Coin religieux (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 77-79).


COIN RELIGIEUX


En un quartier quatre fois centenaire,

Dont les hôtels et les maisons
S’ornent d’un millésime ou d’un blason,
Le séminaire
Aligne, au long de sa masse carrée,
Son double rang de fenêtres barrées.
Des chanoines massifs en longent le trottoir
Et le mur solennel d’où déborde un platane,
Et les boucles d’argent ornant leurs souliers noirs

Brillent, de pas en pas, au bord de leurs soutanes.


La place tout entière est hostile au vain bruit,

L’évêché la domine au fond et son fronton reluit,
Et vers le soir, la cathédrale sombre

Laisse flotter sur lui
L’ample et mouvante nuit
De sa grande ombre.


Lieux de piété docte et de chrétienne ardeur :

La province y cultive
Sa croyance rébarbative
Et sa ferveur.
L’ancienne foi s’y développe âpre et valide,
L’ordre la tient serrée en son poing dur,
Et ses dogmes s’y consolident

Comme de lourds piliers encastrés dans un mur.


Et pour la maintenir ou l’affermir encore,

Obstinément, au long des temps, depuis toujours,
Tels gars de la bruyère ou tels bourgeois des bourgs
Se font ses serviteurs ou se nomment ses prêtres ;
L’Église trouve en eux ses soldats et ses reîtres ;
Ils ont le cœur ardent, la voix fruste et sonore,
Et par-dessus leurs yeux, ils ont tassé leur front
Comme un moellon.
Ainsi l’esprit des champs, rêche, têtu, gothique,
Instaure, au cœur des villes apathiques,
En un quartier silencieux,
Sa forge lourde où se couve son feu ;
Il fit jadis leurs mœurs et leurs coutumes,

Et leur terreur et leurs cerveaux,
Et maintenant encor son ponctuel marteau

Contrôle ou bat, sur son enclume,

Chaque penser que jette au loin l’orgueil nouveau.


Et les cloches sonnent et sonnent

En son honneur, ainsi que des hérauts,
Et les cloches le célèbrent et le propagent,
De siècle en siècle et d’âge en âge,
Du haut des tours, à coups de battants noirs.
Elles le crient au vent et le crient à l’espace,
Aux coins, aux carrefours, aux ruelles, aux places,
Dès que l’aurore monte ou que descend le soir ;
Et la ville obéit dûment à ces voix rudes,
Moins par amour peut-être ou par devoir,

Que par longue et tenace et pesante habitude.