CHAPITRE PREMIER
L’INCARNATION DE L’ENTENDEMENT


La naissance et l’enfance de Jésus-Christ.

Luc, chapitre i, versets 5-25.

Dans ces versets sont racontés les événements merveilleux qui se rapportent à la naissance de Jean-Baptiste, et qui n’ont rien de commun non seulement avec la doctrine de Jésus-Christ et l’annonciation du bien, mais avec Jésus-Christ lui-même. De sorte que ces événements, de quelque façon qu’on les comprenne, ne peuvent en rien modifier le sens de la doctrine de Jésus-Christ.

Luc, i, 26-79.

Ces versets exposent les événements miraculeux qui précédèrent la naissance de Jésus-Christ ; ils sont associés à d’autres événements également miraculeux et étrangers à la doctrine, qui ont accompagné la naissance de Jésus-Christ.

Matthieu, i 1-17, et Luc, iii, 23-28.

Dans ces versets sont exposées deux généalogies de Jésus Christ. Si même ces généalogies étaient d’accord entre elles, comme elles n’ont aucun rapport avec la doctrine, elles ne peuvent en rien lui ajouter quelque chose ou la diminuer, de quelque manière du reste qu’on les interprète. C’est pourquoi tous les versets cités doivent être rapportés au supplément.


Τοῦ δὲ Ἰησοῦ χριστοῦ ἡ γένεσις οὕτως ἦν. Μνηστευθείσης τῆς μητρὸς αὐτοῦ Μαρίας τῷ Ἰωσήφ, πρίν ἤ συνελθεῖν αὐτοὺς εὐρέθη ἐν γαστρί ἔχουσα ἐϰ πνεύματος ἁγίου. Ἰωσήφ δέ ὁ ἀνήρ αὐτῆς δίϰαιος ὥν ϰαὶ μῂ θέλων αὐτὴν δειγματίσαι, ἐβουλήθη λάθρα ἀπολῦσια αὖτήν. Ταῦτα δέ αὐτοῦ ἐνθυμηθέντος ἰδού ἄγγελος Κυρίου κατ’ ὄναρ ἐφάνη αὐτῷ λέγωὺ Ἰωσήφ νιός Δανείδ, μή φοβηθῆς παραλαβεῖν Μαρίαν τήν γυναῖϰά σου, τό γάρ ἐν αὐτῆ γεννηθὲν ἐϰ πνεύματός ἐστιν ἁγίου πνευματός ἐστιν ἁγίου τέξεται δέ υἰόν ϰαὶ καλέσεις τύ ὅνομα αὐτοῦ Ἰησοῦν, αὐτός γάρ σώσει τόν λαόν αὐτοῦ ἀπό τῶν ἀμαρτιῶν αὐτῶν.

Ἐγερθεὶς δέ ὁ Ἰωσήφ ἀπό τοῦ ὔμνου ἐποίησεν ὡ προσέταξεν αὐτῷ ὁ ἄγγελος Κυριου ϰαὶ παρέλαβεν τήν γυναῖϰα αὐτοῦ, ϰαὶ οὐϰ ἐγινωσϰεν αὐτήν ἔως (οὖ) ἔτεϰεν υἰόν ϰαὶ ἐϰάλεσεν τό ὄνομα αὐτοῦ Ἰησοῦν.


Matthieu, i, 18. Or la naissance de Jésus-Christ arriva ainsi : Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph, se trouva enceinte par la vertu du Saint-Esprit, avant qu’ils fussent ensemble. La naissance de Jésus-Christ arriva de la façon suivante : sa mère, mariée à Joseph, avant d’être à lui, se trouvait déjà enceinte.
19. Alors Joseph, son époux, étant un homme de bien, et ne voulant pas la diffamer, voulut la quitter secrètement. Joseph, son époux, était un homme de bien ; il ne voulut pas la diffamer, et songea à la laisser partir sans scandale.

20. Mais comme il pensait à cela, un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : Joseph, fils de David, ne crains point de prendre Marie pour ta femme : car ce qu’elle a conçu est du Saint-Esprit. Tandis qu’il réfléchissait à cela, il eut un rêve : un envoyé de Dieu parut devant lui et lui dit : Ne crains pas de prendre Marie pour ta femme, car ce qui naîtra d’elle naîtra du Saint-Esprit 1).
21. Et elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus ; car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. Et elle mettra au monde un fils, et tu le nommeras Jésus, ce qui signifie Sauveur, car il sauvera les hommes de leurs péchés.
24. Joseph donc, étant réveillé de son sommeil, fit comme l’ange du Seigneur lui avait commandé, et il prit sa femme. Étant éveillé, Joseph fit ce que lui avait ordonné l’ange de Dieu ; il l’accepta comme femme.
25. Mais il ne la connut point jusqu’à ce qu’elle eût enfanté son fils premier-né, et il lui donna le nom de Jésus. Mais il ne la connut point jusqu’à ce qu’elle eut mis au monde son premier fils qu’elle appela Jésus.


Remarques.


1) Les paroles « du Saint-Esprit », dans ce passage signifient la naissance d’en haut, cette même naissance qui, d’après l’entretien avec Nicodème, est propre à chaque homme. Les versets 22 et 23 affirment que la naissance de Jésus était l’accomplissement de la prophétie. Cette prophétie est contestable au dernier degré et non seulement ne confirme pas mais infirme la thèse de l’auteur.

Voici le sens des versets :

Il y avait une jeune fille, Marie. Cette fille devint enceinte, on ne sait de qui. Son époux, qui avait été fiancé avec elle avant cela, eut pitié d’elle et cacha sa honte, l’accepta. C’est d’elle et d’un père inconnu que naquit un garçon auquel on donna le nom de Jésus (c’est ce Jésus qui était l’entendement en chair, c’est lui qui a montré au monde Dieu, que personne ne connaissait ni ne connaît). Ce Jésus était ce Jésus, fils de Dieu, qui a donné au monde la doctrine de laquelle parle Jean et qui est exposée dans les Évangiles.


Luc, ii, 1-12.

Matthieu, ii, 1-12.

Luc, ii, 22-38.

Matthieu, ii, 13-23.

Luc, ii, 39.

Dans ces versets sont décrits la naissance de Jésus-Christ, et son voyage avec sa mère, voyage accompagné d’événements miraculeux et de prophéties.

Ces versets ne contiennent rien qui se rapporte à la doctrine de Jésus, ni même aux événements qui pouvaient avoir de l’influence sur elle. L’explication de ce chapitre est la suivante : ce sont des légendes qui se sont formées, comme elles se forment maintenant autour de l’enfance d’un personnage dont l’importance est devenue très grande après sa mort. Le but de ce chapitre est d’attribuer la plus grande importance à la personne par les miracles et les prophéties. Le ton vulgaire de ces descriptions, surtout chez Luc, qui rappelle plus les légendes apocryphes, frappe par sa dissonnance avec d’autres passages des mêmes livres. On ne peut se représenter l’homme qui, ayant parfaitement compris la doctrine exposée dans l’introduction de Jean, accepterait les légendes sur la naissance. L’un exclut l’autre. Pour celui qui a compris l’importance du fils de Dieu, comme fils de l’entendement, ainsi qu’il est expliqué dans l’introduction, pour celui-ci, les récits sur les événements qui précédèrent la naissance de Jean et celle de Jésus-Christ et sur la naissance elle-même et sur les circonstances postérieures, ne peuvent être compris, et, principalement sont inutiles. Celui qui attribue un sens et une importance à la naissance miraculeuse de Jésus, né de la Vierge et du Saint-Esprit comme époux, évidemment n’a pas compris la signification du fils de l’entendement. Tout ce passage ne tend qu’à justifier la naissance honteuse de Jésus-Christ. On dit que Jésus-Christ était l’entendement, que lui seul a montré Dieu, et ce même Jésus-Christ est né d’une fille, dans les conditions qui sont jugées les plus honteuses.

Tous ces chapitres tendent à justifier le point de vue humain de cette naissance honteuse. La naissance honteuse, et l’ignorance dans laquelle est Jésus au sujet de son véritable père, c’est l’unique point de quelque importance pour l’exposé ultérieur de la doctrine de Jésus-Christ.

Τὸ δέ παιδίον ηὔξανεν ϰαὶ ἐϰραταιοῦτο πληρούμενον σοφία, ϰαί χάρις Θεοῦ ἦν ἐπ’ αὐτό.

Καὶ ἐπερούοντο οἰ γονεῖς αὐτοῦ ϰαὶ ἔτος εἰς Ἰερουσλήμ τῆ ἑορτῆ τοῦ πάσχα. Καὶ ὅτε ἐγένετο ἐτῶν δώδεϰα, ἀναβαινόντων αὐτῶν ϰατά τὸ ἔθος τῆς ἑορτῆς ϰαὶ τελειωσάντων τάς ἠμέρας, ἐν τῷ ὑποστρέφειν αὐτοὺς ὑπέμεινεν Ἰησοῦς ὁ παῖς ἐν Ἰερουσαλήμ, ϰαὶ οὐϰ ἒγνωσαν οἱ γονεῖς αὐτοῦ. νομίσαντες δέ αὐτόν εἶναι -ἐν τῆ συνοδία ἦλθον ἡμέρας ὁδόν ϰαὶ ἀνεξήτουν αὐτόν ἐν τοῖς συγγενεῦσιν ϰαὶ τοῖς γνωστοῖς, ϰαὶ μή εὐρὸντες ὐπέστρεψαν εἰς Ἰερουσαλὴμ ἀναζητοῦντες αὐτόν. ϰαὶ ἐγένετο μετά ἡμέρας τρεῖς εὖρον αὐτόν ἐν τῷ ἱερῷ ϰαθεζόμενον ἐν μέσῷ τῶν διδσϰάλων ϰαὶ ἀϰούοντα αὐτων ϰαὶ ἐπερωτῶντα αὐτοὺς· ἐξισταντο δέ πάντες οἰ ἀϰούοντες αὐτοῦ ἐπί τῆ συνέσει ϰαὶ ταῖς ἀποϰρισεσιν αὐτοῦ. ϰαὶ ἰδόντες αὐτὸν ἐξεπλάγησαν, ϰαὶ εἶπεν πρός αὐτόν ἡ μήτηρ αὐτοῦ. Τέϰνον, τί ἐποίησας ἡμῖν οὔτως ; ἰδού ὁ πατήρ σου ϰαὶ ἐγώ ὀδυνώμενοι ζητοῦμέν σε. ϰαὶ εἶπεν πρός αὐτοὺς. Τί ὅτι ἐζύτεῖτε με ; οὐϰ ἤδειτε ὅτι ἐν τοῖς τοῦ πατρός μου δεί εἶναι με ; ϰαὶ αὐτοί οὐ συνῆϰαν τὸ ῥημα δ’ ἐλάλησεν αὐτοῖς. ϰαὶ ϰατέβη μετ’ αὐτῶν ϰαὶ ἦλθεν εἰς Ναζαρέτ, ϰαὶ ἤν ὑποστασσόμενος αὐτοῖς. ϰαὶ ἡ μῂτρηρ οὐτοῦ διετήρει πάντα τά ῥήματα ἐν τῆ ϰαρδὶα αὐτῆς. Καὶ Ἰησοῦς προέϰοπτεν τῆ σοφία ϰαὶ ἡλιϰία ϰαὶ χάριτι παρά Θεῷ ϰαὶ ανθρώποις.


Luc, ii, 40. Cependant l’enfant croissait et se fortifiait en esprit, étant rempli de sagesse ; et la grâce de Dieu était sur lui. L’enfant grandissait et devenait plus fort en esprit, et sa raison augmentait et la grâce de Dieu était sur lui.
41. Or, son père et sa mère allaient tous les ans à Jérusalem à la fête de Pâque. Ses parents allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de Pâque.
42. Et quand il eut atteint l’âge de douze ans, ils montèrent à Jérusalem selon la coutume de la fête. Quand Jésus eut douze ans, ses parents vinrent à Jérusalem comme d’ordinaire, pour la fête.

43. Lorsque les jours de la fête furent achevés, comme ils s’en retournaient, l’enfant Jésus demeura dans Jérusalem : et Joseph et sa mère ne s’en aperçurent point. La fête étant terminée, le moment vint pour eux de retourner à la maison, et l’enfant Jésus resta à Jérusalem, et Joseph et la mère de Jésus ne le remarquèrent point.
44. Mais pensant qu’il était en la compagnie de ceux qui faisaient le voyage avec eux, ils marchèrent une journée ; et ils le cherchèrent parmi leurs parents et ceux de leur connaissance : Ils pensèrent qu’il était avec des camarades, et ayant fait toute une journée de chemin, ils le cherchèrent parmi leurs parents et leurs connaissances.
45. Et ne le trouvant point, ils retournèrent à Jérusalem pour l’y chercher. Ils ne le trouvèrent pas et retournèrent à Jérusalem pour le chercher.
46. Et au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et leur faisant des questions. Ils le trouvèrent dans le temple, il était assis parmi les maîtres, les interrogeant et les écoutant.
47. Et tous ceux qui l’entendaient étaient ravis de sa sagesse et de ses réponses. Et tous ceux qui l’entendaient étaient étonnés de son intelligence et de ses paroles.
48. Quand Joseph et Marie le virent, ils furent étonnés, et sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi as-tu agi ainsi avec nous ? Voici ton père et moi qui te cherchions, étant fort en peine. Ses parents le virent et s’étonnèrent, et sa mère lui dit : Mon fils, que nous as-tu fait ? Voilà, ton père et moi, nous étions désespérés en te cherchant.
49. Et il leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne savez-vous pas qu’il me faut être occupé aux affaires de mon père ? Et il leur dit : Pourquoi me cherchez-vous ? Ne savez-vous pas que je dois être dans la maison du Père ?
50. Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. Et ils ne comprirent point ce qu’il leur disait.

51. Il s’en alla ensuite avec eux, et vint à Nazareth ; et il leur était soumis. Et sa mère conservait toutes ces choses dans son cœur. Et il s’approcha d’eux et alla avec eux à Nazareth, et il leur obéissait, et sa mère enfermait dans son cœur toutes ses paroles.
52. Et Jésus croissait en sagesse, en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommes. Et Jésus croissait en âge, en sagesse et en grâce envers Dieu et les hommes 1).

Remarques.

1) Tous ces versets étant traduits sans altération du sens n’exigent pas d’explication.


Καὶ αὐτός ἦν Ἰησοῦς ἀρχομενος ὠσεὶ ἐτων τριάϰοντα, ὤν υἱός, ἐνομὶζετο, Ἰωσήφ.


Luc, iii, 23. Et Jésus était alors âgé d’environ trente ans, et il était, comme on le croyait, fils de Joseph, fils d’Héli. Et Jésus avait environ trente ans et on le croyait fils de Joseph 1).

Remarques.

1) Nous plaçons ici le verset 23 du chapitre iii, pour la suite de l’exposition. Les versets sur Jean-Baptiste seront examinés en leur temps.

Le sens des versets précités est celui-ci :

En général, de l’enfance de Jésus on dit seulement qu’il grandit sans père, qu’il était d’une intelligence au-dessus de son âge, de sorte qu’on voyait qu’il était aimé de Dieu. De toute son enfance on ne raconte qu’un incident : comment il se perdit une fois que Marie et Joseph étaient allés à la fête, à Jérusalem, et comment on le retrouva au temple avec les maîtres. Il écoutait, interrogeait, et tous étaient étonnés de ses réponses.

Sa mère lui reprocha de s’être éloigné d’eux et de les obliger à le chercher. Il leur répondit :

— Pourquoi m’avez-vous cherché ? Ne savez-vous donc pas où il faut chercher chaque homme ? Dans la maison de son père. Moi, je n’ai pas de père, homme, alors mon père c’est Dieu. Le temple est la maison de Dieu ; dans le temple vous deviez me trouver.

Ce récit, outre qu’il indique l’intelligence extraordinaire de Jésus enfant, montre encore, avec une clarté particulière, la marche naturelle de la pensée d’un enfant intelligent, abandonné, qui voit autour de lui des enfants dont chacun a un père charnel, et qui lui-même, ne connaissant pas son père charnel, se reconnaît pour père le commencement de tout, Dieu. L’idée que Dieu est le père de tous les hommes était exprimée dans les livres juifs, Malachie, ii, 10 : N’avons-nous pas tous un même Père ? Un seul Dieu fort ne nous a-t-il pas créés ?


Ἐγένετο Ἰωάννης ὁ βαπτίζων ἐν τῆ ἐρήμῳ ϰηρύσσων βάπτισμα μετανοὶας εἰς ὄφεσιν ἄμαρτιῶν.


Marc, i, 4. Jean baptisait dans le désert, et prêchait le baptême de repentance pour la rémission des péchés. Est paru dans le désert Jean le Baigneur 1), il prêchait le bain comme signe 2) de la rénovation de la vie 3), comme signe de la délivrance des erreurs 4)

Remarques.

1) Βαπτίζω — je baigne, je fais l’ablution. Je préfère l’expression baigner à baptiser, puisque le baptême a reçu dans l’Église la signification de sacrement et n’exprime pas l’action elle même du verbe Βαπτίζω.

2) Εἰς. Je traduis comme signe, traduction très fréquente de cette expression, puisque le sens en n’est pas ici acceptable.

3) Μετάνοια — littéralement réflexion, changement de pensée. « Repentir » traduirait bien si ce mot n’avait pas une signification ecclésiastique particulière. J’emploie le mot rénovation.

4) Ἀμαρτία signifie le péché, mais non dans le sens du péché religieux, le péché en sens d’erreur. C’est pourquoi je traduis par ce mot.


