme belle dans toute la force du terme, gagne trop à se montrer digne des hommages d’un galant connoisseur, pour se refuser ce petit triomphe et je souhaite à mes lecteurs le plaisir de contempler comme moi, les beautés de la Dognon, qui a servi de modèle à tous les grands Peintres de l’Académie ! O nuit charmante ! formes divines ! préludes enchanteurs ! attitudes ravissantes ! tableaux voluptueux ! ingénieux rafinemens ! art d’alimenter une flamme dévorante, de la fixer pendant toute une nuit, je ne vous trouverai jamais dans une femme à principes et j’abhorre toute jouissance avec une Alcmène qui ne quitte pas sa chemise. Vive le nud ! vive la D..... mais voyez, pelottez, n’achevez pas ; pardon pour l’épisode et je continue.

Finiras-tu, dit Agnès, je meurs de sommeil, je suis abymée de fatigue, cette fatigue est, il est vrai, plus agréable que le sommeil, mais il faut se coucher enfin.

On est en chemise, comme je l’ai dit, et on voudroit être nue ; mais j’ai dit encore pourquoi on n’osoit. On balance, un regard de la bonne amie fait céder ; les voiles tombent, les mains viennent les remplacer, les mains ne suffisent pas pour tout cacher, la bonne amie est nue aussi, l’exemple encourage, on veut voir sa compagne nue, et en s’emparant de ses mains que l’on serre bien fort pour qu’elles ne puissent rien dérober à vos yeux libertins, on ne peut se cacher soi-même aux siens, et la partie devient égale. On dévore de l’œil, on regarde avec extase cette rose qui n’est point encore épanouie, on y porte un doigt qui cherchant à pénétrer plus avant dans le calice de cette sensitive, fait tressaillir Agnès, en lui faisant un mal dont elle est charmée. Je le crois bien, et je voudrois le lui faire, sans me croire barbare pour cela. Louise enfin, plus leste et plus hardie, saute sur le lit et Agnès n’a pu se refuser au plaisir de lui offrir encore un hommage, en lui donnant un petit coup sur le satin blanc de ses petites fesses. Oh ! tu me le payeras, et je te le rendrai. — Oui ! eh bien, je ne me couche plus… — Eh bien, moi, je vais me lever, et tu ne peux échapper à ma vengeance. — Tu me feras du mal, et moi, je ne t’en ai pas fait. — Je suis donc méchante c’est mal à vous de dire cela, Mademoiselle. — Allons, que de façons, tu n’en mourras pas, je t’aime trop, je ne veux pas perdre ma bonne amie. — Allons, je vois que cela ne finiroit pas, je me rends. Et Agnès monte en tremblant dans le lit. Louise ne perd pas une attitude, un mouvement et un regard. Ici, c’est une rose ; ici, c’est de l’ébène ; là, ce sont des lys et des charmes partout. Agnès est aussi-tôt punie que montée sur le lit. — Eh bien, t’ai-je fait du mal, petite sotte ? — Vas, dit Agnès, je te pardonne, te permets tout, et je me livre à toi. — Ah ! ah ! tu y prends goût. Oh nous ferons quelque chose de toi. Allons, c’est bien, je t’en aime mieux. Entre amies et quand nous sommes seules, doit-on avoir des scrupules ? En ai-je, moi ? — Oh ! toi ! tu en sais plus long que moi ; tu es charmante, ma Louise ! et les petits coups sur les fesses de se renouveller et de tomber comme la grêle de part et d’autre. J’en appelle ici aux lecteurs et aux lectrices de tout âge. Qui d’entr’eux ou d’entr’elles osera me jurer qu’il ne lui est pas arrivé de se renfermer dans un grenier, ou dans un coin du jardin bien épais, pour imiter et réitérer bien souvent la scène que présentent ici Agnès et Louise. Il n’en est pas, et je parie que depuis le successeur de St.-Pierre à la triple mître, le grand Sultan, les Rois des quatre parties de l’univers et la femme voluptueuse et lubrique de notre bon et très-bon Monarque, jusqu’à la jeune et timide paysanne qui taille ma soupe, tous ont joué dans leur enfance à cul foüetter ; me dire le contraire, c’est mentir, c’est donner un démenti à la Nature, et jamais elle ne perd ses droits. C’est elle qui nous apprend ce jeu qui seul suffit alors à notre ignorance et nous dispose ainsi, sans que nous y pensions, au grand et sérieux jeu qui est son but, et le charmant emploi du reste de notre vie. Je suis plus franc, et j’avoue qu’à sept ans, j’étois déjà, sans le savoir, passé maître dans l’art de la volupté. Je me souviens encore avec étonnement et délices des jours où je me livrais à ces doux enfantillages, et où mon doigt disputait avec ma langue à qui causerait plus de sensations voluptueuses à la petite D. P.... tandis que, et j’en ai des remords affreux, mon véritable ouvrier, la cheville seule propre à cet office, restait désœuvrée et pendante. O intéressante D. P.... ! je ne te verrai jamais sans rougir et sans rire de cette scène libertine dont je ne me souvins que 15 ans après, lorsque la voluptueuse et lubrique D. G..... me fit sentir toute l’étendue de ses talens et des miens… Peste soit du raisonneur ! encore des digressions ? tant pis, Messieurs, mais je tiens à mes souvenirs, je philosophe en libertinant, moi, chacun a sa manière. J’aime à savoir, à approfondir ; il me faut des pourquoi, des si, des mais, et des encore : et voilà comme on devient savant…

