Les Stratagèmes (Frontin)/Trad. Bailly, 1848/Notice

Traduction par Charles Bailly.
C. L. F. Panckoucke, éditeur (p. 5-15).

NOTICE
SUR FRONTIN
ET SUR SES ÉCRITS


Frontin [Sextus Julius Frontinus] était préteur à Rome (prætor urbanus) l’an 70 de l’ère chrétienne, sous le règne de Vespasien, 823 ans après la fondation de la ville. Telle est, dans l’ordre chronologique, la première donnée qui s’offre à nos recherches sur la vie de l’auteur dont nous publions la traduction, et nous en sommes redevables à Tacite. Toute la vie antérieure de Frontin reste ignorée, même la date et le lieu de sa naissance. Sur la foi du titre manuscrit[1] d’un ouvrage qui lui a été attribué, des critiques ont été tentés de croire qu’il était né en Sicile ; mais de pareils documents, qui n’ont pas la moindre valeur historique, ne sauraient fixer un instant l’attention. Un point qui a encore exercé les critiques, est celui de savoir si Frontin, en vertu de son nom de Julius, appartenait à cette grande famille Julia, qui faisait remonter son origine jusqu’à Iule, petit-fils d’Énée ; ou si, ne pouvant le rattacher à cette illustre race, on serait du moins fondé à le comprendre dans les familles anoblies par les empereurs. Le savant Poleni surtout, qui a commenté avec tant de soin le de Aquæductibus de Frontin, paraît tenir beaucoup à ce que son auteur ait été patricien. Verum nil tanti est, dirons-nous avec Horace : nous nous contenterons d’avancer, sur de valides témoignages, qu’il a été un des hommes les plus distingués de son temps ; et nous le reprendrons où nous l’avons d’abord trouvé, c’est-à-dire au moment de sa préture.

On ignore depuis combien de temps il exerçait cette magistrature, lorsque, en l’absence des deux consuls T. Fl. Vespasien et Titus César, il convoqua le sénat aux calendes de janvier de l’an de Rome 823. Il abdiqua peu de temps après, mais à une époque qu’on ne saurait préciser, et Domitien lui succéda : « Kalendis januariis in senatu, quem Julius Frontinus, præetor urbanus, vocaverat, legatis exercitibusque ac regibus, laudes gratesque decretæ… Et mox, ejurante Frontino, Cæsar Domitianus præturam cepit[2]. » Nous n’avons rien de certain sur les causes de cette abdication. Les circonstances étaient difficiles : les révoltes récentes des Gaulois et des Bataves n’étaient point apaisées ; le parti des Vitelliens remuait encore ; d’un autre côté, on craignait l’ambition du proconsul Pison, qui, gouvernant en Afrique, eût volontiers émancipé à son profit cette province, d’où le peuple romain tirait une grande partie de son approvisionnement. Frontin, sur qui pesait toute la responsabilité des affaires, puisque les consuls étaient loin de Rome, a-t-il reculé devant cette grave situation ? Ou bien a-t-il, dans le but de complaire à Vespasien, résigné ses fonctions en faveur de Domitien, second fils de l’empereur ? Ce dernier motif nous paraît le plus probable. Il est même permis de conjecturer que Domitien convoitait cette dignité : car, aussitôt que le poste fut vacant, il s’en empara, selon l’expression de Tacite ; et, au dire de Suétone[3], il se fit donner en même temps la puissance consulaire : « Honorem præturæ urbanæ cum potestate consulari suscepit. »

