Dixième

Salazienne.


ALIOTHEOL
ROYALE
BONSOIR.
EN APPAREILLANT DE LA RADE DE SAINT-DENIS.
La nuit au front brillant d’étoiles
Amène l’instant du départ,
Et le vaisseau fuit sous ses voiles
Des bords où vole mon regard.
Je suis la barque fugitive
Qui vous reconduit vers la rive,
Vous que mes yeux veulent revoir ;
Mais, hélas ! la nef vagabonde
S’éloigne et disparaît sur l’onde.
Bonsoir, o mes frères, bonsoir !

Le souffle des nuits qui se lève
Nous entraîne insensiblement ;
Par intervalles, de la grève
J’entends le sourd mugissement.
L’unique ami de mon jeune àge
Sur les rocs déserts du rivage
En pleurant est venu s’asseoir ;
Aux faibles rayons des étoiles
Il voit au loin blanchir nos voiles.
Bonsoir, mon triste ami, bonsoir !
De mon plus doux ange en ce monde
J’ai reçu les baisers d’adieux,
Et me voilà seul, seul sur l’onde,
Emporté vers de nouveaux cieux.
Là bas qui m’aimera comme elle ?
Ah ! cette pensée est cruelle !
Je pleure… Et d’un crèpe plus noir
La nuit couvre notre navire,
Et ma voix faiblement soupire :
Bonsoir, à ma mère, bonsoir !

101
Hélas ! un compagnon fidèle,
Mon pauvre chien me cherche en vain ;
Ma sœur à ses côtés l’appelle
Et sur lui laisse errer sa main.
Léchant la main qui le caresse,
Ses yeux semblent avec tristesse
Interroger son désespoir ;
Assise au seuil de ma demeure,
Ma sœur se tait, mais elle pleure.
Bonsoir, ma pauvre sœur, bonsoir !
Oiseau pécheur, vers le rivage
Tu reviens au coucher du jour ;
Tu vas rejoindre sur la plage
La compagne de ton amour.
Tandis que l’ombre t’y ramène,
Vers d’autres lieux le vent m’entraine.
Sur les bords que tu vas revoir
Porte ma plainte et ma tristesse ;
Mais il s’éloigne avec vitesse.
Bonsoir, heureux oiseau, bonsoir !

102
Et des monts les sommets sublimes
Déjà sont voilés à mes yeux.
Pics abaissés des hautes cimes
Recevez mes derniers adieux !
Lorsque l’astre de la lumière
Demain reprendra sa carrière,
Hélas ! je ne pourrai plus voir
Le beau ciel bleu de la patrie ;
Adieu done, ma terre chérie !
Bonsoir, ô mon pays, bonsoir !