Les Rêves et les moyens de les diriger/I-III
III
Les visions que nous avons en songe peuvent se définir, je crois : la représentation aux yeux de notre esprit des objets qui occupent notre pensée.
Notre mémoire, pour me servir d’une comparaison empruntée aux découvertes de la science moderne, est comme la glace recouverte de collodion, qui garde instantanément l’impression des images projetées sur elle par l’objectif de la chambre noire. L’instrument était-il bien au point ? l’image a-t-elle été bien nettement projetée ? le cliché fournira des images claires et précises chaque fois qu’on lui en voudra demander. L’image, au contraire, a-t-elle été perçue vaguement, en des conditions défavorables de lumière, de distance, d’impressionnabilité ; ou bien a-t-elle passé trop rapidement pour qu’il en puisse demeurer une trace bien marquée ? on n’obtiendra du cliché que de vagues silhouettes, des ombres indécises, et des traits confus.
La mémoire a d’ailleurs sur l’appareil photographique cette merveilleuse supériorité qu’ont les forces de la nature de renouveler elles-mêmes leurs moyens d’action. Sa glace est toujours prête à retenir (avec le plus ou moins de netteté qui résulte du temps et des circonstances) tout ce qui vient à s’y réfléchir. Pour chacun de nous il en est, enfin, de ces immenses casiers, où tant de souvenirs s’accumulent, comme il en est pour le photographe des armoires profondes où s’amoncèle la collection de ses clichés. Il est tel de ces clichés que vous pourriez montrer parfois à l’opérateur lui-même sans qu’il le reconnaisse, ni qu’il s’en souvienne, alors qu’un laps de plusieurs années en a fait passer des milliers d’autres sous ses yeux. Combien il nous serait plus difficile encore de connaître tout ce que peuvent renfermer les insondables profondeurs de la mémoire où les clichés-souvenirs s’emmagasinent à l’infini, à tous les instants de notre vie, et la plupart du temps à notre insu. Autre chose est posséder, autre chose est savoir que l’on possède. Autre chose est se souvenir, autre chose est savoir que l’on se souvient.
Ayant ainsi indiqué comment s’opère, selon moi, la formation de ce que j’ai appelé le cliché-souvenir, je poserai dès à présent trois propositions, qui sont comme le résumé de ce qui précède :
1° Le plus ou moins de netteté des images que nous voyons en songe dépend, le plus souvent, de la perfection plus ou moins grande avec laquelle le cliché-souvenir s’est originairement formé[1].
2° Lorsque nous croyons apercevoir en songe des personnages ou des choses dont nos yeux n’auraient eu jusqu’alors aucune notion, cela tient uniquement à ce que nous avons perdu le souvenir direct des circonstances qui présidèrent à la formation des clichés-souvenirs auxquels ces visions sont dues, ou que nous ne reconnaissons pas le type primitif sous une forme modifiée par le travail de l’imagination.
Nous sommes, à leur égard, dans la situation de l’homme qui possède sans s’en douter, mais, en modifiant un axiome célèbre, on pourrait dire :
Nihil est in visionibus somniorum quod non priùs fuerit in visu.
3° La nature des clichés-souvenirs, dont notre mémoire s’approvisionne, exercera sur nos rêves une influence énorme. Les relations habituelles, le milieu dans lequel on vit, les spectacles de toute sorte auxquels on assiste, les peintures, les albums que l’on regarde, et jusqu’aux lectures que l’on fait sont autant d’occasions pour la mémoire de multiplier indéfiniment ses clichés-souvenirs. Ce qui n’était que l’œuvre d’un artiste prendra bien souvent en songe le corps et les apparences d’une réalité ; de telle façon qu’alors, à proprement parler, nous rêverons en effet à des personnages imaginaires ; mais n’est-ce point encore exactement ce qui s’opère dans la vie réelle, quand nous laissons courir l’imagination à la recherche de quelque conception relativement nouvelle ? Qu’est-ce que créer pour l’homme ? Qu’est-ce qu’inventer, en peinture, en littérature, en poésie ? N’est-ce point combiner et réunir dans un nouvel ensemble les divers moyens de séduction dont les éléments nous sont fournis par notre mémoire, c’est-à-dire par nos clichés-souvenirs ?
