Albin Michel (p. 51-58).

CHAPITRE VII

Trio de génies au café de Saint-James. M. Chace Price lit une relation curieuse et spirituelle du couvent de Charlotte Hayes, contenant les miracles opérés par cette dame, ainsi que les lois et constitutions de ce séminaire. Résolution prise de visiter ce couvent.

Sam Foote (le fameux comédien), Chace Price et Georges Sel...n, étant au café de Saint-James, M. Price leur dit qu’il venoit de lui tomber entre les mains une relation curieuse du couvent de Charlotte Hayes, et que s’ils vouloient, il leur en feroit la lecture : volontiers, s’écrièrent Samuel et Georges. Il lut comme il suit :

RELATION AUTHENTIQUE DU MONASTÈRE DE
SAINTE-CHARLOTTE

« Plusieurs institutions importantes et louables sont ignorées par l’effet d’une timidité qui accompagne toujours la vertu et la modestie, tandis que des entreprises de moindre importance sont recommandées à l’attention du public par l’impudence et la présomption du mérite supposé des candidats que l’on en impose.

« Il est de mon devoir de devenir le défenseur d’une institution qui a ses avantages politiques et civils. Les parents et les tuteurs ne seront plus en peine d’envoyer leurs filles ou leurs pupilles dans les couvents de Saint-Omer ou de Lille, lorsqu’ils seront assurés de trouver ici tous les avantages de leur éducation, en les plaçant dans un séminaire fondé par une de nos compatriotes, dans la partie la plus agréable de la capitale. On n’y adopte point des préjugés ni des erreurs étrangères ; et, tandis que l’on inspirera à ce sexe aimable les sentiments de la liberté anglaise, nos trésors alors ne sortiront point de notre île, et ne passeront point dans d’autres royaumes. Cette institution est actuellement en activité et est située près de Pall-Mall.

« Cet établissement fut fondé par une sainte qui existe encore, et dont il porte le nom. À en juger par les miracles qu’elle a déjà opérés, et qu’elle fait journellement, il n’y a point de doute qu’elle ne soit incessamment canonisée, et que son nom ne soit inséré dans le calendrier ; ce dont le lecteur conviendra d’après la lecture suivante :

« Liste des miracles opérés et faits journellement par sainte Charlotte.

« Elle change en un instant les guinées en vins de Champagne, de Bourgogne ou punch.

« Elle guérit le mal d’amour, et par sa touche apprivoise le cœur le plus sauvage.

« Elle fait passer la beauté des femmes, et donne de la beauté et des grâces à celles qui n’en ont point.

« Elle donne aux vieillards qui se croyent gais, la vigueur de la jeunesse ; et elle change les jeunes en vieillards.

« Elle a un spécific particulier pour porter une femme à haïr son mari, et à faire un prompt divorce.

« Elle administre l’absolution dans les cas les plus désespérés, sans confession.

« Elle possède la pierre philosophale, et, au grand étonnement de ses visiteurs, elle change la forme la plus grossière en l’or le plus pur, par un procédé aussi vif qu’inexprimable ; lequel a échappé à la découverte de tous nos chymistes alchymistes, etc.

« Ayant ainsi démontré ses pouvoirs miraculeux qui lui donnent tant de droits pour être rangé au nombre des saints modernes, nous allons maintenant parler des lois, constitution, règlements, et mœurs de ce séminaire.

« Toute sœur qui prend le voile doit être ou jeune ou belle ; si elle réunit ces deux qualités, le sacrifice de sa personne en est mieux considéré par la déesse Vénus, à qui cette institution est dédiée. Elle ne doit pas beaucoup connoître le monde ; et si elle n’y a pas eu de grande intimité, l’abbesse la juge digne d’être admise au rang des candidats.

« Elle ne doit pas être mariée, ni avoir aucun amant favori, si par hasard il lui restoit dans le cœur quelque tendre attachement, elle doit aussitôt se soumettre à la touche miraculeuse, afin d’en obtenir une parfaite guérison.

« Comme les frères des séminaires adjacents viennent visiter leurs sœurs de la manière amicale qui convient à leurs caractères, dans le dessein de les convertir et d’apporter du soulagement à leur âme ; de même les sœurs, en pareilles occasions, doivent ouvrir leurs seins et ne rien cacher à ces dignes frères. Comme les richesses de ce monde sont au-dessous de l’attention des dévotes qui se sont séquestrées dans ce cloître, la digne patronne, sainte Charlotte, s’approprie, à cet effet, tous les présents, dons et possession des sœurs, d’une manière tout à fait édifiante, afin de ne point exciter en elles la vanité ou l’ambition.

