Les Reposoirs de la procession (1893)/Tome I/L’arrosoir de larmes

Édition du Mercure de France (Tome premierp. 195-199).
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L’ARROSOIR DE LARMES


À Jean Lorrain.


L’obstacle s’évapore devant l’œil semé dans l’abîme, les cercueils sont de verre pour les morts ; aussi ne viens que décemment grimée de chagrin sur ma tombe, — sinon je me lèverai pour te jeter ma carogne à la joue.
Les vases d’argile.


À quelle fontaine as-tu rempli cet arrosoir, ô Dame en deuil qui viens du saule ?

Le saule d’où je viens est ma très ample chevelure et j’ai rempli cet arrosoir à ma fontaine de douleur.

Cette pluie fine de tes yeux où la portes-tu donc, ô Dame en deuil qui marches légitime au mitan des cyprès ?

La porte tout là-bas sur le jardin maigre du brun Chevalier de la Veille qui mourut de m’avoir trop aimée.

Crois-tu que tout là-bas, en sa demeure de silence, il le saura celui brun qui mourut de t’avoir trop aimée ?

Certes ! goutte à goutte il écoutera cette pluie fine de mes yeux et puis me répondra des fleurs belles qui seront les plus vives du monde.

Que feras-tu de ces réponses belles qui seront les plus vives du monde ?

M’en parerai la joue, les doigts, la ceinture, la gorge ; et deviendra, la Dame en deuil, étrange et précieuse infiniment.

Pourquoi t’ainsi parer la joue, les doigts, la ceinture, la gorge, et devenir, ô Dame en deuil, étrange et précieuse infiniment ?

Afin de plaire au Chevalier du Lendemain qui blond m’espère au seuil du cimetière, en habit de faisan !