Entre penser et rêver, cette énorme différence existe toutefois, que l’éclat du jour et du monde ambiant, dans la vie réelle, ne permet jamais à nos simples conceptions de revêtir une forme nette et certaine[2], tandis que, dans le rêve, quand les volets sont fermés à la lumière du dehors, il n’est point de pensée relative à un objet réel qui ne soit accompagnée de son image solidaire, tout ce que nous imaginons se montrant aussitôt avec le plus ou moins de netteté que comportent les clichés-souvenirs.
Mais comment s’établit en rêve le cours des idées ? Par quelles causes la pensée est-elle déterminée à se porter sur tels ou tels objets ? Nous allons l’examiner tout à l’heure, après que nous aurons épuisé quelques préliminaires obligés.
Voyons d’abord, à l’appui des trois propositions qui précèdent, quels exemples mon journal pourra me fournir :
Ma première remarque s’appliquait à un fait que chacun a pu constater maintes fois, à savoir, que s’il est des visions d’une netteté parfaite, il en est d’autres, et en grand nombre, qui semblent confuses, indécises, et comme enveloppées de brouillard. Quand c’est tout l’ensemble du rêve qui se montre ou nébuleux ou vivement dessiné, la cause en est fort souvent dans le plus ou moins d’intensité du sommeil, ce qui s’explique très-aisément ; mais lorsqu’à côté d’une vision claire, une autre vient se placer vague et obscure, quelle en est la raison ?
Les théoriciens qui savent trouver dans le système nerveux l’explication de toute chose, ne seront assurément pas embarrassés pour vous répondre. Ils vous diront que cela tient à ce que la racine de la fibre cérébrale, qui vous transmettait la figure confuse, n’était pas aussi fortement ébranlée que la racine d’une autre fibre, qui a évoqué des contours précis ; et tant pis pour vous si vous n’êtes pas complètement satisfait d’une explication aussi heureuse. Pour moi, je réponds humblement : j’ignore ce qui se passe à la racine de mes fibres cérébrales, mais voici ce qui s’est passé dans le domaine ouvert à mes appréciations plus modestes :
Vis-à-vis de mes fenêtres était un atelier de fleuristes. L’une d’elles me causait beaucoup de distractions, au temps où j’écrivais mes songes ; mes yeux quittaient bien souvent Tacite pour se tourner de son côté ; et cependant l’imagination jouait un grand rôle dans cette admiration contemplative, car une cour et un jardin séparaient notre maison de celle qu’elle habitait, et quelque pénétrants que fussent mes regards, je ne parvenais à saisir qu’un gracieux ensemble dont les traits demeuraient toujours un peu indécis. Cette préoccupation attrayante ne pouvait manquer, on le pense bien, de se reproduire quelquefois dans mes rêves. J’en trouve huit, durant la troisième année de mes annotations journalières, où l’intervention de ma voisine est mentionnée au milieu d’incidents très-variés. Deux fois je l’aperçois seulement de mes fenêtres, comme il advenait chaque jour en réalité ; d’autres fois je me crois transporté dans l’atelier où elle travaille ; je la rencontre à sa porte ; je me figure qu’elle est à la campagne chez mes parents ; je cause avec elle, je la vois enfin de très-près. Partout où il est question d’elle, mon journal consigne invariablement le regret que j’ai ressenti de n’avoir pu nettement distinguer sa physionomie, qu’une gaze importune ou qu’une ombre légère semblait toujours voiler à demi.
Ailleurs, dans ce même journal de mes songes, l’image d’un vieux mendiant d’une figure étrange, qui nous avait demandé l’aumône un soir avec des paroles bizarres, est signalée comme m’étant réapparue trois fois, non sans m’impressionner assez vivement. Les songes au milieu desquels il se montre sont des plus clairs et des plus minutieusement perçus. Cependant la figure du vieux bohémien ne sort jamais de la demi-teinte. Le cliché-souvenir, demeuré confus dès son principe, ne saurait fournir une image plus nette qu’il ne le comporte, et, fût-elle appelée par l’association des idées à se produire parmi plusieurs autres d’une netteté parfaite, cette image essentiellement indécise ne ferait que mieux ressortir le contraste, si commun dans les rêves, de tableaux pleins d’une vigueur extrême à côté d’autres à peine esquissés.
