Les Quatre Évangiles/Introduction/02

Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 21p. 23-64).


INTRODUCTION[1]




SIGNIFICATION DU TITRE

ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ, ϰατὰ Ματθαῖον, ϰατὰ Μάρϰον, ϰατὰ Λουϰᾶν, ϰατὰ Ἰωάννην.

Ἀρϰή τοῦ εὐαγγελίου Ἰησοῦ Χριστοῦ (υἱοῦ Θεοῦ).


Évangiles de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean. L’annonciation du bien 1) selon 2) Matthieu, Marc, Luc et Jean.
Marc, i, 1. Le commencement de l’évangile de Jésus-Christ, fils de Dieu. Le commencement de l’annonciation du bien de Jésus-Christ 3), fils de Dieu 4).


Remarques.

1) Le mot Εὐαγγέλιον (Évangile) n’est ordinairement pas traduit. On désigne sous ce mot les livres du Nouveau Testament sur Jésus-Christ, et on ne lui attribue pas d’autre sens. Cependant ce mot a une signification précise, en rapport avec le contenu des livres. La traduction littérale du mot εὐαγγέλιον est en russe : blagovest (l’annonce du bien). Cette traduction est défectueuse : 1o parce que le mot blagovest a une autre signification (la sonnerie des cloches pour la messe) ; 2o parce qu’elle ne rend pas la signification des deux mots composants, εὐ et αγγέλιον. εὐ signifie : bien, juste, bonheur ; αγγέλιον ne signifie pas tant la nouvelle communiquée que l’action même de communiquer la nouvelle. La traduction la plus exacte de ce mot est donc Annonciation. Et le mot composé εὐαγγέλιον doit être traduit : l’Annonciation du bien.

2) Les mots ϰατὰ Ματθαῖον, etc., signifient que l’annonciation du bien est faite d’après les descriptions et, en général, d’après les renseignements communiqués sur cette annonciation par Matthieu, Marc, Luc et Jean. Et puisque nous ignorons de quelle façon les évangélistes transmettaient leurs enseignements, qu’on ne dit pas qu’ils les écrivaient eux-mêmes, le mot ϰατὰ doit être traduit par selon, qui exprime que les renseignements sur l’annonciation, de quelque façon qu’ils aient été transmis, proviennent de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean.

3) Le mot Χριστός signifie « Souverain sacré ». Le sens de ce mot vient d’une ancienne tradition des Juifs. Ce mot n’a aucune importance quant au sens du contenu de l’Annonciation du bien, et peut être indifféremment traduit par « Sacré » ou « Christ » ; moi je préfère Christ, puisque le mot sacré a reçu en russe une tout autre signification.

4) L’expression « Fils de Dieu » est acceptée par l’Église comme l’appellation exclusive de Jésus-Christ. Mais selon les Évangiles, elle n’a pas cette signification exclusive. Elle se rapporte à tous les hommes. Cette signification est clairement exprimée dans plusieurs passages de l’Évangile.

Parlant du peuple, en général, Jésus-Christ dit (Matt., v. 16) : « Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. »

Et ailleurs (Matth., v. 45) : « Afin que vous soyez enfants de votre Père, qui est dans les cieux ; »

Luc, vi, 36 : « Soyez donc miséricordieux, comme aussi votre Père est miséricordieux ».

Matth., vi, 1 : « … ; autrement vous n’en aurez point de récompense de votre Père qui est aux cieux. »

Matth., vi, 4 : « … et ton Père qui te voit dans le secret te le rendra publiquement. »

Matth., vi, 48 : « Soyez donc parfaits, comme votre Père qui est dans les cieux est parfait. »

Matth., vi, 6 : « …, prie ton Père qui est dans ce lieu secret, et ton Père qui te voit dans le secret te le rendra publiquement. »

Matth., vi, 8 : « … ; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. »

Matth., vi, 14 : « Car si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres. »

Et d’autres passages encore des évangiles dans lesquels les hommes sont appelés fils de Dieu. En outre, dans l’évangile de Luc se trouve un passage où il est dit non seulement que par « Fils de Dieu » il faut entendre chaque homme, mais que Jésus en se nommant ainsi n’attachait pas à ce nom un sens exclusif quelconque. Il entendait dire simplement que lui-même, comme tous les autres hommes, provenait de Dieu, et par suite était Fils de Dieu. En exposant la généalogie de Jésus, Luc, après avoir nommé les grands-pères, les aïeux, etc., dit (iii, 23-38) : « Jésus… fils… fils d’Enos, fils de Seth, fils d’Adam, qui fut créé de Dieu. »

Ainsi les paroles : De Jésus-Christ fils de Dieu, indiquent la personne par qui cette annonciation est faite, et qui est appelée, comme l’appellent les hommes, Jésus. En plus il s’appelle Christ, c’est-à-dire élu de Dieu ; et enfin, il est aussi appelé fils de Dieu.

Ce titre définit le contenu du livre. Il indique que dans ce livre on annonce aux hommes le bien. Il est nécessaire de se rappeler la signification de ce titre pour savoir séparer dans le livre les passages les plus essentiels des moins importants. Puisque le sujet du livre est l’annonciation du bien aux hommes, le plus essentiel est donc ce qui définit ce bien des hommes ; ce qui n’a pas pour but l’annonciation de ce bien est moins important. En résumé, le titre complet sera celui-ci :

L’Annonciation du vrai bien faite par Jésus-Christ fils de Dieu.


Les fins du livre.

Ταῦτα δέ γέγραπται ἴνα πιστεύητε ὅτι Ἰησοῦς ἐστιν ὁ Χριστός ὁ νἱὸς τοῦ Θεοῦ, ϰαὶ ἲνα πιστεύοντες ζωὴν ἔχητε ἐν τῷ ὀνόματι αὐτοῦ.

Ἐπειδήπερ πολλοί ἐπεχείρησαν ἀνατάξασθαι δίηγησιν περὶ τῶν πεπληροφορημένων ἐν ἡμὶν πραγηάτων, ϰαθὼς παρέδοσαν ἡμίν οἱ ἀπ' αρχῆς αὐτόπται ϰαὶ ὑπηρέται γενόμενοι τοῦ λόγου, ἔδοξε ϰάμοὶ παρηϰολουθηϰότι ἀνωθεν πᾶσιν ἀϰριβῶς ϰαθεξής σοι γραψαι, ϰράτιστε Θεοφιλε, ἴνα ἐπιγνῷς περὶ ὦν ϰατηχήθης λόγων τήν ἀσφαλειαν.


Jean, xx, 31. Mais ces choses ont été écrites, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayiez la vie par son nom. Ceci est écrit afin que chacun croie que Jésus-Christ 1) est le fils de Dieu, et, ayant cru cela, reçoive la vie par l’essence même de ce qu’il était 2).
Luc, i, 1. Plusieurs ayant entrepris d’écrire l’histoire des choses dont la vérité a été connue parmi nous avec une entière certitude ; Puisque plusieurs ont déjà commencé à raconter les choses qui sont arrivées chez nous ;
2. selon que nous les ont apprises ceux qui les ont vues eux-mêmes dès le commencement, et qui ont été les ministres de la parole ; comme nous les ont racontées ceux qui ont vu et suivi la doctrine 3);

3. j’ai cru aussi, très excellent Théophile, que je devais te les écrire par ordre, après m’en être très exactement informé dès leur origine ; moi aussi je me suis décidé, ayant appris tout de façon indiscutable, à t’écrire du commencement, en ordre, Théophile,
4. afin que tu reconnaisses la certitude des choses dont tu as été instruit. pour que tu apprennes la vraie vérité sur les doctrines qu’on t’a enseignées 4).