Tout porte à croire que quelques années après, vers 827, Frontin reçut le titre, sinon de consul ordinaire, du moins de consul remplaçant, ou subrogé (suffectus). Son nom, il est vrai, ne figure point dans les fastes ; mais on sait que de tous les consuls, dont le nombre dépendait souvent du caprice de l’empereur, les deux premiers seuls donnaient leur nom à l’année, et étaient inscrits sur ces monuments chronologiques. Élien le tacticien, contemporain de notre auteur, lui donne, dans la préface de son livre, le titre de personnage consulaire. D’ailleurs, il fut envoyé en Bretagne comme gouverneur. Or Petilius Cerialis, son prédécesseur immédiat dans ce gouvernement, et Julius Agricola, son successeur également immédiat, avaient tous deux été consuls avant d’être mis à la tête des armées romaines dans cette province[4] ; et leurs noms ne sont pas non plus dans les fastes. Il est donc naturel de penser que Frontin, avant de recevoir la même charge, avait été, lui aussi, promu à la dignité de consul[5]. Selon le calcul des chronologistes, Cerialis serait allé en Bretagne en 824, et Frontin lui aurait succédé en 828. Voici comment Tacite s’exprime sur ces deux personnages : « Dès qu’avec le reste du monde la Bretagne eut reconnu Vespasien, de grands généraux, d’excellentes armées parurent, les espérances des ennemis diminuèrent, et aussitôt Petilius Cerialis les frappa de terreur en attaquant la cité des Brigantes, qui passe pour la plus populeuse de toute la Bretagne : il livra beaucoup de combats, et quelquefois de très-sanglants ; la victoire ou la guerre enchaîna la plus grande partie de cette cité. Et lorsque Cerialis eût dû accabler par ses services et sa renommée son successeur, Julius Frontinus en soutint le fardeau : grand homme autant qu’on pouvait l’être alors, il subjugua, par les armes, la nation vaillante et belliqueuse des Silures, après avoir, outre la valeur des ennemis, triomphé des difficultés des lieux[6]. » Ce passage est assez explicite sur le mérite de notre auteur comme homme de guerre, pour nous dispenser de toute réflexion.

Remplacé en Bretagne par Agricola, vers 831, Frontin était sans doute de retour à Rome depuis cette époque, et, mettant à profit l’expérience qu’il avait acquise dans ses récentes expéditions, il écrivait sur l’art militaire, lorsque l’empire échut à Domitien, en 834. Sous ce règne parut le recueil des Stratagèmes : la preuve en est dans la complaisance avec laquelle il signale, en termes louangeurs, les excursions de ce prince sur les frontières des Germains, et ses prétendues victoires[7]. Mais, avant de mettre au jour cet ouvrage, il en avait publié d’autres où étaient exposés les principes de l’art militaire : sa pensée, qui avait été de justifier ultérieurement chacune de ses théories par une série de faits analogues, est nettement exprimée par les premiers mots de sa préface. Dans le Mémoire sur les Aqueducs[8], il rappelle encore qu’il est auteur de plusieurs ouvrages : « In aliis autera libris, quos post experimenta et usum composui, antecedentium res acta est. » Végèce et Élien nous fournissent des indications tout aussi précises. Le premier, après avoir parlé de l’art et de la discipline militaires, qui ont assuré aux Romains la conquête du monde, ajoute : « Necessitas compulit, evolutis auctoribus, ea me in hoc opusculo fidelissime dicere, quæ Cato ille Censorius de disciplina militari scripsit, quæ Cornelius Celsus, quæ Frontinus perstringenda duxerunt[9]. » On ne saurait trouver un éloge plus complet en peu de mots, que dans cet autre passage du même écrivain[10] : « Unius ætatis sunt, quae fortiter fiunt ; quæ vero pro utilitate reipublicæ scribuntur, æterna sunt. Idem fecerunt alii complures, sed præcipue Frontinus, divo Trajano ab ejusmodi comprobatus industria. » Élien, dans son épître dédicatoire à l’empereur Adrien, rapporte « qu’il a passé quelques jours à Formies, auprès de Nerva, et que là il s’est entretenu avec Frontin, homme très-versé dans la science des armes, s’appliquant également à la tactique des Grecs et à celle des Romains. » On lit encore quelques lignes plus bas[11] : « L’art d’ordonner les troupes suivant les préceptes tracés par Homère, est le sujet des ouvrages de Stratoclès, d’Hermias, et de Frontin, personnage consulaire de notre temps. »

Pline le Jeune[12], en rendant compte d’un procès important, dit que Frontin était savant jurisconsulte, et qu’il lui demanda des avis : « Adhibui in consilium duos, quos tunc civitas nostra spectatissimos habuit, Cornelium et Frontinum. »

Tant que régna Domitien, alors qu’un homme distingué ne se mettait pas impunément en lumière, Frontin vécut dans la retraite, partageant son temps entre le séjour de Rome et celui d’une villa qu’il possédait à Anxur (Terracine), lieu charmant, si nous en croyons Martial, dont les vers suivants nous apprennent que notre auteur n’était point étranger au culte des muses :

Anxuris aequorei placidos, Frontine, recessus,
Et propius Baias, litoreamque domum,
Et quod inhumanæ Cancro fervente cicadæ
Non novere nemus, flumineosque lacus ;
Dum colui, doctas tecum celebrare vacabat
Pieridas : nunc nos maxima Roma terit.
(Lib. X, epigr. 58.)

