Les Veillées du couvent, ou le Noviciat d’amour/01

A MON LIVRE,

BAVARDAGE COUTUMIER,

Pour suppléer aux Avis du Libraire, Lettres à l’Auteur, Discours préliminaires, Introduction, Avertissemens, Préfaces de l’Éditeur, etc. etc., qu’on ne lit jamais.

Ecoute, mon Livre, et songe à profiter de mes avis. Doux fruit des lectures cyniques, je te griffonnai bien ou mal dans ces momens d’ivresse où l’on est tout entier au désir. N’ayant à 15 ans que le don d’aimer avec fureur (et c’est si peu sans celui de plaire) il fallait que le vain phantôme de la Volupté que mes soupirs imploraient, berçant agréablement mon imagination échauffée par les tableaux voluptueux de Dorat et de Bernard, suppléât aux charmes si puissans de la réalité.

Plus sage aujourd’hui, je ne m’aveugle pas sur tes défauts ; je sais que tu ne vaux rien ; la foiblesse qu’un père a pour son enfant, bien qu’il soit laid, t’a seule conservé l’existence, et plaise à Dieu que tous les auteurs puissent se rendre autant de justice. Tout se lit pourtant, jusqu’aux feuilles du cousin Jacques ; j’en excepte pourtant les Odes sacrées de l’abbé Pichenot ; et je ne désespère pas de te voir couru des jeunes filles et des jeunes écoliers de toute la France, pour peu que l’adroit libraire qui t’achetera, s’il en existe un qui le fasse, t’embellisse de dix à douze estampes analogues au Meursius français et gravées par les Cochin, les Marillier, les Desrais, les Eisen, les Saint.-Aubin, les Queverdo, les Moreau le jeune, les Monnet, les Marcenay, &c. &c.

Il ne fallait rien moins que la complaisance aveugle d’un père idolâtre de ses productions chétives, pour m’engager à te décorer du nom de l’auteur de l’Erotika biblion ; mais je sais que l’enseigne fait beaucoup pour achalander une taverne. J’ai donc menti, heureux si ce mensonge te procure quelque renommée ! Va courir les ruelles, les boudoirs et les bosquets inaccessibles au Soleil et aux regards des êtres dégradés qui sont morts pour les tendres mystères ; c’est là qu’il te faut glisser sur des roses ; n’éveille pas la sequelle des Cagots qui te proscriront et croiront faire œuvre pie en te condamnant à allumer les fourneaux de leurs saintes et sensuelles cuisines. Les Duchesses aux dents et aux têtons postiches, les antiques Vestales du couvent de Vénus, qui, ne pouvant plus être instrumens du Diable, ont bien voulu se donner à Dieu, parceque, dit-on, il n’est pas difficile, aime tout, pardonne tout, voit tout et prend tout, te regarderont et soupireront de regret et de souvenir, jusqu’à ce qu’elles se rappellent qu’un directeur caffard le leur a défendu ; et la bonne Maman qui éléve sa fille dans les sentiers épineux de la sagesse, te retranchera de la bibliothèque de sa fille chérie.

Il serait pourtant bien agréable d’être dans les belles mains d’une Eucharis qui loin des cent yeux d’un Argus femelle, contemplerait et semerait de tems à autre des pleurs balsamiques du desir, les gravures voluptueuses dont tu serais embelli, qui te tenant d’une main, toucherait légèrement de l’autre les bords vermeils de cette jolie conque, ombragée d’un ébène flexible et délié, et se pénétrant de tes leçons, les pratiquerait, en faisant la gimblette, caressant un toutou, et se retournant sans cesse pour se tripler dans des glaces disposées par les combinaisons de l’amour-même et dont tous les rayons ont pour centre un lit d’édredon ou un sopha jonché de roses.

Nos yeux accoutumés par l’influence des beaux arts, à ne se repaître que de sujets indecens, ne s’eloigneront pas de toi ; je ne me repentirai pas d’avoir levé peut être un peu trop brusquement le voile déjà transparent qui nous dérobait Vénus Anadyomene, Vénus sans ceinture et sans voiles, Vénus sortant de la mer, Cypris in naturalibus, et exprimant l’onde amère de ses blonds cheveux, au milieu des Divinités marines qui se pressent autour d’elle, honorent sa naissance par des chants et des jeux, et la toisent ou plutôt la dévorent d’un œil aussi avide que le vieux Mondor devant qui l’habile appareilleuse fait l’inventaire et le panégyrique des formes et des talens d’une Laïs encore intacte.

Dieux ! quel triomphe, ô mon livre ! quelle gloire t’est réservée ! quel heureux événement me tranquillise sur ton avenir ! Didot t’accueille ; Fournier fond déjà les caractères qui doivent te transmettre à la postérité et faire de toi l’idole et l’amour des Bibliomanes ! Moreau le jeune taille son crayon. O bonheur que je n’espérois pas ! Le Vélin et l’Annonay s’applanissent sous le cylindre et tu vas sortir d’une des plus belles presses de l’Univers et avec tout le faste nécessaire couvrir les sottises et la barbarie du stile.