Les Ravageurs/XLIX
XLIX
LES PSYLLES
Jules. — Les pucerons, que mangent-ils ? Je ne les ai jamais vus ronger les feuilles.
Paul. — Ils ne les rongent pas, ils en boivent la sève au moyen d’un suçoir pointu, court et très fin, qu’ils portent appliqué contre la poitrine quand ils ne s’en servent pas. L’insecte implante son suçoir dans la feuille, et des journées entières, sans changer de place, s’abreuve des humeurs du point piqué. Lorsque ce point est épuisé, il passe à un autre, mais sans se déplacer beaucoup. Le puceron est ami de l’immobilité. Faire le tour d’un rameau gros comme le petit doigt est un long voyage dont bien peu s’aventurent à courir les périls ; quelques pas en avant pour faire place en arrière à leurs cinquante fils à mesure qu’ils sont pondus, c’est tout ce qu’ils osent entreprendre. Les pucerons de la dernière génération, vous ai-je dit, ont des ailes et pondent des œufs qui renouvellent au printemps la race anéantie par les froids de l’hiver. Ceux-là ne sont pas casaniers comme les autres, volontiers ils quittent la feuille natale pour voir du pays. Il est de leur devoir de voyager de côté et d’autre pour disséminer leurs œufs de façon qu’au printemps suivant toutes les plantes aient leurs pucerons. Pour remplir ce devoir, ils sont expressément pourvus d’ailes. On a vu des nuées de ces pucerons voyageurs assez épaisses pour obscurcir la lumière du jour.
Beaucoup d’autres insectes ont, comme les pucerons, un suçoir droit et pointu qui s’implante dans l’objet dont l’animal boit les sucs, et s’applique contre la poitrine quand il ne fonctionne pas. La cigale nous en fournit un très bel exemple, ainsi que les grandes punaises que l’on trouve sur les arbres et sur une foule de plantes. Ces punaises se nomment pentatomes.
Le chou en nourrit deux : le pentatome élégant, qui est rouge avec de nombreuses taches noires ; et le pentatome des choux, qui est d’un vert bleuâtre avec quelques points blancs ou rouges.
Les pentatomes ont quatre ailes. Les deux supérieures recouvrent les autres à l’état de repos. Elles sont dures à la manière des élytres des coléoptères dans leur moitié antérieure, membraneuses et fines dans leur moitié postérieure. Cette structure en fait à moitié des élytres, à moitié des ailes propres au vol. Pour rappeler ce trait d’organisation, on donne aux punaises, aux pentatomes et aux insectes qui leur ressemblent le nom général d’hémiptères, signifiant demi-ailes.
Les cigales sont encore des hémiptères, ainsi que les pucerons ; cependant leurs ailes supérieures (je parle des pucerons ailés, bien entendu), au lieu d’être à demi dures, à demi fines comme le sont celles des pentatomes, ont la même finesse et la même transparence dans toute leur étendue. Mais ces insectes ont le caractère le plus saillant des pentatomes, celui qui détermine la manière de vivre de l’animal, savoir le bec propre à sucer. Nous appellerons donc hémiptères tous les insectes armés d’un suçoir pointu, appliqué tout de son long contre la
poitrine pendant le repos, sans nous préoccuper des ailes à demi ou en totalité membraneuses.
Jules. — Les hémiptères forment un ordre ?
Paul. — Ils forment un ordre, marchant de pair avec celui des coléoptères, celui des lépidoptères, celui des hyménoptères, celui des diptères, etc.
Les hémiptères ne subissent pas des métamorphoses aussi nettes que les autres insectes ; ils naissent à peu près avec la forme qu’ils doivent toujours posséder. Le plus grand changement consiste dans l’apparition des ailes, que l’insecte n’a pas au début, mais qu’il acquiert plus tard quand il a suffisamment grandi. Quelquefois plusieurs générations se succèdent avant que l’espèce arrive à l’état ailé, qui est l’état parfait. Les pucerons sont dans ce cas. Les premières générations de l’année sont dépourvues d’ailes, la dernière seule est ailée.
Un hémiptère dont les mœurs rappellent un peu celles des pucerons cause des dommages aux poiriers. C’est le psylle, petit insecte de couleur rougeâtre, portant des ailes diaphanes rapprochées en toit pendant le repos. Il apparaît sur les poiriers, plus rarement sur les pommiers, vers la fin d’avril. Les œufs sont déposés un à un dans de légères entailles que la femelle pratique sur la queue des feuilles avec une petite tarière dont le bout du ventre est armé. Les larves qui en proviennent grandissent rapidement. Elles ne diffèrent de l’insecte parfait que par le manque d’ailes. Par un changement de peau, ces larves deviennent des nymphes courtes et larges, portant déjà sur les côtés des moignons qui plus tard, à la suite d’une dernière mue, seront les ailes de l’insecte parfait. Psylles, nymphes et larves implantent leur suçoir dans l’écorce tendre ou dans les feuilles, et sucent la sève de l’arbre. Le meilleur moyen de les détruire est de promener une brosse dure sur les parties de l’écorce où ils se tiennent en troupes.