Éditions des Cahiers vaudois (p. 242-246).

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Et tout déjà qui reva, déjà tout qui est reparti, bien que lentement reparti (cette grande lenteur d’ici ;) quelques malheureux seulement, mais c’est les malheureux d’avant et pour eux point de changement.

Oh ! vous deux pleurez seulement (celle qui n’a plus son mari, celle qui n’a plus son enfant ;) que ceux qui sont avec leurs morts pleurent leurs morts, ici on veut vivre avec les vivants.

Et pour eux, partout, recommencement.

Ouvrez les fenêtres, il fait étouffant ; les femmes couchent les enfants ; une voix dehors : « Tu le couches ? » cette voix dedans : « C’est bien le moment. »

Encore même quelques poules, parce qu’on n’a pas été faire tomber la petite porte de bois qu’une ficelle passée autour d’un clou tient levée ; de dessus le perchoir, et avant de mettre la tête sous l’aile, elles poussent un dernier petit gloussement pour dire : « Ça va comme on l’entend ; » recommencement, recommencement.

Dans le soir, ces points de lumière reparus sont comme si l’air avait été recousu, ils sont dans l’air comme une couture en fil rouge ; et, nous, alors, dépêchons-nous ! nous aussi on a à recoudre, nous aussi à boucher les trous.

Jamais ils n’ont été par exemple tellement en retard pour traire qu’aujourd’hui, mais les voilà depuis un bon moment remis sur le tabouret à un pied, vas-y ! ils entrent le front et le haut de la tête dans le ventre de la bête ; on y va des deux pouces, on connaît celui qui trait à ses pouces et à l’enflure plissée qu’il a sur l’articulation.

C’est avec les pouces qu’ils travaillent, tirant dehors cette tringle de lait qu’on croirait être faite d’une matière dure, tellement sonne sous le choc le seau de fer étamé, avec une ouverture pour passer la main et une bordure de laiton autour de cette ouverture ; on tient la queue des vaches attachée à un fil de fer tendu à cause qu’elles vous en fouettent la figure pas agréablement dans le temps qu’il y a des mouches ; ils sortent ensuite porter la traite à la fromagerie avec le carnet.

Et on dit bonsoir, bonne nuit ; et, en même temps, c’est toujours ces bruits ; il y a les chars à rentrer, il y a la faux à enchappler, il y a les portes aux gonds un peu rouillés, les portes des granges à fermer ; il y a les verrous à tirer, singulièrement plus rouillés, ces verrous chocolat, on les entend crier ; c’est les portes, les voix, la faux, c’est le timbre d’une bicyclette, la trompe d’une automobile ; c’est aussi les cochons à qui on apporte à manger ; l’horloge vaguement là dedans, ses neuf coups, puis qui les reprend…

— Pas question pour le moment.

Dans la grange, c’est Jules, à présent. Et Jules, de nouveau, qui dit :

— Ils sont en retard d’une heure, aujourd’hui.

Dans la grange, on n’y voit plus ; Adèle s’est arrangée comme elle a pu.

L’ennuyeux, c’est qu’on se décoiffe terriblement.

Elle a levé les bras d’un double mouvement :

— Mon Dieu ! je crois bien que j’ai perdu mon peigne.

— Oh ! toi, tu es toujours la même.