Remarques.

1) Dans quelques versions, ces paroles ne sont plus placées comme ici : ὅτι ὁ Ἰησοῦς ἐστὶν ὁ Χριστός ὁ υἱός τοῦ Θεοῦ, mais autrement : ὅτι Ἰησοῦς Χριστός υἱός ἐστίν τοῦ Θεοῦ. J’accepte le second ordre, le trouvant plus clair.

2) Les mots ἐν τῷ ὀνόματι αὐτοῦ, sont traduits littéralement par « en son nom ». Ces mots forment une de ces expressions auxquelles, dans la traduction littérale, nous attribuons le plus souvent une signification abstraite et peu claire. Le mot hébreu qui correspond au mot ὄνομα, signifie non le nom mais la personne elle-même, ce qu’est cette personne. C’est pourquoi les paroles « ayez la vie par son nom » doivent être comprises ainsi : que la vie nous est donnée par l’essence de ce qu’est le Fils de Dieu. Je traduis : « recevoir la vie par l’essence même de ce qu’il était. »

3) Les paroles αὐτόπται ϰαὶ ὑπηρέται γενόμενοι τοῦ λόγου sont mal traduites : « ceux qui les ont vues dès le commencement, et qui ont été les ministres de la parole », et en allemand « Diener des Worts ». Dans cette expression, λόγος ne peut pas signifier « la parole » : on ne peut pas voir la parole. La traduction de la Vulgate : viderunt et ministri fuerunt sermonis est plus exacte. Ici le mot λόγος ne peut signifier autre chose que : la propagande de la doctrine ou de la sagesse ; et il faut traduire ainsi.

4) Cette préface de Luc s’adresse spécialement à Théophile, à qui l’auteur expose les raisons qui l’ont poussé à écrire son évangile.

Les versets qui parlent de ce qui a déjà été écrit et de ce qui a poussé Luc à écrire son évangile ne se rapportent point à la doctrine. En conséquence on peut les omettre ou les imprimer en petits caractères comme supplément.


Dans cette préface (Jean, xx, 31) il est dit que les hommes auront « la vie » s’ils croient que Jésus-Christ est le fils de Dieu.

De même par les paroles : l’annonciation du bien, on suppose un vrai bien particulier, plus durable que ce que les hommes appellent d’ordinaire de ce nom, et par la vie promise aux hommes on entend autre chose que ce que l’on appelle la vie. Cette autre vie on la reçoit par la foi en ce qu’est le fils de Dieu. Sans définir ce qu’il faut comprendre par l’expression « fils de Dieu », on indique qu’à cette filiation est liée l’annonciation même du bien.

Ainsi le sens de ce verset de Jean est le suivant : On a écrit l’annonciation du bien pour que tous les hommes qui croient Jésus-Christ fils de Dieu aient la vie par la foi en ce qu’est le fils de Dieu.


L’entendement de la vie.

Εν ἀρχὴ ἦν ὁ λόγος ϰαὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τόν Θεόν, ϰαὶ Θεός -ἦν ὁ λὸγος.

Οὖτος ἦν ἐν ἀρχῆ πρὸς τον Θεόν.


Jean, i, 1. La parole était au commencement ; la parole était avec Dieu, et cette parole était Dieu. Le commencement 1) de tout 2) est devenu 3) l’entendement 4) de la vie. Et l’entendement de la vie a pris la place de Dieu 5). Et c’est l’entendement de la vie qui est devenu Dieu 6).
2. Elle était au commencement avec Dieu. Il est devenu le commencement de tout pour Dieu 7).


Remarques.

Avant d’expliquer la traduction du premier verset et des suivants de l’Introduction, il est nécessaire de se rendre un compte exact du sens des traductions existantes.

La traduction, par l’Église, du premier verset, non seulement n’a aucun sens, mais elle ne peut en avoir avec la signification qu’elle attribue au verbe ἧν. Cette traduction ; « La parole était au commencement » n’est pas la traduction de la pensée mais la traduction des mots. La pensée n’est pas rendue, mais on attribue à chaque mot une interprétation mystique et arbitraire. Pour trouver le sens de ces expressions, il faut renoncer à l’interprétation ecclésiastique et analyser chaque mot. Nous ne comprendrons le sens du premier verset qu’une fois réuni à toute l’introduction et au titre.

L’introduction (Jean i, 1-18) indique quel sens reçoit l’évangile d’après l’annonciation. Et ce sont les premiers mots qui expriment ce sens.

1) La préposition ἐν signifie le séjour en quelque chose. Avec le verbe de mouvement, elle signifie le changement et le séjour en quelque chose.

2) Ἀρχὴ, signifie le commencement ; non seulement provisoire mais fondamental, le commencement de tout le commencement, c’est pourquoi je le traduis : le commencement de tout.

3) Ἧν (du verbe εἶναι — être) outre l’existence, signifie aussi le changement et souvent peut et doit se traduire par le mot devenir.

4) λόγος a onze significations principales : 1o la parole ; 2o le discours ; 3o la causerie ; 4o l’ouïe ; 5o l’éloquence ; 6o la raison, comme distinguant l’homme de l’animal ; 7o le raisonnement, l’opinion, la doctrine (ce que la Vulgate traduit par « sermo ») ; 8o la cause, la raison de penser ; 9o le compte ; 10o le respect ; 11o le rapport (λόγος ἐγένετο πρός — être en rapport avec quelqu’un).

Si à un élève connaissant bien le grec mais ignorant la doctrine de l’Église, on donne à traduire le premier verset de Jean, pour bien traduire ce passage selon le sens de ce qui suit, il rejettera sept significations impossibles du mot λόγος, à savoir : parole, discours, causerie, ouïe, éloquence, compte, respect. Il choisirait parmi : raison, cause, raisonnement, rapport. Ces quatre significations attribuées au mot λόγος, dans les traductions, se rapprochent du sens du texte, mais chacun de ces mots à part est insuffisant. Le mot raison ne définit que la faculté donnée à l’homme de raisonner, de réfléchir. Le raisonnement n’est que l’action, l’activité de cette capacité de penser. La cause c’est une des formes de la pensée. Chaque mot à part définit un côté de l’activité de la pensée, tandis que λόγος a ici évidemment la signification la plus large, la plus essentielle. C’est dans cette même introduction, du même auteur, sur le même sujet, que cette signification est le mieux définie. Dans la première épitre de Jean, (i, 1) il est dit : λόγος τὴς ζωῆς, c’est-à-dire le sens de la vie. Pous traduire λόγος, je préfère le mot entendement, parce qu’il unit les quatre significations possibles du mot λόγος. L’entendement c’est non seulement la raison, mais aussi l’action de la raison qui conduit à quelque chose ; non seulement la cause, mais la recherche de la cause ; non seulement le raisonnement, mais le raisonnement expliquant la cause ; non seulement le rapport, mais l’activité raisonnable en rapport avec la cause ; et en ajoutant τὴς ζωῆς, que Jean introduit dans l’Épître, le sens devient complètement exact et clair : l’entendement de la vie. Je ne condamne aucune autre traduction. On peut employer les mots raison, sagesse et même parole, mais en attribuant à ᾶ λογος une signification plus large qu’il ne comporte point. On peut même laisser non traduit le mot λόγος, le sens de tout le passage sera le même. Je traduis donc ainsi littéralement la première partie du premier verset : Au commencement de tout est venu l’entendement de la vie. Cette traduction devient tout à fait claire si l’on a en vue le titre, c’est-à-dire l’annonciation du bien par Jésus-Christ. Au commencement de tout, ou le commencement de tout est devenu l’entendement de la vie selon l’annonciation de Jésus-Christ.