Ces deux exemples auront suffi pour caractériser cette première remarque, appuyée d’ailleurs dans mes notes par une infinité d’autres observations.
Je passe à la seconde proposition, qui n’est pas la moins importante à bien établir, celle où j’avance que toutes les images de nos songes émanent des clichés recueillis dans la vie réelle. Comme elle se lie intimement à la troisième proposition relative à la façon dont notre mémoire se meuble, je vais donner quelques exemples qui pourront s’appliquer à toutes les deux.
Parmi les lecteurs qui me feront l’honneur de parcourir ce livre, ne s’en rencontrera-t-il point qui se soient demandé parfois comment, n’étant ni architectes, ni sculpteurs, ni peintres, ils ont pu entrevoir, dans leurs rêves, des édifices d’un style remarquable, des peintures ou des statues d’une perfection rare, conçus, en apparence du moins, par la seule force de leur imagination. Ce fait qu’un homme qui ne saurait, dans l’état de veille, crayonner le moindre bonhomme ni esquisser une simple maisonnette, deviendrait tout à coup, par la seule vertu du sommeil, capable d’inventer des palais splendides et de composer des tableaux de maître serait un fait capital, un fait exorbitant, qu’on veuille bien y faire attention. Je m’étonne même extrêmement de ne le voir examiné par aucun des auteurs dont les écrits sur le sommeil et les songes me sont tombés sous les yeux. Néanmoins ce fait primordial ne pouvant, je crois, être contesté, que l’on aperçoive de temps en temps, dans le panorama des songes, des monuments et des ouvrages d’art d’une conception fort au-dessus des facultés ordinaires d’invention du songeur, et dont il lui semble cependant n’avoir eu jusqu’alors aucune idée, la logique nous conduit à cet inévitable dilemme, ou d’accorder une puissance vraiment surnaturelle à l’imagination de l’homme endormi, ou de reconnaître qu’il devait posséder à son insu déjà, dans les arcanes de sa mémoire, tous les clichés-souvenirs capables de fournir ces remarquables visions.
Poser une telle question c’est la résoudre. Le surnaturel ne peut jouer aucun rôle dans un recueil d’observations pratiques comme celui-ci. Voyons donc ce que nous dira l’expérience, à l’appui de la réponse qu’on s’est déjà faite ?
Les nombreux dessins coloriés du journal de mes rêves m’ont permis plusieurs fois de retrouver, après un laps de temps assez considérable, le type originaire de certaines visions dues au souvenir de quelque gravure, de quelque site, ou de quelque passant. Dans une visite à la campagne, chez un parent que nous allions voir de loin en loin, je reconnus une fois, appendue aux murs d’un corridor, une vieille caricature sur laquelle semblaient calqués les traits et l’accoutrement d’une sorte de fantôme qui m’était apparu en songe deux ans auparavant. Plus d’une année s’était écoulée entre l’époque où j’avais dû jeter un coup d’œil sur cette caricature, et celle où l’impression que j’en avais évidemment conservée s’était ravivée durant mon sommeil. Le souvenir en paraissait pourtant dès lors bien effacé, puisque j’avais pu dessiner et colorier le fantôme de mon rêve, sans me douter que rien de semblable eût jamais passé devant mes yeux.