Louise et Agnès veulent imiter le Directeur, et pour le copier, il faut être l’un sur l’autre et s’agiter. Les élans de leur sein, les enlacemens de leurs bras, leurs soupirs confondus, leurs haleines embaumées qui se croisent, leurs palpitations, leurs efforts pour inventer des surcroîts de délices, leurs frottemens, leurs titillations, tout les met dans un état inconcevable et les consume ; on se serre, on voudroit s’identifier et cependant on sent que la jouissance est imparfaite. Que manque-t-il donc ? Ce qu’il manque ? peu de chose, et c’est tout… C’est ce qui n’est pas plus gros que la rave de nos jardins, un peu moins long, mais un végétal animé, en un mot, un ..... hem ! j’allais le nommer, servons-nous de périphrase. Il vous manque, pauvres petites Colombes, ce qui faisait quitter à Diane l’emploi d’éclairer la terre, pour se livrer dans les bras d’Endymion au plaisir de loger avec ivresse le Priape roidi du berger dans sa triple coquille,[1] ce hochet amusant, ce quelquefois monstrueux et hardi pèlerin de Cythère, pour lequel Pasiphaë choisit un taureau, malgré sa terrible encolure, pour assouvir son insatiable avidité ; pour lequel plus d’une None franchit les murs du Couvent, eussent-ils cinquante pieds, et y met le feu, comme il est arrivé dans ma patrie au moment où je m’occupois de cet important ouvrage de morale ; ce que Diane encore, cette prude éternelle, aimait dans le beau bélier blanc qui cocufiait Endymion, si l’on en croit le pudique Virgile qui s’exprime ainsi :

Munere sic niveo lanæ (si credere dignum est)
Pan, Deus Arcadiæ, captam te, Luna, fefellit
In nemora alta vocans, nec tu aspemata vocantem es.

Ce qui fut cause de la ruine de Troye, viola Cassandre, fit tourner le dos à César devant Nicomède, et à Marie Toinette d’Autriche devant le lubrique Philippe d’Artois pour la ruine de la France et la propagation de l’espèce Bourbonnoise ; enfin ce que Michu prête à Peixotto le Juif, ce que Monvel & Villette ont emprunté de tous les Parisiens ; ce qui dans le moment où j’écris, suit en se redressant et se brandissant comme en mesure, les mouvemens de ma plume, soulève le portefeuille sur lequel j’écris et me fait griffonner à tort et à travers au gré de ma brulante et cynique imagination, et ce qu’enfin, je souhaite à mes lectrices toujours gros, toujours ferme, toujours rubicond, toujours propre, toujours actif, toujours inépuisable et toujours infatigable, ainsi-soit il : mais revenons à nos moutons.

Ingénieuses à se procurer du plaisir, Agnès et Louise ont découvert ce point chatouilleux que la Polignac a si long, ce qui ne l’est guères encore chez nos enfans et qui, sans cela pourroit suppléer, si nous en croyons la tendre Sapho, à ce qu’elles cherchent, ce qu’elles desirent et ce qu’elles ignorent, je veux dire qu’elles ont découvert le clitoris, et joyeuses de cette trouvaille, elles se croisent, se frottent, s’électrisent et se chatouillent amoureusement, jusqu’à ce que la plus douce pamoison vienne fermer leurs yeux, et fondre leur existence dans des torrens de feu et de délices. Elles languissent de Volupté ; le phlogistique, le fluide générateur perce, pour la première fois, les obstacles qui arrêtaient son émanation, et, si nous devons en croire les rigoristes en fait d’honneur de filles, annonce la perte de leur Virginité. Mais ne soyons pas si exigeans ; quant à moi, je les crois encore pucelles et je les prendrais bien pour telles. Mais elles ont deviné que leur conque est faite pour être remplie par un tube de chair et Dame Vénus applaudit à leur demi triomphe. Ma foi, pour n’avoir pas de maîtres, c’est bien travailler ; encore un essai et nos recluses en sauront, je crois, tout autant que mon père et ma mère, quand ils jugèrent à propos d’enrichir l’Univers de mon individu, pour le plaisir du beau sexe et la propagation des connoissances humaines. Trêve de modestie : Morphée et l’Amour ont déployé leurs aîles sur le couple amoureux, l’un répand sur elles des pavots et l’autre des roses. Plaise aux Dieux qu’en s’écrasant, elles ne tachent point les draps ; les duegnes ont des lunettes, et nos mystères de la nuit seraient dévoilés. Laissons les se délasser de leur pénible et charmant exercice sous les auspices du sommeil. On ne peut pas toujours aimer, il faut dormir. On ne peut pas toujours écrire et chanter, il faut se reposer. Or donc, laissons les ronfler, et reposons nous. Prenons une prise de tabac, mouchons nous, toussons, crachons, essuyons nous, faisons halte et nous recommencerons quand elles seront éveillées : je ne les quitte pas, faites comme moi.


  1. Je dis triple, parce que Diane se nommant encore Phæbé au Ciel, et Hécate aux enfers ; elle fait trois personnes distinctes, et je demande aux mythologistes si je n’ai pas. raison de lui donner trois C...