5) La seconde partie du premier verset ϰαί ὁ λόγος ἦν πρὸς τον Θεόν, dans la traduction de l’Église, est encore plus incompréhensible. Pour dissiper cette obscurité il faut tout d’abord faire attention au mot « Dieu ». Le mot « Dieu » n’est rien d’autre qu’une définition du λόγος. Il est donc nécessaire de savoir ce que l’auteur entend par le mot « Dieu ».

Dans la conclusion de cette introduction, verset 18, et première épitre de Jean, chap. iv, 12, il est dit que personne n’a jamais vu Dieu. Pour que ces premiers versets ne soient pas compris faussement, pour que le lecteur n’associe point au mot Dieu une conception que l’auteur ne lie pas à ses paroles, il faut se rappeler comment l’auteur les comprend ; et l’on verra aussitôt qu’on ne peut pas, qu’il ne faut pas comprendre par le mot « Dieu » quelque chose de tangible et de défini, et alors le sens des premières paroles sera tout à fait clair.

πρός avec l’accusatif a onze significations : 1o vers ; 2o dans la direction ; 3o la plupart des significations du même mot avec le datif ; a) près ; b) en ; c) outre ; 4o pour, en vue de quelque chose ; 5o par rapport à quelque chose ; 6o contre, contre quelque chose ; 7o pour quelqu’un, pour quelque chose ; 8o envers quelque chose ; 9o à cause de quelque chose ; 10o pendant quelque chose ; 11o presque, autour de quelque chose. La signification la plus simple et la plus ordinaire, c’est vers.

Les paroles ἧν πρός τον Θεόν, traduites littéralement, comme elles le sont en slave, signifient était vers Dieu, ce qui n’a aucun sens. La traduction « chez Dieu » — erat apud Deum », « bei Gott » est également dénuée de sens. Mais il y a plus, c’est que la préposition πρός avec l’accusatif ne signifie jamais apud, « chez ». J’ai donné exprès toutes les significations de πρός avec l’accusatif, pour que chacun puisse se rendre compte qu’en aucun cas le mot « chez » ne peut rendre πρός avec l’accusatif. Apud signifie chez, devant, à côté, et rien de plus. La seule raison philologique pour traduire πρός avec l’accusatif par apud c’est que πρός avec l’accusatif, parfois, très rarement, a le même sens qu’avec le datif, c’est-à-dire « près » et que apud, parfois aussi, signifie « près ».

En admettant même cette signification, bien qu’il n’y ait guère qu’un cas sur mille que πρός, avec l’accusatif, signifie « près », néanmoins, nous aurons : « La parole était près de Dieu », et non « chez Dieu ».

Pour la traduction de l’Église, c’était la seule issue de la difficulté. La traduction de l’Église « chez Dieu », a reçu une interprétation mystique, et l’Église s’en est contentée, oubliant que ce n’est plus une traduction, mais une interprétation arbitraire. Quant à moi, qui cherche le sens du livre que je lis, et ne me permets pas de donner aux mots une signification arbitraire, je dois ou rejeter ces paroles comme incompréhensibles ou leur trouver une signification conforme aux lois de la langue et du bon sens.

Pour attribuer un sens à la seconde partie de la phrase, on peut, le sens du mot grec λόγος étant « la parole », ou « la sagesse, » on peut donner à la préposition πρός la cinquième signification qu’elle a dans la langue grecque (la relation envers quelque chose) ; de sorte que le mot πρός ne peut être traduit dans ce passage que par le génitif. Ainsi : Et l’entendement était, ou est devenu l’entendement de Dieu. La traduction sera alors la suivante : Au commencement était l’entendement. Et l’entendement était l’entendement de Dieu. Mais alors la signification de la préposition πρός sera trop forcée.

On peut aussi attribuer au mot λόγος, le sens de raison, d’activité de la raison, toujours tendue vers quelque chose, et dans ce cas πρός peut être traduit par « vers », indiquant que l’entendement est tourné vers quelque chose. La traduction serait alors la suivante : L’entendement était, ou est devenu tourné vers Dieu. Elle introduirait la conception superflue « tourné », ou ne serait pas claire.

On peut encore donner au mot λόγος, la signification d’égalité, remplacement de l’un par l’autre, signification exprimée par l’expression « à la place de » (Les taureaux ne peuvent pas travailler à la place des chevaux. Il le respecte à la place de son père). Dans ce cas, la traduction serait la suivante : Le commencement de tout était l’entendement. Et l’entendement a pris la place de Dieu, c’est-à-dire l’entendement a remplacé Dieu.

Les deux premières traductions ont presque la même signification ; mais ni l’une, ni l’autre n’est tout à fait exacte. Dans la première, le mot πρός (deux fois répété, — ce qui montre qu’il est nécessaire pour l’explication de la pensée) est omis ; dans la seconde, pour donner un sens à cette préposition, on lui ajoute le mot « tourné ». La troisième traduction exprime la même pensée, et en outre a cet avantage qu’elle rend le mot πρός sans rien y ajouter.

Pour décider entre ces trois traductions, il faut analyser les quatre propositions liées entre elles (versets 1 et 2) où se trouve employé le mot πρός. Les quatre propositions sont les suivantes : 1o au commencement était le λόγος, ou le λόγος est devenu le commencement ; 2o λόγος était vers Dieu ou λόγος est devenu πρός τόν Θεόν. 3o λόγος était ou est devenu Dieu ; 4o au commencement λόγος était ou est devenu πρός τόν Θεόν.

Dans les trois traductions, une partie de la pensée est tout à fait claire, et l’autre très vague. Ainsi la première proposition : Au commencement, ou le commencement était ou est devenu l’entendement, et la troisième : l’entendement était ou est devenu Dieu, sont très claires. Les trois traductions donnent le même sens à ces deux propositions, et la version de l’Église concorde même avec elles. Au commencement, ou le commencement, était l’entendement. Et il était, ou est devenu, Dieu. C’est la pensée principale, et l’une découle de l’autre.

La seconde proposition explique cette pensée, elle explique comment l’entendement était ou est devenu Dieu. Quant à la quatrième proposition, elle ne fait que répéter les deux premières. Il est dit que l’entendement est devenu Dieu parce qu’il était ou est devenu πρός τόν Θεόν. Trois significations de πρός rendent ce sens : 1o l’entendement était ou est devenu l’entendement de Dieu ; 2o Il était ou est devenu tourné vers Dieu ; 3o il était ou est devenu à la place de Dieu.

Les deux premières traductions ne concordent que sur un seul point, à savoir : que l’entendement est ce qui exprime Dieu. L’entendement était la compréhension de Dieu, cela signifie que l’entendement exprime Dieu. L’entendement était tourné vers Dieu, il est devenu Dieu, signifie aussi qu’il s’est confondu avec Dieu, qu’il a exprimé Dieu.