Αὐτός δέ ὁ Ἰωάννης εἶχεν τὸ ἔνδυμα αὐτοῦ ἀπὸ τριχῶν ϰαμὴλου ϰαὶ ζὼνην δερματίνην περὶ τὴν ὀσφὺν αὐτοῦ, ἡ δέ τροφή ἦν αὐτοῦ ἀϰρίδες ϰαὶ ἠελι ἄγριον.


Matthieu, iii, 4. Or, ce Jean avait un habit de poil de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins ; et sa nourriture était des sauterelles et du miel sauvage. L’habit de Jean était de poil de chameau ; il était ceint d’une courroie, et il se nourrissait de sauterelles et du suc des plantes 1).

Remarques.

1) Les savants supposent que par miel sauvage il faut entendre la résine des arbres. Pour être plus clair, et exprimer la même sévérité du jeûne, je traduis par suc des plantes.


Ἀρχὴ τοῦ εὐαγγελὶου Ἰησοῦ Χριστοῦ (υἱοῦ Θεοῦ).

Καθώς γέγραπται ἐν τῷ Ἠσαὶα τῷ προφὴτη Ἰδοὺ ἀποστέλλω τόν ἄγγελὸν μου πρὸ προσώπου σου, ὄς ϰατασϰευάσειν τὴν ὁδόν σου·


Marc, i, 1. Le commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu.
2. Conformément à ce qui est écrit dans les prophètes : Voici, j’envoie mon messager devant ta face, qui préparera le chemin devant toi. Malachie, iii, 1.
Le commencement de l’annonciation du bien de Jésus-Christ, fils de Dieu, était ainsi 1), comme il est écrit chez les prophètes : Voici, j’envoie mon messager pour qu’il me prépare la route. (Malachie, iii, 1.)

Remarques.

1) Pour lier les mots : le commencement de l’annonciation à ceux-ci : comme il est écrit chez les prophètes, il est nécessaire d’intercaler les mots était ainsi ; c’est-à-dire que le commencement de l’annonciation consistait en ce que, conformément aux paroles de certains prophètes, est paru Jean-Baptiste.


Φωνὴ βοῶντος ἐν τῇ ἐρήμῳ Ἐτοιμάσα τὴν ὁδόν Κυριόυ, εὐθείας ποιεῖτε τάς τριβους αὐτοῦ.

Πᾶσα φάραγξ πληρωθήσεται ϰαὶ πᾶν ὄρος καὶ βουνός ταπεινωθήσεται, ϰαὶ ἐσται τά σϰολιά εἰς εὐθειας ϰαὶ αἱ τραχεῖαι εἰς ὁλούς λεὶας ϰαὶ ὄψεται πᾶσα σάρξ τό σωτὴριον τοῦ Θεοῦ.


Marc, i, 3. La voix de celui qui crie dans le désert est : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers. (Esaïe, xl, 3) La voix vous fait appel : Préparez dans le désert le chemin du Seigneur, faites léger son chemin 1).

Luc, iii, 5. Toute vallée sera comblée, et toute montagne et toute colline sera abaissée, les chemins tordus seront redressés, et les chemins raboteux seront aplanis. Pour que tout ravin soit comblé, chaque colline, chaque monticule abaissé, pour que toutes les courbes se redressent et que les aspérités s’aplanissent.
6. Et toute chair verra le salut de Dieu. (Esaïe xl, 3-5). Et tout le monde verra le salut de Dieu.


Remarques.

1) Ce changement de sens, je l’emprunte à l’ouvrage de Reuss : Les Prophètes, tome second (1878).

Voici comment il traduit ce passage de l’hébreu :

      Une voix crie :
Par le désert frayez le chemin de l’Éternel !
Aplanissez, à travers la lande, une route pour votre Dieu !
Que toute profondeur soit exhaussée,
Que toute montagne, toute colline s’abaisse,
Que ce qui est inégal se change en plaine,
Et les crêtes escarpées en vallons,
Pour que la gloire de l’Éternel apparaisse
Et que tous les mortels ensemble l’aperçoivent !
C’est la bouche de l’Éternel qui l’a dit.


Matthieu iii, 1 ; Luc iii, 1. Dans ces versets sont exposés des événements historiques qui n’ont rapport ni à Jésus-Christ ni à sa doctrine.


Μετανοείτε, ἤγγιϰε γάρ ἡ βασιλεὶα τῶν οὐρανῶν.


Matthieu, iii, 2. Et disant : Amendez-vous, car le royaume des cieux est proche. Jean disait : Rénovez-vous, car il est arrivé 1) le royaume du ciel 2).

Remarques.

1] ἤγγιϰε est le parfait, et signifie ce qui est arrivé et arrive maintenant. Le verbe signifie approcher. Au parfait, il indique que le royaume de Dieu s’est déjà tant approché qu’il ne peut plus s’approcher. En effet, selon toutes les prophéties, le royaume de Dieu était dans l’avenir et s’approchait. Et maintenant il est déjà tout à fait proche. C’est pourquoi ἤγγιϰε doit être traduit dans ce passage par : il est arrivé, il est venu.

2) Le royaume du ciel. Ces mots ont reçu la signification que leur a donnée l’Église : le royaume composé de tous les croyants, et dont le roi est Jésus-Christ. Évidemment ce n’est pas de ce royaume du ciel que Jean pouvait parler avant Jésus-Christ. Dans la bouche de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ ces paroles devaient avoir une signification accessible à tous les auditeurs d’alors. Le royaume du ciel, pour tous les Juifs qui écoutaient, signifiait l’avènement de Dieu dans le monde et son règne sur les hommes, c’est-à-dire ce de quoi sont pleines toutes les prophéties de Zacharie, de Josué, de Malachie, de Joël, de Jérémie. Ce qui distingue les discours de Jean-Baptiste de ceux des autres prophètes, c’est que ces derniers parlaient vaguement du futur royaume de Dieu, tandis que Jean-Baptiste dit que ce royaume est venu et que le règne s’accomplit. Presque tous les prophètes associent à ce règne de Dieu des événements terribles, miraculeux ; seul Jérémie prédisait l’avènement de Dieu dans le monde non par des phénomènes extérieurs, mais par l’union intérieure de Dieu avec les hommes. C’est pourquoi l’affirmation de Jean-Baptiste que le royaume du ciel est arrivé, bien qu’aucun événement terrible ne se soit produit, doit être ainsi comprise, qu’il est arrivé ce royaume de Dieu intérieur que prédisait Jérémie.


Τὸτε ἐξεπορεὺετο πρὸς αὐτόν Ἰεροσόλυμα, ϰαὶ πᾶσα ἡ Ἱουδαία, ϰαὶ πᾶσα ἡ περίχωρος τοῦ Ἰορδάνου.

Καὶ ἐβαπτίζοντο ἐν τῷ Ἰορδάνῃ ποταμῷ ὑπ' αὐτοῦ, ἐξομολογούμενοι τάς ἀμαρτίας αὐτῶν.

Ἔλεγεν οὖν τοῖς ἐϰπορευομένοις ὄχλοις βαπτιςθῆναι ὑπ' αὐτοῦ Γεννήματα ἐχιδνῶν.


Matthieu, iii, 5 (Marc, i, 5). Alors ceux de Jérusalem, et de toute la Judée, et de tout le pays des environs du Jourdain, venaient à lui. Et de Jérusalem, et des villages situés sur le Jourdain et de toute la terre hébraïque, le peuple venait chez Jean.
6. (Marc, i, 5) Et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain, confessant leurs péchés. Et il baignait dans le Jourdain tous ceux qui reconnaissaient leurs erreurs.
Luc, iii, 7. Il disait donc au peuple qui venait pour être baptisé par lui : Race de vipères ! Et il disait au peuple 1) : Race de serpents 2) !


Remarques.

1) Chez Matthieu, iii, 7, il est dit que les paroles de Jean qui suivent ne s’adressent qu’aux Pharisiens et aux Saducéens. Chez Luc, elles sont adressées à tous. Puisque rien ne mentionne qu’elles se rapportent particulièrement aux Pharisiens et aux Saducéens, la version de Luc est préférable.

2) La légende dit que les serpents pressentent l’incendie et s’enfuient du lieu où il doit s’en produire.


Τὶς ὑπέδειξεν ὑμῖν φυλεῖν ἀπὸ τῆς μελλόυοης ὀργῃς ;


Luc, ii, 7. Qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Qui vous a appris à fuir la volonté 1) de Dieu qui vient ?

Remarques.

1) Ὀργήl’humeur, l’expression de la volonté. Je traduis « la volonté de Dieu ».


Ποιήσατε οὖν ϰαρπους ἀξίους τῆς μετανοίας.


Luc, iii, 8 (Matthieu, iii, 8). Faites donc des fruits convenables à la repentance. Apportez les fruits selon le changement.

La suite de ce verset : que les Hébreux considèrent Abraham comme leur père, ne se rapporte qu’aux Hébreux et ne contient aucun enseignement ; en outre elle coupe les paroles sur le fruit et l’arbre ; c’est pourquoi je l’omets ici.


Ἢδη δέ ϰαὶ ἡ ἀξίνη πρὸς τὴν ῥίζαν τῶν δένδρων ϰεῖται πᾶν οὖν δένδρον μή ποιοῦν ϰαρπόν ϰαλόν ἐϰϰόπτεται ϰαὶ εἰς πῦρ βάλλεται.

Καὶ ἐπηρώτων αὐτόν οἰ ὄχλοι ’λέγοντες· Τὶ οὖν ποιήσομεν ;

Ἀποϰριθείς δὲ λέγει αὐτοῖς. Ὁ ἔχων δῦο χιτῶνας, μεταδότω τῷ μὴ ἔχοντι’ ϰαὶ ὁ ἔχων βρώμτα ὁμοίως ποιέιτω.

Ἦλθον δὲ ϰαὶ τελῶναι βαπτισθῆναι· ϰαὶ εἶπον πρὸς αὐτον. Διδάσϰαλε, τὶ ποιήσωμεν ;


Luc, iii, 9. Or, la cognée est déjà mise à la racine des arbres. Tout arbre, donc, qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. La cognée est déjà mise à la racine de l’arbre ; et si l’arbre ne donne pas de bon fruit, on le coupe pour le bois et on le brûle.
10. Alors le peuple lui demanda : Que ferons-nous donc ? Et le peuple lui demanda : Que devons-nous faire ?
11. Il leur répondit : Que celui qui a deux habits en donne à celui qui n’en a point ; et que celui qui a de quoi manger en fasse de même. Il leur répondit : Que celui qui a deux habits en donne à celui qui n’en a point, et que celui qui a des pains fasse de même.
12. Il vint aussi des péagers pour être baptisés ; et ils dirent : Maître, que ferons-nous ? Les adjudicataires 1) étant venus tandis qu’il baignait, ils lui dirent : Maître, que devons-nous faire ?

Remarques.

1) Τελώνης, le percepteur des impôts. Les impôts étaient donnés à l’adjudication, et les percepteurs étaient les adjudicataires.


Ὀ δέ εἶπεν πρὸς αὐτοὺς· Μηδέν πλέον παρά τὸ διατεταγμένον ὑμῖν πράσσετε. Ἐπηρώτων δὲ αὐτόν ϰαὶ στρατευόμενοι, λέγοντες· Τὶ ποιήσωμεν ϰαὶ ἡμεῖς ; ϰαὶ εἶπε πρυς αὔτούς· Μηδένα διασείσητε, μηδέ συϰοφαντήσητε. ϰαὶ ἀρϰείσθε τοῖς ὀψωνίοις ὑμῶν.


Luc, iii, 13. Et il leur dit : N’exigez rien au delà de ce qui vous a été ordonné. Jean leur dit : N’exigez rien au delà de ce qui vous est dû.

14. Les gens de guerre lui demandèrent aussi : Et nous, que ferons-nous ! Il leur dit : N’usez point de violence, ni de tromperie envers personne, mais contentez-vous de votre paye. Et les gens de guerre lui demandèrent : Que devons-nous faire ? Il leur dit : Ne troublez personne, ne calomniez personne ; soyez contents de votre situation.


D’après Luc, les paroles du verset 15 : que celui qui est plus fort va dans le monde, sont dites par Jean-Baptiste en réponse à la supposition qu’il est lui-même Christ. Mais ces paroles ne sont que la suite de ce qui a été dit sur la préparation de la voie de celui qui arrive, et elles ne répondent nullement à la question imaginaire s’il est Christ ou non ? Il ne dit point qu’il est Christ ou pas Christ, ni que celui qui le suit est Christ ou non. Même chez Jean il n’y a rien de pareil, c’est pourquoi nous omettons ce verset.


Πολλά μὲν οὖν ϰαὶ ἕτερα παραϰαλῶν εὖηγγελίζετο τόν λαόν.

Ἐγώ μὲν βαπτίζω ὑμᾶς ἐν ὔδατι, εἰς μετάνοιαν­· ὁ δὲ ὀπίσω μου ἐρχόμενος ἰσχυρότερος μου ἐστὶν, οὖ οὐϰ εἶμι ἰϰανὸς τά ὐποδήμτα βαστάσαι· αὐτός ὑμάς βαπτίσει ἐν Πνεύματι Ἀγίῳ ϰαὶ πυρὶ.

Ἐγώ ἐβάπτισα ὑμᾶς ὔδατι· αὐτός δὲ βαπτίσει ὑμᾶς Πνεύματι Ἀγίῳ.


Luc, iii, 18. Il adressait encore plusieurs autres exhortations au peuple, en lui annonçant l’évangile. Et il annonçait encore beaucoup d’autres choses sur le vrai bien, en appelant le peuple.
Matthieu, iii, 11. Pour moi, je vous baptise d’eau pour vous porter à la repentance, mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de lui porter les souliers : c’est lui qui vous baptisera du Saint-Esprit et de feu. Et il s’adressait au peuple et disait : Je vous baigne dans l’eau en signe de la rénovation, mais vient celui qui est plus fort que moi et que je ne vaux pas.

Marc, i, 8. Il est vrai que je vous ai baptisés d’eau ; mais il vous baptisera du Saint-Esprit. Moi, je vous lave avec l’eau, lui vous purifiera 1) par l’esprit (et par le feu, 2}.

Remarques.

1) Βαπτιζω, outre qu’il signifie le bain, signifie encore la purification, et, selon le sens de ce passage, il faut le traduire par « purifier ».

2) « Par le Saint-Esprit et par le feu ». Le mot saint a été ajouté, comme on le voit par plusieurs copies, et il est ajouté presque partout au mot esprit. « Par le feu » ne se trouve pas chez Marc, ces mots ont été ajoutés chez Luc et chez Matthieu. L’idée est celle-ci : de même que le maître purifie le champ par le feu en brûlant les mauvaises herbes, de même nous purifiera celui qui est plus fort en esprit.


Οὖ τὸ πτύον ἐν τῇ χειρὶ αὐτοῦ, ϰαὶ διαϰαθαριεῖ τὴν ἀλωνα αὐτοῦ, ϰαὶ συνάξει τόν σῖτον αὐτοῦ εἰς τὴν ἀποθήϰην, τὸ δὲ ἀχυρον ϰαταϰαύσει πυρί ἀσβέστῳ.

Τότε παραγίνεται ὁ Ἰησοῦς ἀπό τῆς Γαλιλαιας ἐπὶ τὸν Ἰορδάνην πρὸς τὸν Ἰωάννην, τοῦ βαπτισθῆσαι ὑπ’ αὐτοῦ.

Καὶ βαπτισθεὶς ὁ Ἰησοῦς, ἀνέβη, εὐθὺς ἀπό τοῦ ὔδατος·


Matthieu, iii, 12 (Luc, iii, 17). Il a son van dans ses mains, et il nettoiera parfaitement son aire, et amassera son froment dans le grenier : mais il brûlera la balle au feu qui ne s’éteint point. Il a une pelle à la main et il nettoiera l’aire ; il ramassera le froment et brûlera les mauvaises herbes.

13. Marc, iii, 9. Luc, iii, 21. Alors Jésus vint de Galilée au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé par lui. Alors vint Jésus de Galilée au Jourdain, vers Jean, pour se baigner.
16. Et quand Jésus eut été baptisé, il sortit aussitôt de l’eau. Et Jésus se purifia chez Jean.


Les versets 14 et 15 du chapitre iii de Matthieu ne sont pas très compréhensibles, même dans le sens qu’on leur attribue ordinairement, et n’ajoutent rien à la doctrine.

La fin du verset 16 relate un miracle, un événement surnaturel et incompréhensible. Ces versets n’ajoutent rien à la doctrine, mais au contraire, l’obscurcissent, comme nous le verrons plus loin.


LE SENS GÉNÉRAL DE LA PRÉDICATION DE JEAN

En quoi consistait la doctrine de Jean ? On dit ordinairement que nous ne connaissons rien ou presque de ce que prêchait Jean. En effet, si l’on admet que Jean n’expliquait que la venue du royaume du ciel enseignée par Christ, ou qu’il propageait, comme les anciens prophètes, la venue de Dieu, dans le sermon de Jean il ne reste rien. Mais si nous cessons d’envisager les paroles écrites comme un conte de fée, en y cherchant partout miracles et prophéties, le sermon de Jean reçoit alors un sens profond.

Ordinairement, les hommes d’Église représentent Jean comme un précurseur du Christ, et les libres penseurs comme un de ces poètes libéraux qu’on appelait prophètes, qui ne manquaient jamais parmi les Juifs et disaient des lieux communs édifiants. Mais si nous nous donnons la peine de comprendre les textes qui sont sous nos yeux, simplement, le sujet de la prédication de Jean, et un sujet très important, apparaîtra de suite.

