Albin Michel (p. 127-132).


X

LA MESSE NOIRE


Une sorte de cave rectangulaire et très obscure, dans laquelle cela sent le moisi, le rance, l’humidité.

Cette cave est mi-partie dallée de carreaux rouges, mi-partie laissée à même le sol graveleux.

Tout autour étaient disposées des loges, garnies de velours rouge et plantées de clous de diamant ou de strass.

Au fond, sur une estrade dressée et recouverte d’un drap noir, était un bouc, agenouillé de force par des chevilles de bois et qui semblait très mal à son aise, ramassant de sa langue blanche l’écume qui pendait à ses lèvres.

Nous fûmes plongés dans l’obscurité pendant un quart d’heure.

Un coup de gong tout à coup retentit et les valets vinrent apporter des flambeaux.

Nous avions pris place tous, dans les loges, toujours nus, mais avec nos chapeaux sur la tête.

Bientôt une grande bassine de cuivre rouge fut apportée et placée sur un cercle tracé au milieu de l’endroit.

Et tout autour vinrent s’agenouiller aux sons d’une drôle de musique d’immenses et vieilles femmes grasses et grosses, aux chairs fantastiques et rougeaudes s’écrasant par couches molles.

Elles marmottèrent des incantations devant le grand prêtre desservi par trois littérateurs, Paul Ève, Croisârose et Richequeue.

Une grande lame acérée dont la vue faisait frémir circula parmi le groupe et tout à coup les vieilles folles se mirent à taillader leurs cuisses énormes en copeaux.

Il y avait là G. Leborgne, le premier reporter du Don Juan, qui en a fait, je crois, un article. Je vis aussi le blond Pierre Pilond, le courriériste théâtral Kundorff, qui ouvraient de grands yeux.

On avait passé le sabre à un nègre et à une petite fille aux cheveux et aux yeux jaunes qui durent se vider les entrailles et le reste.

Encore un coup de gong, l’obscurité, et enfin, sous toutes les lumières, le sacrifice !

Le prêtre apporte, raidi, le corps d’une jeune fille délicieusement blonde et une étole la recouvrant jusqu’au nombril, débite des salamalecs, lui crache sur le front, l’arrose d’urine et bientôt, avec des lanières, voilà toutes les goules qui frappent ce beau corps pâle jusqu’à ce qu’il soit strié, marbré.

Le prêtre alors prend le sabre, fait une entaille dans le flanc et dans le sein de la jeune fille et y trempe des hosties qu’il pose en rond sur son ventre.

Le sang coule doucement.

De ce sang, avec une farine noire est pétrie une galette découpée que l’on nous distribue.

Avec effroi nous voyons des boucs lâchés où nous sommes. Ils puent.

On égorge celui qui est sur l’estrade ; des danses de forcenés s’échevèlent et les bras en l’air, sautant, voilà Lebreton qui crie, noir, rouge, pataugeant dans le sang :

— Au sabbat ! Au sabbat !