Grâce au même poète, nous savons que Frontin a été une seconde fois consul :

De Nomentana vinum sine fæce lagena,
Quæ bis Frontino consule plena fuit.
(Ibid., epigr. 48.)

Poleni conjecture que ce fut sous Nerva, en 850 ; il ne doute même pas que Frontin n’ait obtenu une troisième fois cette dignité, sous Trajan, et alors comme consul ordinaire, l’an 853. Il fonde son opinion sur une dissertation du philologue et médecin Morgagni, son collègue dans le professorat, à Padoue, qui s’est livré aux plus laborieuses recherches pour prouver que dans les fastes consulaires, au lieu de M. Cornelius Fronto, placé après Ulp. Trajanus Augustus, on devrait lire Sex. J. Frontinus. Tillemont, qui a lu et pesé les raisons et arguments contradictoires du cardinal Noris et du P. Pagi sur ce sujet, a laissé la question indécise[13]. Nous ferons comme lui ; car nous avons hâte d’arriver aux derniers documents biographiques.

Nommé intendant des eaux (curator aquarum) par Nerva, Frontin s’acquitta consciencieusement de sa charge, et améliora cette partie du service public par la répression des abus et des fraudes. Ce fut alors, sans doute, qu’il rédigea le Mémoire sur les Aqueducs, dont nous offrons la traduction à la suite de celle des Stratagèmes. On ignore s’il conserva longtemps ces fonctions sous Trajan, et s’il les réunit à celles d’augure, dans lesquelles il fut remplacé par Pline le Jeune, qui rend ainsi hommage au mérite de son prédécesseur[14] : « Gratularis mihi, quod acceperim auguratum ; mihi vero illud gratulatione dignum videtur, quod successi Julio Frontino, principi viro : qui me nominationis die per hos continuos annos inter sacerdotes nominabat, tanquam in locum suum cooptaret. »

Les fonctions, ou tout au moins les prérogatives des augures étaient perpétuelles : « Hoc sacrum plane et insigne est, quod non adimitur viventi[15]. » Il est donc certain que l’époque de l’entrée de Pline dans ce collège sacerdotal, est celle de la mort de Frontin. On s’accorde à la fixer à l’année 859 de Rome, 106 ans après J.-C.

Il avait défendu qu’on lui élevât un tombeau : « La dépense d’un monument est superflue, dit-il ; la mémoire de mon nom durera, si ma vie en a été digne. » Nous devons encore cette particularité à Pline le Jeune[16], qui, en la rapportant, loue, mais avec restriction, la modestie qu’elle fait paraître.

Poleni a trouvé dans les Mélanges d’antiquités de Jacob Spon une petite médaille présentant une tête d’homme à longue barbe, et à l’exergue de laquelle on lit ΦΡΟΝΤΕΙΝΟΣ ΛΝΘΥ (c’est-à-dire ἀνθύπατος) et d’autres mots grecs qui sembleraient indiquer que Frontin a été proconsul à Smyrne, sous les ordres d’un certain Myrtus. Mais ce n’est point là un document authentique : Poleni, Spon lui-même, n’osent rien en affirmer ; Facciolati fait observer que les Romains n’ont commencé à porter de la barbe que sous Adrien ; enfin, bien que Gronovius ait foi en cette médaille, Oudendorp, qui la reproduit, comme ornement, au frontispice de son édition des Stratagèmes, pense que cette tête est celle de Jupiter, ou d’Hercule, mais non celle de Frontin ; et il déclare que telle est l’opinion des plus célèbres numismates.

