Les Ruelles (Verhaeren)
LES RUELLES
Et, ci et là, de petites chapelles,
À deux chandelles,
Contre les murs obscurs,
Debout,
Les très vieilles ruelles
Dégringolent, en ribambelles,
Depuis là-haut
Frôle leurs pignons bas ;
Quoique lavés à tour de bras,
Les seuils humides restent gras ;
Et c’est l’automne et c’est l’hiver :
Sortent, fouillant la boue, ou tout à coup se roulent,
Pattes en l’air,
S’en vient, de sa neuve clarté,
Chauffer les murs dont le crépi s’éraille,
Et que l’égout et le trottoir
Se repeuplent du grouillement noir
Toutes portes ouvertes ;
Du linge sèche aux cloisons vertes
Des tout petits jardins ;
Les fenêtres et les plinthes sont peintes,
La résine et la poix
Ornent le corridor étroit
Au bout duquel s’étale et se trimballe,
Monumental, entre les deux parois,
Font bon accueil à ceux qui entrent ;
Inscrit de longs et onduleux dessins ;
La table, avec son gros bouquet au centre,
Et son vase de verre noir
Se reflète dans le miroir,
Et les plaques du poêle reluisent
Et les enfants se suivent,
Comme barques à la dérive,
Et grandissent, sait-on comment !
Les ans tombent par avalanche
El les jours sont les mêmes jours, toujours,
Sauf le dimanche,
Quand les femmes s’assoient en rond,
L’après-midi, autour des tables basses,
Et que, chauffant, chacune en son giron,
La large tasse
De café noir, qu’un flot de lait fait blond,
Elles s’entrexcitent aux commérages,
À gestes durs, à large bruit,
Si bien que leurs langues font rage
Là-bas, au loin, près du rempart,
Au fond des bouges ;
Puis reviennent, manquant le pas
Et fluctuant sous des houles de bières,
Avec, pour compagnon, le maigre espoir
Que leurs femmes ne voudront pas,
Trop nettement, s’apercevoir