Ch. Delagrave (p. 251-253).

XLV

L’HÉPIALE DU HOUBLON

Émile. — Quel est ce joli papillon placé dans votre boîte à côté d’une pyrale ? Il a les ailes argentées, bordées de rouge.

Paul. — C’est l’hépiale du houblon.

Émile. — Le houblon, n’est-ce pas la plante qui sert à faire la bière ?

Paul. — La bière, mon petit ami, ne se fait pas avec le houblon ; elle se fait avec de l’orge. On mouille légèrement le grain et on le tient dans un lieu à douce température. L’orge se met à germer, de même que si elle était en terre dans un champ. Pour nourrir la petite plante qui pousse et n’a pas encore de racines, il faut des vivres tout préparés, comme il faut le lait de sa mère au petit chat qui n’a pas encore les griffes nécessaires pour saisir les souris. Il en faut au froment qui lève, à l’avoine, au seigle, à toutes les graines enfin. Ces vivres, où sont-ils, s’il vous plaît ? Vous n’y avez jamais songé. Je vais vous le dire. La graine les porte avec elle. Il y a dans un grain d’orge, dans un grain de froment, une matière blanche qui, réduite en poudre au moulin, s’appelle farine.

Émile. — La plante qui lève se nourrit donc de farine ?

Paul. — Non : c’est trop grossier pour elle. La plante ne se nourrit pas à notre manière ; elle s’imbibe d’eau où se trouvent dissoutes, fondues, les substances propres à son alimentation. Mais la farine ne peut se fondre dans l’eau, vous le savez bien ; par conséquent la petite plante périrait de faim à côté de sa provision de vivres, si la farine n’était pas préparée d’une façon convenable, volontiers je dirais cuisinée.

Émile. — Ce doit être curieux, la cuisine d’un brin d’herbe.

Paul. — Plus merveilleux que vous ne pourriez le penser. Pendant que le brin d’herbe lève, la farine du grain devient du sucre, du vrai sucre, très doux, facile à se fondre dans l’eau ; de façon que la jeune plante pour se nourrir boit de l’eau sucrée, ou pour mieux dire une espèce de lait.

Émile. — Tiens, c’est vrai ; maintenant j’y songe. À la Noël, mère Ambroisine avait mis du blé germer dans une assiette en le tenant mouillé, sur la cheminée. Quand la feuille apparut, le grain était mou et s’écrasait sous les doigts. Il en sortait une espèce de lait très doux.

Paul. — L’homme utilise cet admirable changement de la farine en sucre pendant la germination pour fabriquer la bière. Il fait germer de l’orge. Quand il juge que toute la matière farineuse est devenue sucre, il fait vite mourir la plante, sinon le liquide sucré s’infiltrerait dans la jeune pousse et deviendrait de l’herbe par une nouvelle transformation. À cet effet, le grain germé est desséché dans une étuve. Puis il est réduit en poudre dans un moulin. La poudre d’orge germée s’appelle malt. Le malt est délayé dans l’eau que l’on maintient à une douce chaleur. Alors un autre changement s’accomplit. Le sucre devient de l’alcool, c’est-à-dire la substance même qui donne leur force à la bière et au vin.



1a, 1b, 1c, 1d, Pyrale de la vigne. — 2a, 2b, Pyrale des pommes. — 3a, 3b, Pyrale des prunes. — 4a, 4b, Pyrale brillante. — 5a, 5b, Pyrale des pois. — 6a, 6b, 6c, Bruche des fèves. — 7a, Bruche des pois : 7b, Pois attaqué. — 8, Tordeuse du prunier. — 9, Tordeuse du cerisier. — 10a, 10b, Tordeuse de Holm. — 11a, 11b, 11c, Hépiale du houblon. — 12a, 12b, 12c, Phalène effeuillante. — 13a, 13b, 13c, Phalène hyémale. — 14a, 14b, 14c, Coccinelle.