Si l’on veut apprécier à leur valeur les ouvrages de Frontin, il faut se pénétrer de l’idée qu’il n’a nullement songé à se créer une réputation d’écrivain. Homme de guerre et d’administration, il a écrit dans l’unique but d’être utile à ceux qui suivraient la même carrière que lui. Être lu, être consulté avec profit au point de vue pratique des sciences qui ont occupé sa vie, c’est toute la gloire qu’il ambitionne : il le déclare lui-même. Ce qui le recommande surtout, c’est la netteté de ses idées, et l’ordre méthodique auquel il sait les plier toutes. Ainsi, pour commencer par ses Stratagèmes, l’antiquité ne nous a légué aucun monument plus logique dans son ensemble. Recueillir dans l’histoire un nombre aussi prodigieux de faits ; les réunir selon leurs analogies, et les séparer par leurs différences, abstraction faite des personnages, des temps et des lieux ; en un mot, se former un plan au milieu de ce dédale, et y rester fidèle jusqu’à entier épuisement des matériaux, voilà qui atteste une certaine puissance d’analyse, de la justesse et de la profondeur dans les conceptions. Quant au style, il a ses mérites et ses défauts. Quoique Frontin appartienne à l’époque de la décadence, l’expression, chez lui, porte presque toujours le cachet de la bonne latinité. Habituellement même sa phrase a du nombre et de l’harmonie ; mais elle se présente trop souvent sous la même forme : il y a de longues séries de faits dont les récits, composés chacun de quelques lignes, commencent et finissent par les mêmes constructions, et très-souvent par des termes identiques, ce qui en rend la lecture fastidieuse. Un autre reproche qu’on peut lui faire, c’est qu’il affecte une brièveté qui va parfois jusqu’à la sécheresse. Mais, nous le répétons, il n’a point visé à la phrase ; et on lui doit cette justice, que la concision l’a rarement empêché d’être clair. Une fois qu’il s’est emparé d’un fait, il veut que deux mots suffisent pour que ses lecteurs en saisissent comme lui toute la portée, et qu’ils en fassent leur profit. Enfin, on trouve dans ce livre de nombreuses erreurs à l’endroit de l’histoire et de la géographie. Mais la plupart de ces fautes sont si grossières, qu’on ne peut raisonnablement les attribuer qu’à l’ignorance des copistes, gens qui n’ont épargné à notre auteur ni omissions, ni transpositions, ni interpolations. C’est ce que n’a pas observé Schœll[17], quand il a prétendu que l’ouvrage qui nous occupe était « une compilation faite avec assez de négligence, surtout dans la partie historique. »

À ce jugement d’un érudit, nous opposerons avec confiance celui d’un savant[18] : « Un contemporain des deux Pline, Jules Frontin composa quatre livres de stratagèmes militaires : c’est un tissu d’exemples fournis par les grands capitaines grecs, gaulois, carthaginois, romains, et qui correspondent aux différentes branches de l’administration et de la direction des armées. L’art de cacher ses entreprises et de découvrir celles de l’ennemi, de choisir et de disputer les postes, de dresser des embûches et d’y échapper, d’apaiser les séditions et d’enflammer le courage, de se ménager les avantages du temps et du lieu, de ranger les troupes en bataille et de déconcerter les dispositions prises par son adversaire, de dissimuler ses propres revers et de les réparer ; l’habileté nécessaire dans les retraites, dans les assauts, dans les siéges, dans le passage des fleuves, dans les approvisionnements ; la conduite à tenir à l’égard des transfuges et des traîtres ; enfin le maintien de la discipline, et la pratique des plus rigoureuses vertus, justice, modération et constance, au sein des camps, des combats, des désastres et des triomphes : tel est le plan de ce recueil. On a douté aussi de son authenticité ; mais Poleni a exposé les raisons de croire que Jules Frontin l’a réellement rédigé sous le règne de Domitien. Dans tous les cas, il serait fort préférable à celui de Valère Maxime, et par la méthode, quoiqu’elle ne soit pas toujours parfaite, et par la précision des idées, et surtout par le choix des faits. C’est l’ouvrage d’un bien meilleur esprit : en général, Frontin puise aux sources historiques les plus recommandables ; et lorsqu’il ajoute quelques notions à celles que renferment les grands corps d’annales, elles sont claires, instructives, propres à compléter ou à enrichir l’histoire militaire de l’antiquité. »

Le recueil des Stratagèmes, malgré quelques récits invraisemblables et même absurdes qu’il renferme, et dont la plupart tiennent aux superstitions des anciens, restera comme une œuvre utile. Nous pourrions dire tout le parti qu’en ont tiré les écrivains militaires des temps modernes, Machiavel, Feuquières, Folard, Cessac, Santa-Cruz, Jomini, etc. Le colonel Carion-Nisas, qui a fait une consciencieuse étude de l’art stratégique chez les anciens, dit[19] que Frontin est, comme écrivain, généralement homme de grand sens, quelquefois homme de génie ; et, ainsi que Daunou, il le place bien au-dessus de Polyen, qui ne soumet à aucun ordre méthodique les huit cent trente-trois faits qu’il rapporte, et n’offre à ses lecteurs aucun enseignement, pas une seule induction.