Il est dit que le royaume du ciel ἢγγιϰε, est tout à fait proche. Aucun des prophètes n’a dit cela. Tous prédisaient que Dieu viendrait, qu’il serait roi, qu’il ferait ceci et cela, mais plus tard. Jean dit : Le royaume du ciel s’est approché tout à fait. Rien de particulier ne s’est produit, cependant il est venu. Cette caractéristique de la prédication de Jean, proclamant que le royaume du ciel est tout à fait proche, ou arrivé, ou au moins que Jésus-Christ le comprenait ainsi, est prouvée par les paroles que Jésus-Christ prononce ensuite (Luc, xvi, 16). La loi et les prophètes, avant Jean ; depuis Jean le royaume de Dieu est annoncé et chacun, en faisant un effort, y entre.

Voilà donc la première signification du sermon de Jean. Pas un prophète n’a encore dit cela. Tous les prophètes anciens, sauf Jérémie, prédisaient les événements extérieurs, extraordinaires, de la venue de Dieu : supplices, froids, épidémies, guerres, et le bonheur matériel. Jean ne prédit rien de pareil. Il dit seulement que personne ne peut se soustraire à la volonté de Dieu, que ce qui n’est pas nécessaire sera détruit et qu’il ne restera que ce qui est nécessaire. Il dit seulement : Rénovez-vous ! C’est la particularité essentielle de sa prédication, et le plus important de ce qu’il dit. Je vous purifie par l’eau, mais ce qui doit vous purifier, ce qui vous purifiera complètement, c’est l’esprit, c’est-à-dire quelque chose d’invisible, de non corporel. Jean dit : jusqu’à présent, on vous a appris que le royaume du ciel viendra un jour, et moi je vous dis qu’il est déjà venu. Pour y entrer, il faut se rénover, renoncer à ses erreurs. Moi je ne puis que vous purifier extérieurement ; ce n’est que l’esprit qui vous purifiera. Voilà la doctrine que le Christ a entendue ; le royaume du ciel est venu, mais pour y entrer il faut se purifier par l’esprit.

Et, plein de l’esprit, Jésus-Christ va dans le désert éprouver l’esprit.


LA TENTATION DANS LE DÉSERT

Ἰησοῦς δέ Πνεύματος Ἀγίου πλήρης ὑπέστρευψεν ἀπό τοῦ Ἰορδάνου· ϰαὶ ἤγετο ἐν τῶ Πνεῦματι εἰς τὴν ἔρημον.

Ἠμέρας τεσαράϰοντα, πειραζόμενος ὑπὸ τοῦ διαβόλου.

Luc, iv, 1. (Matthieu, iv, 1 ; Marc, i, 12). Jésus, étant plein du Saint-Esprit, revint des bords du Jourdain, et il fut conduit par l’Esprit dans le désert. Alors Jésus, plein de l’Esprit, alla du fleuve Jourdain dans le désert 1).
2. Et là il fut tenté par le diable pendant quarante jours. Et là, le tentateur 2) l’éprouva.

Remarques.

1) Chez Luc, il est dit : ϰαὶ ἤγετο ἐν τῷ Πνεύματι εἴς τὴν ἕρημον, mais dans des copies plus anciennes, on trouve : ἐν τῇ ἐρήμῳ, c’est-à-dire, tout simplement et clairement, que Jésus, dans le même esprit qu’en quittant le Jourdain, passa quarante jours dans le désert. Il est vrai que chez Matthieu on lit : ἀνήχθη εἰς… ὑπό τοῦ πνεύματος, et chez Marc : ϰαὶ τὸ πνεύμα ἐϰβάλλε αὐτόν εἰς τής ἕρημον, c’est-à-dire qu’il fut transporté par l’esprit et que l’esprit le conduisit dans le désert. Luc, réunissant évidemment les deux versions, dit qu’il était plein de l’esprit et que, dans cet esprit, il passa quarante jours dans le désert.

2) Διάβολος, je traduis par tentateur pour donner à ce mot son vrai sens, et non la conception qui s’y rattache maintenant.


Καὶ ἦν ἐϰεῖ ἐν τῇ ερήμῳ ἡμερας τεσσαράϰοντα, πειραζόμενος ὑπὸ τοῦ Σατανᾶ· ϰαὶ ἦν μετὰ τῶν θηρίων·

Καὶ οὐϰ ἔφαγεν οὐδέν ἐν ταῖς ἡμέραις ἐϰείναις· ϰαὶ συντελεσθεισῶν αὐτῶν, ὕστερον ἐπείνασε.

Καὶ νηστεύσας ἡμέρας τεσσαράϰοντα ϰαὶ νύϰτας τεσσαράϰοντα, ὕστερον ἐπείνασε.

Καὶ προσελθών αὐτῷ ὁ πειράζων, εἶπεν· Εἰ υἱός εἶ τοῦ θεοῦ, εἰπὲ ἴνα οἱ λιθοι οὖτοι ἄρτοι γένωται.

Ὁ δὲ ἀποϰριθεὶς, εἶπεν· Γέγραπται· Οὐϰ ἐπ’ ἄρτῳ μονῳ ζήσεται ἄνθρωπος, ἀλλ’ ἐπὶ παντὶ ῥήματι ἐϰτορευομένῳ διά στόματος θεοῦ.


Marc, i, 13. Et il fut là au désert quarante jours, étant tenté par Satan ; et il était parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient. Et Jésus resta dans ce désert pendant quarante jours, il ne mangea rien et eut faim.
Luc, iv, 2. Il ne mangea rien durant ces jours-là ; mais après qu’ils furent passés, il eut faim.
Matthieu, iv, 2. Et après qu’il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Matthieu, iv, 3. Et le tentateur s’étant approché de lui, lui dit : Si tu es le fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains. Et le tentateur vint le trouver et lui dit : Si tu es fils de Dieu, alors dis que ces pierres deviennent du pain.
Matthieu, iv, 4. Mais Jésus répondit et lui dit : Il est écrit : L’homme ne vivra pas seulement du pain, mais il vivra de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Mais Jésus répondit : Il est écrit que l’homme vivra non de pain, mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu. (Saint-Esprit) 1).

Remarques.

1) J’omets le mot ῥήματι, puisqu’il ne se trouve pas dans le texte hébreu d’où ces paroles sont tirées. Voici la traduction du Deutéronome :

Deutéronome, viii, 2-5 : Et souviens-toi de tout le chemin par lequel l’Éternel, ton Dieu, t’a fait marcher ces quarante ans dans ce désert, afin de t’humilier et de t’éprouver, pour connaître ce qui était en ton coeur, et si tu garderais ses commandements ou non.

3. Il t’a donc humilié et t’a laissé avoir faim ; mais il t’a repu de manne, qui était une nourriture inconnue à toi et à tes pères, afin de te faire connaître que l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais que l’homme vivra de tout ce qui sort de la bouche de Dieu.

4. Ton vêtement ne s’est point usé sur toi, et ton pied n’a point été foulé pendant ces quarante ans.

5. Reconnais donc en ton cœur que l’Éternel, ton Dieu, te châtie, comme un homme châtie son enfant.


Καὶ ἤγαγεν αὐτὸν εἰς Ἰερουσαλὴμ, ϰαὶ ἔστησεν αὐτὸν ἐπὶ τὸ πτερὺγιον τοῦ ἱεροῦ, ϰαὶ εἶπεν αὐτῷ. Εἰ ὁ υἱὸς εἶ τοῦ θεοῦ, βάλε σεαυτὸν ἐντεῦθεν ϰάτω.

Γέγραπται γάρ· Ὅτι τοῖς ἀγγελοις αὐτοῦ ἐντελεῖται περὶ σοῦ, τοῦ διαφυλάζαι σε.

Καὶ ὅτι ἐπὶ χειρῶν ἀροῦσι σε, μὴποτε προσϰόψῃς πρὸς λίθον τὸν πὸδα σου.

Καὶ ἀποϰριθεὶς, εἶπεν αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς· Ὄτι εἴρηται· Οὐϰ ἐϰπειράσεις Κὺριον τὸν Θεόν σου.

Luc, iv, 9. (Matthieu, iv, 5). Il le mena à Jérusalem, et le mit sur le haut du temple, et lui dit : Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas. Le tentateur mena Jésus-Çhrist à Jérusalem et le plaça sur le faîte du temple, et lui dit : Si tu es fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas.
10. (Matthieu, iv, 6), car il est écrit qu’il ordonnera à ses anges d’avoir soin de toi, pour te garder ; Car il est écrit qu’il parlera de toi à ses messagers, pour qu’ils te protègent.
11. (Matthieu, iv, 6), et qu’ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne se heurte contre quelque pierre. Et qu’ils te porteront dans leurs bras afin que ton pied ne se heurte pas contre la pierre.

12. (Matthieu, iv, 7. Mais Jésus lui répondit : Il est dit : Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu. (Deut., vi, 16.) Et Jésus lui répondit : Parce qu’il 1) est écrit : N’éprouve 2) ton Dieu.

Remarques.

1) Chez Luc on trouve dans ce passage ὅτι, parce que. Jésus dit : Parce qu’il est écrit : n’éprouve pas ton Dieu, c’est-à-dire : Je ne me jetterai pas en bas, parce qu’il est écrit : N’éprouve pas.

2) Ἐϰπειράσεις, signifie éprouver ; mais dans le passage du Deutéronome, où il est cité, il signifie douter : Deut. vi, 16.


Καὶ ἀναγαγών αὐτόν ὁ διάβολος εἰς ὅρος ὑψηλόν, ἔδειξεν αὐτῷ πάσας τάς βασιλείας τῆς οἰϰουμένης ἐν στιγμῇ χρόνου.

Καὶ εἶπεν αὐτῷ ὁ διάβολος· Σοὶ δώσω τὴν ἐζουσίνα ταὺτην ἄπασαν ϰαὶ τὴν αὐτῶν· ὅτι ἐμοί παραδέδοται, ϰαὶ ᾦ ἐὰν θέλω, δίδωμι αὐτὴν.


Luc, iv, 5 (Matthieu, iv, S). Ensuite le diable le mena sur une haute montagne, et il lui fit voir en un moment tous les royaumes du monde ; Ensuite, le tentateur le mena sur une haute montagne et lui fit voir d’un regard tous les royaumes des hommes vivant sur la terre 1).
6. (Matthieu, iv, 9). Et le diable lui dit : Je te donnerai toute la puissance de ces royaumes et leur gloire ; car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux. Et il lui dit : Je te donnerai toutes ces puissances et leur gloire, car elles m’ont été données et je les donne à qui je veux.

Remarques.

1) Οἰϰούμενος, littéralement habiter ; cela veut dire la terre et doit être traduit : des hommes vivant sur la terre.


Σύ οὖν ἐὰν προσϰυνήσῃς ἐνώπιον μου, ἔσται σου πάντα.

Καὶ ἀποϰριθείς αὐτῷ εἶπεν ὁ Ἰησοῦς. Ὑπαγε ὀπίσω μου, Σατανᾶ· γεγραπται γάρ· Προσϰυνήσεις Κύριον τὸν θεὸν σου, ϰαὶ αὐτῷ μόνῳ λατρεύσεις.


Luc, iv, 7. (Matthieu, iv, 9.) Si donc tu te prosternes devant moi, toutes ces choses seront à toi. Si tu me vénères, tout sera à toi.
8. (Matthieu, iv, 10). Mais Jésus lui répondit : Retire-toi de moi, Satan, car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul. (Deut., vi, 13.) Mais Jésus lui répondit : Retire-toi, mon ennemi 1). Il est écrit : Respecte ton Seigneur Dieu et travaille 2) pour lui seul.

Remarques.

1) Le mot Satan n’a pas de sens défini ; en hébreu il signifie ennemi. Je traduis ainsi.

2) Λατρεύω, signifie : je travaille pour un salaire. Ce mot qu’on emploie très rarement, et qui, dans ce sens, n’est employé qu’une seule fois, est très important. Il ne signifie pas servir, ni même travailler dans le sens de faire une œuvre. Il signifie travailler en vue d’une récompense, c’est-à-dire travailler sans bonne volonté, avec répugnance, non pour le travail lui-même, mais pour un autre but.


Καὶ συντελέσας πάντα πειρασμόν ὁ διάβολος, ἀπέστη ἀπ' αὐτοῦ ἄρχι χαιροῦ.

Καὶ ἰδού, ἄγγελοι προσῆλθον, ϰαὶ διηϰόνουν αὐτῷ.


Luc, iv, 13. Et le diable, ayant achevé toute la tentation, se retira de lui pour un temps. Alors le tentateur s’éloigna de lui pour un certain temps et la force de Dieu 1) vint à lui et le servit.
Matthieu, iv, 11. Alors le diable le laissa ; et aussitôt des anges vinrent et le servirent.

Remarques.

1) Ἄγγελοι, puisque par ce mot on entend le messager, l’envoyé de Dieu, je traduis par la force de Dieu.


Καὶ ὑπέστεψεν ὁ Ἰησοῦς ἐν τῇ δυνάμει τοῦ Πνεύματος εἰς τὴν Γαλιλαίαν·

Luc, iv, 14. Et Jésus s’en retourna en Galilée par le mouvement de l’Esprit ; et sa réputation courut par tout le pays d’alentour. Et Jésus s’en retourna en Galilée en pleine force de l’Esprit.


Ce passage de la tentation est particulièrement remarquable en cela qu’il sert de pierre d’achoppement à l’interprétation de l’Église, puisque la pensée même de Dieu, tenté par le diable, créé par Dieu, constitue une contradiction intime dont on ne peut sortir.

Voici comment l’Église explique ce passage[1].


Alors : Immédiatement après que le Saint-Esprit, pendant le baptême, fut descendu sur Jésus, et non, dans un temps postérieur, comme le supposent quelques-uns.

Par l’Esprit : On entend ici non l’esprit de Jésus, et non l’esprit tentateur, mais le Saint-Esprit qui est descendu sur Jésus. Après le baptême Jésus s’abandonne à l’Esprit, et il est conduit ou poussé et entraîné par lui dans le désert, pour lutter contre le diable.

Dans le désert : La tradition indique comme lieu où le Seigneur fut tenté, le désert sis à l’ouest de Jéricho, et dénommé le désert des quarante jours ; endroit sauvage et terrible où se cachaient les bêtes fauves et les brigands. (On l’appelle aussi le désert de Jéricho).

Là il fut tenté : Tenter signifie, en général, éprouver. Dans le sens le plus étroit, tenter signifie séduire les hommes, les inciter à quelque chose de mauvais en le présentant sous son aspect séduisant ; par là se montre la force morale de l’homme ou sa faiblesse. Ici, tenter signifie éprouver : éprouver par la séduction des actes mauvais si Jésus est le Christ.

Par le diable : Le diable c’est, à proprement dire, l’adversaire, l’ennemi. Dans la sainte Écriture, par diable, dans le sens propre, on entend un ange déchu, qui n’a pas persévéré dans le bien, l’ennemi de tout ce qui est bon, l’être méchant, hostile au bien, et, en particulier, hostile au salut de l’homme. Les Évangélistes ne disent pas sous quel aspect il se présenta au Sauveur. Ce ne fut peut-être pas sous l’aspect grossier, sensuel (avec lequel ses actes postérieurs ne sont pas entièrement d’accord), mais, d’autre part, il est indiscutable que ce ne fut pas, comme le supposaient quelques-uns, sous forme de pensées tentatrices. Ce fut réellement l’esprit du mal qui apparut au Sauveur.

Ayant jeûné : S’abstenant de toute nourriture (il ne mangea rien, de tout ce temps) pendant quarante jours et quarante nuits. On connaît d’autres exemples de l’Ancien Testament de jeûnes aussi prolongés. Ainsi le prophète Élie jeûna pendant quarante jours ; de même Moïse ; et le Christ jeûna, non parce que le jeûne lui était nécessaire, mais pour notre exemple. S’il ne jeûna que quarante jours, ce fut pour ne pas faire douter de sa personnification par une durée extrême du miracle. La prolongation de son jeûne, eût servi de prétexte à plusieurs pour douter de la vérité.

Dans la suite, il eut faim. Au bout de quarante jours, il sentit le besoin de nourriture « montrant ainsi sa nature humaine. »

Et il s’approcha de lui. Quand le Seigneur eut faim, le tentateur, profitant de cette circonstance, s’approcha de lui ouvertement.

Le tentateur. C’est-à-dire le diable. Le vrai fils de Dieu, c’est-à-dire le Messie, que Dieu lui-même, au baptême, appela solennellement son fils bien-aimé, de qui la voix descendait du ciel, témoignant : « Celui-ci est mon fils bien-aimé », de qui Jean rendait un témoignage aussi glorieux, tout à coup le tentateur le voit affamé ! Il s’étonne, se rappelant ce que l’on a dit de Jésus ; il ne peut croire que ce soit un homme ordinaire ; d’autre part, le croyant affamé, il ne peut admettre qu’il soit le fils de Dieu. Plein d’étonnement il s’approche de lui avec des paroles à double sens.

Ces pierres, qui se trouvaient probablement dans le désert à l’endroit où avait lieu la tentation. Le sens et la force de la tentation consistaient en ce que l’on proposait au Christ de faire un miracle sans autre nécessité que la satisfaction de ses besoins sensuels, c’est-à-dire d’abuser du miracle, donnant ainsi une preuve d’orgueil et de défi aux intentions de Dieu. Et voici qu’il a l’occasion d’agir de la sorte. Il a faim, « s’il est le Messie, pourquoi avoir faim quand d’un mot il peut transformer les pierres en pain et s’en nourrir ? Quel péché y avait-il à transformer des pierres en pain ? » (Théophile).