Jules. — La farine du grain se change donc en sucre, en herbe, en alcool, suivant la manière dont elle est traitée ?

Paul. — Elle peut se changer en bien d’autres choses. Bouillie avec de l’eau, elle devient de la colle ; devenue bière qu’on laisse s’aigrir à l’air, elle donne du vinaigre. Mais ce n’est pas le moment de s’entretenir de ces transformations. Revenons à la bière. Pour lui communiquer le goût amer et l’arôme qui lui sont propres, on emploie le houblon. L’orge est la matière première, le houblon est l’assaisonnement de la boisson.

C’est une plante à tige très longue et menue qui ne pourrait se soutenir en l’air sans l’appui d’un tuteur autour duquel elle s’enroule jusqu’à une dizaine de mètres d’élévation. Les feuilles ont les découpures de celles de la vigne ; les fruits consistent en cônes semblables de forme à ceux du pin, mais beaucoup plus petits et composés de minces écailles enduites d’une espèce de résine amère. Ce sont ces cônes que l’on fait entrer dans la préparation de la bière. Le houblon est l’objet d’une grande culture en Alsace et en Allemagne. Ses principaux ennemis sont deux chenilles, dont l’une ronge les racines et l’autre l’intérieur de la tige.

Les hépiales se distinguent entre tous les papillons nocturnes par leurs antennes très courtes. Leurs chenilles vivent en terre et se nourrissent de racines. La plus importante à connaître est l’hépiale du houblon. Le mâle a les ailes blanches, un peu argentées, bordées d’un liséré rougeâtre. La femelle a les ailes supérieures d’un jaune vif, avec les bords et deux bandes obliques fauves. La chenille est blanchâtre, couverte de petits tubercules jaunes que surmonte un poil noir. Elle fait de grands dégâts dans les houblonnières en rongeant les racines. Pour la détruire, on conseille d’arroser les pieds de houblon avec de l’eau dans laquelle on a délayé de la fiente de porc. L’infection de cet arrosage la fait périr.

Dans l’intérieur des tiges du houblon vit la chenille de la pyrale, que voici. Le papillon a les ailes supérieures d’un jaune obscur, avec une bande dentelée d’un jaune serin et plusieurs taches rouges. Les ailes inférieures sont blanches, bordées de jaunâtre et tachées de pourpre.

Émile. — À la suite de cette pyrale, il y en a deux autres dans votre boîte.

Paul. — Ce sont les pyrales de la garance et du pastel. La garance était autrefois cultivée pour sa racine, qui fournissait une matière tinctoriale rouge, la plus belle et la plus solide de toutes.

Émile. — Le fichu des dimanches de mère Ambroisine était teint avec de la garance ?

Paul. — Oui. En même temps que du rouge, il y a sur l’étoffe du noir, du rose, du grenat, du violet. La garance donnait toutes ces couleurs. On appliquait diverses drogues avec des moules en bois où étaient gravés les dessins que l’on voulait obtenir. Après cette préparation, le tissu était plongé dans l’eau bouillante où se trouvait de la racine de garance réduite en fine poudre. Toutes les couleurs se formaient à la fois, de teinte différente suivant la nature de la drogue appliquée. Ces couleurs, fort variées, avaient le grand avantage de ne jamais se ternir au soleil et de résister au savonnage ; aussi la garance fut-elle jadis la plus précieuse des matières employées en teinture. Ce fut une source de grandes richesses pour le département de Vaucluse et l’Alsace, seules contrées où l’on s’occupait de sa culture. Elle avait pour ennemie la pyrale que je vous montre. Au moment du sarclage, on détruisait sa chenille, qui rongeait le feuillage de la plante.

Le pastel est encore une plante tinctoriale. La matière verte de ses feuilles donne une belle couleur bleue par certaines préparations. La chenille d’une pyrale tordeuse ronge d’abord son feuillage, puis l’intérieur de la tige.