Pour donner une idée juste du traité des Aqueducs dans son ensemble, et du but que se proposait l’auteur, nous ne pouvons mieux faire que d’emprunter quelques lignes à un mémoire publié par M. Naudet sur la Police chez les Romains. Après avoir dit dans quelle circonstance le premier aqueduc fut établi à Rome, le savant académicien ajoute[20] : « Cette création fut un trait de lumière pour les Romains, qui eurent toujours, depuis, un soin particulier de l’aménagement des eaux. J. Frontinus nous épargnera toute recherche à ce sujet. Nerva[21] l’avait nommé intendant général des eaux de la ville ; le nouveau magistrat jugea qu’il était de son devoir de se mettre en état de conduire ses subalternes, au lieu de s’abandonner à leur conduite, et qu’ils deviendraient tous des instruments utiles, s’il était lui-même l’ordonnateur de fait, comme de nom. Pour cela, il voulut s’instruire à fond de la matière ; il l’étudia dans son état actuel, il remonta aux origines, il recueillit les lois et les usages, et de ce travail consciencieux et éclairé il résulta un petit traité plein de curieux documents, un des livres les plus précieux que l’antiquité nous ait laissés. Quels avantages dans la pratique, et quelles richesses pour l’histoire, si les magistrats avaient toujours pensé comme J. Frontinus ! »

Frontin ayant lui-même exposé le plan de son livre[22], nous n’essayerons pas d’en donner l’analyse. Nous dirons seulement, sans nous prendre d’un fol enthousiasme pour notre auteur, que cet ouvrage offre de l’intérêt, même dans les parties purement statistiques, telles que l’indication des distances entre chaque prise d’eau et la ville, le dénombrement des canaux, l’évaluation des divers modules en usage pour la mesure des eaux à distribuer, la désignation de la quantité accordée régulièrement tant aux travaux publics, aux spectacles, aux bassins, qu’au nom du prince, et pour l’usage des particuliers. Toutefois, là où il n’y a que supputation ou nomenclature, il ne faut pas s’attendre à trouver un langage orné et attrayant ; mais, n’en déplaise à Schœll, le reste de l’ouvrage n’est pas entièrement dépourvu d’élégance : ainsi, l’exposé des motifs de son entreprise, l’histoire de la construction des aqueducs, la révélation des fraudes qu’il a découvertes dans la conduite et la distribution des eaux, l’indication des moyens propres à prévenir ou à réprimer les abus, offrent des passages d’un style formé, nourri, et harmonieusement périodique. Mais ce n’est point là le principal mérite de ce traité ; il faut surtout le considérer comme un monnument précieux pour l’histoire, et surtout pour l’archéologie : plusieurs sénatus-consultes, qui y sont rapportés dans leur entière teneur, ainsi qu’une loi présentée par le consul T. Quinctius Crispinus, et adoptée dans une assemblée du peuple, sont encore pour lui autant de titres à l’estime des savants.

Divers commentateurs, entre autres Scriverius, Tennulius et Keuchen, ont pensé que Frontin était encore l’auteur d’un petit traité de Re agraria ou de Qualitate agrorum, et de quelques fragments intitulés de Coloniis et de Limitibus ; mais le contraire a été démontré jusqu’à l’évidence par de Goes (Gœsius). Nous n’avons donc point à nous occuper de ces ouvrages.




PRINCIPALES ÉDITIONS DE FRONTIN.