La troisième traduction signifie la même chose : l’entendement a pris la place de Dieu, a exprimé Dieu. Cette traduction contient aussi le sens des deux premières. La traduction la plus large, la plus complète, la plus exacte sera donc : Et l’entendement a pris la place de Dieu. 6o Dans la troisième proposition du premier verset ϰαὶ Θεός ἦν ὁ λόγος je change l’ordre des mots et traduis : Et c’est l’entendement qui est devenu Dieu. Je place « entendement » avant « Dieu », parce que, selon l’esprit de la langue russe, le sujet doit être avant le verbe, et le mot λόγος est le sujet, car il est accompagné de l’article, tandis que le mot Θεόν est sans article.

Le verbe εἵναι outre sa signification être, vivre, exister, signifie provenir, se faire, devenir. S’il est dit qu’au commencement était l’entendement, ou la parole, et que la parole était chez Dieu, ou à la place de Dieu, alors en aucune façon, on ne peut dire qu’elle « était Dieu ». Si elle était Dieu, elle ne pouvait être en aucun rapport envers Dieu. C’est pourquoi, dans ce passage, il est nécessaire de traduire le verbe ἦνest devenu et non « était ».

7o Ainsi traduits, les versets 1 et 2 ont une signification très claire. La conception Dieu est supposée connue, et l’on parle de la source d’où elle est issue. On dit : Selon l’annonciation de Jésus-Christ, c’est l’entendement de la vie qui est devenu l’entendement de tout. Et l’entendement de la vie, selon la doctrine de Jean, a remplacé la conception Dieu ou s’est confondu avec elle.

Si la confirmation d’une telle interprétation de ces deux versets était nécessaire, nous la trouverions dans le verset 18, qui contient tout le raisonnement et qui exprime nettement l’idée que personne n’a connu Dieu, mais que c’est le fils qui l’a démontré dans le λόγος, et dans les suivants où il est dit que tout est né du λόγος, et que sans lui rien ne peut être créé, ainsi que dans toute la suite de la doctrine qui développe la même pensée et confirme la même chose.

Le sens de ce verset est donc celui-ci : Selon l’annonciation du bien par Jésus-Christ, c’est l’entendement de la vie qui est devenu la base et le commencement de tout. L’entendement de la vie a pris la place de Dieu. L’entendement de la vie est devenu Dieu.

C’est lui, qui selon l’annonciation de Jésus-Christ, est devenu la base et le commencement de tout à la place de Dieu.


Πάντα δἴ αὐτοῦ ἐγένετο, ϰαὶ χωρίς αὐτοῦ ἐγένετο οὐδέ ἒν. ὄ γέγονεν ἐν (ἔν ὄ γέγονεν. ἐν) αὐτῷ ζωή ἤν, ϰαὶ ἠ ζωὴ, ἤν τό φῶς τῶν ἀνθρώπων. ϰαὶ τό φῶς ἐν τῆ σϰοτία φαίνει, ϰαὶ ἠ σϰοτια αὐτὸ οὐ ϰατέλαβεν.


Jean, i, 3. Tout est venu d’elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. Tout est né 2) par 1) l’entendement. Et en dehors 3) de l’entendement 4) rien n’est paru de ce qui 5) est vivant et vit 6).
4. C’est en elle qu’était la vie, et la vie était la lumière des hommes. En lui 7) est devenue la vie : et la lumière 8) des hommes est devenue la vie 9).
5. Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. De même que la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’absorbent pas 10).


Remarques.

1) Les mots δἴ αὐτοῦ signifient par lui, par son intermédiaire, et ne peuvent pas être traduits seulement par l’ablatif. Si l’ablatif était suffisant pour exprimer cette pensée, il serait employé ; δἴ αὐτοῦ ne signifie pas « par lui-même » mais par son intermédiaire.

2) Ἐγένετο signifie est né, dans son sens le plus ordinaire, le plus simple. D’après tous les dictionnaires ce mot n’a que cinq significations principales ; 1o naître ; 2o devenir ; 3o être, exister ; 4o être fréquent, arriver fréquemment ; 5o être occupé de quelque chose. Il n’y a pas d’autres traductions. La signification « facta sunt », selon la Vulgate, et « gemacht », selon Luther, ne peut être appliquée à ce verbe. Mais dans la Vulgate et chez Luther ces paroles sont traduites ainsi : « Omnia per ipsum facta sunt », et « Dinge sind durch Dasselbe gemacht ». En slave c’est traduit par « fut », mais les commentaires qui accompagnent ce mot lui donnent précisément le sens qu’il a dans la Vulgate et chez Luther, c’est-à-dire « créer ».

Je prends le mot ἐγένετο dans son premier sens, le plus simple, qui implique les significations devenir et être. Je n’ai donc point à justifier mon écart de la traduction habituelle, ce sont les traducteurs précédents qui doivent expliquer leur écart de l’original. On ne saurait justifier une traduction aussi arbitraire du mot ἐγένετο par « facta sunt » et « gemacht » ; mais le pourquoi de pareilles traductions inexactes s’explique par l’interprétation de tout ce passage par l’Église.

Λόγος, selon l’interprétation de l’Église, est la deuxième personne de la sainte trinité, et c’est à lui qu’on attribue la création du monde. Dans la traduction latine, au lieu de γίγνομαι, on a employé le verbe « fio » qui ne correspond pas à γίγνομαι, mais à l’une de ses significations : devenir. Dans la traduction de Luther, on a employé le verbe « machen » qui correspond à l’une des acceptions de « fio », dans sa forme active, et ce mot a déjà tout à fait perdu son sens littéral.

Voici l’interprétation de l’Église. (L’Évangile expliqué par l’archevêque Mikhaïl, 1874, p. 14.)

Jean, i, 3. Tout est venu d’elle : tout a reçu la vie, tout a été créé par elle. (Genèse, i ; Les Juifs, i. 2 ; Col. i, 16). Tout : l’apôtre Paul explique la même pensée sur la création de tout par la parole ; le mot tout est ainsi expliqué : « Tout ce qui est au ciel et sur la terre, visible et invisible, les Trônes, les États, les Autorités, les Puissances, tout a été créé par Elle et pour Elle. » (Col. i, 16). Ainsi dans le domaine de tout ce qui est créé au ciel et sur la terre, dans le monde spirituel et dans le monde matériel, il n’est rien qui n’ait reçu d’Elle l’existence. Le Verbe est donc le créateur du monde. Donc la parole est Dieu. L’expression « par Elle » ne signifie point que la Parole n’est pas la créatrice du monde indépendant, n’est pas la cause première de la création du monde, que soi-disant Dieu a créé le monde par la parole, comme un artiste par le pinceau.

L’Écriture s’exprime de cette façon même quand il s’agit de la cause première et agissant indépendamment.

