Ch. Delagrave (p. 171-173).

XXXII

BALANINS ET ANTHONOMES

Ah ! je t’y prends, coquin, à manger mes noisettes, disait un jour Louis en apercevant un charançon qui, de son long bec, perçait un fruit encore tendre ; je t’y prends ! Je saurai ton histoire d’abord, nous compterons après. — Le charançon fut mis dans un cornet de papier avec quelques noisettes piquées, et, au premier moment de liberté, Louis accourut chez l’oncle Paul, la joue rouge d’émotion. C’est qu’il aime les noisettes, le petit Louis, et mettre la main sur l’insecte qui les gâte, était pour lui très sérieuse affaire. Le soir, à la veillée, Paul avait autour de lui son auditoire ordinaire, pour écouter l’histoire du charançon des noisettes.

Paul. — Voici la capture de Louis. Regardez un peu ce bec.

Émile. — Quel nez ! Oh ! quel nez ! C’est menu comme un cheveu, et puis long, long et recourbé.

Louis. — Ne semble-t-il pas fumer dans une longue pipe, comme je le disais un jour ?

Émile. — Voyez donc, mon oncle, comme les yeux sont rapprochés l’un de l’autre. Ils se touchent presque et l’insecte a l’air de loucher. Est-il curieux avec son nez en tuyau de pipe et ses yeux louches !

Jules. — La bouche, où est-elle ?

Paul. — Tout à l’extrémité de ce qu’Émile appelle un long nez.

Jules. — Comment fait-il pour manger ? La nourriture doit avoir de la peine à passer dans ce tuyau plus délié qu’un fil.

Émile. — Oui, comment fait-il pour manger ? Je serais fort embarrassé s’il me fallait prendre la nourriture par le canal d’une paille de ma longueur.

Paul. — Forcément le charançon est sobre ; tout au plus boit-il avec son bec quelques gouttes du suc des noisetiers qu’il habite. Mais s’il est sobre lui-même, sa larve a bon appétit : il lui faut l’amande d’une noisette, toute l’amande. C’est précisément pour la lui donner que le charançon est pourvu du long bec qui vous étonne. L’insecte parfait, je vous le dis encore, vit pour sa future famille bien plus que pour lui-même ; il est principalement outillé en vue de l’avenir des larves. Si le charançon n’avait à songer qu’à sa propre nourriture, sa trompe serait on ne peut plus incommode ; mais il doit, avant tout, s’occuper du bien-être des larves, et alors le bec long et menu est un merveilleux outil, une fine vrille destinée à forer la coque de la noisette pour que l’œuf soit déposé sur l’amande et que la larve naisse au sein des provisions.

Jules. — Ce doit être un long travail pour une vrille aussi menue ?

Paul. — Nullement. Les petites mandibules placées au bout de la trompe mordent sur la coque presque comme le ferait le tranchant de l’acier ; et puis le charançon choisit son temps. C’est en mai, alors que les noisettes commencent à grossir et ont l’enveloppe tendre, que le forage est entrepris. L’insecte attaque la noisette par la base, à travers l’enveloppe verte qu’on appelle cupule. Le trou fait, il introduit un œuf dans l’intérieur du fruit. En huit jours, la larve est éclose. C’est un ver sans pattes, blanc, à tête rousse. Comme le vermisseau mange d’abord très peu, la noisette continue à se développer et à mûrir son amande, rongée petit à petit. Au mois d’août, les provisions sont achevées, et la noisette véreuse gît à terre. Le ver, dont les mandibules sont alors robustes, perce un trou rond dans la coque vide et quitte la noisette pour s’enfouir dans le sol, où il se métamorphose au retour de la belle saison.

Émile. — En cassant des noisettes avec les dents, il m’est arrivé de mordre sur quelque chose d’amer et de mou.

Paul. — C’était le ver du charançon que vous veniez d’écraser.

Émile. — Pouah ! la sale bête !

Louis. — Mes noisetiers, comment les défendre ?

Paul. — C’est tout simple. On recueille les noisettes véreuses, qui plus tôt ou plus tard tombent à terre comme le font les fruits attaqués par les insectes. Tant qu’elles ne sont pas percées d’un gros trou, le ver s’y trouve encore. En les brûlant, on détruit les charançons de l’année suivante.

Louis. — Mais il reste les charançons de l’année actuelle.



Balanins et Anthonome.
1, Balanin des noisettes : 1a, Larve ; 1b, Balanin des noisettes. — 2, Balanin des glands. — 3, Larve de balanin. — 4, Anthonome du pommier : 4a, Larve ; 4b, Nymphe ; 4c, Anthonome ; 4d, Fleurs attaquées.

Paul. — Non, car il est de règle que les insectes meurent après la ponte.

Jules. — Vous avez oublié de nous dire le nom du mangeur des noisettes.