Il est écrit, etc. Le Christ repousse cette tentation, comme les deux suivantes, en invoquant la parole de Dieu. Il cite le passage du Deutéronome, viii, 3, dans lequel Moïse dit que Dieu, lorsqu’il matait le peuple d’Israël, le fit souffrir de la faim et le nourrit de manne, que ni ses pères ni lui ne connaissaient. Dieu fit cela pour montrer que l’homme peut vivre non seulement de pain, c’est-à-dire soutenir son existence, mais qu’il y a d’autres aliments capables de suffire à la vie humaine, par exemple la manne, et tout ce qu’indiquera la parole de Dieu. Le Sauveur, rappelant ce passage, indique par là au tentateur qu’il ne faut pas transformer miraculeusement les pierres en pain, qu’outre le pain il est d’autres moyens d’apaiser la faim, suivant la parole ou l’acte de Dieu. C’est le sens le plus direct, le plus naturel de ce passage. Toutefois il fait allusion à la nourriture spirituelle dont se nourrit le croyant et qui, pour un moment, lui fait oublier la nourriture corporelle, comme s’il n’en avait pas besoin. Cette nourriture spirituelle c’est la parole de Dieu, la doctrine divine, les commandements et les ordres divins, dont l’exécution fait la nourriture spirituelle plus nécessaire pour l’âme que la nourriture corporelle. Toute parole de Dieu adressée à celui qui l’entend soutient sa vie. Dieu peut nourrir un affamé rien que par la parole. Aussi le sens de la réponse du Christ est-il celui-ci : Mon besoin de pain n’est pas présentement si grand qu’il me force à faire un miracle. La vie dépend de la volonté de Dieu, Dieu peut la soutenir non seulement avec le pain, mais avec tout ce qu’il a indiqué comme nourriture. Or la parole de Dieu, ses commandements et ses ordres, que l’homme doit connaître, c’est une nourriture spirituelle qui sait faire oublier la faim corporelle. L’homme qui se nourrit de cette parole paraît ne pas éprouver le besoin de nourriture matérielle.

Le mena et le mit. Cela ne signifie pas que le diable ait transporté Jésus dans l’espace ou l’ait forcé à se déplacer de cette manière, ou qu’il ait obtenu cela par quelque miracle. Rien ne prouve que le diable ait un tel pouvoir et une telle force, et l’importance du mot mena, n’oblige point à accepter une des hypothèses émises. Cette expression signifie : conduire quelqu’un ou l’accompagner. Satan a conduit Jésus, ou l’a accompagné, mais non contre sa volonté, ou par violence ou par contrainte. Le diable, lorsqu’il invite le seigneur Dieu à se jeter du haut du temple, cite le texte des Psaumes (xc, ii, 12), lui disant que s’il est le fils de Dieu il ne court aucun danger, car si Dieu promet son aide à quiconque espère en lui, à plus forte raison le fils de Dieu en est-il assuré, et les anges le garderont de tout mal. Le sens et la force de cette tentation c’était de provoquer en Jésus le désir de forcer Dieu à faire un miracle. Par là il montrerait sa présomption et son orgueil spirituel. Si tu es le fils de Dieu, dit le diable, Dieu fera tout pour toi, sur ton seul désir, il accomplira un miracle.

Il répondit, etc. À cette invite Dieu répond de nouveau par les paroles du Deutéronome, vi, 16 : Ne tente pas ton seigneur Dieu, ainsi parle Moïse au peuple israëlite, lui interdisant de tenter Jéhovah comme il le fit à Massa, disant : « Est-ce vrai ou non que le Seigneur est parmi nous ? » alors qu’il exigeait un miracle pour faire cesser le manque d’eau. De cette façon le sens de la réponse du Christ est le suivant : Il ne faut pas, par ton désir seul, exiger de Dieu un miracle. Il est vrai que Dieu assiste ceux qui le craignent, leur promet des miracles, mais seulement pour les délivrer des dangers, et non selon leurs désirs. Le tentateur qui défigurait le sens de l’Écriture était repoussé avec une citation qui interprétait justement le sens du passage indiqué.

Une haute montagne. On ignore laquelle, probablement un sommet d’où l’on peut apercevoir la plus grande partie de la Palestine. L’abbé Mérit parle d’un sommet semblable. C’est le point qui domine les montagnes d’Arabie, le pays de Galaad Amoré, sur le cours du Jourdain, et toute l’étendue de la Mer Morte. Ce sommet s’appelle jusqu’à ce jour le mont de la Tentation. De même Moïse, avant sa mort, monta sur le mont Nebo, au sommet d’Orasée, et Dieu lui-même a montré tout le pays de Galaad jusqu’à Don, et tout le pays d’Ephraïm et de Manassé, et même jusqu’à la mer d’Occident et la vallée de Jéricho, jusqu’à Sichar. On voit ainsi qu’il existait des montagnes desquelles on apercevait presque tout le pays de Chanaan, la Palestine et ses environs.

Tous les royaumes du monde. Il faut supposer que le tentateur les avait montrés à Jésus-Christ par une action magique quelconque, ce dont on peut trouver la preuve dans les paroles de Luc, iv, 5 : « Et lui fit voir, en un moment, tous les royaumes du monde. » (Théophile.)

Je te donnerai tout cela. Le tentateur s’approprie le pouvoir sur tous ces royaumes, qui soi-disant lui appartiennent, ainsi que le droit de les transmettre à qui il veut, pouvoir et droit qui n’appartiennent qu’à Dieu seul. Il est vrai que les païens se trouvaient au pouvoir de Satan, et, provisoirement, les habitants de la Palestine, dont les mœurs étaient dépravées ; néanmoins, dans ces paroles du diable s’exprime l’orgueilleuse et mensongère main-mise sur un pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu seul, créateur de l’univers, et duquel relèvent tous les royaumes de la terre.

Si tu te prosternes devant moi. S’étant approprié le pouvoir et le droit sur le monde, le tentateur exige qu’on l’adore comme Dieu, c’est-à-dire l’adoration religieuse par laquelle s’exprimerait la soumission complète. La force de la tentation réside en ceci, qu’on propose au Christ, au lieu de l’œuvre extraordinaire du rachat de l’humanité par la mort sur la croix, et la fondation, par ce moyen, du royaume spirituel, universel, éternel, le pouvoir extérieur sur le monde. Par là le Christ s’écartait de sa grande œuvre du rachat du genre humain comme Messie rédempteur.

Alors il lui répondit, etc. Cette tentation est plus audacieuse encore que les deux premières. De nouveau, Dieu, par sa parole toute puissante, ordonne au tentateur de s’éloigner : Va-t’en de moi, Satan ! (Deutéronome, iv, 13).


Reuss, écrivain très respecté de l’école de Tubingen, explique ainsi la tentation (pp. 179-185) :


Ce passage célèbre de l’Évangile, qui a exercé la sagacité des commentateurs plus qu’aucun autre, est connu sous le nom d’histoire de la tentation. Cette formule, cependant, n’exprime pas exactement la nature du fait relaté. Car tandis que le texte du second évangile ne parle que très vaguement d’une tentation qui dura quarante jours, celui du premier se borne à raconter explicitement trois diverses tentations qui eurent lieu après ces quarante jours. Luc enfin combine ces deux versions et les adopte toutes les deux. Cette différence n’affecte pas le fond du récit. On peut en dire autant de quelques autres que nous voulons signaler en passant, sans y attacher d’importance. Ainsi Matthieu seul dit que la tentation était le but de la retraite de Jésus au désert, l’Esprit voulant qu’il fût tenté. Les bêtes sauvages, mentionnées par Marc seul, servent simplement à exprimer d’une manière plus pittoresque l’idée de la solitude, rien ne nous obligeant de songer à des bêtes féroces. Des deux premiers textes nous recevons l’impression d’une retraite de Jésus en un lieu solitaire où il serait resté pendant quarante jours, pour s’y livrer (comme le veut l’explication populaire et usuelle) à des méditations sur son futur ministère.

Le texte de Luc, corrigé d’après les anciens manuscrits, nous suggère, au contraire, l’idée d’un séjour sans repos, d’une course agitée et prolongée, et troublée en même temps par les assauts répétés du tentateur. Puis il y a cette différence assez notable que les trois scènes particulières ne se suivent pas dans le même ordre chez les deux évangélistes qui les racontent. Tous les commentateurs sont d’accord pour donner à cet égard la préférence à Matthieu, et leurs raisons sont si évidemment fondées en logique et en psychologie que nous pouvons nous dispenser de les exposer au long. Nous ferons seulement observer qu’elles n’ont de valeur absolue qu’autant qu’on admet la réalité historique des faits eux-mêmes

Enfin les trois récits se terminent d’une manière différente. Matthieu donne à entendre que le tentateur, trois fois repoussé avec dédain, quitte la partie pour tout de bon ; Luc, au contraire, insinue qu’il revint à la charge plus tard. Cet auteur songeait sans doute, soit aux luttes que Jésus eut à soutenir pendant toute la durée de son ministère, soit à sa passion et à sa mort. Matthieu ajoute que le diable vaincu fut aussitôt remplacé auprès de Jésus par des anges serviteurs, envoyés, comme on peut le penser, soit pour pourvoir à ses besoins, soit pour rendre hommage à sa sainteté victorieuse. Marc aussi parle d’anges, mais il paraît vouloir dire qu’ils se trouvaient présents pendant tout le séjour au désert, lui tenant compagnie et le servant, ce qui excluait encore l’idée du jeûne et de la faim dont parlent les autres textes.

Toutes ces différences, nous le répétons, ne portent que sur des détails accessoires. Nous avons maintenant à nous occuper du fond même de cette narration unique dans son genre, non seulement dans les Évangiles, mais dans la Bible tout entière. Avant tout rendons-nous bien compte du sens que nous devons attacher au mot tenter. Le langage biblique (Ancien et Nouveau Testament) emploie ce terme dans trois acceptions différentes : 1o on dit d’un homme qu’il tente Dieu quand il prétend provoquer, par des sollicitations impatientes, une manifestation quelconque de sa puissance, par exemple un miracle ; comme une pareille sollicitation a toujours sa source dans un manque de confiance ou de résignation, l’Écriture déclare qu’elle est un péché ; 2o on dit de Dieu qu’il tente les hommes quand il met leur foi à l’épreuve par des tribulations et des contrariétés de tout genre. Comme ici le but et les moyens sont également salutaires, les apôtres déjà ont compris que le terme était mal choisi (Jacques i,13) et le langage moderne l’abandonne de plus en plus pour y substituer celui d’épreuves ; 3o enfin un homme tente l’autre quand il cherche à l’entraîner au mal. Nul doute que les faits racontés dans ce passage de l’Évangile ne rentrent dans cette troisième catégorie et non dans la première. Le tentateur ne s’adresse pas à la puissance de Jésus pour lui extorquer des miracles à son propre profit ; il y a plutôt un conflit moral entre la sainte volonté du Christ et les tendances perverses du diable.

Ceci étant généralement reconnu, nous établirons avant toute autre chose que les trois narrateurs entendent bien raconter un fait objectif et matériel ; des rencontres et des conversations entre deux personnages distincts, dont l’un était Satan lui-même, apparaissant d’une manière visible, à l’effet d’entraîner Jésus à des actes que celui-ci repoussa avec énergie. Et d’abord, lorsque, après avoir miraculeusement traversé une période de quarante jours sans prendre aucune nourriture, les besoins physiques se firent de nouveau sentir chez lui, le diable lui proposa de les satisfaire par l’opération d’un miracle. Jésus s’y refusa en alléguant un passage scripturaire (Deut., viii, 3) qui lui permet d’espérer ou de trouver des moyens de sustentation là même où les ressources ordinaires lui faisaient défaut. Dieu, dit-il, peut me nourrir de telle manière qu’il lui plaira ; il n’a qu’à parler, qu’à commander, sans que j’aie besoin d’intervenir moi-même de manière à changer la nature des choses. (Il est également faux de traduire : l’homme peut vivre de toutes les choses (mangeables) créées par Dieu ou : Je puis me nourrir de la parole de Dieu, spirituellement, et n’ai point besoin de nourriture matérielle). Le texte de Luc, rétabli d’après les plus anciens manuscrits, n’a pas cette phrase ; celle conservée par les copies vulgaires (toute parole de Dieu) ne donne point de sens plausible.

La seconde tentation consistait à inviter Jésus à s’exposer de gaîté de cœur à un danger imminent, en se précipitant du haut d’un édifice, dans la conviction ou dans l’espérance que Dieu le préserverait miraculeusement de tout accident. Nous ne savons pas quelle localité les évangélistes ont entendu désigner par le terme que nous avons traduit au hasard le faîte du temple ; il est douteux qu’il soit question du sanctuaire lui-même, sur le toit duquel on ne montait pas. Peut-être s’agit-il d’un autre édifice compris dans l’enceinte sacrée, et placé du côté de l’Est, où le mont Moria dominait la vallée profonde du Quedron, et présentait une paroi coupée à pic. Le tentateur prétend déterminer Jésus en lui rappelant les paroles du Psaume (xci, 12) interprétées au pied de la lettre. Jésus lui répond par un autre passage (Deut., vi, 16) qui condamne tout essai de tenter Dieu, dans le sens que nous avons indiqué plus haut.

Enfin le diable l’emmène sur une montagne du haut de laquelle il pourrait voir tous les royaumes de la terre et contempler leur grandeur, leur puissance et leurs richesses. Tout cela lui est permis à condition qu’il serve les intérêts de celui qui s’en dit le maître. Jésus le repousse en invoquant simplement le principe fondamental de la religion révélée (Deut., vi, 13), lequel suffisait à lui seul pour écarter toute velléité ambitieuse. On pourrait presque dire à ce sujet que la tentation la plus séduisante des trois, est vaincue à la fois avec le moindre effort et le plus d’énergie.

La forme concrète de ces trois tentations a quelque chose de singulier, surtout la seconde dont on a de la peine à entrevoir le motif. Mais pour le fond elles ne sont point sans analogie dans l’histoire évangélique. Nous rappelons la scène de Gethsémani où Jésus disait : « Si je le voulais, mon Père m’enverrait douze légions d’anges » ; ou celle de Golgotha où le peuple criait : « S’il est le fils de Dieu qu’il descende de la croix » ; puis cette autre parole adressée aux Pharisiens : « Cette génération demande un signe ; mais elle n’aura que celui donné par Jonas aux Ninivites » ; enfin les occasions où la foule voulait le proclamer roi et sa déclaration solennelle : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Tout de même le présent récit, tel qu’il est donné et interprété par les évangélistes, présente des difficultés insurmontables qu’il est de notre devoir de signaler. Nous ne nous arrêterons pas à celles qui ne tiennent qu’au cadre de l’histoire, par exemple à la question de savoir sous quelle forme le diable apparut ? comment Jésus fut transporté du désert au temple, du temple sur la montagne, et de là de nouveau au désert ? où doit être la montagne assez haute pour permettre à l’homme d’embrasser d’un seul coup d’œil tous les royaumes de la terre ? et autres questions semblables qui peuvent embarrasser l’exégèse littérale, mais qui sont des bagatelles à côté de celles qui se présentent à la méditation du théologien. Celui-ci est autorisé à demander d’abord si Jésus a reconnu le diable ? Quelle que soit la réponse qu’on voudra donner (le texte dit positivement oui), la notion de sa divinité se trouvera singulièrement amoindrie ; car, ou bien lui, Dieu, n’aurait pas connu celui qu’il était venu combattre et vaincre sur la terre, ou bien, tout en le connaissant, il se serait mis ou trouvé en son pouvoir. Or, il nous semble impossible que le diable ait eu prise sur le Fils de Dieu, dans le sens physique, et beaucoup moins possible encore que celui-ci ait consenti à suivre le diable, à entrer en quelque sorte, en le suivant, dans ses vues, à lui donner prise sur lui-même, dans le sens moral. En général l’idée d’une tentation de Dieu dans ce sens est une idée contraire aux notions les plus élémentaires d’une religion digne de ce nom ; et cependant les textes eux-mêmes disent que la tentation était le but du séjour de Jésus au désert.

Il s’ensuit de tout ce qui précède que la narration contenue dans notre périscope telle qu’elle est sous nos yeux, est incompatible avec la formule ou conception consacrée officiellement, concernant la divinité du Christ. Ajoutons encore que cette conséquence résulte surtout de ce que le diable propose au Christ de l’adorer. D’après la théologie de l’Église, Christ, c’est-à-dire la seconde personne de la Trinité, est le créateur du diable comme de tout ce qui existe. Le diable le sait mieux que personne ; sa prétention n’est donc pas seulement un blasphème, elle est la plus inconcevable sottise. Or les évangélistes n’ont pas voulu raconter une absurdité ; ils nous représentent Jésus, tenté comme un homme, mais triomphant sans hésitation, sans effort, d’une manière parfaite et décisive.

Mais encore à cet autre point de vue, qui, nous le répétons, est celui des évangélistes, il y a de graves difficultés qui arrêtent le lecteur. Car lors même que nous voudrions écarter toutes celles qui résultent de la présomption de la nature divine du Christ, notre sentiment religieux se refuse encore à admettre que la tentation, c’est-à-dire la provocation au mal, ait pu exercer sur lui une influence quelconque, ne fût-elle que passagère ou provisoire, ne se présentât-elle à son esprit que comme une question à résoudre, comme une hypothèse. En effet, si le mal a pu, nous ne disons pas obscurcir pour un instant la lucidité de son esprit, ou travailler furtivement sa conscience morale, mais seulement glisser pour ainsi dire comme une ombre devant ses yeux de manière à attirer momentanément son attention, la notion de sa sainteté absolue, qui est un élément indispensable de la foi chrétienne, est nécessairement remise en question, ou plutôt elle est positivement compromise.