Ici ce n’est exprimé qu’à seule fin que nul ne puisse croire que le fils n’est point né. Ici, ce mot indique le rapport de la Parole envers le Père, selon lequel Dieu le père, invisible, habitant un monde inaccessible, paraît et agit toujours par son fils qui est l’image du Dieu invisible. Et le fils n’agit jamais en s’écartant ou se séparant du Père. De sorte que l’action créatrice du Fils est en même temps celle du Père, et la volonté du Père est en même temps la volonté du Fils (Jean, v, 19, 20). Sans lui ne commençait à être rien de ce qui a été créé. C’est la répétition, l’explication, et le renforcement de l’expression précédente sur l’action créatrice de la Parole. Dans le monde créé, tout est crée par Elle, sans rien exclure, mais seulement dans le monde créé. « Qu’on ne pense pas que si tout a passé par Elle, alors aussi le Saint-Esprit. L’Évangéliste a trouvé nécessaire d’ajouter ce qui a été créé par Elle ; mais l’Esprit n’est pas l’être créé. »

3) La signification la plus ordinaire du mot ϰωρίς, c’est en dehors. C’est celle que je garde.

4) Au lieu du pronom, je répète, pour plus de clarté, le mot qu’il remplace.

5) Au mot , comme l’exige la langue russe, j’ajoute : ce qui.

6) Γέγονεν c’est perfectum ; c’est pourquoi il n’est pas exact de traduire être ; perfectum, en grec, signifie était et est, il doit donc être traduit : et vivant.

7) Ἐν, outre la signification en, signifie aussi, en pouvoir de quelqu’un : ἐν σοί, ἐν ευγὸνῳ, etc. Et c’est dans ce sens qu’il est employé ici. En lui est la vie signifie qu’en lui est le pouvoir sur la vie ; en lui est la force de la vie, en lui est la possibilité de la vie.

8) Selon la construction de la phrase, ϰαὶ ἧ ζωή ἦν τό φῶς, est semblable à elle, et, comme dans certaines rédactions ζωῄ-φῶς (la lumière), s’emploie sans l’article, il est le sujet. Jean, xii, 36 : « Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous soyez des enfants de lumière. »

9) Φῶς, la lumière, selon tous les contextes, signifie le véritable entendement de la vie.

10) Καταλαμβάνωsaisir, prendre, rencontrer, accepter, retenir, absorber. Je choisis le sens absorber, éteindre.

Auparavant il est dit que c’est l’entendement de la vie qui est devenu le commencement de tout, maintenant on dit que c’est l’entendement seul qui donne la vie, que sans l’entendement la vie ne peut être. La vie n’est que dans son entendement. Le quatrième verset nous le confirme : la vie se trouve dans le pouvoir de l’entendement. Ce n’est que l’entendement qui donne la possibilité de la vie. La vraie vie est celle qui est éclairée par la lumière de l’entendement. La lumière des hommes, c’est la vraie vie. La lumière donne la lumière, et en elle il n’y a point les ténèbres. Ainsi l’entendement donne la vie dans laquelle il n’y a pas la mort.

Tout ce qui est devenu vrai, vivant, n’est devenu tel que par l’entendement. La vraie vie, selon l’annonciation de Jésus-Christ, n’est venue que de l’entendement. Autrement dit : la lumière, l’entendement des hommes, est devenue pour les hommes la vraie vie, de même que la lumière existe réellement et que l’obscurité n’est que l’absence de lumière. Et l’obscurité ne peut anéantir la lumière.


Ἐγένετο ἄνθρωπος ἀπεσταλμένος παρὰ Θεοῦ, ὄνομα αὐτῷ Ἰωὰννης οὖτος ἦλθεν εἰς μαρτυρίαν, ἴνα μαρτυρήση περί τοῦ φωτός, ἴνα πάντες πιστεύσωσιν δί αὐτοῦ. οὐϰ ἦν ἐϰεῖνος τό φῶς ἀλλ' ἴνα μαρτυρήσῃ περὶ τοῦ φωτός. Ἡν τό φως τό ἀληθινόν ὅ φωτιζειν πάντα ἄντρωπον ἐρχόμενον εἰς τόν ϰόσμον. ἐν τῷ ϰυσμφ ἤν, ϰαὶ ὁ ϰόσμος δἰ αότοῦ ἐγένετο, ϰαὶ ὁ ϰόσμος αὐτόν οὐϰ ἔγνω. Εἰς τά ἴδια ἠλθεν, ϰαὶ οἰ ἴδιοι αὐτόν οὐ παρέλαβον. ὅσοι δέ ἔλαβον αὐτόν, ἔδωϰεν αὐτοῖς ἐξουσίαν τέϰνα Θεοῦ γενέσθαι, τοῖς πιστεύουσιν εἰς τό ὄνομα αὐτοῦ, οἴ οὐϰ ἐξ αἱματων οὐδέ ἐϰ θελήματος σαρϰός οὐδέ ἐϰ θελήματος ἀυδρός ἀλλ' ἐκ Θεοῦ ἐγεννήθησαν.


Jean, i, 6. Il y eut un homme, appelé Jean, qui fut envoyé de Dieu. Il y avait un homme envoyé par Dieu. Son nom était Jean.
7. Il vint pour être témoin et pour rendre témoignage de la lumière, afin que tous crussent par lui. Il est venu pour témoigner 1) pour montrer la lumière de l’entendement, afin que tous croient en la lumière de l’entendement.
8. Il n’était pas lui-même la lumière, mais il était envoyé pour rendre témoignage à la lumière. Lui-même n’était pas la lumière, il n’est venu que pour montrer la lumière de l’entendement 2).
9. C’était la véritable lumière qui éclaire tous les hommes en venant au monde. Il est devenu 3) la véritable lumière, telle 4) qu’elle éclaire chaque homme venant au monde.
10. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle ; mais le monde ne l’a pas connue. Il est paru dans le monde et le monde est né 6) par lui 5), et le monde ne le savait point.
11. Il est venu chez soi ; et les siens ne l’ont point reçu. Il est paru chez les hommes à part 7), et les hommes à part ne l’acceptaient point en eux 8).
12. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le droit d’être faits enfants de Dieu ; savoir, à ceux qui croient en son nom ; Mais à tous ceux qui l’ont compris 9) à tous ceux-là, il a donné la possibilité 10) de devenir 11) fils de Dieu par la foi en sa signification 12).
13. qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais qui sont nés de Dieu. Puisqu’ils 13), étaient nés 14) non du sang et de la lubricité de la chair et de la volupté de l’homme, mais de Dieu.


Remarques.

1) Ἡ μαρτυρια — veut dire le témoignage, la preuve.

2) Ces versets interrompent brusquement la marche de la pensée, et la pensée elle-même, sur la signification de la lumière, en introduisant des détails sur Jean-Baptiste. Par leur contenu ils ne confirment ni n’infirment la pensée principale, ils ne font donc point partie de l’exposition et forment une sorte de supplément.

3) Ἠν — comme précédemment, signifie non seulement était, mais aussi est devenu.

4) Ἀληθινός — ne signifie pas le vrai, mais le véritable.

5) Διά — de nouveau doit être traduit : par ; il a la même signification que dans le cas précédent.

6) Ἐγένετο signifie naître.

7) Τά ἴδια signifie particulier, à part, et s’oppose évidemment au monde, en général. La lumière était dans le monde entier, et dans les hommes pris à part, c’est pourquoi au mot ἴδος, α, ονparticulier, à part, ce qui dans la langue scientifique s’exprime par le mot individus, j’ajoute les hommes.

8) Παραλαμβάνειν signifie prendre en soi.

9) Λαμβάνεινrecevoir, et le plus ordinairement comprendre.

