Onzième

Salazienne.


Un Clair de Lune sous la ligne.
A JOSSELIN D**.
Et la reine des nuits au påle et doux rayon,
Prend son essor léger des bords de l’horizon,
Etmonteen se berçant dans les airs qui blanchissent ;
A son brillant aspect les étoiles pàlissent,

106
Effacant dans l’azur leurs timides clartés.
Mais la tendre lueur coule à flots argentés
Et fait briller des mers la surface immobile.
Le jeune homme au front triste, à la marche débile,
Chrit, douce Phoebé, ta piense splendeur ;
Tu sembles d’un regard caresser son malheur ;
En secret il exhale à ta paisible flamme,
Les soupirs douloureux que renferme son âme.
Le timide orphelin, dans le monde isole,
Le poète et l’amant, le sensible exilé,
Et la vierge au front pur qu’embellit ta lumière,
Lèvent aussi vers toi leur humide paupière.
Tu reposes les yeux, la pensée et le cœur.
Combien de fois, amant de ton calme rèveur,
Je suis venu m’asseoir aux bords de la colline,
Pour écouter au loin la tendre mandoline,
Soupirant sous les doigts d’une chaste beauté,
Les accords inspirés par ton astre enchanté !
Combien de fois encore, à ces paisibles heures
Où l’ombre de la nuit s’étend sur nos demeures,
Quand ton pâle croissant flottait à l’horizon,
J’ai promené mes pas sur l’humide gazon

107
Où ton jour affaibli glissait avec mollesse !
Du saule aux longs rameaux éclairant la tristesse,
Tu dormais à mes pieds sur la mousse et les fleurs,
Et, du dôme des bois perçant les profondeurs,
Plus loin tu blanchissais le noir cyprès des tombes,
Le toit de la chaumière et le nid des colombes ;
Tu planais sur les monts comme l’ange des nuits,
Et ta chaste lumière endormait mes ennuis ;
Et la belle de nuit, frèle et mystérieuse,
S’ouvrait aux blancs reflets de ta lueur douteuse ;
Comme elle, je sentais mon cœur s’épanouir,
Et mes tristes pensers semblaient s’évanouir,
Et sous ton ciel serein dont le jour la captive,
Scule et pensive alors, ma muse moins craintive,
A la brise des soirs abandonnait ses vers
Que semblait écouter le silence des airs.
Et cette nuit sur l’onde où ma nef est bercée,
Je m’abandonne encore à ma vague pensée,
En te voyant flotter dans le ciel vaste et pur
Comme un havire aussi sur une mer d’azur.

108
Qu’il est doux de rêver à tes muettes flammes
Qui viennent près de moi se jouer dans les lames !
Tu sembles effleurer d’un vol mystérieux
Le flot calme et profond de l’océan des cieux,
Et le rayon qui pleut de ton croissant nocturne
Vient baigner ma paupière et mon front taciturne.
Bel astre, n’es-tu pas l’Éden et le séjour
Des mortels dont les yeux se sont fermés au jour,
L’asile fortuné, la flottante demeure,
De ceux que l’on aimait et qu’ici-bas l’on pleure ?
Peut-être que l’un d’eux, en ce même moment
Où mon œil te contemple aux bords du firmament,
Suit aussi des hauteurs de ta céleste sphère
Notre globe natal, notre paisible terre,
Dont l’orbe voyageur sur l’abîme emporté
De l’espace et des cieux parcourt l’immensité.
Ah ! lorsque le trépas aura clos ma paupière,
Mon àme, libre enfin de sa prison grossière,
Dans le fluide éther balançant son essor,
Ira se reposer sur la planète d’or !

109
Là, tel qu’un exilé dont la vue attendrie
Revoit avec transport le ciel de la patrie,
Mais qui, des jours passés gardant le souvenir,
Songe au pays lointain qu’il apprit à bénir ;
Ame heureuse et rendue à ma gloire première,
Je chercherai parfois à ta molle lumière,
La terrestre planète où j’ai reçu le jour,
Et la suivrai long-temps avec des yeux d’amour.
Je me rappellerai les lieux où mon enfance
Sous un joug oppresseur a gémi sans défense ;
Où mon cœur jeune encor rêvait au bruit lointain
De la chanson du nègre et du bobre africain ;
Où le souffle embaumé de la brise alisée
Rafraichit de nos fleurs la corolle épuisée ;
Où l’oiseau du Bengale et les tendres ramiers
Viennent gémir d’amour à l’ombre des palmiers ;
Où les ruisseaux coulant au milieu des savanes
Portent leur doux murmure au seuil de nos cabanes.
Je me rappellerai mon splendide soleil
Fécondant nos rochers de son rayon vermeil,
Et ces arbres dont l’ombre, abritant ma jeunesse,
Caressait de mon corps l’africaine mollesse :

140
Le vaste tamarın où j’aimais à m’asseoir,
Et qui ferme sa feuille aux approches du soir,
Le letchy, balançant ses grappes de fruits roses
Comme un rosier chargé de boutons et de roses ;
La colline onduleuse exhalant la fraîcheur,
D’où l’on voit sur les mers la barque du pêcheur ;
Les fronts aériens des Salazes sublimes
Dont aucun pied mortel n’a profané les cimes.
Je me rappellerai les bords de la Dumas,
Lieux aimés du printemps, inconnus des frimas ;
C’est là que j’ai grandi sous les yeux de ma mère,
C’est là que s’élevait sa modeste chaumière,
Dont le toit dominait les vastes champs de riz,
Comme un nid balancé dans des rameaux fleuris.
Je me rappellerai ces lieux de ma naissance
Que ma sœur parfumait de grâce et d’innocence ;
Et mes yeux pleureront avec des pleurs d’amour,
Et sous les saints lambris de l’éternel séjour,
Mariant ses accords à ma voix attendrie,
Ma lyre chantera mon ancienne patrie.