Les Ravageurs/X
X
LES COLÉOPTÈRES
Le cossus remis dans la boîte, Jules sortit de ses poches des morceaux d’écorce et de bois dont les curieux sillons disposés avec un certain art avaient attiré son attention.
Jules. — Et ceci ?
Paul. — Encore une excellente trouvaille. Les rainures dont ces morceaux de bois sont gravés ont été creusées par la larve d’un petit scarabée qu’on appelle scolyte. Auriez-vous trouvé l’insecte ? C’est maintenant à peu près la fin de ses métamorphoses et l’époque de son apparition, car nous voici au mois de mai.
Jules. — C’est peut-être le scarabée que j’ai mis dans cette boîte. Il y en avait qui montraient la tête par un petit trou rond percé dans l’écorce de l’orme.
Jules ouvrit la boîte où se démenaient les captifs.
Paul. — C’est lui, c’est le scolyte destructeur, l’ennemi acharné des ormes malades. Examinons la bestiole en détail ; elle en vaut la peine. Mais d’abord apprenons quelques expressions qui nous seront très commodes pour abréger. Vous savez tous comment est fait le hanneton ?
Émile. — Le hanneton, qui, la patte retenue par un fil, compte ses écus au soleil et part quand je lui chante : « Vole, vole ? »
Paul. — Lui-même. Son corps est divisé en trois parties. D’abord la tête, qui porte deux élégantes cornes ou antennes terminées par des feuillets qui s’étalent en éventail. La partie qui vient après est généralement noire, comme la tête, quelquefois brune et toujours revêtue d’un duvet cendré. Elle porte en dessous la première paire de pattes. Cette partie s’appelle corselet. Ce qui vient ensuite est l’abdomen ou le ventre, recouvert par deux grandes écailles d’un brun rougeâtre.
Louis. — Ce tout petit demi-rond noir qui se trouve en arrière du corselet, juste au commencement de la ligne de séparation des ailes ?
Paul. — Il se nomme écusson.
Émile. — Et toutes les parties d’une petite bête ont, comme cela, un nom ?
Paul. — Il le faut bien, si l’on veut se reconnaître un peu. Le hanneton a deux paires d’ailes, se recouvrant l’une l’autre. La paire extérieure forme les deux grandes écailles rougeâtres qui en dessus abritent le ventre. Ce sont les élytres. En dessous des élytres se trouvent les véritables ailes, celles qui servent au vol. Elles sont fines, membraneuses et délicatement repliées en deux quand l’insecte n’en fait pas usage. Les élytres, de consistance dure, leur servent d’étui, de fourreau, pour qu’elles ne se déchirent pas.
Jules. — J’ai souvent remarqué avec quel soin, lorsqu’il se pose, le hanneton replie ses ailes et les rentre sous les élytres.
Émile. — Lorsqu’il compte ses écus, au moment de prendre le vol, le hanneton soulève un peu les élytres ; les ailes sortent, s’étalent, et voilà la bête partie.
Paul. — Une foule d’insectes ont pareillement deux paires d’ailes, dont l’inférieure seule est de structure membraneuse et sert au vol, tandis que l’autre est dure, de la consistance de la corne, et forme une espèce de cuirasse. Dans le langage vulgaire, ces insectes se nomment scarabées, et coléoptères dans le langage des savants. Le mot coléoptère signifie ailes en étui ; il fait allusion aux ailes dures ou élytres qui servent d’étui aux ailes membraneuses, les seules aptes au vol.
Jules. — Alors le capricorne est un coléoptère.
Émile. — Et le cerf-volant aussi. Une épingle a de la peine à percer ses élytres, tant elles sont dures. Voilà une fameuse cuirasse pour défendre les fines ailes qu’il y a dessous.
Louis. — La jardinière en est une autre. Ses élytres sont vertes et reluisent comme de l’or.
Paul. — Tous ces insectes sont bien des coléoptères, seulement la jardinière n’a pas d’ailes membraneuses sous les élytres. Elle court rapidement, mais elle ne vole jamais. Divers autres coléoptères sont dans le même cas : leurs élytres protègent le ventre sans abriter des ailes propres au vol. Pourvus ou dépourvus d’ailes membraneuses, les coléoptères se reconnaissent toujours à la cuirasse de leurs élytres. Volontiers on les appellerait les insectes cuirassés, d’autant plus que tout le corps est défendu par une peau résistante, souvent d’aspect métallique. On dirait une espèce d’armure qui les revêt de pied en cap.
Jules. — Pour sûr, le papillon n’est pas un coléoptère, lui si délicat.
Paul. — Comme le hanneton, les papillons ont quatre ailes ; mais toutes les quatre ont même finesse et servent également au vol. En outre, ces ailes sont recouvertes d’une sorte de poussière qui s’attache aux doigts quand on les touche. Vous savez avec quel ordre merveilleux les écailles argentées sont disposées sur la peau des poissons. Eh bien, la poussière des papillons est formée de fines écailles de toute forme, de toute couleur, arrangées sur les ailes avec un art semblable. Pour rappeler cette structure, les savants donnent aux papillons le nom de lépidoptères, qui veut dire ailes écailleuses.
Jules. — Tous les papillons alors sont des lépidoptères ?
Paul. — Parfaitement. Quand vous trouverez cette expression dans les livres, rappelez-vous qu’elle désigne les papillons.