Cela est si vrai que déjà quelques-uns des anciens Pères de l’Église ont été d’avis que les scènes du temple et de la montagne n’ont pu être des faits réels, puisque autrement, il faudrait admettre que Jésus a cédé jusqu’à un certain point à la tentation, sauf à s’arrêter au moment décisif. Des auteurs modernes ont été plus loin, et niant la réalité objective et extérieure de toute cette histoire, n’ont voulu y voir qu’un fait intérieur et subjectif, une évolution de la pensée de Jésus, une contemplation contradictoire de ses buts et moyens, un drame purement psychique. Mais il serait facile de prouver que cet expédient, dont le moindre tort est d’être contraire au texte, n’écarte pas les difficultés que nous venons de signaler ; tout au contraire, si nous mettons à la place du diable personnel, les propres pensées de Jésus, — qu’elles aient surgi dans un songe, ou dans une vision, ou dans une lutte intérieure, — nous ne faisons qu’affirmer la présence, dans sa nature morale, d’un élément de faiblesse qui est d’autant moins propre à nous rassurer, que l’objet de la tentation a été plus insolite. On pourrait même dire qu’à cet égard la ridicule explication des interprètes rationalistes, qui ont entrevu dans le diable un émissaire du Sanhédrin, ménageait beaucoup mieux l’intégrité du caractère de Jésus.

Un grand nombre de théologiens allemands de notre siècle, désespérant de faire accorder le récit des évangiles avec une saine appréciation de la personne et de la dignité de Jésus, et convaincus qu’aucune des transformations de l’histoire successivement essayées par les commentateurs n’efface complètement ce qui nous y arrête et nous choque, ont proposé l’explication très spécieuse que voici : Ce que les évangélistes nous racontent comme un fait historique aurait été, dans l’origine, une parabole racontée par Jésus à ses disciples à l’effet de leur faire saisir la différence entre une conception fausse et mauvaise de l’œuvre messianique et la conception vraie, qui était la sienne propre. Le diable, le désert, le temple et la montagne appartiendraient au cadre du récit figuré ; l’inévitable contradiction entre les quarante jours passés au désert, et les deux jours qui (d’après Jean) séparaient la noce de Cana du séjour sur les bords du Jourdain, disparaissait en même temps.

On a objecté avec raison que ce serait le seul exemple d’une parabole dans laquelle Jésus se serait introduit lui-même nominativement, et de plus qu’elle aurait dû être bien mal comprise par les auditeurs pour finir par nous arriver dans la forme actuelle. Cela est très vrai, cependant, de toute façon, à moins de dire que nous n’avons là qu’un pur mythe, il faudra admettre que la narration a été formulée primitivement par Jésus lui-même, qu’elle n’a pu être communiquée aux disciples que dans un but pédagogique, et qu’ainsi, parabole ou non, c’est le sens intime du récit, son élément moral et religieux, que nous avons à rechercher. Le jugement à porter sur les accessoires historiques est pour la chrétienté chose secondaire. Elle a un moindre intérêt à résoudre les questions que nous avons posées en commençant, qu’à savoir comment Jésus comprenait sa mission, ou plutôt quels moyens il entendait ne pas employer à l’appui de son ministère. Ses besoins personnels, dont la faim n’est ici que l’individualisation symbolique, ne devaient point être pour lui une préoccupation, un souci ; un motif directeur de ses actes. Tout aussi peu la vaine gloire à obtenir auprès des hommes devait l’engager à faire parade de ce qui le distinguait du commun des mortels ; il devait se défendre jusqu’au plaisir de constater pour lui-même, et sans utilité pour le monde, la puissance protectrice du rapport qui le rattachait à Dieu et connaître la différence entre le dévouement salutaire qui sacrifie la vie parce qu’il en sait la valeur, et la folle témérité qui la risque parce qu’elle n’en a aucune. Enfin il ne pouvait se tromper sur la nature du royaume qu’il se proposait de fonder, ni ignorer que la direction mondaine, dans laquelle les espérances fantastiques et superstitieuses de son peuple auraient voulu l’entraîner, loin de servir son vrai but, lui ferait manquer sa vocation, et renier son Dieu par une idolâtrie aussi méprisable que blasphématoire.

Reuss, ainsi que l’Église, suppose que l’auteur se représente le personnage réel de Satan ; mais pourquoi cette supposition ? il ne l’explique pas, et c’est précisément dans cette supposition que réside toute l’erreur. Le sens de tout le chapitre non seulement n’indique pas que l’auteur fasse de Satan un personnage réel, mais c’est tout le contraire.

Si l’auteur se représentait un personnage, il dirait au moins quelque chose de lui, de son aspect, de ses actes. Ici, au contraire, pas un mot du personnage lui-même. On détaillerait la figure du tentateur juste autant qu’il serait nécessaire pour préciser les pensées et les sentiments du Christ. On ne dit pas comment il s’approchait de lui : ni comment Christ le supportait, ni comment il disparut ; il n’y a rien de cela. On parle seulement de Jésus-Christ, de cet ennemi qui est en chaque homme, de ce principe de lutte sans lequel l’homme vivant n’est pas compréhensible.

Il est évident que l’auteur veut, avec des moyens très simples, faire parler Jésus-Christ. Mais il est seul ; l’auteur fait parler le Christ avec lui-même ; et l’interlocuteur supposé, il le nomme tantôt diable, c’est-à-dire le menteur, tantôt le tentateur.

Suivant l’Église, qui le dit nettement, il ne faut pas, on ne peut pas (bien que, comme toujours, la raison n’en soit pas donnée) considérer le diable comme une image, c’est une personne réelle. Reuss suppose la même chose, mais pourquoi ? Cela demande une explication.

Pour quiconque est libéré de l’interprétation de l’Église, il est clair que les paroles attribuées au tentateur n’expriment que la voix de la chair, contraire à cet esprit dans lequel se trouve Jésus-Christ après le sermon de Jean. Une telle compréhension des mots tentateur, trompeur, Satan, qui tous signifient la même chose, est confirmée 1o par ce fait que le personnage du tentateur est introduit juste pour exprimer la lutte intérieure ; rien n’est ajouté pour caractériser le tentateur ; 2o parce que la parole du tentateur n’explique que la voix de la chair et rien de plus ; 3o parce que les trois tentations sont les modes d’expression les plus habituels de la lutte intérieure qui se répète dans l’âme de chaque homme. En quoi donc consiste cette lutte intérieure ? Jésus a trente ans ; il se regarde comme le fils de Dieu. Voilà tout ce que nous savons de lui, au moment où il écoute le sermon de Jean. Jean prêche que le royaume du ciel est venu sur la terre, que pour y entrer, sauf la purification par l’eau, la purification par l’esprit est nécessaire. Jean ne promet aucun état extérieur ; aucun phénomène extérieur n’indiquera la venue du royaume du ciel ; le seul indice de sa venue c’est la purification par l’esprit, phénomène intérieur et non physique.

Pénétré de la pensée de cet esprit, Jésus-Christ va dans le désert. Ce qu’il pense alors de son rapport envers Dieu est exprimé dans ce qui précède. Il considère Dieu comme son père, il est fils de Dieu, et pour que son Père soit dans le monde et en lui-même, il lui faut trouver cet esprit qui doit purifier le monde, et, avec cet esprit, se purifier soi-même. Pour reconnaître cet esprit, il subit la tentation, il s’éloigne des hommes et va dans le désert. Là il souffre de la faim. Conscient de sa filiation divine et de son état spirituel, cependant il désire manger et souffre de la faim.

Et la voix de la chair lui dit : Si tu es le fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent du pain. Si l’on interprète ces paroles comme le fait l’Église, à savoir que le diable, en tentant le fils de Dieu, désire de lui la preuve de sa divinité, alors on ne comprend pas pourquoi Jésus n’a pas transformé les pierres en pain, s’il pouvait le faire. Ce serait la réponse la meilleure, la plus simple, la plus courte, pour atteindre le but. Si les paroles : « Si tu es le fils de Dieu, etc. » sont la provocation au miracle, alors il est nécessaire que Jésus dise : « Je ne veux pas faire de miracle », ou autre chose répondant à la question. Mais Jésus-Christ ne dit point s’il veut ou non faire ce que Satan lui propose. Il répond tout autre chose, sans même le mentionner. Il dit : Ce n’est pas de pain seul que l’homme vivra, mais de tout ce qui vient de Dieu, paroles qui non seulement ne répondent point à ce que dit le diable sur la faim, mais qui signifient tout autre chose. Du fait que Jésus ne change pas les pierres en pain, ce qu’évidemment on ne peut pas faire, et qu’il ne répond même pas à cette impossibilité, mais répond au sens général, il ressort que ces paroles : ordonne que ces pierres deviennent du pain ne pouvaient être prises au sens propre, et que leur signification est celle qu’elles ont lorsqu’elles sont adressées à l’homme et non à Dieu. Adressées tout simplement à un homme, ces paroles ont une signification très claire et très simple. Elles signifient : Tu veux du pain, prends donc la peine de t’en procurer, parce que tu vois toi-même qu’avec des paroles tu ne feras pas de pain. Et Jésus n’explique pas pourquoi il ne fait pas du pain avec des pierres, mais il répond au sens contenu dans ces paroles : Est-ce que tu te soumets aux exigences de la chair ? Il répond : l’homme vit non du pain mais de l’esprit. Le sens de ces paroles est très général. Pour le comprendre, plus exactement, il faut se rappeler le commencement du chapitre, et à qui ces paroles sont dites. En citant les paroles scripturaires, Jésus-Christ, évidemment, parle dans le même sens, qui est celui du chapitre viii du Deutéronome :


1o Prenez garde de faire tous les commandements que je vous donne aujourd’hui, afin que vous viviez, et que vous multipliiez, et que vous entriez au pays que l’Éternel a promis à vos pères, et que vous le possédiez ;

2o Et souviens-toi de tout le chemin par lequel l’Éternel, ton Dieu, t’a fait marcher, ces quarante ans, dans ce désert, afin de t’humilier et de t’éprouver, pour connaître ce qui était en ton cœur, et si tu gardais ses commandements ou non.

3o Il t’a donc humilié, et t’a laissé avoir faim ; mais il t’a repu de manne, qui était une nourriture inconnue à toi et à tes pères, afin de te faire connaître que l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais que l’homme vivra de tout ce qui sort de la bouche de Dieu.

4o Ton vêtement ne s’est pas usé sur toi, et ton pied n’a point été foulé pendant ces quarante ans.

5o Reconnais donc en ton cœur que l’Éternel, ton Dieu, te châtie, comme un homme châtie son enfant ;

6o Et garde les commandements de l’Éternel, ton Dieu, pour marcher dans ses voies et pour le craindre ;

7o Car l’Éternel, ton Dieu, te va faire entrer dans un bon pays, un pays de torrents d’eaux, de fontaines, et d’abîmes, qui sortent par les campagnes et par les montagnes.

Aux paroles du diable sur la faim, Jésus, se souvenant d’Israël, qui vécut quarante années dans le désert et ne périt point, répond au tentateur : Ce n’est pas de pain seul que l’homme vivra, mais par la volonté de Dieu. C’est-à-dire, de même qu’Israël, espérant en Dieu, fut conduit par Dieu, de même moi j’espère en Dieu.

Après cette réponse, le diable emporte Jésus sur le temple, et de nouveau c’est la tentation : Si tu es le fils de Dieu, jette-toi d’ici.

Ces paroles ont provoqué beaucoup d’interprétations de la part des exégètes, tandis qu’il n’en est besoin d’aucune. C’est la voix de la chair qui parlait en Jésus qui s’appelle ici le diable ; et ces paroles signifient tout simplement : « Son imagination le transporta sur le temple » ou « Il s’imagina être sur une hauteur, et la voix de la chair lui cria de nouveau : « Si tu es le fils de Dieu, jette-toi d’ici. »

Selon l’Église ces paroles ne sont liées par rien aux précédentes, et leur signification est encore celle-ci : que le diable incite Jésus-Christ à faire un miracle inutile. Les paroles du diable, celles du psaume 91, disant que les anges le soutiendront, n’ont également, d’après l’Église, aucun lien avec celles qui précèdent, et toute cette conversation paraît sans utilité, ni but. La stupidité de l’interprétation ecclésiastique de la deuxième tentation provient de l’erreur de compréhension du sens des premiers mots : Des pierres, fais du pain. Ces paroles comprises non comme l’expression de quelque chose d’impossible (avoir du pain quand on n’en a pas de réserve) mais comme la provocation au miracle obligent à envisager aussi comme une pareille provocation les paroles qui suivent : jette-toi en bas. Or ces paroles ont évidemment un lien avec les premières : les unes et les autres sont précédées de la même formule : Si tu es le fils de Dieu. En outre, dans la deuxième réponse le mot ὅτιparce que, qui se trouve chez Luc, montre clairement que Jésus-Christ ne répond pas aux paroles du diable : « Jette-toi en bas », mais qu’il répond à son refus de se jeter en bas. Jésus-Christ, dans la première tentation, ainsi que dans la troisième, ne dit pas : Il est écrit, etc. ; il dit : « parce qu’il est écrit », c’est-à-dire : Je ne me jetterai pas, parce qu’il est écrit.

Dès les premiers mots la voix de la chair veut montrer à Jésus que c’est faussement qu’il se croit un être spirituel et le fils de Dieu. Tu te dis fils de Dieu, tu es allé dans le désert et penses t’affranchir des désirs de la chair. Et le désir de la chair te tourmente. Ici tu ne pourras le satisfaire ; tu ne feras pas de pain avec des pierres, alors va plutôt là-bas, où il y a de quoi faire du pain ou prends-en ta provision, emporte-la avec toi et mange comme tous les hommes.

Voilà ce que dit la voix de la chair dans la première tentation. À cela, Jésus-Christ se rappelle Israël dans le désert. Il dit : Israël est resté quarante ans dans le désert, sans pain, et il s’est nourri, et il est resté vivant, parce que Dieu le voulait. Ainsi ce n’est pas de pain que l’homme vit, mais par la volonté de Dieu.

Alors la voix de la chair, lui représentant qu’il est sur une hauteur, lui dit : s’il en est ainsi, alors toi, fils de Dieu, jette-toi en bas. Tu n’as pas besoin de te soucier du pain, alors prouve-le, jette-toi en bas. Tu dis toi-même que tout dépend non des soins de l’homme mais de la volonté de Dieu. C’est parfaitement vrai. Il est dit dans les Psaumes de David (91) : Ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne se heurte contre la pierre. Alors pourquoi souffres-tu ? jette-toi la tête en bas ; les anges te garderont et ne laisseront pas le mal t’atteindre.

Aussitôt qu’on donne l’explication vraie des premières paroles, à savoir que ce n’est pas une provocation au miracle, mais l’indication d’une impossibilité, alors celles-ci reçoivent le même caractère et le même sens clair. Dans les paroles du diable : « Jette-toi en bas » se trouve l’objection à l’aide que Jésus espère en Dieu. Mais les paroles suivantes du psaume expriment que si l’homme croit dans la volonté de Dieu et ne vit que par elle, alors il ne peut éprouver de souffrances : les anges le garderont. C’est pourquoi le diable exprime sa pensée : 1o si l’on croit que l’homme vit par la volonté de Dieu et non par ses propres soins, à quoi bon sauvegarder sa vie ? et 2o pour un croyant il ne peut exister aucune privation ni souffrances, ni soif, ni faim, il n’y a qu’à se jeter la tête en bas, s’abandonner à la volonté de Dieu, et les anges nous garderont. Cette seconde pensée : que maintenant Jésus-Christ peut se débarrasser de la faim, si en effet, il croit à la volonté de Dieu, ce qu’il prouvera en se jetant du faîte du temple, est incluse dans les paroles du diable. Cela est confirmé par la réponse de Jésus-Christ qui ne veut pas tenter Dieu comme il fut fait à Massa. Par les paroles : « Jette-toi en bas », la voix de la chair prouve à Jésus non seulement l’erreur de sa raison : que la vie ne dépend pas uniquement du pain mais de Dieu. Cela est aussi prouvé par le refus de Jésus à se jeter en bas. S’il croyait que la vie ne tient pas au pain matériel, aux soins humains, qu’elle dépend de Dieu, alors il ne penserait pas à sa sécurité ; or il souffre de la faim et cependant il ne s’abandonne pas complètement à la volonté de Dieu. À cela Jésus répond par le refus de se jeter en bas. Il dit : Je ne me jetterai pas parce qu’il est écrit : Ne tente pas ton Dieu ».

Jésus répond de nouveau par les paroles du livre de Moïse, rappelant ce qui s’est passé à Massa (Exode xvii, 2-7).

2o Et le peuple querella Moïse, et ils lui dirent : Donne-nous de l’eau pour boire. Et Moïse leur dit : Pourquoi me querellez-vous ? Pourquoi tentez-vous l’Éternel ?

3o Le peuple donc eut soif dans ce lieu par manque d’eau, et ainsi le peuple murmura contre Moïse, disant : Pourquoi nous as-tu fait monter hors d’Égypte pour nous faire mourir de soif, nous et nos enfants, et nos troupeaux ?

4o Et Moïse cria à l’Éternel, disant : Que ferai-je à ce peuple ? Il s’en faut de peu qu’ils ne me lapident.

5o Et l’Éternel répondit à Moïse : Passe devant le peuple, et prends avec toi des anciens d’Israël, et prends en ta main la verge dont tu frappas le fleuve, et marche.

6o Voici, je vais me tenir là devant toi sur un rocher de Horeb, et tu frapperas le rocher, et il en sortira des eaux, et le peuple boira. Moïse donc fit ainsi à la vue des anciens d’Israël.

7o Et il nomma le lieu Massa et Meriba, à cause du débat des enfants d’Israël, et parce qu’ils avaient tenté l’Éternel, en disant : L’Éternel est-il au milieu de nous ou n’y est-il pas ?