« Sainte Charlotte, en formant cet établissement glorieux et vertueux, ayant en horreur les infidèles et leurs lois, n’en admet aucuns dans le couvent ; elle n’aime point les coutumes des Turcs qui défendent de boire du vin ; elle en permet au contraire l’usage, sur-tout dans les instants où l’on sacrifie à la déesse ; ces moments, devant être regardés, par la communauté comme des jours de fêtes qui doivent être distingués en lettres rouges dans le calendrier du séminaire.

« Sa sévérité ne s’étend point à priver les sœurs de la jouissance des plaisirs raisonnables et innocents : sous ce rapport, elle considère les représentations dramatiques de tout espèce ; elle leur permet de visiter souvent les théâtres, et même l’opéra. Elle a loué à cet effet, dans chacun de ces endroits, une loge particulière sous la dénomination de séminaire de sainte Charlotte. Comme les jésuites irlandais et autres prêtres de ce pays, sont en grand nombre dans cette capitale ; et que ces prêtres sont connus pour être pauvres et dans le besoin, elle avertit particulièrement les sœurs de ne point se confesser à aucun des frères de ce royaume, excepté le prieur du monastère qui, quoique natif d’Irlande, vient souvent pour des raisons particulières, faire l’instruction dans son couvent.

« Comme la dévotion fervente des nonnes est un objet de la plus grande attention, elles ne doivent, sous aucun prétexte quelconque, en être détournées par leurs autres sœurs, ni par les domestiques de la maison.

« Si quelque frère essayoit d’enlever quelque sœur du couvent, il doit aussi-tôt subir sur le pupitre le châtiment le plus exemplaire, et être chassé à perpétuité du séminaire.

« Il est jugé convenable pour le bon ordre et règlement de la société, que les sœurs ne communiquent point avec celles des autres communautés.

« Aucune femme ou demoiselle ne peut être admise dans la communauté sans avoir des lettres de recommandation sur leur chaste moralité, et leurs vertueuses dispositions ; ces lettres doivent être écrites par les personnes qui ont donné des preuves incontestables de leur attachement à ce séminaire.

« Sainte Charlotte, qui considère l’exercice très nécessaire à la santé, visite fréquemment les endroits publics, et se promène fort souvent dans les rues de la capitale avec deux ou trois de ses nonnes. Ces exemples de beauté naissante, dévouée à la vertu et à la vie monastique ; la satisfaction et la gaieté exprimées dans leur aimable contenance, lui procure un grand nombre de jeunes personnes qui, édifiées de ses bons principes, se sacrifient à la déesse dont elle est la prêtresse.

« Lorsque le temps ne permet pas les promenades à pied, alors elle sort toujours accompagnée de quelques-unes de ses vestales, dans un brillant équipage appartenant au couvent, afin d’attirer constamment l’attention des passants.

« Les heures des sœurs pour le coucher et le lever sont différentes ; elles sont relatives aux vigiles qu’elles doivent observer, et au nombre des saints qu’elles doivent fêter, car, à cet égard, sainte Charlotte est très rigide, et dans le cas de quelque manque, ne leur fait pas de rémission. Dans les jours non fêtés, la plus grande régularité et le décorum le plus strict, sont observés ; alors les nonnes se trouvent toutes réunies aux heures réglées du couvent.

« Ces vigiles et ces prières étant considérées comme le principal établissement de cette institution, rien ne peut donner de plus grande satisfaction à sainte Charlotte que de trouver cette ferveur et dévotion qui caractérisent particulièrement cet ordre ; mais comme l’approbation de leurs confesseurs est, dans ces occasions, généralement témoignée par une croix en diamants, ou quelques autres présents de prix, alors, il est permis à chacune des nonnes, tant qu’elle reste dans le séminaire, de porter ces croix, en forme de collier, sur leur sein.

« Comme cette institution n’est pas trop rigide, et qu’on n’y envisage que l’éducation agréable du sexe, on n’y interdit point la musique et la danse ; au contraire, il y a des maîtres attachés au couvent qui enseignent ces deux arts, dont la plupart des sœurs ont tiré le plus grand avantage : on y joue à chaque instant de la guitare, et on y exécute des cotillons, et même le menuet de la cour, avec une réputation sans pareille.

« Il y a un docteur attaché au monastère qui, suivant l’occasion, agit doublement comme médecin et confesseur ; il ne prend point d’honoraires.

« En un mot, tous les plaisirs innocents d’une vie agréable, et la félicité sociale, règnent, sans mélange ; dans ce séminaire qui n’a rien de cette austérité, ni rigueur monacale des couvents étrangers. »

Dès que M. Price eut fini sa lecture, toute la compagnie le croyant l’auteur de cette composition facétieuse, le remercia du plaisir qu’il lui avoit procuré. Il fut ensuite résolu d’aller, le soir même faire une visite à sainte Charlotte et à ses nonnes : et nous ne manquerons pas d’accompagner les trois Génies dans le séminaire.