Albin Michel (p. 117-123).


IX

LA FÊTE CHEZ LEBRETON


Lebreton donnait une fête dans la villa d’un de ses amis, dans l’île de la Grande-Jatte.

Il l’appelait « Villa jaune » à cause des touffes de verdure d’or, des sables et des reflets de ses bassins, sans cesse caressés du soleil.

La fête commençait à minuit.

Il avait imaginé un sabbat gigantesque.

Des clôtures entouraient tout le jardin.

Et c’était, baigné de lune, l’éclairement d’une centaine de lampions fumants, rouges et jaunes, qui brûlaient dans le parc avec des odeurs d’encens bizarres et roussis.

Lorsque j’entrai, je crus, sur ma foi, faire un rêve.

Deux gardes municipaux de cire tenaient allumées des torches de pompiers. Je passai entre eux et me voilà dans le jardin.

Je suis tout à coup saisie par deux sortes d’ours et mise à nu.

Un balai dans mes mains et une petite marmite qui pendait à mon cou par une chaîne assez lourde, furent mes seuls vêtements.

Poussée dans le jardin, je fus d’abord seule.

Les jets d’eau coulaient, colorés, sous le ciel blafé de lazuli-lapis.

Je m’aperçus que le sol du jardin avait été couvert de mousse.

C’était en été.

Dans un coin de bosquet tout à coup éclatèrent des cris.

Je tournai un massif et là je fus témoin d’un spectacle étrange.

Une vingtaine de faunesses, nymphes, naïades, nues, s’acheminaient, la tête couverte de fleurs, à côté de pans, de satyres, tournant en rond autour du petit monticule du jardin.

Lebreton, sur le sommet, en Satan, avec de grandes cornes, battait la mesure, le rythme du pas.

Il m’aperçut et me fit signe de vite me mettre du cortège qui entrait dans l’antre.

Une des grottes artificielles avait été aménagée et au centre bouillait, dans une énorme chaudière, une simple bouillabaisse.

Il y avait là, assis nus et les chairs arrougies par la flamme, toutes et tous.

Ajax, superbe en Lucifer, le nez crochu rejoignant le menton en galoche, les muscles bien saillants.

Il y avait Juliette de l’Orne, avec ses grands cheveux dénoués, sa chair blonde, qui tenait sur ses genoux la petite Cravate, des « Fixités, » les plus belles jambes de Paris.

Le critique des critiques, le vieux Tibulle Bouc, au ventre gras, s’étalait veulement sur Henri des Dragons dont l’amie, la petite Antarticque, mangeait avec Paulette (la deuxième amie), une langue de grenouille donnée par Diane l’Élancée, dont les chairs paraissaient vertes et osseuses.

Le petit Sobj semblait bossu ; quant à la belle Caramanjo, sapristi, quelle belle bête !

Elle avait sauté sur les épaules d’Ajax qui l’avait jetée dans la chaudière vide et dans laquelle, mieux que dans un bénitier, elle s’était débattue en jurant en portugais par toutes les pùtas et les cùlas de là-bas.

Lebreton nous avait servi la bouillabaisse, suivi par les frères Électra, Valjoie et André Lefoy de Saint-René, tout fier de pouvoir enfin se montrer épilé.

Mademoiselle Méo de la Clef personnifiait l’Amour sans le faire, et un grand vieillard à la barbe blanche, M. du Congo, lui servait d’eunuque.

Mais le plus beau de tous était sûrement, après M. Lavieille-Ernestine, le petit Fabrica de Delphes, que l’on appelait familièrement le : chien (ou la chienne) de Lebreton, et que fustigeait avec des cordes André Mouche, dit le Roy des Tarés.

Il marchait à quatre pattes et avait un boa de femme autour du cou.

Le Radjah des Indes était représenté par M. G. Laborgne.

Le champagne solidifié à peine avalé, nous allâmes à la Messe Noire.