1474. Selon le célèbre bibliographe Laire, l’édition princeps des Stratagèmes aurait paru à Rome, à cette époque, dans le format in-4o.
1478. Rome, in-4o. Réimpression de la précédente, avec Végèce et Elien ; citée par le même bibliographe.
..... L’édition princeps du Mémoire sur les Aqueducs a été donnée à la suite de Vitruve, in-f°, par Pomponius Laetus et Sulpitius Verulanus, sans indication de date ni de lieu. Elle a pour titre : Sex. Julii Frontini, viri consularis, de aquis, quæ in Urbem influunt, libellus mirabilis. Laire pense qu’elle parut en 1484 ; Maittaire, de 1484 à 1492 ; M. Brunet, en 1486.
1486. Bologne, in-f°. Les Stratagèmes. Édition donnée par Phil. Beroaldo, et que Maittaire regardait comme l’édition princeps.
1487. Rome, in-4o. Les Stratagèmes, avec Végèce et Élien, par Euch. Silber, dans la collection intitulée Veteres de re militari scriptores ; réimprimée en 1494.
1495. Bologne, in-f°. Les Stratagèmes. Réimpression de celle de 1486 ; on y a réuni Végèce, Élien et Modeste.
1496. Florence, in-f°. Les Aqueducs, sans nom d’imprimeur, avec Vitruve, et un opuscule d’Ange Politien, qui a pour titre Panepistemon.
1513. Florence, in-8o. Les Aqueducs, de l’imprimerie de Ph. Junte, avec Vitruve, édition donnée par Joconde, et bien meilleure que les précédentes, quoiqu’il y ait encore de nombreuses imperfections.
1515. Paris, in-4o. Les Stratagèmes, avec Végèce et Solin.
1524. Cologne, in-8o. Les Stratagèmes, avec Végèce, Élien et Modeste.
1532. Paris, in-f°. Les mêmes, édition donnée par Guill. Budé, et réimprimée en 1535.
1543. Strasbourg, in-4o. Les Aqueducs, de l’imprimerie de Knobloch. C’est, à quelques corrections près, l’édition de Joconde.
1585. Anvers, in-4o. Les Stratagèmes, de l’imprimerie de Plantin, avec les notes de Modius et de Stewechius. On y a réuni Végèce, Élien et Modeste.
1588. Paris, in-8o. Les Aqueducs, édition d’Onuphre Panvinio, avec les notes d’Opsopæus.
1607. Anvers, in-4o. Les Stratagèmes, et autres ouvrages de Frontin, avec Végèce, etc., et les notes de Modius et de Stewechius. Édition de Scriverius, qui a mieux profité des manuscrits que ses devanciers, et a le premier recueilli les lois ou constitutions impériales sur les aqueducs.
1661. Amsterdam, in-8o. Sexti Julii Frontini V. C. quæ exstant. Édition de Robert Keuchen, qui a reproduit les notes de Scriverius, en y ajoutant les siennes.
1675. Leyde et Amsterdam, in-12. Les Stratagèmes, édition de Sam. Tennulius, dont les notes sont estimées.
1697. Le De aquæ ductibus a été imprimé dans le t. IV du Thesaurus antiquitatum Romanarum de J.-G. Grave (Grævius). C’est la reproduction du texte de l’édition Keuchen.
1722. Padoue, in-4o. Les Aqueducs, belle et excellente édition donnée par Poleni, ornée de cartes et de figures, et suivie des Constitutions impériales.
1751. Leyde, in-8o. Les Stratagèmes. Notes réunies de Modius, de Stewechius, de Scriverius et de Tennulius ; très-bonne édition, due aux soins de Fr. Oudendorp, qui l’a enrichie de notes pleines d’érudition.
1765. Paris, in-12. Les Stratagèmes, édition de Jos. Valart, sans autres notes que des variantes de texte.
1772. Leipzig, in-8o. Les Stratagèmes, édition de N. Schwebel, qui a ajouté ses notes à celles qu’il a choisies dans les commentateurs précédents ; observations critiques de J.-Fr. Herelius.
1779. Leyde, in-8o. Réimpression de l’édition de 1731, avec quelques notes de plus, par Corn. Oudendorp.
1788. Deux-Ponts, in-8o. Les Stratagèmes et les Aqueducs, édition qui réunit les textes d’Oudendorp et de Poleni, sans autres notes que les restitutions souvent contestables de Corradino d’All’Aglio, qui avaient été imprimées séparément du texte, à Venise, en 1742, in-4o.
1792. Altona, in-8o. Les Aqueducs, par G.-Ch. Adler, qui a reproduit une partie des notes de Poleni et des autres commentateurs, et en a donné lui-même quelques-unes.
1798. Gœttingue, in-8o. Les Stratagèmes, édition de Ge.-Frid. Wiegmann, destinée aux écoles.
1841. Vesel, in-8o. Les Aqueducs, belle édition, due aux soins de M. André Dederich, qui y a joint une traduction allemande. À l’aide des travaux d’un savant allemand, Chr.-Lud.-Frid. Schultz, travaux basés sur la collation des manuscrits, M. Dederich a donné une édition qui peut, en plusieurs endroits, soutenir la comparaison avec celle de Poleni. Il faut cependant reconnaître que ses restitutions de texte, bien qu’elles prouvent une rare sagacité, sont souvent trop hardies.