10) Ἡ ἐξουσία signifie permission, liberté, droit, possibilité de faire quelque chose. Ce mot, d’autre part, exprime la même idée qui est exprimée par ἐν dans ἐν αὐτῷ ζωή ἦν. En lui était le pouvoir de donner la vie, c’est pourquoi, lui étant né en cela, ils ont reçu la possibilité, etc.

11) Γενέσθαι, bien que signifiant naître, peut être traduit ici par devenir.

12) Ὄνομα αὐτοῦ. Ce mot se rencontre pour la seconde fois, et là encore employé après le mot croire : croire en ὀνομα αὐτοῦ. En russe ὀνομα signifie le nom ; en hébreu la personne même. Pour exprimer les deux conceptions : le nom et la personne, il faut dire : en son essence, en son importance, en son sens. Je traduis ainsi.

13) Οἴ qui se rapporte à τοῖς, doit être traduit : puisqu’ils.

14) Γεννάω signifie d’abord : concevoir, puis aussi provenir, naître.

Il est dit que la vie est semblable à la lumière dans l’obscurité. La lumière éclaire dans l’obscurité, l’obscurité ne l’absorbe pas. Ce qui vit, vit dans le monde, mais le monde ne retient pas la vie. Puis continuant à parler de l’entendement, on dit qu’il était cette lumière qui éclaire tout homme vivant, cette lumière de la vie que connaît chaque homme. De sorte que l’entendement est répandu dans le monde tout entier, dans ce monde qui en vit. Mais tout le monde ne sait pas cela, tout le monde ne sait pas que la force, la base, le pouvoir de la vie ne résident qu’en l’entendement. L’entendement était en chaque individu, mais tous ne l’ont point pris, tous ne l’ont pas adopté et n’ont pas compris qu’en lui seul est la vie. L’entendement était dans son œuvre propre : le fils, mais le fils ne reconnaissait pas son père. Ni toute l’humanité, ni la majorité des individus ne comprirent qu’ils ne vivent que par l’entendement et leur vie fut comme la lumière qui paraît dans l’obscurité, brille et s’éteint.

Il y avait la vie qui se manifestait parmi la mort, et qui était de nouveau absorbée par la mort. Mais à tous ceux qui l’ont compris, l’entendement a donné la possibilité, par la foi en ce qu’il est leur origine, de devenir ses fils.

Le douzième verset qui, à une première lecture, semble si mal construit, si obscur, est au contraire très net et très clair si on le traduit exactement, et pour l’expliquer il n’y a rien à ajouter, il suffit de le relire en remplaçant le participe πιστεύουσιν par le substantif exprimant strictement la même chose.

Après avoir dit que la vie, pour les hommes, était comme la lumière dans les ténèbres, qu’elle se manifestait et s’absorbait par la mort, il est dit : mais malgré cela, l’entendement donnait aux hommes la possibilité de devenir les enfants de l’entendement, et par là de s’affranchir de la mort. Dans le douzième verset on dit que l’entendement a donné aux hommes la possibilité de devenir les fils de Dieu. Pour comprendre ce que signifie cette expression : devenir le fils de Dieu, ce qui est exposé clairement dans l’entretien avec Nicodème (Jean, iii, 3-21), il faut se rappeler ce qui est dit au commencement. L’entendement c’est Dieu. Alors devenir fils de Dieu signifie devenir fils de l’entendement. Que signifie : fils ?

Dans le troisième verset il est dit que tout ce qui est né est né de l’entendement. Ce qui est né, c’est-à-dire le fils, et par conséquent nous tous, sommes les fils de l’entendement. Que signifie donc : devenir le fils de l’entendement ? C’est le quatrième verset qui répond à cette question. Il est dit que la vie se trouve au pouvoir de l’entendement, il y a donc double filiation envers l’entendement : l’une, naturelle — tous sont les fils de l’entendement, — et l’autre qui dépend de la volonté de l’homme, de la reconnaissance de la dépendance de sa vie envers l’entendement. De même la filiation charnelle est aussi double : qu’il le veuille ou non, chacun est le fils de son père, mais chacun peut reconnaître ou non son père. C’est pourquoi : devenir le fils de l’entendement signifie comprendre que la vie est au pouvoir de l’entendement. Dans les versets 9-11 il est dit que les hommes ne reconnaissent pas que la vie est tout entière dans l’entendement ; et dans le douzième verset il est dit que cependant, ayant cru en la signification de l’entendement, ils peuvent devenir ses fils, tout à fait, parce que tous les hommes sont nés non de la lubricité de l’homme et du sang de la femme, mais de l’entendement. Il suffit d’admettre cela pour être complètement, par l’origine et la reconnaissance, les fils de l’entendement.

Le sens de ces versets est le suivant :


L’entendement était en tous les hommes. Il était en ce qu’il a procréé : les hommes ne sont vivants que parce qu’ils sont nés de l’entendement. Mais les hommes n’ont pas reconnu l’entendement comme leur père, et ils n’ont pas vécu par lui, supposant la source de la vie en dehors de lui. Mais à chacun des hommes qui ont compris cette source de la vie, l’entendement a donné la possibilité, par la foi en cela, de devenir fils de Dieu — l’entendement, puisque tous les hommes sont mis au monde et vivent non du sang de la femme et de la lubricité de l’homme mais de Dieu — par l’entendement. En Jésus-Christ se manifesta pleinement l’entendement.


Καὶ ὁ λόγος σάρξ ἐγένετο ϰαὶ ἐσϰήνωσεν ἐ ἠμῖν, ϰαὶ ἐθεασάμεθα τὴν αὐτοῦ, δόξαν ὠς μονογενοῦς παρά πατρός, πλήοης χάριτος ϰαὶ ἀληθείας (Ἰωάννης μαρτυρεῖ περὶ αὐτοῦ ϰαὶ ϰεϰραγεν λέγων — οὖτος ἦν ὁ εἶπών..

Ὀ ὀπίσω μου ἐρχόμενος ἔμποσθεν μου γέγονεν, ὄτι πρῶτός μου ἤν ὄτι ἐϰ τοῦ πληρώματος αὐτοῦ ἡμεῖς πάντες ἐλάβομεν, ϰαὶ χάριν ἀντί χάριστος ὄτι ὁ νόμος διά Μωυσέως ἐδοθη, ἡ χάρις ϰαὶ ἡ ἀλήθεια διά Ἰησοῦ χριστοῦ ἐγένετο.


Jean, i, 14. Et la parole a été faite chair et a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons vu sa gloire, une gloire telle qu’est celle du Fils unique venu du Père. Et l’entendement est devenu chair et s’installa 1) parmi nous ; et nous vîmes la doctrine 2) ; la doctrine 3) du fils monogène 4) du 5) Père, la doctrine complètement définie 6), du culte de Dieu 7) par les œuvres 8).

15. C’est de lui que Jean rendait témoignage, lorsqu’il criait : C’est ici celui dont je disais : « Celui qui vient après moi m’est préféré, parce qu’il est plus grand que moi. » Jean témoigne de lui, il crie et dit : C’est celui dont je disais : Celui qui est venu après moi, est né avant moi, parce qu’il était 9) le premier.
16. Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce sur grâce. Puisque par l’accomplissement 10), de sa doctrine, nous tous avons compris 11) le nouveau culte au lieu de 12) l’ancien.
17. Car la loi a été donnée par Moïse ; mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. Car 13) c’est par Moïse que la loi est donnée, et le culte de Dieu par les actes nous vient de Jésus-Christ.


