Cloches (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 82-83).


CLOCHES


Cloches pour les vivants et bourdons pour les morts

— Fêtes, décès, mariages, anniversaires —
Vous marquez, jour à jour, de sonnants commentaires,
Avec le timbre ardent ou las de vos accords,
Tout ce dont la province étroite et compassée
Anime son cœur encor

Et sa pensée.


Les faits quotidiens, les gestes réguliers,

Et les motifs d’amour, et les causes de haine,
Et ce qu’on dit aux cabarets, chaque semaine,
Et ce dont les vieillards parlent à leurs foyers,
Vous le solennisez au soir et à l’aurore ;
Et les alléluias du prêtre et du bedeau,
Tout se fond et grandit dans la forge sonore,

Dont vos battants d’airain sont les brusques marteaux.


Ô chants de bronze et d’or, qui éclatez sans nombre,

Sur les tracas mesquins et les desseins futiles,
Et les pauvres soucis et les soins infertiles
Des minimes cités qui se meurent dans l’ombre,
Quand donc vos sons puissants et clairs publieront-ils
Quelle âme neuve et profonde

Émeut le monde ?