Ch. Delagrave (p. 37-41).

VIII

LA CHRYSALIDE

Paul. — Une fois enclose dans son cocon, la chenille se flétrit et se ride comme pour mourir. D’abord, la peau se fend sur le dos ; puis, par des trémoussements répétés qui tiraillent d’ici, qui tiraillent de là, le ver s’écorche douloureusement. Avec la peau tout vient : casque du crâne, mandibules, yeux, pattes, estomac et le reste. C’est un arrachement général. La guenille du vieux corps est enfin repoussée dans un coin du cocon.

Que trouve-t-on alors dans la cellule de soie ? Une autre chenille, un papillon ? — Ni l’un ni l’autre. On trouve un corps en forme d’amande, arrondi par un bout, pointu par l’autre, de l’aspect du cuir et nommé chrysalide. C’est un état intermédiaire entre la chenille et le papillon. On y voit certains reliefs qui déjà trahissent la forme de l’insecte futur : au gros bout, on distingue les antennes et les ailes étroitement appliquées en écharpe sur la chrysalide.

Les larves du hanneton, du capricorne, du cerf-volant et des autres scarabées passent par un état analogue, mais avec des formes mieux accentuées. Les diverses parties de la tête, les ailes, les pattes, délicatement repliées sur les flancs, sont très reconnaissables. Mais tout cela est immobile, tendre, blanc, ou même transparent comme le cristal. Cette ébauche d’insecte s’appelle nymphe.

L’expression de chrysalide usitée pour les papillons et l’expression de nymphe usitée pour les autres insectes signifient une même chose sous des apparences un peu différentes. La chrysalide et la nymphe sont, l’une et l’autre, l’insecte en voie de formation, l’insecte étroitement emmailloté dans des langes sous lesquels s’achève l’incompréhensible travail qui doit changer de fond en comble la structure première.

En une vingtaine de jours, si la température est propice, la chrysalide du ver à soie s’ouvre ainsi qu’un fruit mûr, et de sa coque fendue s’échappe le papillon, tout chiffonné, tout humide, pouvant à peine se tenir sur ses jambes tremblantes. Il lui faut le grand air pour prendre des forces, pour étaler et sécher ses ailes. Il lui faut sortir du cocon. Mais comment s’y prendre ? La chenille a fait le cocon si solide, et le papillon est si faible ! Finira-t-il dans la prison, le pauvret ? Il valait bien la peine de se donner tant de mal pour étouffer dans la cellule close, une fois le but atteint !

Émile. — Tiens, c’est vrai, le voilà bien embarrassé. Comment fera-t-il pour percer sa prison de soie ? La zeuzère n’a pas ce souci ; le papillon s’envole par la fenêtre ouverte dans le bois.

Paul. — Vous voyez qu’en ne se filant pas de cocon, qui du reste lui serait inutile, la zeuzère s’évite plus tard de sérieux embarras.

Émile. — Avec les dents, le papillon ne peut-il déchirer le cocon ?

Paul. — Mais, naïf enfant, il n’en a pas, ni rien qui en approche. Il n’a qu’une trompe, incapable du moindre effort.

Émile. — Avec les griffes alors ?

Paul. — Oui, s’il en avait d’assez robustes. Le malheur est qu’il n’en a pas.

Jules. — Cependant, il doit pouvoir sortir de là.

Paul. — Sans doute, il en sortira. Toute créature


Grillon (Gryllus campestris).


n’a-t-elle pas ses ressources dans les moments difficiles de la vie ? Pour briser la coque de l’œuf qui le retient prisonnier, le tout petit poulet a sur le bout du bec un durillon fait exprès, et le papillon n’aurait rien pour ouvrir son cocon ! Oh ! que si. Mais vous ne sauriez soupçonner le singulier outil dont il va se servir. Il va se servir de ses yeux.

Jules. — De ses yeux ?

Paul. — Oui. Les yeux des insectes sont recouverts d’une calotte de corne transparente, dure et taillée à facettes. Il faut un verre grossissant pour distinguer ces facettes, tant elles sont fines ; mais, si fines qu’elles soient, elles n’ont pas moins de vives arêtes, dont l’ensemble constitue au besoin une râpe. Le papillon commence donc par humecter avec une goutte de salive le point du cocon qu’il veut attaquer ; et puis, appliquant un œil sur l’endroit ainsi ramolli, il tourne sur lui-même, il cogne, il gratte, il lime. Un à un, les fils de soie cèdent à la râpe. Le trou est fait, le papillon sort du cocon. Que vous en semble ? Les bêtes parfois n’ont-elles pas de l’esprit comme quatre ? Qui de nous se serait avisé de forcer les murs d’une prison en les cognant de l’œil ?

Émile. — Le papillon doit avoir bien cherché pour arriver à ce moyen ingénieux ?

Paul. — Je vous le répète encore : le papillon ne cherche pas, ne réfléchit pas. Il sait immédiatement faire et très bien faire ce qui le concerne. Un autre a réfléchi pour lui.

Émile. — Et qui ?

Paul. — Dieu lui-même, Dieu, le grand savant qui a doué chaque espèce de l’instinct nécessaire à sa conservation.

Le papillon du ver à soie n’a rien de gracieux. Il est blanchâtre, ventru, lourd. Il ne vole pas, comme les autres, de fleur en fleur, car il ne prend aucune nourriture. Aussitôt sorti du cocon, il se met à pondre ses œufs, puis il meurt. Les œufs du ver à soie s’appellent vulgairement graines, expression fort juste, car l’œuf est la graine de l’animal comme la graine est l’œuf de la plante. Œuf et graine se correspondent.

Tous les insectes à métamorphoses passent par les quatre états que je viens de vous faire connaître : œuf, larve ou chenille, chrysalide ou nymphe, insecte parfait. L’insecte parfait pond ses œufs, et la série des transformations recommence. C’est ce qu’on nomme métamorphose complète. Mais il y a des espèces qui arrivent plus rapidement à leur forme finale, sans passer par tous ces états. Les sauterelles, les criquets, les grillons, par exemple, ont au sortir de l’œuf à très peu près la forme de l’animal parfait ; seulement leurs ailes ne sont pas développées et se réduisent à de petits moignons figurant une courte jaquette. Plus tard, à la suite d’un changement général de peau, les moignons s’allongent, s’étalent et deviennent de grandes ailes recouvrant tout le ventre. Là se borne la transformation qu’on appelle métamorphose incomplète, ou demi-métamorphose.