Ch. Delagrave (p. 247-250).

XLIV

LES TORDEUSES

Paul. — Beaucoup de pyrales, quand elles sont sous la forme de chenilles, tordent les feuilles des arbres, les plient dans le sens de la longueur, les roulent sur elles-mêmes en étuis ronds, en cornets, ou bien les rapprochent plusieurs ensemble avec des fils de soie pour se faire un abri et ronger en sécurité l’intérieur de leur habitation de verdure. Pour ce motif, on les nomme tordeuses. Celle dont il est le plus parlé, à cause de la gravité de ses dégâts, est la pyrale de la vigne.

C’est un petit papillon dont les ailes jaunes ont des reflets métalliques cuivreux et des bandes transversales brunes. Sa chenille est verdâtre, hérissée de quelques poils courts, avec la tête d’un vert foncé luisant. Au mois d’août, le papillon pond ses œufs sur les feuilles de la vigne, par petites plaques d’une vingtaine au plus. L’éclosion a lieu en septembre. À cette époque avancée de l’année, les chenilles ne prennent aucune nourriture ; elles se suspendent à un fil et attendent que l’agitation de l’air les pousse contre les ceps ou les échalas. Dès qu’elles ont pris pied sur l’appui désiré, elles se réfugient dans les rides de l’écorce et les fissures du bois. C’est là que les chenilles restent engourdies et passent l’hiver. Au réveil de la végétation, dès que la vigne déploie ses premières pousses, elles quittent leur retraite, envahissent le cep et enlacent de fils soyeux les jeunes grappes et les feuilles naissantes, pour les brouter avec l’appétit que donne un jeûne de cinq à six mois. Les dégâts vont vite avec de telles affamées. En quelques semaines, quand cette engeance abonde, la plus belle vigne est mise dans un état pitoyable, et tout espoir de récolte est perdu. On se souviendra longtemps des ravages que la pyrale fit de 1835 à 1840 dans les vignobles de la Bourgogne. Sur des étendues immenses, quand venait le moment de la vendange, on ne trouvait pas une grappe à mettre dans le panier. La famélique chenille ruinait le pays.

Louis. — On n’essaya rien pour se délivrer du fléau ?

Paul. — On essaya divers moyens qui n’eurent pas grand succès ; enfin l’un réussit, le plus simple et le moins coûteux de tous. Remarquons en passant, mes amis, de quel avantage est pour nous la connaissance des mœurs d’un insecte qui nous fait du tort. Si l’on n’avait pas étudié la manière de vivre de la pyrale, si l’on n’avait pas su que sa chenille se blottit dans les fissures des ceps et des échalas, où tout l’hiver elle reste engourdie, les vignes seraient peut-être encore dévastées par leur terrible ennemi. Cette particularité de mœurs bien reconnue, le remède ne se fit pas attendre.

Il consiste à échauder, en hiver, les ceps et les échalas avec de l’eau bouillante. L’eau est chauffée sur un foyer allumé au milieu de la vigne. Au moyen d’une cafetière, on en répand environ un litre sur chaque cep, de manière à bien atteindre toutes les parties où les chenilles ont pu se réfugier. Protégé par sa rude écorce, le cep ne souffre pas de ce lavage à l’eau bouillante ; quant aux chenilles, pas une ne résiste. Les vignobles échaudés de la Bourgogne furent si bien délivrés de la pyrale, qu’il n’a plus été parlé de dégâts calamiteux.

Jules. — Les pyrales ne pourraient-elles revenir aussi nombreuses que la première fois ?

Paul. — C’est douteux si, dès qu’elles apparaissent, on a recours à la cafetière d’eau chaude.

Les autres pyrales tordeuses de feuilles ont moins d’importance. La chenille de la tordeuse du prunier vit d’abord aux dépens des fleurs de cet arbre ; plus tard elle se construit un rouleau de feuilles qu’elle tapisse de soie. Le papillon a une large tache blanche à l’extrémité des ailes supérieures.

La tordeuse du cerisier a des mœurs à peu près semblables. Le papillon se reconnaît aux deux larges bandes obliques et couleur de rouille de ses ailes supérieures.

Sur les feuilles du poirier vit la tordeuse de Holm, qui porte une tache triangulaire blanche au milieu du bord des ailes supérieures.

Jules. — Je n’ai pas souvenir d’avoir vu dans les champs les papillons que vous nous montrez.

Paul. — Ils sont trop petits pour attirer l’attention de quelqu’un qui n’est pas averti.

Jules. — Ce que j’ai vu très souvent sur les arbres à fruits, les arbustes et toutes sortes de plantes, c’est le nid des chenilles tordeuses. Il y a des feuilles pliées en long de façon que les bords se rejoignent pour former un canal ; d’autres sont assemblées deux par deux, trois par trois et davantage. Il y en a de liées en grossier paquet, de tordues, de chiffonnées. Des fils de soie les retiennent ensemble. En ouvrant ces nids de feuilles et de soie, il m’est arrivé d’y trouver tantôt une chenille, et tantôt une araignée.

Paul. — Diverses araignées, trop peu riches en soie pour se tisser une grande toile propre à prendre les mouches, s’embusquent dans une cachette qu’elles construisent en assemblant par les bords deux ou trois feuilles voisines. Comme les chenilles tordeuses, elles emploient des fils de soie pour maintenir en place les pièces de leur habitation ; mais le but de leur travail est tout différent. Les tordeuses assemblent des feuilles pour ronger en paix l’intérieur de l’abri ; les araignées les assemblent pour s’en faire un simple domicile, un lieu d’embuscade d’où elles se jettent sur les insectes qui passent à portée.

Jules. — Les araignées qui se font un nid avec des feuilles rapprochées ne nuisent donc pas aux arbres ?

Paul. — Volontiers je croirais qu’elles leur sont utiles. Ce sont de vigilants gardiens toujours aux aguets des mouches, moucherons, petits papillons et autres ravageurs qui viendraient infester les arbres de leurs œufs.