Albin Michel (p. 87-94).

CHAPITRE XI

Détail du couvent dans Curzon-Street, May-Fair. Description de Mme B...nks ; de ses différentes nonnes ; et de quelques-uns de ses visiteurs. Histoire de Marie Br...n.

Nous sommes restés assez long-temps dans les alentours de King’s Place, et nous allons maintenant faire une petite excursion à Curzon-Street, May-Fair. Dans cet endroit demeuroit Mme B...nks, femme intelligente, assidue et polie, qui, ayant assez de bon sens pour se convaincre qu’elle n’avoit plus de charmes suffisants pour captiver les adorateurs, résolut de tourner à son avantage les talents que la nature lui avoit accordés, en bénéficiant sur la beauté et les attraits des jeunes personnes de son sexe.

Dans cette vue, elle rechercha la connoissance des belles voluptueuses de la ville. Les femmes galantes qui ne désiroient que satisfaire leur passion amoureuse, étoient sûres, par son agence, de trouver chez elle des coureurs forts et nerveux, qui ne manquoient jamais de donner les preuves les plus convaincantes de leur connoissance et habileté. Quant à celles qui étoient dans l’indigence, et qui se trouvoient forcées de faire un métier de leurs charmes, elle avoit toujours pour elle un magasin constant des meilleurs marchands des alentours de Saint-James et autres endroits. Charlotte Hayes avoit été long-tems sa directrice ; elle avoit fait chez elle un apprentissage régulier ; et, aidée de ses conseils, elle parvint à acquérir les connoissances qui sont nécessaires dans cet état critique et important ; en un mot, Mme B...nks ayant amassé une somme d’argent dans sa louable vocation, pensa qu’il étoit temps pour elle de fonder, à son tour, une abbaye ; en conséquence, elle prit une maison fort agréable dans Curson-Street. Clara H...d fit son premier noviciat public dans ce séminaire, quoiqu’elle alla dans la suite dans celui de Charlotte. Miss M...d...s fut la seconde qui fut enregistrée sur la liste de ses nonnes ; elle se rendit célèbre par ses charmes transcendants qui étoient si puissants, qu’ils captivèrent le savant Dr B...kns. Miss Sally H...ds.n étoit la troisième en date ; elle fut si prudente et si économe, qu’elle amassât deux cents livres sterlings, et devint bientôt une abbesse. La turbulente Mme C...x étoit aussi inscrite sur la liste de Mme B...ks. Ses liaisons avec un jeune Écossais, fils de Mars, lui donne le droit, sous d’autres rapports, de choisir sa compagnie ; mais elle n’écoute point les propositions de tout homme qui lui offre moins de cinq guinées. Il vint constamment dans ce séminaire un autre gentilhomme Calédonien qui, par des questions politiques, s’est distingué dans le monde littéraire. On crut d’abord que Mme C...x étoit l’objet de ses attentions ; mais cette erreur fut bientôt rectifiée, lorsque l’on vit clairement que Mme B...nks occupoit seule ses pensées, et régnoit en impératrice sur son cœur, malgré son visage hommasse et sa figure commune ; il disoit à cette occasion, qu’elle avoit ce je ne sais quoi, auquel tout homme sensible ne peut résister. Miss Betsey St..n..s.n exerce la fonction d’une nonne lorsqu’il y a un trop grand courant d’affaires, et que toutes les autres sœurs se trouvent en exercice, et ce, dans la vue de ne point mécontenter un visiteur, et de ne pas le forcer d’aller dans un autre séminaire ; mais sa vocation générale est celle d’assister Mme B...ks ; et dans cette circonstance, elle déploie la plus grande connoissance et industrie. La fatigue de l’action, dans ce double emploi, l’oblige généralement à prendre les eaux dans la saison du printemps, afin de donner, du relâchement à sa constitution. Mme W..ls..n a un embonpoint désagréable que les plaisirs de la table lui ont donné ; mais ses jolis yeux et sa bouche ravissante commandent toujours l’admiration. Mme Br...n généralement connue sous la dénomination de The constable, étant un excellent moule pour les grenadiers, devroit être pensionnée par le gouvernement pour recruter les forces de sa majesté. Mme F...gs..n, la dernière sur la liste, à une main très utile, et est de bon accord avec tout le monde ; soyez chrétien ou payen, brun ou blond, court ou long, de travers ou droit, elle ne s’en met pas en peine, pourvu que l’argent ne soit pas léger, mais, pour ne pas être trompée, elle porte constamment avec elle une paire de balance pour peser l’or ; malgré le grand nombre d’admirateurs de différentes complexions et nations que cette dame a eu, ses passions amoureuses ne sont pas encore absorbées, comme peut l’attester un certain gentilhomme Irlandois, grand et à larges épaules, qui, il est vrai, est forcé de faire avec elle un devoir très dur, ce dont ne peuvent disconvenir les personnes qui connoissent Mme F...gs..n, qui (pour me servir de ses propres expressions) lorsqu’elle tient dans ses bras l’homme qu’elle aime, elle s’abandonne tout à fait. Marie Br...n a été pareillement engagé dans ce séminaire. Comme il y a quelque chose de curieux dans sa vie, le lecteur ne sera probablement pas mécontent d’en trouver ici la relation. Cette dame étoit la fille d’un architecte, proche Mary-bone, dont la fortune se montoit à dix mille livres sterlings. Marie étoit une fille grande et gentille, qui avoit reçu une assez bonne éducation, dont elle avoit sû profiter. Elle n’eût pas plutôt l’âge qui inspire au jeune sexe les pensées de connaître les hommes, qu’elle se montra dans tous les endroits publics, avec un cœur enclin à l’amour et aux désirs les plus vifs ; elle se trouvoit très embarrassé de répondre aux attaques qui lui étoient faites ; ajoutez à cela, qu’elle avoit fait la connoissance d’une de ces femmes qui, sous les apparences de chasteté, s’introduisent dans les compagnies décentes. On fit donc une partie à Windsor, dans laquelle étoit un certain homme de rang, dont Marie recevoit les hommages, parce qu’elle s’imaginoit que ses intentions étoient pures et honnêtes ; mais le jeune homme ayant appris par la dame dont elle avoit fait la connoissance, et que Marie regardoit comme son amie, que le père ne donneroit rien à sa fille de son vivant, prit une autre résolution ; il changea ses batteries ; et, au lieu d’attaquer le cœur, il dirigea ses coups contre la vertu de la jeune personne. Marie fut donc trahie par son amie, qui la railloit des craintes qu’elle avoit de ce qu’elle la laissoit seule avec l’homme qu’elle devoit bientôt appeler son mari ; trompée dans cette opinion, elle l’écouta favorablement et céda à ses sollicitations, s’imaginant que sa condescension n’étoit que le prélude de ses noces ; mais, hélas ! elle fut peu de temps après convaincue de son erreur ; avec qu’elle agitation d’esprit, qu’elle mortification, quels remords, elle apprit, par les papiers publics, la nouvelle du mariage de son séducteur avec une autre personne.