Par ces réminiscences Jésus-Christ répond aux deux arguments du diable. À celui de la voix de la chair qui dit que s’il se garde il ne croit pas en Dieu, il répond : On ne peut pas éprouver son Dieu. À celui de la voix de la chair qui dit que s’il croyait en Dieu il se jetterait du haut du temple pour s’abandonner aux anges et se débarrasser de la faim, il répond qu’il ne fait de reproches à personne pour sa faim, comme à Massa les Israélites en firent à Moïse. Il ne désespère pas de Dieu. C’est pourquoi il n’a pas besoin d’éprouver Dieu, et il supporte très facilement sa situation.

La troisième tentation découle strictement des deux premières. Tandis que celles-ci commençaient par la formule : Si tu es le fils de Dieu, la troisième rejette cet exorde. La voix de la chair dit à Jésus Christ, en lui montrant tout le royaume du monde, c’est-à-dire comment les gens vivent : Si tu t’inclines devant moi je te donnerai tout cela. La suppression de la formule : « Si tu es le fils de Dieu » et la forme de la phrase, qui ne s’adresse plus à un homme avec lequel on discute, mais à un homme soumis, indiquent le lien de ce passage avec les précédents, s’ils sont compris dans leur vrai sens. D’abord la voix de la chair raisonne et dit : Si tu étais le fils de Dieu et esprit, tu n’aurais pas faim ; et si tu avais faim tu pourrais par ta propre volonté faire du pain avec les pierres et satisfaire tous tes besoins. Si ayant faim, tu ne peux changer les pierres en pain, c’est que tu n’es ni fils de Dieu ni esprit. Mais tu dis que tu es fils de Dieu, en ce sens que tu espères en Dieu. Ceci encore n’est pas vrai. En effet, si tu avais espoir en Dieu, comme le fils en son père, tu ne serais pas maintenant tourmenté par la faim, tu t’abandonnerais au pouvoir de Dieu, tu ne garderais pas ta vie, tandis que tu ne te jettes pas du toit.

À cela Jésus-Christ répond qu’il ne doit rien exiger de Dieu. Plus loin on voit ce que Jésus entendait par ces paroles, mais le diable ne comprend pas cette raison. Le diable, lui, raisonne ainsi : Tu veux manger, alors procure-toi du pain. S’il était vrai que tu t’abandonnes à la volonté de Dieu, tu ne te soignerais pas, or tu veilles sur toi, donc tu ne dis pas vrai. Et la voix de la chair triomphante dit : Tu ne veux pas te soucier de la nourriture, alors ne prends pas soin de ta vie ; mais si tu prends soin de ta vie, si tu ne veux pas te jeter du haut du toit, alors pourquoi ne t’amasses-tu pas de pain ?

La voix de la chair semble vouloir forcer Jésus à avouer sa puissance et l’inéluctabilité de la vie charnelle ; c’est pourquoi elle dit : toutes tes espérances en Dieu, ta confiance en lui, tout cela, ce n’est que des mots ; tu n’as pas évité les souffrances de la chair, tu ne peux t’en affranchir. Tu fus et tu es le même fils de la chair comme tous les hommes ; et si tu es le fils de la chair, alors respecte-la et travaille pour elle. Moi je suis l’esprit de la chair, et il montre à Jésus le royaume du monde : Voici ce que je donne à ceux qui me servent. Respecte-moi, travaille pour moi, et cela t’appartiendra. Et Jésus répond de nouveau par le livre de Moïse (Deutéronome vi, 13) : « Tu craindras l’Éternel ton Dieu, et tu le serviras, et tu jureras par son nom. » Ces paroles du Deutéronome ne sont point accidentelles. Elles apprennent aux Israélites que quand ils recevront tous les biens de la chair, c’est alors qu’il leur faudra craindre d’oublier Dieu et qu’ils devront travailler pour lui seul.

La voix se tait, et la force de Dieu aide Jésus-Christ à supporter la tentation.

Tout ce qu’il fallait dire est dit. Les interprétations de l’Église servent à présenter ce passage comme la victoire de Jésus sur le diable. Aucune interprétation n’autorise à dire qu’il y eut victoire. Le diable est aussi victorieux que Jésus-Christ. Il n’y a victoire ni d’un côté ni de l’autre ; il n’y a que l’expression de deux principes opposés de la vie et tous deux : l’un, que nie Jésus-Christ, l’autre qu’il choisit, sont très clairement exprimés. Les deux raisonnements sont remarquables en cela que les systèmes philosophiques, et les systèmes de morale, les sectes religieuses, les différentes directions de la vie à telle ou telle période historique n’en sont que les différentes faces. Dans chaque entretien sérieux sur l’importance de la vie, sur la religion, dans chaque cas de lutte intérieure d’un individu, se répètent les mêmes raisonnements de cette conversation du diable avec Jésus, ou de la voix de la chair avec celle de l’esprit. Ce que nous appelons le matérialisme n’est autre chose que la chaîne de tous les raisonnements du diable. Ce que nous appelons l’ascétisme n’est que la suite logique de la première réponse de Jésus-Christ : ce n’est pas de pain que l’homme se nourrira.

Les sectes des suicidés, la philosophie de Schopenhauer et de Hartmann, ne sont que le développement du second raisonnement du diable, qui, dans sa forme simplifiée est le suivant :

Le diable. — Fils de Dieu, tu as faim. Avec des paroles tu ne feras pas de pain. Tu peux dire de Dieu ce que tu voudras, mais ton estomac demande du pain. Si tu veux rester vivant, travaille, fais provision de pain.

Jésus. — L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de Dieu. Ce n’est pas la substance charnelle qui donne la vie à l’homme, mais l’autre : l’esprit.

Le diable. — Si ce n’est pas la chair qui donne la vie, alors l’homme est affranchi de la chair et de ses besoins. Si tu es libre, jette-toi en bas, les anges te soutiendront. Tue ta chair peu à peu ou tue-la d’un coup.

Jésus. — La vie du corps provient de Dieu. C’est pourquoi on ne peut murmurer contre elle ni douter d’elle.

Le diable. — Tu dis : Pourquoi le pain ? et tu as faim. Tu dis : la vie est à Dieu, en l’esprit, et tu gardes bien ton corps. Alors tout cela n’est que balivernes. Ce n’est pas avec toi qu’a commencé le monde ni avec toi qu’il finira. Regarde les hommes. Ils ont vécu et vivent. Ils amassent le blé et le gardent ; et ils l’amassent non pour un jour, non pour une année, mais pour des années, et non le blé seul, mais tout ce dont ils ont besoin. Ils veillent à ne pas tomber, à ne pas être tués accidentellement, à ne pas être offensés. Si tu veux manger, alors travaille. Si tu as peur pour ton corps, alors soigne-le. Respecte ta chair, travaille, et tu vivras, et elle te récompensera.

Jésus. — L’homme ne vit pas de la chair, mais de Dieu. On ne peut pas douter de la vie qui vient de Dieu, et dans cette vie, il faut respecter Dieu seul et travailler pour lui seul.

Tous les raisonnements du diable, c’est-à-dire de la chair, si l’on se place à son point de vue, sont indiscutables et irréfutables. Le raisonnement du Christ, si l’on se place à son point de vue, est également irréfutable. La seule différence c’est que le raisonnement de Jésus-Christ contient le raisonnement de la chair ; Jésus-Christ comprend le raisonnement de la chair, il le prend pour base de toute la discussion, tandis que le raisonnement de la chair ne contient pas le raisonnement de Jésus-Christ et ne comprend pas son point de vue.

L’incompréhension de Christ par le diable commence à la seconde question et à la réponse. Le diable dit : Si tu prétends pouvoir vivre sans le pain nécessaire pour la vie, alors tu peux renoncer à toute la vie de la chair, tu peux, tout simplement, la nier, et, pour supprimer la vie, te jeter de la hauteur.

Jésus répond : En renonçant au pain, je ne renonce pas à Dieu, mais en me jetant du haut du temple, je renonce à Dieu. La vie est de Dieu. La vie c’est la manifestation en moi, dans ma chair, de Dieu. En renonçant à la vie, je doute d’elle, je doute de Dieu. C’est pourquoi l’on peut renoncer à tout au nom de Dieu, mais pas à la vie, parceque la vie est la manifestation de la divinité.

Mais le diable ne veut pas comprendre cela. Il croit son raisonnement juste et dit : Pourquoi peut-on renoncer au pain nécessaire à la vie, et ne peut-on renoncer à la vie elle-même ? Il dit : Ce n’est pas logique. Si l’on ne peut pas renoncer à la vie, on ne peut renoncer davantage à ce qui est nécessaire pour vivre. Et il tire cette conclusion : Si tu ne te jettes pas du toit et si tu crois qu’il faut se garder, alors il faut se garder de tout et faire provision de pain.

Jésus dit : On ne peut comparer le pain à la vie. Il y a une différence. Et le raisonnement conduit Jésus à une tout autre conclusion.

La chair dit : J’ai mis en toi le besoin de me soigner. Si tu penses pouvoir négliger mes exigences, et ne pas manger quand tu as faim, ne pense pas cependant que tu peux t’enfuir de moi. Si tu négliges mes exigences, c’est seulement que tu négliges les unes pour les autres, tu les sacrifies pour un temps, provisoirement, mais, néanmoins, tu vis pour la satisfaction de mes besoins. Tu sacrifies certains besoins aux autres, mais la chair elle-même tu ne la sacrifieras point ; c’est pourquoi tu ne t’enfuiras pas de moi, et toujours, comme tous les autres hommes, c’est moi seule que tu suivras.

C’est cette vérité indiscutable que Jésus-Christ met à la base de son raisonnement, et, dès les premiers mots, reconnaissant toute la justesse de ses raisonnements, il place la question à un autre point de vue. Il se demande : Qu’est-ce que ce besoin de soigner ma chair, qui est en moi, cette lubricité, et cette lutte intérieure contre la chair ? Et il répond : C’est en moi la conscience de la vie. Qu’est-ce donc que cette conscience de la vie ? La chair n’est pas la vie. Qu’est-ce donc que la vie ? La vie c’est quelque chose d’inconnu, mais quelque chose qui ne ressemble pas à la chair. C’est quelque chose d’une autre essence. C’est pourquoi, ayant reconnu la première proposition : que la chair existe et qu’il est urgent de la soigner il se dit que cependant tout ce qu’il sait de la chair et de ses désirs, il ne le sait que parce qu’il y a en lui la vie ; et il se dit que la vie provient non de la chair mais de quelque autre chose. Et c’est cette autre chose, contraire à la chair, qu’il appelle Dieu. Alors il dit : L’homme vit non parce qu’il mange le pain, mais parce qu’il y a en lui la vie. Et la vie provient de quelque autre chose, de Dieu.

Au second raisonnement de la chair : qu’on ne peut pas se débarrasser de la chair, puisqu’on ne vit qu’en obéissant à l’instinct de conservation, en la soignant, Jésus-Christ répond, s’en tenant toujours à son point de vue, qu’il soigne sa vie non pour la chair, mais parce qu’elle est de Dieu, parce que la vie est la manifestation de Dieu. C’est pourquoi, dans la dernière conclusion : qu’il faut travailler pour la chair, il se sépare tout à fait du tentateur et dit : C’est pourquoi il faut travailler pour le seul principe spirituel de la vie, pour Dieu.

Jésus dit : C’est pourquoi il faut travailler λατρεύειν non pour la chair, mais pour Dieu seul. Le mot λατρεύειν, signifie le travail d’un ouvrier loué, un travail contraint, pour un certain prix, et ce n’est pas accidentellement qu’il est employé ici, et il faut en bien comprendre la signification.

Jésus dit : C’est vrai, je serai toujours au pouvoir de la chair, toujours elle déclarera ses exigences, mais, outre la voix de la chair, je connais la voix de Dieu, indépendante d’elle. C’est pourquoi, dans ces tentations au désert ainsi que dans toute la vie, la voix de la chair et la voix de Dieu seront toujours en opposition, et il me faudra par force, comme un ouvrier qui attend son salaire, travailler tantôt pour l’un tantôt pour l’autre. Deux voix m’appelleront et exigeront le travail pour l’un ou pour l’autre, et dans ces cas contraires, je ferai un effort pour Dieu. De lui seul j’attendrai le salaire (la récompense). Autrement dit, dans les cas de lutte je choisirai toujours l’effort pour Dieu.

Et l’esprit remporte la victoire sur la chair, et Jésus trouve cet esprit qui doit le purifier pour que vienne le royaume du ciel. Pénétré de cet esprit, Jésus quitte le désert.

Si l’on donne aux mots Dieu et vie le sens qu’ils ont dans l’introduction, les paroles de Jésus-Christ deviennent encore plus claires.

Au premier discours du diable sur le pain, Jésus répond : Ce n’est pas de pain, mais par l’entendement que l’homme vivra.

Quand le diable lui demande de se jeter du toit, il répond : je ne puis pas douter de l’entendement, il est toujours avec moi. Il me donne la vie et la vie c’est la lumière de l’entendement. Comment donc puis-je douter de l’entendement et l’éprouver ?

C’est pourquoi je ne puis travailler pour personne ; je ne puis travailler que pour la conscience de la vie, pour ce qui est la vie elle-même. Je respecte l’entendement seul et sers lui seul.

Outre la signification intérieure de ce passage relativement au développement de sa doctrine, en Jésus-Christ lui-même, il tend aussi à expliquer dans la conscience de Jésus-Christ, Dieu comme entendement. Au commencement de la tentation, Jésus-Christ parle du Dieu des Israélites créateur de tout, de Dieu personne distincte de l’homme, de Dieu principalement charnel.

Peux-tu faire le pain ? demande le tentateur, et Christ, en répondant, dit déjà, bien que pas clairement, que Dieu n’est pas exclusivement Dieu de la chair, que l’homme ne vit pas de pain seul, mais par Dieu.

Les paroles : jette-toi en bas, ou : si l’on peut se priver de pain, l’on peut aussi se priver de la vie, expriment le doute que la vie même est de Dieu. La vie n’est pas de Dieu, mais en mon pouvoir. Et Christ répond : Tout est en mon pouvoir, excepté la vie, parce que la vie même est de Dieu. La vie c’est la manifestation de Dieu. La vie est en Dieu.

Ici, avec un autre sens que dans l’introduction est résumée la même pensée que la vie c’est la lumière de l’homme, que la lumière c’est l’entendement, et que l’entendement c’est ce que les hommes appellent Dieu ; c’est-à-dire le commencement de tout.

La troisième tentation transporte tout le raisonnement du domaine intérieur à l’extérieur. Elle dit : Ton raisonnement ne peut pas être juste quand tout le monde vit autrement. Christ, dans sa réponse, répète sa conception du Dieu intérieur, non charnel. Il dit : Parmi les biens que je ne me suis pas donnés, je dois respecter mon Dieu seul, et je dois travailler pour lui seul. En outre, il est nécessaire de se rappeler dans le développement postérieur de la doctrine, que cette conception de Dieu et les rapports de l’homme envers Dieu, exprimés dans ce passage, sont élaborés par Jésus-Christ par cette même voie de la pensée. Il faut se rappeler qu’à la question : De quoi vit l’homme, par le pain ou par Dieu ? la première fois Jésus s’explique lui-même sa doctrine sur la signification de Dieu et de l’homme et que par conséquent, en plusieurs passages de sa doctrine, quand il veut exprimer le rapport de l’homme envers Dieu, il suit cette même marche de la pensée et cette même comparaison avec le pain, par lesquelles, pour lui, s’exprimait cette signification.

Nous parlerons en son lieu de la concordance de ce passage avec tous ceux où il est question du pain, de la nourriture, de la boisson.

L’ARRIVÉE AUX NOCES DE CANA

Jean, ii, 1-11. Cet événement à Cana de Galilée, décrit avec force détails, est l’un des passages les plus instructifs des évangiles, en ce sens qu’il montre combien il est dangereux d’accepter tous les textes des évangiles dits canoniques, comme paroles sacrées. Ce qui se passa à Cana de Galilée ne présente rien d’extraordinaire ni d’instructif sous n’importe quel rapport. Comme miracle cet événement est dénué de sens ; comme prestidigitation, il est blessant ; comme tableau de mœurs, inutile.


Dans les versets : Matt., xiv, 3-5 ; Marc, vi, 17-20 ; Luc, iii, 19, 20, sont décrites les causes de l’emprisonnement de Jean.

Dans les versets : Matt., iv, 12 ; Jean, iv, 1-3 ; Luc, iv, 15 ; Jean, iv, 44-54 ; Luc, v, 1-10 ; Matt., iv, 19, 20 ; Marc, i, 17, 18, sont décrits des événements n’ayant pas rapport à la doctrine, et que pour cette raison, je n’ai pas traduits.


LA PRÉDICATION DE JÉSUS

Ἀπὸ τότε ἤρξατο ὁ Ἰησοῦς ϰηρυσσειν…

… τὸ εὐαγγέλιον τῆς βασιλείας τοῦ θεοῦ.

Καὶ λέγων· Ὅτι πεπλήρωται ὁ ϰαιρός, ϰαὶ ἡγγιϰεν ἡ βασιλεία τοῦ θεοῦ· μετανοεῖτε ϰαὶ πιστεύετε ἐν τῷ εὐαγγελίῳ.


Mathieu, iv, 17. Dès lors Jésus commença à prêcher et à dire : Amendez-vous ; car le royaume des cieux est proche.
Marc, i, 14. Or, après que Jean eut été mis en prison, Jésus s’en alla en Galilée, prêchant l’évangile du règne de Dieu,
15. et disant : Le temps est accompli et le règne de Dieu approche. Amendez-vous, et croyez à l’Évangile.
Dès lors Jésus commença à proclamer le royaume de Dieu. Il disait : Le moment est venu ; est venu le royaume de Dieu, rénovez-vous et croyez à l’annonciation du bien véritable.