Remarques.

1) Σϰηνόω, ῶconstruire une tente, faire une demeure, commencer à vivre, s’installer.

2) Δόξα de δοϰέωAnsicht, l’opinion, la doctrine. Δόξα dans ce cas ne peut se traduire ni par bruit ni par gloire. La supposition, ce que quelqu’un suppose, serait le plus exact. Mais comme cette expression s’emploie rarement, je la remplace par le mot doctrine.

3) Ὁς ne peut être traduit ici que par comme dans le sens en ce que. (Nous le traduisons par du) (N. d. T.)

4) Μονογενής, outre les significations né, seul, unique, signifie encore : de même genre, égal par l’essence à quelqu’un ; eines Geschlechts ; μόνος dans ce cas ne signifie pas unique, mais un, comme dans plusieurs mots analogues. Par exemple μονοχρόνος : signifie en même temps μονολόγος : — qui parle seul. Dans l’Évangile de Jean, ce mot n’est employé que quatre fois : 1o dans le cas présent : 2o « Personne ne vit jamais Dieu ; le Fils monogène qui est dans le sein du Père » (Jean, i, 18), ; 3o « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils monogène afin que quiconque croit en lui ne périsse point, et ait la vie éternelle » (Jean, iii, 16) ; et 4o « Car celui qui croit en lui ne sera point condamné ; mais celui qui ne croit point est déjà condamné, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils monogène de Dieu » (Jean, iii, 18). Les quatre fois, ce mot est employé dans le même sens de monogénéité.

5) Παρά. Dans plusieurs passages de Jean, les prépositions sont employées dans le sens du verbe : tel est πρός dans le premier verset et ici παρὰ qui signifie provenant de. De même que παρά Θεοῦ signifie descendant de Dieu.

6) Au lieu de πλήρης, on trouve dans certaines copies πλήρη, c’est-à-dire l’accusatif, et se rapportant à δόξα et non à λόγος et signifiant parfait, plein, terminé. Le génitif χὰριτος et ἀληθείας peut dépendre de πλήρη et de δόξα. Dans les deux cas le sens est le même : l’entendement que la doctrine nous a donné est-il tout à fait parfait, ou la doctrine de l’entendement était-elle réalisée complètement ? Je préfère rapporter à δόξα et non à λόγος parce que δόξα dans la variante la plus ancienne, que j’adopte, est placé après et semble répété exprès.

7) Χάρις, signifie : 1, charme, agrément, amabilité, beauté ; 2, bienveillance ; 3, reconnaissance ; 4, tout ce qui provoque la reconnaissance ; 5, don, sacrifice, culte.

Dans ce passage je traduis χάρις par culte de Dieu parce que dans le verset 16, il est dit que Christ nous a donné χάριν ἀντί χάριτος, c’est à dire une χάρις au lieu de l’autre. Or une χάρις est la loi de Moïse, c’est-à-dire la loi du culte de Dieu ; donc χάρις du Christ, c’est le culte de Dieu selon la doctrine du Christ.

8) Ἀλήθειαvérité, réalité, actualité. Si l’on traduit par réalité, pour rendre cette conception, il faut user de périphrase et dire : par les œuvres ; j’emploie cette expression. Mais si l’on prend l’ordre canonique des mots, à savoir : « Et la Parole a été faite chair et a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons vu sa gloire, une gloire telle qu’est celle du Fils unique venu du Père », la traduction sera celle-ci : Et l’entendement s’installa parmi nous, l’entendement du culte parfait de Dieu, par la vérité (ou par les œuvres) et nous avons compris sa doctrine, comme la doctrine du fils monogène descendant du Père.

9) Le verset 15, sur Jean-Baptiste, frappe par son inutilité et son manque de sens, même au point de vue philologique.

Dans le verset 14, il s’agit de la gloire la plus parfaite, ou de la doctrine de la grâce, ou du culte de Dieu. Dans le verset 16 le même mot πλήρης — sous la forme substantive πλήρωμα — continue l’exposé postérieur sur la grâce, et tout d’un coup, au milieu de ces versets, il est question du témoignage de Jean-Baptiste, sans aucun lien ni avec ce qui précède ni avec ce qui suit. Ce verset ne rentre pas dans l’exposition et doit être imprimé en petits caractères, comme supplément.

10) πλήρωμα signifie : plénitude, perfection, accomplissement. Je le traduis par accomplissement, puisqu’indûment tout ce passage de Jean, qui parle de la signification de la doctrine de Jésus-Christ envers la loi de Moïse, se trouve étroitement lié (et paraît l’expliquer) au verset 17 du chapitre V de Matthieu où ce même mot πληρῶσαι est employé dans le sens d’accomplissement : οὐϰ ἠλθον ϰαταλῦσαι τόν νόμον ἀλλά πληρῶσαι.

11) Λαμβάνω signifie accepter et comprendre c’est-à-dire prendre en soiἐν σοί λαμβάνειν. Comprendre traduit parfaitement.

12) Ἀντί a tout à fait la signification du latin pro. Les Allemands l’ont traduit par « über » : Gnade über Gnade, et les Français par « sur » et « après » : grâce sur grâce, et après grâce comme traduit Reuss, traduction que rien ne justifie. Seule la traduction anglaise, à cause de la particularité de la préposition for — for grace — rend peut-être le sens « au lieu de ».

13) Ὄτι se trouve dans toutes les anciennes copies, et signifie car.

Pour les versets 16 et 17, je m’écarte de la traduction ordinaire. Ces écarts se justifient par les exigences de la langue, la clarté du sens et la concordance stricte avec ce qui précède. De même que pour la traduction des mots λόγος par : la parole, et γίγνομαι par : je crée, de même maintenant pour traduire les mots δόξα — la gloire, μονογενής ? — seul, la préposition ἀντίau-dessus, sur, ὦς, quasi, als, χάρις ? — grâce et le verbe λαμβάνειν, dans ce passage, par recevoir, que l’on ne me demande pas d’explications, mais que l’on s’adresse aux traducteurs anciens. Seul le désir de substituer des mots exprimant une opinion préconçue pouvait amener les traducteurs à donner de ce passage une traduction aussi peu conforme à la langue, et en même temps aussi obscure.

Δόξα signifie dogme, doctrine, croyance, ce n’est qu’en certains cas très rares qu’il signifie gloire, et encore dans le sens que lui attribue le peuple russe, la réputation.

Dans ce passage, l’Église a traduit δόξα par : gloria, Herrlichkeit, gloire. Mais le sens de ce mot n’est pas applicable à l’entendement, c’est pourquoi l’Église attribue au mot gloire cette signification de doctrine, de croyance, qu’il a parfois, et c’est pourquoi elle dit : « Mais nous avons vu sa gloire, une gloire telle qu’est celle du fils unique », comprenant par le mot gloire, pas tout à fait gloire mais quelque autre chose. Souvent l’Église emploie le mot gloire dans le sens de doctrine, de croyance, comme par exemple dans l’expression : Ὀρθὴ δόξα, (orthodoxe). Je mets doctrine au lieu de gloire, comme plus exact, mais je suis prêt à laisser le mot gloire si on lui attribue le sens de croyance. La signification μονογενήςmonogène, de même espèce est confirmée par la version de ce passage dans Origène. Là il est dit : ἀληθῶς μονογενής ὡς παρὰ πατρός, c’est-à-dire, véritablement né tel que le Père. Παρὰ πατρός n’est que l’explication de ce que signifie — μονογενής tout à fait pareil, comme du Père.

