Ch. Delagrave (p. 179-182).

XXXIII

LES ENNEMIS DU TRÈFLE

Paul. — Voulez-vous en voir un autre qui, par sa petite taille et ses innombrables légions, brave nos colères et commet des ravages que peuvent seuls amoindrir nos auxiliaires agricoles, les ennemis de nos ennemis ? Le voici.

Jules. — Je le vois à son long bec : c’est encore un charançon.

Émile. — Oh ! comme il est petit ! Il ne doit pas lui en falloir beaucoup.

Paul. — Il est petit, mais si nombreux que, pour nourrir ses vers, il faut des champs de trèfle, non la plante entière, mais la fleur seulement, comme aux larves des anthonomes.

Émile. — Voyez-vous ça, les gourmands ! Il leur faut des fleurs, des fleurs tendres et parfumées.

Paul. — On le nomme l’apion du trèfle. Il atteint à peine trois millimètres de longueur. Le corps est un peu globuleux en arrière et entièrement noir. Vous connaissez le trèfle, vous savez que ses fleurs sont rassemblées en une tête ronde. On donne le nom de capitule, c’est-à-dire petite tête, à cet ensemble de fleurs. Eh bien ! l’apion pond ses œufs sur les capitules avant l’épanouissement des fleurs qui les composent.

Jules. — Sans percer une à une les fleurs avec le bec pour y loger les œufs ?

Paul. — L’apion ne prend pas ce soin. Les larves doivent se tirer d’affaire elles-mêmes. Aussitôt éclose, chacune perce à la base la fleur à sa convenance et pénètre dans l’intérieur. Une fois logée, elle mange le cœur du bouton, notamment ce qui serait devenu le fruit, la petite gousse avec sa graine. Cela fait, elle se métamorphose.

Un autre apion, tout aussi petit et tout aussi nombreux, prête main-forte au premier pour détruire les fleurs du trèfle. Il est tout noir, avec les pattes jaunes. Les deux pullulent dans les prairies artificielles. On les trouve rassemblés l’hiver au pied des arbres ; ils attendent que les trèfles fleurissent pour se mettre au travail.

Il semble que ces deux ravageurs suffiraient pour éprouver rudement la plante fourragère. Eh bien ! non : il y en a d’autres, de plus grands, de plus petits, tous acharnés sur le pauvre trèfle. On dirait que les insectes se sont donné le mot pour attaquer de préférence les plantes utiles à l’homme. Ils se mettent trois, quatre, dix, plusieurs centaines au besoin, pour ravager qui la fleur, qui la racine, qui les feuilles, qui la tige de nos végétaux les plus précieux. La vigne a ses chenilles, ses coléoptères, ses pucerons ; le froment nourrit des destructeurs encore plus variés, calandres, teignes, zabres, vers blancs, alucites, moucherons, taupins et tant d’autres ; rien que pour le poirier, on compte cinq cents ravageurs et plus !


Les ravageurs du trèfle.
1, Apion du trèfle : 1a, Larve ; 1b, Fleur attaquée ; 1c, Apion. — 2, Hylaste du trèfle. — 3, Lasie globuleuse : 3a, Larve ; 3b, Lasie ; 3c, Feuille attaquée. — 4, Noctuelle glyphique : 4a, Chenille ; 4b, Papillon.

Jules. — Ils veulent donc nous affamer ?

Paul. — Que vous dirais-je ? Ils y travaillent d’une effrayante manière. Pour quels motifs ? J’essayerai tantôt de vous le faire entrevoir ; mais avant, terminons l’histoire des ennemis du trèfle.

Celui-ci se nomme l’hylaste du trèfle. C’est un tout petit coléoptère brun, à élytres tronquées postérieurement comme chez les scolytes, avec lesquels il a une ressemblance prononcée. Il appartient, en effet, à la même famille. Pendant que les apions détruisent les fleurs, lui séjourne en terre et ronge les racines du trèfle.

Voilà les racines, les fleurs et leurs jeunes semences dévorées. Qui se chargera des feuilles ? — Moi, répond un petit coléoptère tout rond en dessus, plat en dessous, et qu’on nomme lasie globuleuse ; moi ; il faut que l’homme ne trouve rien à faucher après nous.

Vous connaissez bien la coccinelle, la petite bête rouge avec sept points noirs, enfin la bête à bon Dieu. Respectez-la tous quand vous la trouvez dans le jardin. Elle travaille pour nous, elle va d’une plante à l’autre, croquant les pucerons, ces poux ventrus qui se parquent en troupeaux innombrables sur les pousses tendres pour en sucer la sève. Elle mange nos ennemis, les poux des plantes, elle en raffole ; laissez-la faire.

L’insecte nommé lasie globuleuse est de la même famille que la coccinelle ; il est rond comme elle, et comme elle rouge avec des points noirs, mais disposés autrement et en général au nombre de douze sur chaque élytre. La larve est jaune, toute hérissée de poils ramifiés ressemblant à de petites branches d’épine. Ils vivent l’un et l’autre, non de pucerons, mais de feuilles, soit de trèfle, soit de vesce, soit de luzerne et de quelques autres plantes. Les mandibules des larves sont dentelées. Les traces qu’elles laissent sur les feuilles rongées ressemblent aux sillons que ferait un peigne à quatre dents.

Enfin qui se chargera des tiges ? — Ce seront diverses chenilles à solides mâchoires ; par exemple, la chenille de la noctuelle glyphique, assez joli papillon dont les ailes supérieures ont des taches irrégulières entourées d’un cordon gris clair sur un fond brun, et dont les ailes inférieures ont des taches rayonnantes d’un jaune pâle.

Sur toutes les parties du trèfle, tiges et fleurs, feuilles et racines, des affamés sont maintenant attablés. En ai-je terminé l’énumération ? Oh ! mon Dieu, non : il y en a d’autres, ne serait-ce que pour utiliser les débris dédaignés par les premiers.