TRADUCTIONS.


Les Stratagèmes ont été traduits en italien par Durantino, Venise, 1536, in-8o ; et par Ant. Gandini, Venise, 1574, in-4o ; — en espagnol, par de Avila, Salamanque, 1516, in-4o ; — en anglais, Londres, 1539, in-8o ; — en allemand par Schœffer, en 1532 ; par Fronsperg, Francfort, 1578, in-f° ; et par Kind, avec Polyen, Leipzig, in-8o.

Les traductions françaises du même ouvrage sont : 1° celle d’Émery de Saint-Rose, citée par Remy Rousseau, auteur, ou plutôt éditeur d’un ouvrage intitulé Ruses et cautelles de guerre, Paris, in-8o, 1514 ; 2° celle de Perrot d’Ablancourt, Paris, 1770, in-18, reproduite, à peu de chose près, dans le tome IIIe de la Biblioth. historique militaire, publiée par MM. Liskenne et Sauvan, Paris, 1840, gr. in-8o ; elle justifie pleinement le malicieux propos des contemporains de d’Ablancourt sur ses traductions ; 3° enfin celle de 1772, par un ancien officier, précédée de recherches sur Frontin, Paris, chez Didot, 1772, in-8o. Celle-ci est faite avec soin, et, quoiqu’elle ne soit pas toujours élégante, que la langue française y soit même parfois maltraitée, on doit du moins reconnaître qu’elle est bien supérieure à la précédente, sous le rapport de la fidélité.

Le Mémoire sur les Aqueducs a été traduit en italien par Balthasar Orsini, Pérouse, 1805, in-8o, avec le texte latin d’après Poleni, des notes et des figures ; en allemand, par M. Dederich (voyez l’édition de 1841).

Il n’a été imprimé de cet ouvrage qu’une seule traduction en français, celle de M. Rondelet, architecte, membre de l’Institut ; elle est précédée d’une notice sur Frontin, de notions préliminaires sur les poids, les mesures, les monnaies, et la manière de compter des Romains ; suivie de la description des principaux aqueducs construits jusqu’à nos jours ; des lois ou constitutions impériales sur les aqueducs,

  1. Julii Frontoni Siculi… de coloniis Ratiae.
  2. Tacitus, Hist. lib. iv, c. 39.
  3. Vie de Domitien, ch. 1.
  4. Tacite, Vie d’Agricola, ch. viii et ix.
  5. Voyez l’opinion de Tillemont, t. ii. p. 209.
  6. Vie d’Agricola, ch. xvii, trad. de C. L. F. Panckoucke.
  7. Voyez liv. i, ch. 1, § 8 ; liv. ii, ch. 3, § 23.
  8. Ch. 11.
  9. Liv. i, ch. 8.
  10. Liv. ii, ch. 3.
  11. Ch. 1.
  12. Liv. v, lett. 1.
  13. Voyez Hist. des emp., t. ii, note 8, p. 494.
  14. Liv. iv, lett. 8.
  15. Plinius Jun., lib. iv, ep. 8.
  16. Liv. ix, lett. 19.
  17. Hist. abr. de la litt. rom., t. ii, p. 454.
  18. Daunou, Cours d’études d’hist., t. Ier, p. 431.
  19. Essai sur l’hist. de l’art militaire, t. Ier, p. 288.
  20. Mémoires de l’Académie des sciences morales et politiques, t. iv, p. 839.
  21. Le texte de M. Naudet porte Néron, sans doute par la faute du typographe.
  22. Voyez ch. iii.