Les Saluts de la paroisse (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 80-81).
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LES SALUTS DE LA PAROISSE


À l’heure où s’allonge le soir,

En automne, parmi les brumes,
Et qu’une à une
Les lanternes, sur le trottoir,
S’allument,
Les mantelets profonds et noirs
Des vieilles femmes de la ville,
Tantôt dans l’ombre ou la clarté,
Vont, à la file,
Vers les quartiers que tranquillisent

Les églises.


Sur la place pleine de vent

Vivant,
Deux tours règnent vieilles et seules,

Et les tristes et traînantes aïeules
S’en approchent en défilant,

Toujours d’un pas égal et lent,
Par le canal des Flagellants,
Dont les sombres et longs miroirs
Réverbèrent, au fond du soir,
Le seul vitrail qui brûle, ardent et translucide,

Là-bas, dans une abside.


Les béguines et les curés

Joignent leurs pas
Aux pas des mornes vieilles,
Toutes pareilles,
Et par les longs trottoirs moirés,
Dans leur robe de bure ou leur robe de drap,
Monotones, s’en vont, comme elles,
Au long des quais et des ruelles.
Et c’est l’instant où les bateaux
Hissent aux mâts leurs blancs fanaux,
Et c’est l’instant où les boutiques
Fixent aux clous leurs veilleuses antiques,
Où l’on entend rentrer, en leurs impasses,
Toutes les misères qui sont lasses :
— Les mendiants, les éclopés et les perclus ; —
Où la ville semble n’exister plus
Que pour ce défilé, torpide et sombre,
Des gens en noir, qui s’avancent dans l’ombre,

Fatidiques, comme les nombres.