Éditions des Cahiers vaudois (p. 22-25).
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Il fut frappé, pendant qu’il aiguisait sa faux ; il tomba assis sur sa brouette à herbe, lâchant la lame de sa faux.

Il tomba assis, pencha de côté ; sa figure devint toute rouge, toute blanche ; il ouvrait la bouche sans parvenir à remordre à l’air ; et un ruisseau de froid, comme quand on vous a mis de la neige dans le cou, lui coulait le long de l’épine.

Il est dit que les maladies viendront, et ce sera le temps du quatrième sceau. Alors le Cheval Pâle est lâché, le Cheval Pâle frappe d’en haut. Il choisit les plus forts, les plus jeunes, les plus utiles, — ces temps du quatrième sceau et les hommes seront retranchés par l’épée, la famine, la mortalité et par les bêtes sauvages de la terre. Est-ce qu’on a vu ce nuage ? et est-ce que c’était un nuage ? ou bien si les yeux de chair ne suffisent pas ? Mais moi je l’ai vu, qui venait ; et il a passé par-dessus la crête ; c’est ce qu’il y a de plus robuste qui est frappé ; les temps sont là de la mortalité ; et Caille va toujours, mais l’autre là-haut tremble de tout son corps et tellement que ses dents claquent, et on entend le bruit qu’elles font ; tellement qu’il n’arrive pas à fermer sa chemise, grande ouverte sur sa poitrine ; l’été règne, le grand été, il sent cette glace qui entre ; il ne peut plus bouger, il laisse ses mains pendre, tout son corps glisse et se répand : « Encore un ! » crient des hommes dans le pré d’à côté ; « c’est Aloys ! » ils viennent, ils l’appellent : « Aloys ! qu’est-ce qu’il y a ? » il ne répond pas, il n’a pas l’air d’entendre, il n’a même pas l’air de les voir ; eux l’arrangent sur la brouette à herbe, l’appuient contre l’espèce de dossier qu’elle présente sur le devant, lui jettent sur le corps sa veste et un des hommes prend la brouette par les poignées et les deux autres marchent à côté.

Qui passent par en haut, et, de la route, on ne voit rien ; ici c’est seulement ces grands ormes, construits en feuilles, et cette construction de feuilles occupe tout un côté du ciel.

Ici, c’est seulement qu’il se met à faire frais et la route est couleur d’ardoise, la route est comme mouillée (cette couleur gris foncé qu’elle a.) On ôte son chapeau pour sentir sur son front la compresse faire bon. Entre les troncs, le lac est dressé tout debout ; son coutil pend par rectangles, bouchant exactement les vides, ces rideaux de lac sont tendus de tronc à tronc, et comme maintenus dans leur fixité par un poids ; on voit par place des choses peintes dessus, un bateau, un cygne, un second bateau ; il s’avance.

Il porte un veston gris de fer à plis, le pantalon pareil, des gros souliers à clous ; il a une barbiche, une figure pâle, des yeux enfoncés ; la Parole s’avance à ses côtés, les Signes, en même temps, s’avancent.

Et cependant deux grandes filles se sont montrées, allant du côté de l’eau avec une corbeille à lessive.

La corbeille à lessive est entre elles, et, elles, elles penchent vers elle, chacune la main passée dans une des anses d’osier ; penchent l’une vers l’autre tirées de côté par le poids, ployant dans le milieu du corps, ont des robes de toile, sortent du soleil pour rentrer dans l’ombre, ressortent de l’ombre, sont dans le soleil.