Il se passa du temps avant qu’elle pût surmonter son chagrin ; mais voyant qu’il ne restoit aucune trace de sa foiblesse, elle se consola d’avoir découvert la perfidie de cette femme artificieuse, en qui elle avoit mis la confiance la plus aveugle.

M. W...ms, gentilhomme, jouissant d’une fortune honnête, lui fit peu de temps après, la cour, et l’auroit sincèrement épousé, si son père eut voulut donner une somme proportionnée à la fortune qu’il possédoit ; mais à l’instant de terminer cette négociation, M. Br...n fit banqueroute, et toute sa fortune imaginaire devint à zéro. M. W...ms avoit mis tant d’empressement à solliciter la main de Marie, que la prudence ne lui permettoit pas, d’après ce triste événement, de poursuivre cette affaire d’une manière honorable ; il lui étoit cependant impossible de vaincre la passion brûlante que cette jeune personne lui avoit inspiré, ni s’empêcher de céder à l’idée tentative qui s’offroit à son imagination, celle de lui faire des propositions d’un genre moins délicat ; et il se flattoit que sa situation présente la lui feroit accepter.

Dans cette ferme persuasion, après l’avoir entretenu de l’empêchement qui s’opposoit à leur union, il lui communiqua ses intentions. À cette proposition, Marie s’emporta avec chaleur, lui reprocha sa perfidie ; il s’étoit préparé à cette attaque, ainsi sa colère ni ses reproches ne le détournèrent point de son dessein ; à la fin la nécessité la força de se rendre à sa discrétion ; elle devint grosse et accoucha d’un fils.

Dès ce moment, la tendresse de M. Williams, au lieu de diminuer, augmenta.

Dès que Marie fut rétablie, elle parut en public avec plus d’éclat, d’autant mieux que ses couches s’étoient faites secrètement. Le baronet Charles B...y la joignit un soir au Ranelagh : ayant découvert que sa femme lui étoit infidèle, il pensa qu’une femme aussi belle et aussi agréable que Mme Br...wn (car nous ne lui donnerons plus que ce nom), pour laquelle il ressentoit le plus vif attachement, pourroit infiniment lui faire oublier la perte de sa perfide épouse : il lui déclara en conséquence sa passion ; Mme Br...wn l’écouta favorablement, son orgueil fut enchanté d’avoir fait une telle conquête, car elle pensoit qu’elle devoit se venger de l’outrage de M. Williams, qui avoit profité de sa détresse pour en venir à ses fins : elle céda donc aux instances du baronet Charles qui, pendant quelque temps, lui témoigna sa tendresse et sa générosité. M. Williams découvrit bientôt son infidélité et l’abandonna : l’attachement du baronet ne fut pas de longue durée ; ainsi donc Mme Br...wn, abandonnée, se vit en peu de temps, réduite à la nécessité de se défaire insensiblement de tout ce qu’elle avoit pour vivre. Mme B...ks en fit la connoissance à cette époque critique, et l’engagea aisément à venir demeurer dans sa maison : tel étoit la situation de ce séminaire lorsque nous le visitâmes.

Nous donnerons dans un autre chapitre les révolutions qu’il a subi.