Un fait plus extraordinaire, et qui pourrait presque s’appeler une aventure, devait me frapper quelques mois plus tard. J’étais entré désormais dans une période où je ne rêvais guère sans en avoir parfaitement la conscience [3]. Je fis un songe très clair, très suivi, très précis, pendant lequel je me figurais être à Bruxelles (où je n’étais jamais allé). Je me promenais tranquillement, parcourant une rue des plus vivantes, bordée de nombreuses boutiques dont les enseignes bigarrées allongeaient leurs grands bras au-dessus des passants. « Voici qui est bien singulier, me disais-je, il n’est vraiment pas présumable que mon imagination invente absolument tant de détails. Supposer comme les Orientaux que l’esprit voyage tout seul, tandis que le corps sommeille, ne me semble pas davantage une hypothèse à laquelle on puisse s’arrêter. Et cependant je n’ai jamais visité Bruxelles, et cependant voilà bien en perspective cette fameuse église de Sainte-Gudule que je connais pour en avoir vu des gravures. Cette rue, je n’ai nullement le sentiment de l’avoir jamais parcourue, dans quelque ville que ce soit. Si ma mémoire peut garder, à l’insu même de mon esprit, des impressions si minutieuses, le fait mérite d’être constaté ; il y aura là très certainement le sujet d’une vérification curieuse. L’essentiel est d’opérer sur des données bien positives, et par conséquent de bien observer. » Aussitôt je me mis à examiner l’une des boutiques avec une attention
extrême, de telle sorte que, si je venais un jour à la reconnaître, le moindre doute ne pût me rester. Ce fut celle d’un bonnetier, devant laquelle je me figurais être, qui devint le point de mire des yeux de mon esprit ouverts sur ce monde imaginaire. J’y remarquai d’abord, pour enseigne, deux bras croisés, l’un rouge et l’autre blanc, faisant saillie sur la rue, et surmontés en guise de couronne d’un énorme bonnet de coton rayé. Je lus plusieurs fois le nom du marchand afin de le bien retenir ; je remarquai le numéro de la maison, ainsi que la forme ogivale d’une petite porte, ornée à son sommet d’un chiffre enlacé. Puis, je secouai le sommeil par ce violent effort de volonté qu’on peut toujours faire quand on a le sentiment d’être endormi, et, sans laisser le temps de s’effacer à ces impressions si vives, je me hâtai d’en consigner et d’en dessiner tous les détails avec un grand soin. Quelques mois plus tard, je devais avoir l’occasion de visiter Bruxelles, et je n’épargnerais aucune peine pour éclaircir un fait qui, de prime-abord, sans que je m’en pusse défendre, m’inspirait les plus fantastiques suppositions. J’attendis l’époque où ma famille devait se rendre en Belgique avec une indicible impatience. Elle arriva. Je courus à l’église de Sainte-Gudule, qui me parut une vieille connaissance ; mais, quand je cherchai la rue des enseignes multiformes et de la boutique rêvée, je ne vis rien, absolument rien qui s’en rapprochât. En vain je parcourus méthodiquement tous les quartiers marchands de cette ville coquette ; il fallut reconnaître l’inutilité de mes recherches et me résigner à y renoncer. À dire vrai, j’aurais été plus effrayé qu’enchanté d’une réussite inespérée, qui m’eût jeté nécessairement dans les régions de la fantaisie et du merveilleux. Je savais désormais que je n’avais à faire qu’à un phénomène psychologique probablement explicable ; et, sans prévoir s’il me serait jamais donné d’en saisir l’explication précise, je reprenais avec plus de calme l’analyse consciencieuse des phénomènes accessibles à l’investigation humaine.
Plusieurs années s’écoulèrent. J’avais presque oublié cet épisode de mes préoccupations d’adolescent, lorsque je fus appelé à parcourir diverses parties de l’Allemagne, où j’étais allé déjà durant mes plus jeunes ans. Je me trouvais donc à Francfort, fumant tranquillement une cigarette après mon déjeuner, marchant devant moi sans m’être tracé aucun itinéraire. J’entrai dans la rue Judengasse, et tout un ensemble d’indéfinissables réminiscences commença vaguement à s’emparer de mon esprit. Je m’efforçais de découvrir la cause de cette impression singulière ; tout à coup je me rappelai le but de mes inutiles promenades à travers Bruxelles. Sainte-Gudule assurément ne se montrait plus en perspective ; mais c’était bien la rue dessinée dans le journal de mes rêves ; c’étaient bien les mêmes enseignes capricieuses, le même public, le même mouvement qui m’avaient jadis si vivement frappé pendant mon sommeil. Une maison, je l’ai dit, avait été surtout de ma part l’objet d’un examen minutieux. Son aspect et son numéro s’étaient fortement gravés dans ma mémoire. Je courus donc à sa recherche, non sans une émotion véritable. Allais-je rencontrer une déception nouvelle, ou bien au contraire saisir le dernier mot de l’un des problèmes les plus intéressants que je me fusse posé ? Qu’on juge de mon étonnement, et tout à la fois de ma joie, quand je me vis en face d’une maison si exactement pareille à celle de mon ancien rêve, qu’il me semblait presque avoir fait un retour de six ans en arrière et ne m’être point encore éveillé. À Paris, j’aurais eu bien des chances pour ne plus retrouver ni cette porte caractéristique, ni son vieux couronnement, ni l’enseigne traditionnelle avec l’immuable nom du commerçant. Mais à Francfort, où la fièvre des démolitions était loin, fort heureusement, d’avoir exercé les mêmes ravages, j’avais la satisfaction de voir confirmée l’opinion que depuis si longtemps je m’étais faite, et de la formation des clichés-souvenirs, à l’insu même de celui qui les recueille, et de la netteté des images que ces clichés peuvent reproduire, en songe, devant les yeux de notre esprit.
