Albin Michel (p. 109-114).


VIII

L’ENTREMETTEUR


Un matin que, paresseuse, je lisais Monsieur d’Astarté, une œuvre de Lebreton, ma femme de chambre m’annonça :

— Un drôle de monsieur.

Le drôle de monsieur entra sans façon, prit une chaise et s’installa.

J’étais encore au lit.

Je le regardais, étonnée de ce sans-gêne. Ce petit monstre avait le nez retroussé jusqu’aux cheveux et le menton en forme de concombre.

De grosses lunettes cachaient non pas ses yeux dont l’un était énorme et l’autre à peine visible, mais son front tout noir, tout velu, tout coulant d’une sueur qu’il essuya avec un mouchoir bordé de jaune, d’un revers de son bras. Une redingote verte l’habillait mal, cachant avec peine un pantalon jaune et un gilet gris à boutons de cristal.

La bouche était édentée et semblait baver continuellement sur une cravate large, sale et effilée, coupée, dont la primitive couleur avait disparu. Quant aux souliers, je n’ose en parler ; du parapluie immense et dégouttant d’eau sur mes beaux tapis, encore moins.

Il salua légèrement.

— Bonjour, madame.

Je m’inclinai.

— Monsieur…

— Voici, chère madame, Ce qui m’amène… Excusez…

Il sortit une tabatière de sa poche, et se mit à priser, longtemps, comme sans se soucier de moi.

Mon valet de pied eût été là que j’eus fait flanquer incontinent ce personnage par trop sans-gêne à la porte. Il devina ma pensée probablement, car il fit, levant sa main sale :

— Voici les propositions que je veux vous faire :

» Je n’ai pas besoin de vous dire, je pense, combien est influent M. Lebreton qui, par l’article qu’il fit sur vous, obligea le théâtre des Électra frères à refuser une foule innombrable de personnes.

» Eh bien ! voilà : il faut que votre destinée soit liée à la sienne.

» Il faut que vous viviez tous les jours à ses côtés.

» Oh ! soyez tranquille, jamais vous n’aurez besoin de vous livrer à lui. »

En aparté, l’horrible petit homme ajoutait :

— Comment ferait-il, le pauvre !

Il reprenait :

— Vous comprenez votre gloire d’être au théâtre, au pesage, aux salons, aux plages, à son bras ?

» À moi de lui dire — car, ciel ! ce n’est pas lui qui m’envoie — ses avantages. »

Il était évident que l’offre du bonhomme était tentante.

Je me voyais déjà au bras de Lebreton, voyageant de Nice à Ostende, des Champs-Élysées au faubourg Saint-Germain ; c’était, il le disait, la gloire.

Que l’offre vînt de Lebreton ou non, peu importait. D’ailleurs, il était fort probable qu’elle ne venait point de lui.

Le bonhomme me dit alors :

— Vous hésitez… donc, vous acceptez. Vous vous seriez mise en colère… je serais simplement revenu. Je m’en vais de ce pas parler à Lebreton… Oh ! je ne demande rien d’avance.

Quinze jours après je recevais cette carte :

J. LEBRETON
15, quai d’Auteuil, villa Jaune,
Vous recevra le…