Jean, ii, 19-34. On y trouve seulement qu’ayant aperçu Jésus-Christ, Jean s’écria : « Il me suit, mais il était avant moi », mais sans dire s’il était le Christ. Il s’ensuit que dans ce passage ainsi que dans les suivants qui confirment que Jésus était le Christ, il faut séparer de la doctrine l’indication qu’il est le Messie, avec laquelle cette indication est souvent liée. Jésus, dont la doctrine a gagné la plus grande moitié du monde, était-il ou non ce Christ que les Juifs attendaient ? c’est une question absolument étrangère à la doctrine.

Pour les Juifs qui embrassaient le christianisme, elle pouvait avoir de l’importance, c’est ce qui explique pourquoi, dans les évangiles, le sens des passages est souvent obscurci. Il n’est obscurci qu’afin de prouver que Jésus-Christ était Christ, c’est-à-dire sacré. De même que David et Saül étaient sacrés, de même Christ était sacré par Jean.

Pour ceux qui n’appartenaient pas à la religion juive, et que rien ne pouvait convaincre que Jésus était un véritable envoyé de Dieu, les affirmations de Jean concernant Jésus, si même elles furent dites, étaient complètement inutiles.


Les versets : Jean, i, 19-34 ; Matt., iii, 16, 17 ; Marc, i, 10, 11 ; Luc, iii, 21, 22, ont pour sujet l’affirmation et les preuves que Jésus-Christ est le fils de Dieu.

Jésus-Christ était-il le fils de Dieu, selon la conception des Juifs, c’est parfaitement indifférent pour quiconque n’est pas Juif. S’il n’y avait pas d’autre témoignage de sa filiation divine que la voix d’un inconnu, entendue il y a 1.800 ans, cette tradition de la voix céleste ne convaincrait personne. Or pour celui qui a compris la vérité de Jésus et sa filiation envers Dieu, comme elles sont expliquées dans le premier chapitre, les traditions sur la colombe et la voix du ciel sont au moins superflues.


LES PREMIERS DISCIPLES DU CHRIST

Τῇ ἐπαύριιον πάλιν εἰστήϰει ὁ Ἰωάννης, ϰαὶ ἐϰ τῶν μαθητῶν αὐτοῦ δύο.

Καὶ ἐμβλέψας τῷ Ἰησοῦ περιπατοῦντι λέγει· Ἵδε ὁ ἀμνος τοῦ θεοῦ.

Jean, i, 35. Le lendemain, Jean, étant encore là avec deux de ses disciples,
36. et voyant Jésus qui marchait, dit : Voilà l’agneau de Dieu.
Et Jean voyant de nouveau Jésus 1), dit de lui : C’est l’agneau de Dieu.

Remarques.

1) Ἐμβλεψας τῷ Ἰησοῦ περιπατοῦντι, ayant vu Jésus qui marchait. Il faut comprendre que Jean vit de nouveau Jésus comme celui-ci allait en Galilée. Le mot πάλιν l’indique. Chez Jean l’Évangéliste, ces événements mêmes sont racontés très brièvement. Toutefois cela ne prouve point qu’il ne se passa que ce qui fut dit. Cela peut être comme le récit connu d’un événement duquel un conteur ne répéterait que les traits saillants et mémorables. Il est évident que Jésus, rencontrant Jean, cause avec lui ; et la conversation terminée, Jean dit : C’est l’agneau réservé à Dieu. Ces paroles expriment nettement ce qu’avait dit Jean.


Καὶ ἤϰουσαν οἱ δύο μαθηταί αὐτοῦ λαλοῦντος, ϰαὶ ἠϰολούθησαν τῷ Ἰησοῦ.

Στραφείς δὲ ὁ Ἰησοῦς, ϰαὶ θεασάμενος αὐτοῦς ἀϰολουθοῦντας, λέγει αὐτοῖς. Τὶ ζητεῖτε ; Οἱ δὲ εἶπον αὐτῷ. Ῥαββεί (ὅ λέγεται ἑρμηνευόμενον, Διδάσϰαλε, ποῦ μένεις ;


Jean, i, 37. Et ses deux disciples, l’ayant ouï parler ainsi, suivirent Jésus. Deux des disciples de Jean, ayant entendu ces paroles, suivirent Jésus.
38. Jésus, s’étant retourné, et voyant qu’ils le suivaient, leur dit : Que cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Rabbi (c’est-à-dire maître) ! où demeures-tu ? Jésus, s’étant retourné, s’aperçut qu’ils le suivaient et leur dit : Que cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Rabbi (c’est-à-dire maître), où demeures-tu ? 1)


Remarques.

1) Ποῦ μένεις, où demeures-tu : Les paroles des disciples, et la réponse de Jésus, vous verrez où je demeure, et le fait que les disciples virent sa demeure, évidemment signifient plus que ce qui est exprimé. Jean l’Évangéliste ne mentionne que les paroles saillantes de cette conversation. Mais le sens de tout le passage est évidemment que les disciples veulent être avec lui, écouter sa doctrine, peut-être observer sa vie ; et Jésus les invite à le suivre. Ils voient sa vie, écoutent son enseignement et se convainquent de sa vérité.


Λέγει αὐτοῖς· Ἔρχεσθε καὶ ἴδετε· Ἦλθον καὶ εἶδον ποῦ μένει. καὶ παρ’ αὐτῷ ἔμειναν τὴν ἡμέραν ἐκείνην· ὥρα δὲ ἦν ὡς δεκάτη.

Ἦν Ἀνδρέας ὁ ἀδελφὸς Σίμωνος Πέτρου, εἷς ἐκ τῶν δύο τῶν ἀκουσάντων παρὰ Ἰωάννου, καὶ ἀκολουθησάντων αὐτῷ.

Εὑρίσκει οὗτος πρῶτος τὸν ἀδελφὸν τὸν ἴδιον Σίμωνα, καὶ λέγει αὐτῷ,

Εὑρήκαμεν τὸν Μεσσίαν (ὅ ἐστι μεθερμηνευόμενον, ὁ Χριστός).

Καὶ ἤγαγεν αὐτὸν πρὸς τὸν Ἰησοῦν· Ἐμβλέψας δὲ αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς εἶπε.

Σὺ εἶ Σίμων ὁ υἱὸς Ἰωνᾶ σὺ κληθήσῃ Κηφᾶς. ὃ ἑρμηνεύεται Πέτρος·

Καὶ προβὰς ἐκεῖθεν ὀλίγον, εἴδεν Ἰάκωβον τὸν τοῦ Ζεβεδαίου, καὶ Ἰωάννην, τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ, καὶ αὐτοὺς ἐν τῷ πλοίῳ καταρτίζοντας τὰ δίκτυα.

Καὶ εὐθέως ἐϰάλεσεν αὐτούς· ϰαὶ ἀφέντες τὸν πατέρα αὐτῶν Ζεβεδαῖον ἐν τῷ πλοίῳ μετά τῶν μισθωτῶν, ἀπῆλθον ὁπισω αὐτοῦ.

Τῇ ἀπαύριον ἠθέλησεν ὁ Ἰησοῦς ἐξελθεῖν εἰς τὴν Γαλιλαίαν· ϰαὶ εὑρισϰει Φίλιππον. ϰαὶ λέγει αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς· Ἀϰολούθει μοι.

Ἦν δὲ ὁ Φίλιππος ἀπὸ Βηθσαϊδά, ἐϰ τῆς πόλεως Ἀνδρέου ϰαὶ Πέτρου.

Εὑρισϰει Φίλιππος τόν Ναθαναήλ, ϰαὶ λέγει αὐτῷ· Ὄν ἔγραψε Μωσῆς ἐν τῷ νόμῳ. ϰαὶ οἱ προφῆται εὑρήϰαμεν, Ἰησοῦς τὸν υἱόν τοῦ Ἰωσήφ τὸν ἀπὸ Ναζαρέτ.

Καὶ εἶπεν αὐτῷ Ναθαναήλ. Ἐϰ Ναζαρέτ δύναταί τι ἀγαθόν εἶναι ; Λέγει αὐτῳ· Φίλιππος· Ἔρχου ϰαὶ ἴδε.

Εἶδεν ὁ Ἰησοῦς τὸν Ναθαναῄλ ἐρχόμενον πρὸς αὐτὸν, ϰαὶ λέγει περὶ αὐτοῦ· Ἴδε, ἀληθῶς Ἰσραηλείτης ἐν ᾦ δόλος οὐϰ ἔστι.


Jean, i, 39. Il leur dit : Venez, et voyez. Ils y allèrent, et vinrent où il logeait, et ils demeurèrent avec lui ce jour-là, car il était environ la dixième heure du jour. Il leur dit : Venez et vous verrez ! Ils allèrent, ils virent où il demeurait, et restèrent avec lui un jour.
40. André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu ce que Jean disait, et qui avaient suivi Jésus. Un de ces deux était André, frère de Simon Pierre.
41. Celui-ci trouva, le premier, Simon, son frère, et lui dit : Nous avons trouvé le Messie (c’est-à-dire le Christ). Il trouva son frère Simon et lui dit : Nous avons trouvé le Messie, ce qui signifie l’élu de Dieu.
42. Et il l’amena à Jésus. Jésus, l’ayant regardé, lui dit : Tu es Simon, fils de Jona : tu seras appelé Céphas (c’est-à-dire Pierre). Et il l’amena chez Jésus. Jésus l’ayant regardé lui dit : Tu es Simon, fils de Jona. Il faut l’appeler Pierre.
Marc, i, 19. Et de là passant un peu plus loin, il vitdans une barque Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, qui raccommodaient leurs filets. Étant passé un peu plus loin, il aperçut Jacques fils de Zébédée, et Jean son frère. Ils raccommodaient des filets, dans une barque.

20. Au même instant il les appela ; et eux, laissant Zébédée leur père, dans la barque avec les ouvriers, le suivirent. Aussitôt il les appela. Ils abandonnèrent Zébédée, leur père, dans la barque, avec les ouvriers.
Jean, i, 43. Le lendemain, Jésus voulut s’en aller en Galilée, et il trouva Philippe et lui dit : Suis-moi. Ensuite, juste avant l’entrée en Galilée, Jésus rencontra Philippe et lui dit : Suis-moi.
44. Or, Philippe était de Beth-Saïda, qui était aussi la ville d’André et de Pierre. Philippe était de Bethsaïda, du même village que Pierre et André.
45. Philippe rencontra Nathanaël, et lui dit : Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la loi, et dont les prophètes ont parlé : c’est Jésus de Nazareth, le fils de Joseph. Philippe rencontra Nathanaël et lui dit : Celui de qui Moïse a écrit dans la loi, nous l’avons trouvé. C’est Jésus fils de Joseph de Nazareth.
46. Nathanaël lui dit : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? Philippe lui dit : Viens et vois. Et Nathanaël lui dit : Est-ce qu’il peut sortir quelque chose de bon, de Nazareth ? Philippe lui dit : Va toi-même, tu verras.
47. Jésus, voyant venir Nathanaël, dit de lui : Voici un véritable Israélite en qui il n’y a point de fraude. Comme Nathanaël venait, Jésus, en se rencontrant 1) avec lui, dit de lui : Voilà vraiment un homme en qui il n’y a point de ruse.

Remarques.

1) Apercevoir, ici, a le sens de rencontrer, de suivre.


Ἀπεκρίθη Ναθαναὴλ καὶ λέγει αὐτῷ· Ῥαββεί, σὺ εἶ ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ, σὺ εἶ ὁ βασιλεὺς τοῦ Ἰσραήλ.

Jean, i, 49. Nathanaël lui répondit : Maître ! tu es le fils de Dieu, tu es le roi d’Israël. Et Nathanaël lui dit : Tu es le fils de Dieu, tu es le roi d’Israël 1).

Remarques.

1) L’affirmation de Nathanaël, que Jésus est le fils de Dieu, c’est-à-dire ce que Jésus avait pensé de soi-même dans le désert, et qu’il est roi d’Israël, c’est-à-dire qu’avec lui est venu le royaume de Dieu, prouve que Jean avait prêché cela à ses disciples et leur avait interprété beaucoup de choses. Nathanaël ayant compris cette interprétation dit : Oui, tu es le fils de Dieu, et tu es le roi d’Israël.

Le verset 48 du premier chapitre de Jean fait allusion à quelque chose connu de l’auteur mais qui est tout à fait perdu pour nous. Que se passait-il sous le figuier quand Jésus vit Nathanaël ? nous ne savons. C’est pourquoi nous omettons ce verset.

De même nous omettons le verset 50, se rapportant aussi à cet événement qui se passa sous le figuier.


Καὶ λέγει αὐτῷ· Ἀμὴν ἀμὴν λέγω ὑμῖν, ἀπ’ ἄρτι ὄψεσθε τὸν οὐρανὸν ἀνεῳγότα, καὶ τοὺς ἀγγέλους τοῦ θεοῦ ἀναβαίνοντας καὶ καταβαίνοντας ἐπὶ τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου.

Jean, i, 51. Il lui dit aussi : En vérité, en vérité, je vous dis que désormais, vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. Et il lui dit : Tu apprendras ce qui est le plus important. Je vous le dis en vérité, vous saurez que désormais le ciel vous est ouvert, et les forces de Dieu descendront sur le fils de l’humanité 1) et de lui remonteront au ciel.

Remarques.

1) Υἱος τοῦ ἀνθρώπου. Le fils de l’humanité ; par le sens et l’emploi, cette expression signifie et ne peut signifier que l’homme, dans le sens des qualités humaines propres à tous les hommes. Par ces paroles Jésus-Christ exprime ce qu’il a compris dans le désert. Selon la doctrine précédente, Dieu était un être étranger à l’homme. Le ciel — la demeure de Dieu et Dieu lui-même — était inaccessible à l’homme.

Selon la doctrine de Jésus-Christ, le ciel est ouvert à l’homme. La communion de Dieu avec l’homme est établie. La vie de l’homme vient de Dieu, et Dieu est toujours avec l’homme. C’est pourquoi la force de Dieu descend sur le fils de l’humanité. L’homme la reconnaît en lui et monte au ciel. L’homme reconnaît Dieu en soi. C’est en cela qu’est la venue du royaume de Dieu que Jean prêchait et que Jésus confirme.


LA PRÉDICATION DE JÉSUS-CHRIST À NAZARETH

Καὶ ἦλθεν εἰς τήν Ναζαρέτ, οὖ ἦν τεθραμμένος· ϰαὶ εἰσῆλθε ϰατά τό εἰωθος αὐτῷ, ἐν τῆ ἡμέρᾳ τῶν σαββάτῶν, εἰς τὴν συναγωγήν, ϰαὶ ἀνέστη ἀναγνῶναι.

Καὶ ἐπεδόθη αὐτῷ βιβλὶον Ἡσαῖου τοῦ προφὴτου· ϰαὶ ἀναπτύζας τό βιβλίον, εὖρε τόν τόπον οὖ ἦν γεγραμμένον.

Πνεῦμα Κυρίου ἐπ’ ἐμέ οὖ ἔνεϰεν ἔχρισέ με εὐαγγελιζεσθαι πτωχοῖς ἀπέστολϰέ με ἰάσασθαι τούς συντετριμμένονς τήν ϰαρδίαν, ϰηρύζαι αἰχμαλώτοις ἀφεριν, ϰαὶ τοφλοῖς ἀνάβλεψιν, ἀποστεῖλαί τεθραυσμένους ἐν ἀφέσει.

Κηρύξαι ἐνιαυτόν Κυρίου δεϰτόν.


Luc, iv, 16. Et Jésus vint à Nazareth, où il avait été élevé ; et il entra, selon sa coutume, le jour du sabbat, dans la synagogue, où il se leva pour lire. Et Jésus vint à Nazareth, où il avait été élevé. Et, selon son habitude, il alla à la réunion pendant les jours de fêtes, et se mit à lire.
17. Et on lui présenta le livre du prophète Isaïe ; et ayant ouvert le livre, il trouva l’endroit où il était écrit : On lui présenta le livre du prophète Ésaïe. Il l’ouvrit au passage où il est écrit :
18. L’Esprit du Seigneur est sur moi, c’est pourquoi il m’a oint ; il m’a envoyé pour annoncer l’évangile aux pauvres, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé ; L’Esprit de l’Éternel est sur moi, Il m’a oint pour annoncer le bonheur aux malheureux, aux cœurs brisés ; pour annoncer la liberté aux captifs, aux aveugles la lumière et, aux opprimés le salut et le repos ;
19. pour publier la liberté aux captifs, et le recouvrement de la vue aux aveugles ; pour renvoyer libres ceux qui sont dans l’oppression, et pour publier l’année favorable du Seigneur. (Isaïe, xi, l, 2.) pour annoncer à tous l’année de la grâce de Dieu 1).

Remarques.

1) Ce passage d’Ésaïe est pris au verset où l’on parle de la vengeance de Dieu (Ésaïe, lxi, 1, 2) : « Pour publier l’année de la bienveillance de l’Éternel, et le jour de la vengeance de notre Dieu ». Je cite le texte pour montrer qu’il ne faut donner aux paroles empruntées aux livres de Moïse et des prophètes, que le sens que leur donna Jésus-Christ. Il est évident qu’il choisit ces paroles, qu’il connaissait et qui exprimaient sa pensée, en rejetant celles qui la contredisaient.


Καὶ πτύξας τὸ βιβλίον, ἀποδούς τῷ ὑμηρέτη ἐϰάθισε· ϰαὶ πάντων ἐν τῇ συναγωγῇ οἱ ὀφθαλμοι ἦσαν ἀτενιζοντες αὐτῷ·

Ἢρξατο δὲ λέγειν πρὸς αὐτοῦς· Ὅτι σήμερον πεπλήρωται ἡ γραφή αὐτη ἐν τοῖς ὠσίν ὑμῶν.

