Ch. Delagrave (p. 103-106).

XX

LE TAUPIN

Émile. — L’autre insecte, vous savez, celui que le carabe doré poursuivait et qui s’est mis à bondir sur le dos pour échapper, comment s’appelle-t-il ? que sait-il faire ?

Paul. — Nous l’appelons taupin, en d’autres pays on le nomme saute-marteau, les savants lui donnent le nom d’elater. Ces deux derniers termes font allusion à la faculté que possède l’insecte de bondir brusquement, de sauter en l’air pour se remettre sur les jambes quand il est sur le dos. Le taupin a les pattes courtes ; lorsque, par accident, il se trouve renversé sur le dos, il lui serait impossible de se relever si des moyens spéciaux ne le tiraient d’affaire. Que deviendrait le pauvre saute-marteau qui, le ventre en l’air, remuerait vainement ses courtes pattes sans pouvoir toucher le sol et prendre appui ? Je vous laisse à penser la fâcheuse position quand surtout le temps presse et qu’un carabe goulu vous menace. Chaque espèce, mes enfants, a ses ruses pour dérouter l’ennemi, son savoir-faire pour se tirer d’embarras. Le taupin a pour lui le ressort qui, en se détendant, le fait bondir et le remet sur les jambes.

Sous le corselet, entre les deux pattes de devant, se trouve une petite pointe dirigée en arrière. En face, sur le rebord de la poitrine, est une cavité où la pointe s’engage et reste tant qu’il n’est pas besoin de s’en servir. Mais si le taupin est renversé sur le dos, aussitôt le ressort joue. L’insecte, appuyant sur la tête et le bout des élytres, relève un peu et fait bâiller la jointure entre le corselet et la poitrine de manière que la pointe sort de sa gaine et vient s’arrêter sur le bord même du trou. Cela fait, par un effort brusque, l’insecte fait rentrer la pointe dans sa cavité, ce qui produit l’effet d’un ressort qui se détend. À la fois le corselet et les élytres choquent le sol, et l’insecte est lancé en l’air. S’il retombe sur les jambes, le taupin s’enfuit ; s’il retombe sur le dos, il recommence à faire jouer le ressort tant qu’il n’a pas réussi.

Le saute-marteau noir et jaune apporté par Émile fut mis sur la table, le ventre en l’air. Ah ! le voilà qui se plie et prépare sa mécanique. Toc ! il bondit à deux pouces de hauteur. Il retombe sur le dos ! Toc ! il retombe sur le ventre. Comme il court maintenant chercher vite un refuge ! Émile le remet sur le dos. Toc ! le taupin avec ses cabrioles lui ferait presque oublier sa toupie. L’oncle cependant n’oublie pas de compléter l’histoire du saute-marteau par des renseignements utiles.

Paul. — L’insecte qui paraît tant amuser Émile vit à l’état de larve dans le bois mort des saules. Il est inoffensif. Donnez-lui la liberté, qu’il a bien méritée. Mais il y a d’autres taupins, un surtout que je vous recommande : c’est le taupin des moissons, ravageur des céréales, de l’avoine principalement.

Sa couleur est brunâtre. Sa larve est un ver allongé, à peau coriace, luisante, d’une teinte jaune sale. C’est elle seule qui commet les dégâts. Elle vit dans la terre, deux ans pour le moins, et se nourrit des racines du blé. Le pied attaqué dépérit peu à peu, se fane et meurt. Pour nous défendre contre les larves des taupins nous n’avons guère que le secours des insectes carnassiers, ou carabiques, et celui des oiseaux, qui s’en nourrissent. En retournant les terres infectées, on expose les larves aux mandibules et au bec de leurs ennemis les plus actifs.


Taupin.
a, larve ; b, insecte sur le dos, à la position du saut.

D’autres taupins fréquentent les pépinières, les jardins fruitiers, et vivent à l’état de larves, aux dépens des racines des pommiers, des pruniers, des cerisiers, des poiriers ; d’autres attaquent les racines de la romaine et de la laitue ; d’autres rongent les racines des fleurs cultivées en pot. Toutes les larves de ces mangeurs de racines se ressemblent, et à très peu près rappellent celle que je viens de vous montrer. Vous êtes avertis : détruisez-les toutes les fois que l’occasion s’en présente, si vous voulez que le jardin continue à donner des poires, des cerises et de belles laitues.