Paul. — C’est juste. On l’appelle balanin des noisettes. Il est facile à reconnaître à son long bec très menu et fortement recourbé, enfin au duvet gris jaunâtre qui recouvre l’insecte en entier. — Un autre balanin, plus petit, mais de même forme et de même coloration que le précédent, vit à l’état de larve dans l’intérieur des glands du chêne. On le nomme balanin des glands. Un troisième, peu répandu dans nos pays, vit dans l’intérieur des noyaux de cerises. C’est le balanin des cerisiers.

Jules. — Comme les charançons diffèrent de manière de vivre ! La calandre ronge les grains de blé ; les rynchites roulent des feuilles, piquent les poires et les prunes ou coupent les bourgeons ; maintenant voici les balanins qui s’attaquent à l’amande de la noisette, de la cerise, du gland. Y en a-t-il qui mangent les fleurs ?

Paul. — Sans doute. Aucune partie de la plante n’est épargnée par les insectes. Le pommier, le poirier, le cerisier ont chacun leur charançon qui vit, à l’état de larve, aux dépens de leurs boutons. Ces destructeurs de fleurs se nomment anthonomes. Vous voyez ici celui du pommier, le plus répandu de tous. — Il est brun, avec une petite bande blanche bordée de noir et placée obliquement au bout de chaque élytre. Dès le mois d’avril, il se répand sur les pommiers et perce de son bec menu les fleurs encore en boutons. Dans chacune il dépose un œuf. Une semaine après, la larve est éclose. Le petit ver se met à ronger tout aussitôt la fleur, ne respectant que l’enveloppe extérieure. Il va de soi que le bouton dont le cœur est mangé ne peut s’épanouir et que la fleur est perdue ainsi que le fruit en germe. Les boutons, rongés au dedans seulement, conservent leur forme et prennent en se desséchant l’aspect de clous de girofle.

Émile. — De ces clous de girofle que mère Ambroisine met dans les ragoûts ?

Paul. — Justement.

Émile. — Ces clous de girofle, que sont-ils ?

Paul. — Ce sont des boutons ou fleurs non épanouies du giroflier, arbuste aromatique des pays chauds. On les recueille avant leur épanouissement, puis on les fait sécher au soleil.

Émile. — Je vois pourquoi les boutons piqués par l’anthonome prennent l’apparence de clous de girofle. Dans les deux cas, ce sont des fleurs desséchées avant d’être épanouies.

Paul. — La larve de l’anthonome est, comme pour les charançons en général, un petit ver sans pattes, de couleur blanche. Elle n’abandonne pas le bouton rongé, quand celui-ci se détache de l’arbre. La larve du balanin quitte la noisette en perçant la coque d’un trou, celle du rhynchite conique abandonne la pousse tombée, celle du rhynchite de la vigne se laisse choir de son rouleau de feuilles ; toutes les trois s’enfoncent dans la terre pour y passer l’hiver en sûreté et s’y métamorphoser au printemps suivant. La larve de l’anthonome est plus expéditive : elle se métamorphose dès qu’elle a mangé sa fleur. Il lui est donc inutile de déménager. Comme les bêtes ne font rien d’inutile, le ver reste enfermé dans le bouton sec. Six semaines après la ponte, il en sort transformé en insecte et prend ses ébats d’un pommier à l’autre pendant toute la belle saison. Puis vient l’hiver.

Jules. — Ce doit être le moment difficile.

Paul. — Il en périt beaucoup ; mais il en reste cachés sous les mousses, dans les rides des écorces, parmi les feuilles sèches ; il n’en reste que trop pour détruire au printemps les boutons des pommiers.

L’anthonome du poirier et celui du cerisier ressemblent à celui que je viens de vous montrer. Ils ont des mœurs exactement pareilles.

Se débarrasser de ces destructeurs de fleurs n’est pas chose aisée. Si l’on n’avait à soigner qu’un petit nombre d’arbres faciles à visiter, on pourrait, à la rigueur, récolter et brûler les boutons secs habités par les larves. Par ce travail fastidieux, on sauverait quelques fruits de l’année suivante, sans jamais parvenir cependant à se délivrer des anthonomes, car ces insectes volent très bien et loin, et il en viendrait du voisinage quand il n’y en aurait plus chez vous. D’ailleurs la récolte des boutons piqués est impraticable en grand.

Jules. — Ces petits mangeurs de fleurs seront donc les maîtres dans nos vergers : ils nous détruiront en leur germe pommes et poires sans que nous puissions les détendre ?

Paul. — Ils seraient les maîtres, en effet, si nous n’avions de vigilants auxiliaires, des aides à l’œil perçant qui, de la pointe du jour au coucher du soleil, guettent les insectes et leur font la chasse avec une patience, une adresse, une assiduité dont aucun de nous ne serait capable.

Émile. — Ces aides, je ne les ai jamais vus.

Paul. — Vous les voyez à chaque instant, car ce sont les oiseaux. Sur un pommier fleuri, quand d’une branche à l’autre un oisillon sautille, gazouillant et becquetant, remerciez Dieu, mes enfants, de nous avoir donné la charmante créature dont chaque coup de bec nous délivre d’un ennemi. Je ne vous en dirai pas davantage sur cet admirable sujet ; je me propose d’y revenir un jour.