Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/21
CHAPITRE XXI
1 Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem et furent venus à Bethphagé[1], près de la montagne des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, en leur disant : Allez au village qui est devant vous[2], et vous y trouverez tout d’abord[3] une ânesse attachée et son ânon avec elle ; détachez-les, et me les amenez. Et si quelqu’un vous dit quelque chose, dites-lui que le Maître en a besoin, et aussitôt il les laissera aller. Or tout cela fut fait, afin que s’accomplît cette parole du prophète : « Dites à la fille de Sion[4] : « Voici que votre roi vient à vous plein de douceur, assis sur une ânesse et sur l’ânon[5] de celle qui porte le joug. » Les disciples s’en allèrent et firent ce que Jésus leur avait commandé. Ils amenèrent l’ânesse et l’ànon, mirent dessus[6] leurs vêtements, et l’y firent asseoir. Le peuple en foule étendit ses vêtements le long de la route ; d’autres coupaient des branches d’arbres et en jonchaient le chemin[7]. Et toute cette multitude, ceux qui précédaient et ceux qui suivaient, criaient : Hosanna[8] au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux[9] ! Lorsqu’il fut entré dans Jérusalem, toute la ville fut émue ; on demandait : Qui est celui-ci ? Et le peuple répondait : C’est Jésus le Prophète, de Nazareth en Galilée.
12 Jésus étant entré dans le temple de Dieu, chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple, renversant les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des colombes[10] ; et il leur dit : est écrit : « Ma maison sera appelée une maison de prières, et vous en avez fait une caverne de voleurs[11]. »
14 Alors des aveugles et des boiteux vinrent à lui dans le temple, et il les guérit. Mais les Princes des prêtres et les Scribes, voyant les merveilles qu’il faisait, et les enfants qui criaient dans le temple : Hosanna au Fils de David, s’indignèrent, et ils lui dirent : Entendez-vous ce qu’ils disent ? Jésus leur répondit : Oui, n’avez-vous jamais lu : « De la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle, vous avez tiré une louange parfaite[12] ? » Et les ayant quittés, il sortit de la ville, et s’en alla à Béthanie, où il passa la nuit[13].
18 Le lendemain matin, comme il retournait à la ville, il eut faim ; et voyant un figuier près du chemin, il s’en approcha ; mais n’y ayant trouvé que des feuilles, il lui dit : Que jamais de toi ne naisse aucun fruit ! Et à l’instant le figuier sécha[14]. À cette vue, les disciples dirent avec étonnement : Comme il a séché en un instant[15] ! Jésus leur répondit : En vérité, je vous le dis, si vous avez de la foi et que vous n’hésitiez point, non-seulement vous ferez comme à ce figuier ; mais quand même vous diriez à cette montagne : Lève-toi et te jette dans la mer, il se fera ainsi. Et tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l’obtiendrez.
23 Étant venu dans le temple, comme il enseignait, les Princes des prêtres et les Scribes s’approchèrent de lui[16] et lui dirent : Par quelle autorité faites-vous ces choses, et qui vous a donné ce pouvoir ? Jésus leur répondit : Je vous ferai, moi aussi, une question, et, si vous y répondez, je vous dirai par quelle autorité je fais ces choses : Le baptême de Jean, d’où était-il ? du ciel, ou des hommes[17] ? Mais ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion : Si nous répondons : Du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui[18] ? Et si nous répondons : Des hommes, nous avons à craindre le peuple : car tous tenaient Jean pour un prophète. Ils répondirent donc à Jésus : Nous ne savons. Et moi, dit Jésus, je ne vous dis pas non plus par quelle autorité je fais ces choses[19].
28 Mais que vous en semble ? Un homme avait deux fils ; s’adressant au premier, il lui dit : Mon fils, allez aujourd’hui travailler à ma vigne. Celui-ci répondit : Je ne veux pas ; mais ensuite, touché de repentir, il y alla. Puis, s’adressant à l’autre, il lui fit le même commandement. Celui-ci répondit : J’y vais, Seigneur ; et il n’y alla point. Lequel des deux a fait la volonté de son père ? Le premier, lui dirent-ils. Alors Jésus : En vérité, je vous le dis, les publicains et les courtisanes vous précéderont dans le royaume de Dieu[20]. Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez point cru en lui ; mais les publicains et les courtisanes ont cru en lui, et vous, le voyant, vous ne vous êtes point encore repentis pour croire en lui.
33 Écoutez une autre parabole. Il y avait un père de famille qui, ayant planté une vigne, l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir[21] et y bâtit une tour[22] ; et, l’ayant louée à des vignerons, il partit pour un pays lointain. Or, le temps des fruits étant proche, il envoya aux vignerons ses serviteurs pour recevoir les fruits de sa vigne. S’étant saisis de ses serviteurs, les vignerons battirent l’un, tuèrent l’autre et en lapidèrent un autre. Il envoya de nouveau d’autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers, et ils les traitèrent de même. Enfin il leur envoya son fils, disant : Ils auront du respect pour mon fils. Mais, voyant son fils, les vignerons dirent en eux-mêmes[23] : Voici l’héritier ; venez, tuons-le et nous aurons son héritage. Et s’étant saisis de lui, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? Ils lui répondirent : Il frappera sans pitié ces pervers, et louera sa vigne à d’autres vignerons, qui lui rendront les fruits en leur temps[24].
