Neuvième

Salazienne.


l’he sky is changed !
(BYRON.)

ORAGE A SALAZIE.
Mais le ciel change ! et la nuit de ses ombres
A sur les monts grandi l’obscurité ;
Du firmament sous ses voiles plus sombres
Elle a voilé la tremblante clarté.
Dans le lointain la tempête s’avance :
De tous côtés règne un morne silence ;
Et l’on dirait, muette en sa terreur,
Que la nature, à travers les nuages,
Entend venir le bruit sourd des orages,
contemple la nuit dans sa sublime horreur.

92
L’air est pesant. Une chaleur fétide
Du sein du sol se répand dans les airs ;
Et par moments une clarté livide
De l’horizon sillonne les déserts.
Oh ! quelle muit ! le ciel dans sa colère
Va se donner en spectacle à la terre !
Et, déchirant ses voiles ténébreux,
Dans son ivresse et sa fongue effrénée,
Va révéler à mon âme étonnée
Quelque chose de grand, d’imposant et d’affreux !
Dans son courroux, le mortel qu’on outrage,
Courbant un front sombre et silencieux,
Reste muet de délire et de rage :
L’éclair s’allume et jaillit de ses yeux,
Son regard fixe étincelle de flamme,
Et tous ses traits ont réfléchi son âme.
Sous sa paupière on ne voit pas les pleurs,
Mais sa prunelle a brillé de vengeance ;
Et, tout à coup, sortant de son silence,
En paroles de flamme il répand ses fureurs.

93
Telle est la nuit. Nuit sombre et glorieuse,
Tu ne fus pas destinée au repos !
Dans ses transports mon âme audacieuse
Veut se mêler à ton vaste chaos.
La pluie encor n’a pas versé son onde ;
Vers ces pitons la foudre approche et gronde
Et dans les cieux roule avec majesté ;
Sa grande voix comme un mont qui s’écroule,
Ou sur ses bords la mer qui se déroule,
D’une clameur profonde emplit l’immensité.
Mais écoutons ! La voix de la tempête
Monte et s’accroît et grandit dans les airs ;
Le firmament s’enflamme sur ma tête
Aux feux sanglants des rapides éclairs ;
Le ciel s’émeut, les aquilons mugissent,
D’un bruit affreux les échos retentissent ;
Sur les rochers, dans le sein des forêts,
Brille et s’éteint une flamme écarlate ;
Et le tonnerre avec fracas éclate,
Et bondit en grondant de sommets en sommets.

94
C’est à ton tour ! oh ! réveille-toi, terre,
Sors des langueurs d’un auguste sommeil !
De ton repos, profanant le mystère,
La foudre vient de hâter ton réveil.
Réveille-toi ! De tes superbes cimes,
De tes forêts, de tes profonds abimes,
Fais résonner les échos les plus forts ;
Réponds ta voix à la voix des nuages ;
Aux mille éclats des vents et des orages
Aleurs transports tonnants réponds partes transports !
Et le tonnerre, avec un bruit horrible,
Ouvre la nue et vomit ses fureurs ;
Et des rochers la voix forte et terrible
Semble lutter de désordre et d’horreurs.
O vents d’orage, ô foudres, ô tempêtes,
Emportez-moi dans les lieux où vous êtes,
Entourez-moi de votre majesté !
Et, sur mon front déchaînant vos ravages
De vos plaisirs et de vos jeux sauvages
Laissez-moi partager la måle volupté !

Oh ! que ne puis-je ainsi que le tonnerre,
Dans mon délire étonner les mortels !
Que n’ai-je aussi les cent voix de la terre
Pour révéler mes pensers solennels !
Mais sous mes doigts, de ma lyre impuissante
Je presse en vain la corde obéissante ;
Ma voix est frêle et mes sons languissants.
Terre, cieux, nuit, foudre aux ailes de flamme,
Oh ! prêtez-moi, pour exhaler mon âme,
Prêtez-moi votre voix ! prêtez-moi vos accents !