Καὶ πάντες ἐμαρτυρουν· αὐτῷ, ϰαὶ ἐθαύμαζον ἐπὶ τοῖς λόγοις τῆς χάριτος τοῖς ἐϰτορευομένοις ἐϰ τοῦ στόματος αὐτοῦ, ϰαὶ ἔλεγον. Οὐχ οὖτός ἐστιν ὁ υἱὸς Ἰῶσήφ ;

Οὐχ οὖτός ἐστιν ὁ τεϰτῶν ;

Οὐχ οὖτός ἐστιν ὁ τοῦ τέϰτονος υἱὸς ; οὐχι ἡ μήτηρ αὐτοῦ λέγεται Μαριάμ, ϰαὶ οἱ ἀδελφοί αὐτοῦ Ἰαϰωβος ϰαὶ Ἰωσῆφ ϰαὶ Σίμων ϰαὶ Ἰούδας ;

Καὶ εἶπε πρὸς αὐτους . Πάντως ἐρεῖτέ μοι τὴν παρβολὴν ταύτην. Ἰατρέ, θεράπευσον σεαυτόν.

Οὐϰ ἐστι προφήτης ἅτιμος, εἰ μὴ ἐν τῇ πατρίδ: αὐτοῦ ϰαὶ ἐν τῇ οἰϰία αὐτοῦ.


Luc, iv, 20. Et ayant replié le livre et l’ayant rendu au ministre, il s’assit ; et les yeux de tous ceux qui étaient dans la synagogue étaient arrêtés sur lui. Et ayant replié le livre, et l’ayant remis à un serviteur, il s’assit. Et les yeux de tous étaient fixés sur lui.
21. Alors il commença à leur dire : Cette parole de l’Écriture est accomplie aujourd’hui, et vous l’entendez. Alors il commença à leur parler : Maintenant cette parole de l’Écriture s’accomplit sous vos yeux.
22. Tous lui rendaient témoignage et admiraient les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche, et ils disaient : N’es-tu pas le fils de Joseph ? Tous s’étonnaient du bienfait de ses paroles et ils disaient : N’est-ce pas le fils de Joseph ?

Marc, vi, 3. N’es-tu pas le charpentier… N’est-ce pas le charpentier ?…
Matthieu, xiii, 53. N’est-il pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie ? et ses frères Jacques, Josué, Simon et Jude ? N’est-ce pas le fils du charpentier ? N’est-ce pas sa mère qui s’appelle Marie, et ses frères, Jacques, Josué, Simon et Jude ?
Luc, iv, 23. Et il leur dit : Vous me direz sans doute ce proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même ! Et il leur dit : Vous vous dites sans doute : Médecin, guéris-toi toi-même !
Matthieu, xiii, 57. Un prophète n’est méprisé que dans son pays et dans sa maison. Parce que nul prophète n’est compris dans son pays 1).

Remarques.

1) Je ne saisis pas bien le sens des paroles sur les prophètes dans leur pays et sur les médecins. Du reste le sens de ce passage, tel qu’il est interprété, est étranger à la doctrine, et, par conséquent, se rattache au supplément.


Καὶ ϰαταλιπών τήν Ναζαρέτ, ἐλθών ϰατῷϰησεν εἰς Καπερναυμ τήν παραϰαλασσιαν, ἐν ὁρίοις Ζαβουλὼν ϰαὶ Νεφθαλεῖμ.

Καὶ εὐθέως τοῖς σάββασιν εἰσελθών εἰς συναγωγήν, ἐδιδασϰε.

Καὶ ἐξεπλήσσοντο ἐπί τῇ διδαχῇ αὐτοῦ· ἦν γὰρ διδάσϰων αὐτοῦς ὡς ἐξουσιαν ἔχων, ϰαὶ οὐχ ὡς οἱ γραμματεῖς.


Matthieu, iv, 13. Et ayant quitté Nazareth, il vint demeurer à Capernaüm, ville proche de la mer, sur les confins de Zabulon et de Nephthali ; De Nazareth, Jésus alla demeurer à Capernaüm.

Marc, i, 21. (Luc, iv, 31.) Ensuite ils entrèrent à Capernaüm ; et Jésus, étant d’abord entré dans la synagogue le jour du sabbat, y enseignait. Et aussitôt, le jour du sabbat, il participa à la réunion et se mit à enseigner.
22. (Luc, iv, 32.) Et ils étaient étonnés de sa doctrine ; car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes. Et ils admiraient sa doctrine parce qu’il les enseignait librement 1) et non pas comme les scribes.

Remarques.

1) Ὡς ἐξουσίαν ἔχων signifie ayant la liberté, Ἐξουσία signifie d’abord liberté ; et ici il a évidemment ce sens et non celui de pouvoir, puisqu’il est opposé à la manière des scribes. C’étaient les scribes qui avaient l’autorité ; on ne pouvait donc pas dire : avec autorité et non pas comme les scribes. L’opposition est en ceci que précisément les scribes qui avaient l’autorité n’enseignaient pas librement, tandis que Jésus-Christ enseignait librement. Autrement dit, les scribes considéraient les hommes comme les esclaves de Dieu, dépourvus de liberté, tandis que, selon la doctrine de Jésus-Christ, les hommes étaient libres. Cela admis on comprend aisément ce que le peuple pouvait admirer. Si Jésus-Christ avait enseigné avec autorité, c’est-à-dire avec audace, effronterie, le peuple n’eût rien pu admirer. Les Pharisiens et les scribes le savaient faire beaucoup mieux. Mais évidemment, sa doctrine renfermait autre chose, et c’était cela qu’il enseignait ὡς ἐξουσίαν ἔχων, c’est-à-dire librement, comme un homme libre de tout lien.


LA NAISSANCE ET L’ENFANCE DE JÉSUS-CHRIST, ET SES PREMIÈRES PRÉDICATIONS
(Sens général du premier chapitre).

L’entendement s’incarna en Jésus-Christ. Jésus-Christ annonça aux hommes le vrai bien. Et voici comment s’opéra la naissance de Jésus-Christ. Sa mère, Marie, était fiancée à Joseph. Mais avant qu’ils vécussent ensemble comme époux, Marie se trouva enceinte. Joseph, homme bon, ne voulut pas l’humilier et l’accepta pour femme : toutefois, il n’eut aucune relation avec elle avant qu’elle n’eût mis au monde son premier fils qu’elle appela Jésus.

L’enfant grandit, se fortifia ; son intelligence était au-dessus de son âge. Or voici ce qu’il lui advint pendant son enfance : Jésus avait alors douze ans. Une fois, Marie et Joseph étant allés pour la fête à Jérusalem, le prirent avec eux. La fête terminée, ils repartirent chez eux, oubliant l’enfant. Quand ils s’en aperçurent, ils pensèrent d’abord qu’il était parti avec d’autres enfants, et ils interrogèrent les passants. L’enfant ne se trouvait nulle part. Ils durent retourner à Jérusalem et le chercher. Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple.

Il était là avec les docteurs, les interrogeant et écoutant. Et tous admiraient son esprit. Sa mère le retrouvant lui dit :

Que nous as-tu fait ? Ton père et moi nous étions inquiets et te cherchions.

Il leur répondit :

Où donc m’avez-vous cherché ? Ne savez-vous pas qu’il faut chercher le fils dans la maison de son père ?

Mais ils ne le comprirent point. Ils n’ont pas compris que Jésus, sachant qu’il n’avait pas de père charnel, considérait Dieu comme son père unique. Jésus retourna chez ses parents ; il leur obéissait en tout. Il grandissait en âge et en raison, et était aimé de Dieu et des hommes. Il vécut ainsi jusqu’à l’âge de trente ans, et tous pensaient qu’il était le fils de Joseph. Alors Jésus commença à annoncer le vrai bien, et, comme les prophètes l’avaient prédit, que Dieu viendrait dans le monde. Le prophète Malachie avait dit : « Mon messager ira en avant pour me tracer la voie ». Et le prophète Isaïe : « La voix appelle à vous. Tracez dans le désert la voie pour le Seigneur ; aplanissez son chemin ; faites que tout soit uni, qu’il n’y ait ni ravins ni montagnes, ni montées ni descentes. Alors Dieu sera parmi vous et tous trouveront leur salut ».

Conformément à ces paroles des prophètes, à l’époque de Jésus-Christ parut un nouveau prophète, Jean. Jean vivait dans le désert de la Judée, au bord du Jourdain. Jean était vêtu d’une peau de chameau et ceint d’une courroie. Il se nourrissait de l’écorce des arbres et d’herbes. Il appelait les hommes à la nouvelle vie ; ceux-ci lui confessaient leurs fautes, et Jean les baignait dans le Jourdain en signe de leur rénovation.

Il leur disait :

Est-ce que vous aussi, avez senti que vous ne fuirez pas la volonté de Dieu ? Alors rénovez-vous ; et si vous voulez être rénovés, qu’on voie d’après vos actes que vous êtes changés. Jean disait : Jusqu’à présent les prophètes ont dit que Dieu viendra. Moi je vous dis : Amendez-vous, Dieu est déjà venu. Il disait : Je vous purifie par l’eau, mais celui qui vient après moi, et qui est plus grand que moi, vous purifiera par l’esprit. Quand il viendra, il vous purifiera comme le maître purifie son aire. Il ramasse le froment et brûle la paille. Si l’arbre ne donne pas de bons fruits, on le coupe et le jette au feu, et la hache est déjà près de la racine de l’arbre.

Et le peuple lui demandait :

Que nous faut-il faire ?

Il répondait :

Que celui qui a deux habits en donne à celui qui n’en a pas ; et que celui qui a de la nourriture en donne à celui qui en manque.

Les percepteurs vinrent le trouver et lui demandèrent :

Que devons-nous faire ?

Il leur répondit :

N’exiger que ce qui est dû.

Les soldats lui demandèrent : Que devons-nous faire ?

Il leur dit :

N’offensez personne, ne trompez personne. Soyez contents de ce que vous avez.

Mais il disait encore bien d’autres choses au peuple sur ce qui est le vrai bien.

Jésus avait alors trente ans. Il alla trouver Jean au bord du Jourdain, et écouta ses paroles : que Dieu vient, qu’il faut s’amender, que maintenant les hommes seront purifiés par l’eau, mais qu’ils doivent se purifier par l’esprit, et qu’alors Dieu viendra. Jésus ne connaissait pas son père charnel et regardait Dieu comme son père. Il eut foi aux paroles de Jean et se dit : S’il est vrai que Dieu est mon père, et si je suis le fils de Dieu, alors ce que dit Jean est aussi vrai, et il me faut seulement me purifier en esprit pour que Dieu vienne en moi.

Et Jésus partit au désert pour éprouver s’il était vrai qu’il fût le fils de Dieu et que Dieu viendrait en lui. Il s’en fut dans le désert et resta là, sans boire ni manger ; et il dépérit. Alors le doute le saisit. Il pensa : « On dit que tu es esprit, fils de Dieu, et que Dieu viendra en toi, or tu souffres parce que tu n’as pas de pain, et Dieu ne vient point à toi. Alors tu n’es pas esprit, tu n’es pas le fils de Dieu. Mais il se dit : Ma chair désire le pain, le pain est nécessaire à la vie, mais l’homme vit non du pain mais de l’esprit, de ce qui lui vient de Dieu.

Cependant la faim le torture quand même et un autre doute le saisit. Il pense : Tu dis que tu es le fils de Dieu et que Dieu viendra à toi, et tu souffres et ne peux faire cesser tes souffrances. » Et il s’imagine être sur le toit du temple et une idée lui vient : Si je suis l’esprit, fils de Dieu, je puis me jeter en bas, je ne me tuerai pas ; une force invisible me protégera, me soutiendra, et me sauvegardera de tout mal. Pourquoi ne me jetterais-je pas, pour cesser de souffrir de la faim ? Mais il se dit : Pourquoi tenterais-je Dieu pour savoir s’il est avec moi ou non ? Si je peux l’éprouver, je ne crois pas en lui et il n’est pas avec moi. Dieu l’esprit me donne la vie, c’est pourquoi la vie, l’esprit, est toujours en moi. Et je ne puis pas me tuer puisque je sens en moi l’esprit.

Mais la faim le tenaillait toujours. Et une autre idée lui vint : Si je ne dois pas tenter Dieu en me jetant du haut du temple, alors je ne dois pas non plus l’éprouver en ne satisfaisant pas mon besoin de manger. Je ne dois pas me priver de tous les désirs de la chair ; ils sont en moi et en tous les hommes. Et il se représenta tous les royaumes de la terre et tous les hommes, comment ils vivent et travaillent pour la chair en attendant la récompense. Et il pensa : Ils travaillent pour la chair, et elle leur donne tout ce qu’ils ont. Si je travaillais pour elle, j’aurais la même chose. Mais il se dit : Mon Dieu n’est pas la chair, mais l’esprit. C’est par lui que je vis. Je le sens toujours en moi, c’est lui seul que je respecte, et je travaille pour lui seul, et c’est de lui que j’attends la récompense. Alors le tentateur l’abandonna et l’esprit le rénova. Il comprit alors que Dieu était venu à lui et vivait en lui ; et ayant compris cela, fort de son esprit, il retourna en Galilée.

Dès ce moment, ayant compris la force de l’esprit, il se mit à annoncer la présence de Dieu. Il disait : le temps est venu, ressaisissez-vous, croyez à l’annonciation du bien.

Du désert Jésus retourna de nouveau près de Jean et demeura avec lui. Quand Jésus quitta Jean, celui-ci dit de Jésus : c’est le véritable fils de Dieu (l’élu). À ces paroles de Jean, deux de ses disciples l’abandonnèrent pour suivre le Christ.

Un de ces disciples s’appelait André. André avait un frère, Simon. Ayant écouté Jésus, André alla chez son frère Simon et lui dit : Nous avons trouvé l’élu de Dieu ; et il l’emmena chez Jésus.

Jésus donna à ce frère d’André le nom de Pierre ; et ces deux frères devinrent les disciples de Jésus. Jésus partit plus loin avec ses deux disciples. Ayant parcouru une certaine distance, Jésus aperçut des pêcheurs dans une barque. C’étaient le père Zébédée et ses deux fils Jacques et Jean avec des ouvriers. Ils étaient assis et réparaient un filet. Jésus se mit à causer avec Jacques et Jean, et tous deux, laissant leur père et les ouvriers dans la barque, suivirent Jésus et devinrent ses disciples. Plus tard, avant d’entrer en Galilée, Jésus rencontra aussi Philippe et l’appela. Philippe était de Bethsaïde, le pays de Pierre et d’André.

Quand Philippe eut fait la connaissance de Jésus, il alla trouver son frère Nathanaël et lui dit : Nathanaël, nous avons trouvé l’élu de Dieu, celui de qui Moïse a écrit. C’est Jésus, fils de Joseph de Nazareth. Nathanaël s’étonna que l’élu de Dieu fût du village voisin et en fit la remarque. Philippe lui dit : Rejoignons-le, tu verras et entendras toi-même. Nathanaël y consentit et alla avec son frère. Il vit Jésus, et l’ayant entendu parler, lui dit : Oui, maintenant, je vois que c’est vrai que tu es le fils de Dieu et le roi d’Israël. Jésus lui dit : tu vas apprendre ce qui est plus important que cela : que le royaume du ciel est arrivé. C’est pourquoi je vous dis que la force de Dieu descendra sur tous les hommes et qu’en eux se reflétera la force divine. Désormais Dieu ne sera plus un être particulier, mais les hommes se confondront avec Dieu.

Du désert Jésus retournait à son pays, Nazareth. Pendant la fête, comme toujours il alla à la réunion et se mit à lire. On lui donna le livre du prophète Ésaïe. Il l’ouvrit et lut : L’esprit du Seigneur est en moi. Il m’a choisi pour annoncer le bonheur aux malheureux et à ceux qui ont le cœur brisé. Pour annoncer la liberté aux captifs, aux aveugles la lumière, et à ceux qui souffrent, le salut et le repos. Pour annoncer à tous le moment du salut de la grâce de Dieu. Il replia le livre, le remit au serviteur, et s’assit. Tous attendaient ce qu’il allait dire. Et il dit : Maintenant cela est réalisé devant vos yeux ; Dieu est dans le monde. Le royaume de Dieu est arrivé, et tous les malheureux, tous ceux qui ont le cœur brisé, et les captifs, les aveugles, les souffrants, tous reçoivent le salut.

Plusieurs s’étonnaient de la bonté de sa parole. D’autres disaient : Mais c’est un charpentier ; le fils d’un charpentier ; sa mère se nomme Marie ; et ses frères, Jacques, Simon, Jude et Josué. Nous les connaissons tous, ils sont pauvres comme nous. Et Jésus leur dit : Parce que je dis : Non, il n’y a plus de malheureux, plus d’affligés, et que mon père, ma mère et mes frères sont pauvres, vous pensez sans doute que je mens, ou que je dois les rendre tous heureux. Si vous pensez cela, alors vous ne comprenez pas ce que je dis. C’est ainsi qu’on ne comprend jamais le prophète en son pays.

Et Jésus alla à Capernaüm. Là, le jour du sabbat il entra dans l’Assemblée et se mit à prophétiser. Et tout le peuple s’étonna de sa doctrine, parce que sa doctrine était tout autre que celle des scribes. Les scribes enseignaient la loi à laquelle tous devaient obéir, et Jésus disait que tous les hommes sont libres.

  1. Les interprétations des évangiles par l’archevêque Mikhaïl, p. 63.