42 Jésus leur dit encore : N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : « La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue le sommet de l’angle. C’est le Seigneur qui a fait cela, et nos yeux le voient avec admiration[25]. » C’est pourquoi je vous dis que le royaume de Dieu vous sera ôté, et qu’il sera donné à un peuple qui en produira les fruits. Et celui qui tombera sur cette pierre se brisera, et celui sur qui elle tombera en sera brisé.
45 Les Princes des prêtres et les Pharisiens ayant entendu ces paraboles, comprirent qu’il parlait d’eux. Et ils cherchaient à se saisir de lui ; mais ils craignirent le peuple, qui le regardait comme un prophète.
- ↑ Près de Bethphagé. Patrizzi.
- ↑ Bethphagé.
- ↑ Aussitôt que vous serez entrés, sans de longues recherches.
- ↑ Jérusalem, bâtie sur le mont Sion.
- ↑ Sur une ânesse et sur l’ânon : le premier mot indique l’espèce de monture : ce n’est point le fier coursier d’un conquérant, mais une ânesse, symbole d’un roi pacifique ; encore cet animal est-il jeune et sans harnais.
- ↑ Sur l’ânon.
- ↑ En signe qu’ils recevaient un roi : comp. IV Rois, ix, 13. Allioli.
- ↑ Hosanna, litt. sauve, exclamation de joie et de triomphe que l’on pourrait traduire en français par Salut ! Vive !
- ↑ C’est-à-dire salut par Celui qui habite dans les hauteurs des cieux. Allioli. — Un grand nombre de ceux qui poussaient ces exclamations se figuraient que Jésus prenait possession de son royaume terrestre, et allait délivrer la nation du joug des Romains. C’est ce qui explique pourquoi, lorsqu’ils le virent quelques jours après en la puissance de ses ennemis, trompés dans leur attente et toute illusion étant devenue impossible, ils se tournèrent contre lui. Wallon.
- ↑ Le temple avait plusieurs cours ou parvis, dont le plus extérieur était appelé le parvis des Gentils, parce que les Gentils pouvaient y entrer. Là se trouvaient, surtout à l’approche de la fête de Pâque, une multitude de marchands qui vendaient de l’encens, de l’huile, du vin, des colombes, des agneaux, des bœufs, etc. pour les sacrifices, et des changeurs auprès desquels, en échange de la monnaie grecque, romaine, ou autre, on prenait de la monnaie juive, la seule qu’il fût permis d’offrir. Il en résultait une agitation bruyante qui troublait les pieux Israélites, et souvent des disputes, des rixes, des fraudes qui profanaient la sainteté du temple. — On voit ici, dit le Dr Hug, la tolérance romaine qui ne se permettait encore aucun empiétement à l’égard de la religion des peuples étrangers, et qui laissait un juif de condition privée venger librement la sainteté de son temple.
- ↑ Isaïe, vi, 7 ; Jérém., vii, 11.
- ↑ Ps. viii, 3.
- ↑ Jérusalem, aux approches de la fête de Pâques, était remplie d’étrangers ; Notre-Seigneur allait donc passer la nuit à Béthanie, chez son ami Lazare, et revenait chaque matin à la ville.
- ↑ (4)
- ↑ Les disciples ne virent dans le figuier desséché que le miracle, et il ne paraît pas qu’ils aient pénétré plus avant dans la signification de cette action symbolique. Notre-Seigneur leur répond en se conformant à leur pensée.
- ↑ On avait sans doute instruit le sanhédrin ou grand-conseil des faits racontés dans la première partie de ce chapitre.
- ↑ Voy. iii, et Jean, i, 19 sv.
- ↑ Lorsqu’il rendait témoignage de moi.
- ↑ Une mauvaise foi si insigne, si rebelle à l’évidence, se condamnait elle-même.
- ↑ L’homme, c’est Dieu ; les deux fils sont, le premier, les pécheurs publics, qui firent pénitence à la voix de Jean-Baptiste ; le second, les Pharisiens, qui se disaient justes sans l’être en effet, Le premier des deux fils, dit saint Jérôme, représente encore les Gentils, qui entrèrent dans l’Église après s’être adonnés aux idoles, et le second, les Juifs.
- ↑ La cuve inférieure qui recevait le jus des raisins était placée en terre, ou creusée dans le rocher.
- ↑ Pour servir d’habitation aux gardiens.
- ↑ Marc, xii, 7 : Se dirent entre eux.
- ↑ Le père de famille, c’est Dieu ; la vigne, objet de tant de soins, c’est la nation juive ; le voyage, l’absence sensible de Dieu ; les serviteurs, les prophètes ; le fils, le Messie ; les autres vignerons, auxquels le père de famille louera sa vigne, ce sont les Gentils qui, en entrant dans l’Église, deviendront le peuple de Dieu.
- ↑ Ps. cxvii, 22. Jésus, que les Pharisiens ne veulent pas admettre dans l’Église juive, sera la pierre angulaire de l’Église chrétienne.