Évidemment j’avais parcouru déjà cette rue la première fois que j’étais allé à Francfort, c’est-à-dire trois ou quatre ans avant l’époque de mon rêve, et, sans que je m’en doutasse, sans que je puisse expliquer de quelles dispositions particulières cela dépendît, tous les objets exposés à ma vue se photographièrent instantanément dans ma mémoire avec une admirable précision. Mon attention cependant, suivant l’acception qu’on donne habituellement à ce mot, devait rester étrangère au travail mystérieux qui s’opérait spontanément, puisque je n’en avais pas même gardé le moindre souvenir sensible. Il y a là matière à réflexion sérieuse, pour quiconque voudra sonder les forces secrètes de l’entendement humain.
Une question toutefois reste encore. Pourquoi cette complication de l’église de Sainte-Gudule ? Pourquoi ce monument que vous n’aviez jamais vu à l’époque de votre rêve s’est-il trouvé soudé à vos souvenirs de Francfort ? En m’appuyant à cet égard sur une infinité d’observations analogues, je répondrai sans hésiter :
La première chose à examiner, ce serait le lien qui a pu s’établir, par l’association des idées, entre la fameuse église de Bruxelles, dont je connaissais l’aspect par des gravures, et cette rue de Francfort, l’un de mes vivants souvenirs. Peut-être le trait d’union se découvrirait-il, sur quelque gravure même, dans la représentation de deux grandes enseignes qui ornent la façade des maisons voisines de l’église et qui offrent beaucoup d’analogie avec celles dont la rue de Francfort est bordée. Mais ce n’est là qu’un détail d’une minime importance, dominé par des principes que je dois m’attacher d’abord à bien établir. Ces principes admis, l’apparition simultanée de l’église de Bruxelles et de la rue de Francfort demeure un phénomène des plus simples. Une première idée en ayant appelé une seconde, les images correspondantes se sont aussitôt montrées, mariant dans un même tableau d’ensemble deux souvenirs subitement unis.
Voyons donc, sommairement d’abord, comment s’opère en songe la marche des idées, comment elles s’associent et se combinent, quelles sont enfin les premières bases sur lesquelles nos raisonnements pourront s’appuyer.
- ↑ Ceci devant s’entendre des rêves lucides, et non de ceux où l’imperfection des images tient à l’imperfection du sommeil. C’est une observation qui sera toujours sous-entendue.
- ↑ Excepté dans l’hallucination proprement dite, que je considère comme le songe d’un homme éveillé.
- ↑ Cette disposition de l’esprit augmente on diminue suivant qu’on la met plus ou moins en pratique. Pendant la période de mes recherches quotidiennes sur le mouvement de mes rêves, c’était presque chaque nuit que j’en pouvais profiter. Aujourd’hui que je ne l’exerce plus que de loin en loin, la conscience de ma situation me revient en rêve à peu près une nuit sur deux. Si je m’y attache, pour analyser ou diriger les illusions du songe, je puis la retenir assez longtemps. Si je la laisse passer au contraire comme une idée fugitive, je puis la perdre, sauf à la retrouver et à la reperdre encore peut-être par éclairs. Mais une fois le principe même de cette disposition acquis, je crois pouvoir affirmer, par mon expérience et par celle de plusieurs autres personnes, qu’on ne le perd jamais tout à fait, et qu’on lui redonne une grande extension dès qu’on veut l’exercer.