Les Veillées du couvent, ou le Noviciat d’amour/02

A MANON.

Galimathias Dédicatoire.


Beauté friponne, toi qu’en conscience, je dois suivant les us et coutumes de mes confrères les auteurs, appeler digne du ciseau des Praxiteles, des Phidias, des Pigalle et des Pajou, à qui je dois donner la douce haleine de Zéphyr, la langueur intéressante de deux yeux bien grands, bien azurés, la taille svelte et le sourire de la charmante Cithérée, enfin les 36 points qui constituent la beauté d’une femme, suivant les Docteurs Venette, et de Lignac : L’amour se plut à dessiner ton sein, lui-même modela le contour ferme et poli de ces tétons plus blancs que de l’albâtre et les orna de deux boutons de rose volés sur les consoles et les vases de porcelaine du boudoir de sa mère. Adorable Manon, élixir de mon cœur, Reine de mes pensées, Souveraine de mes affections, cher joujou de mon ame, incomparable Dulcinée, prototype des pucelles de mon pays, j’irais, nouveau Dom Quichotte, courir les champs comme Oreste et Roland, pourfendre les lions, abattre des moulins et faire avouer à tous les chevaliers possibles, passés, présens et à venir, que tu vaux mieux dans ton petit doigt, que tout ce troupeau des Tribades insolentes et lubriques, dont les excès, la paillardise, la soif crapuleuse de l’or et des molecules organiques, infectent et épuisent les bourses de la Capitale, sous les noms avilis de Chouchou, de Raucour, de Dugazon, de Contat, de Renard, de Viriville, &c. &c. &c.

C’est à toi que je dédie cet enfant de mes loisirs. Tu es ma Laure, si je suis Pétrarque ; mon Angélique, si je suis Roland ; ma Corinne, si je suis Ovide ; mon Éléorore, si je suis Parny ; mon Eliza, si comme Sterne, je suis Yorick ; ma Vanessa, si je suis le docteur Swift ; mon Héloïse, si je suis Abailard ; ma reine enfin, si, comme je le crois, tu n’as pas les goûts incestueux l’amour des Héiduques et la dépravation des Messalines, Faustines et Julies.

Daigne caresser, apprivoiser ce mien enfant timide qui n’a pas encore été en présence de la Beauté. Souris à son approche, comme tu souris à la mienne. Puisse-t-il te désennuyer. Quand le Soleil, tout simplement, pour ne pas dire du Phébus, aura éteint ses rayons brulans sur l’humide sein de Thétis et aura fait succéder le souffle rafraîchissant du Zéphyr aux ardeurs insupportables du Midi : Lorsque tout qui respire se délassera des fatigues du jour, en fêtant son oreiller, toi, aimable paresseuse, mollement couchée entre deux beaux draps fins, lis cet ouvrage, il servira à allumer tes désirs et te procurera l’avant-goût de ces plaisirs qui seroient plus vifs, si j’avois moi même le bonheur d’arroser des pleurs de l’amour, ce jardin planté des mains de la Nature.

O mon aimable amie, quand ma romanesque et complaisamment brulante imagination me retrace les plaisirs que je puis te procurer, si moins sévère, tu ne craignais de prendre du fruit en ne voulant que des fleurs ; ce qui s’augmenterait alors, s’augmente ; mon ame se fond dans un torrent de desirs et de voluptés, mon sein palpite, ma vue se trouble, mes genoux tremblent, mon corps s’affaisse sous la main de l’amour, je brave le phantôme hideux et menaçant de la goutte qui promet sa société à ceux qui osent ainsi rêver seuls, aimer et jouir debout, et ma langue desséchée balbutie ces mots : ah ! Manon ! c’est pour offrir un holocauste à tes charmes que cette liqueur précieuse, ce fluide dont Toinette et mainte autre louve de la même trempe n’ont jamais assez, s’échappe à grands flots de ses réservoirs. Reçois cet encens ; il est digne de ton autel ; puisses-tu être toi même la Prêtresse immédiate de ce sacrifice, le recevoir de mes mains et le renfermer soigneusement dans le bassin qui doit en être le sacré dépositaire.

Si vous l’vouliez, (bis) Mamzell’ Lisette,
J’vous, j’vous f’rais plaisir et j’s’rait heureux.

Daigne donc aussi me pardonner d’avoir intercalé mon pompeux galimathias dédicatoire de ce dégoûtant refrein d’un Pont-neuf, du maigre et vain petit poëte de la loge du grand Orient de la Cour ; je l’ai fait pour t’instruire en passant, en te donnant par là l’occasion de lire pour pénitence au lieu des sept pseaumes du vaillant et tendre David, le fond du sac du décharné rimeur Xanferligote : Tout est beau dans son volume, papier, figures, caractères, format, hormis les vers qu’il fallait laisser faire à Lafontaine.

En attendant que tu déployes à mes regards surpris et sous mes doigts actifs et laborieux, tous les trésors que renferme le ciel invisible, je m’entends (tout autre que moi ne le croira pas.) laisse-moi prendre sur tes lèvres un long, bruyant et savoureux baiser, puisque c’est le nec plus ultra de tes bontés, et le salaire de la tendresse la mieux sentie, la plus verbeusement exprimée, comme la moins récompensée. Adieu, tout à toi, comme les procureurs sont au Diable.

Je suis ton bouclier
Le Bâtard de MIRABEAU.
fils inconnu d’un si glorieux père.

Et Membre Charnu des Académies

des Discordanti de Venise,
des Affidati de Pavie,
des Animosi de Crémone,
des Infocati de Florence,
des Lunatici de Naples,
des Mélancolici de Rome,
des Immaturi de Padoue,
des Humorodi de Cortone,
des Muti de Reggio,
des 25 Académies de Milan,
Enfin des Orgueilleux de Paris.