Χάρις est traduit par les mots gratia, grâce, Gnade. Les deux premiers — gratia et grâce — signifient le charme. Mais, bien que traduits ainsi, ces mots ne sont pas compris dans le sens qu’ils ont reçu ultérieurement. De même le mot Gnade qui signifie la grâce, n’est pas compris dans ce sens mais dans un autre qui lui fut donné après. Il en va de même avec le mot russe blagodat (grâce) qui signifie le don gracieux ; il est entendu non dans le sens de don gracieux, mais dans le sens qui lui fut attribué postérieurement.

Mais si l’on attribue au mot Χάρις le sens de grâce, comme l’entend l’Église, le verset 8, où il est dit : « Grâce sur grâce » annihile ce sens. « Grâce sur grâce » signifie que l’ancienne grâce est remplacée par la nouvelle. Or cette signification est contraire au sens de l’Église. Les traducteurs ont donc été obligés de changer le sens de la préposition ἀντί, sur laquelle est basé tout le sens, et, tout à fait arbitrairement, l’ont traduit par : sur, über, for. Grâce à ce changement on a obtenu le sens qui était nécessaire ; que c’est précisément du Christ que nous avons reçu l’adjuvant de la grâce. Mais avec cette traduction arbitraire l’explication de tout le passage, et surtout du verset 16, est devenue encore plus difficile. Il est dit : « De sa plénitude nous avons reçu grâce sur grâce », et on explique ces paroles en disant que nous avons reçu de Jésus-Christ un supplément à la grâce reçue par Moïse. Mais ensuite, on dit que la loi est donnée par Moïse, et la grâce et la vérité par Jésus-Christ, c’est-à-dire que la grâce et la vérité sont opposées à la loi de Moïse.

La difficulté de la traduction de ce passage tient à ce que dans le verset 14 il était dit ; « Que l’entendement est devenu la chair… et nous avons vu sa doctrine, ou sa gloire, telle qu’est celle du Fils monogène du Père, plein (comme le comprend l’Église) de Χάρις et de vérité. On a beau entendre n’importe comment Χάρις, jusqu’ici il est clair que λόγος était plein de Χάρις et de vérité. Mais dans le verset 16, qui commence par ὄτι, il est dit : « Parce que nous avons reçu de la plénitude de Jésus-Christ Χάρις au lieu de, ou pour, Χάρις », et l’on ne dit rien de la vérité, tandis qu’au commencement, il était dit que lui, Christ, était plein de Χάρις et de vérité. De nouveau, dans le verset 17 on dit que Χάρις et la vérité sont de Jésus-Christ. S’il n’y avait pas le verset 16, on pourrait à la rigueur établir un lien : λόγος était plein de Χάρις et de vérité (bien qu’on dise très maladroitement : au lieu de nous a enseigné, nous a donné Χάρις et vérité, qu’il en était plein. S’il est plein de Χάρις et de vérité, ce qui est dit dans le verset 16 : que la loi est donnée par Moïse, mais non pas Χάρις et la vérité, est tout à fait clair. Mais Χάρις et la vérité sont données par Jésus-Christ ; et le verset 15, qui paraît établir le lien entre les versets 14 et 17, le brise complètement. Si même on traduit (ce qui est impossible) ἀντί par sur et Χάρις par grâce sur grâce, en comprenant par la première grâce la loi de Moïse, il demeure incompréhensible pourquoi, dans le verset 17, il est dit que la grâce et la vérité sont données par Jésus-Christ. On aurait dit le supplément de la grâce, et non la grâce et la vérité. Pour donner un sens à ce passage il faut traduire Χάρις par culte de Dieu et ἀλὴθεια par acte, œuvre. Le sens est alors que la doctrine parfaite du culte de Dieu par les œuvres, nous est donnée par Jésus-Christ, parce que c’est de sa perfection que nous avons reçu le culte joyeux, libre, vital, au lieu des moyens extérieurs de servir Dieu. La loi nous est donnée par Moïse, mais le culte de Dieu au moyen des œuvres, nous est donné par Jésus-Christ.


Dans les versets précédents, on dit comment se manifesta l’entendement dans le monde et dans les hommes. Les hommes pouvaient, ayant reconnu l’entendement comme base de leur vie, devenir les fils de Dieu, retenir en eux l’entendement. Maintenant on dit comment cela s’accomplit dans le monde. L’entendement est devenu chair et s’est installé en nous. Ces paroles liées au verset 17, où il est dit que la nouvelle doctrine nous est donnée par Jésus-Christ, ne sauraient être comprises autrement que rapportées à Jésus-Christ.

La doctrine est en cela même que, comme il est dit plus haut, elle donne la vraie vie, en se reconnaissant comme fils de Dieu, pareil à Lui. Ces paroles, d’après le sens de tout ce qui précède, signifient que la base de la doctrine de Jésus-Christ est celle que la vie provient de l’entendement et qu’elle est semblable à lui. Plus loin on dit que cette doctrine est la doctrine parfaite, précise, du culte de Dieu par les actes. Cette doctrine est parfaite et finie parce qu’à la doctrine du culte par la loi elle ajoute celle du culte par les œuvres.

Toute la doctrine suivante — comme chez Jean sur les rapports du Père envers le Fils, comme chez Matthieu et d’autres évangélistes — que Christ est venu non pour changer la loi mais pour l’exécuter, et beaucoup d’autres choses, — confirme nettement l’exactitude de ce sens.

Dans le verset 14, il est dit que la doctrine de Jésus-Christ comme du fils pareil au Père, est une doctrine parfaite sur le culte de Dieu par les actes.

Le sens des versets sera donc celui-ci : Chez Jésus-Christ l’entendement s’est uni à la vie, et il a vécu parmi nous, et nous avons compris sa doctrine, en ce que la vie provient de l’entendement et est pareille à lui comme le fils provient du père et est pareil à lui. Nous avons reçu la doctrine définie du culte de Dieu par les actes, parce que, selon Jésus-Christ nous avons tous compris le nouveau culte de Dieu, au lieu de l’ancien, puisque c’est par Moïse que nous a été donnée la loi, et quant au culte de Dieu par les actes, il nous est révélé par Jésus-Christ.


EN QUOI CONSISTAIT L’ENTENDEMENT DE JÉSUS-CHRIST

Θεὸν οὐδείς ἑώραϰεν πώποτε ὁ μονογενής υἰὸς ὁ ὤν εἰς τόν χόλπον τοῦ παρός ἐϰεῖυος ἐξηγήσατο.


Jean, i, 18. Personne ne vit jamais Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui nous l’a fait connaître. Personne ne comprenait l) Dieu et ne le comprendrait jamais, le fils monogène étant 2) dans 3) le cœur 4) de son Père, il a indiqué le chemin 5).

Remarques.

1) Ὁρόω, voir, comprendre, connaître directement. Ici il y a perfectum c’est pourquoi cela signifie : ne comprenait et ne comprendrait jamais.

2) Ὢν, la traduction la plus exacte est celle du participe, indiquant que lui seul étant dans le Père, montre le chemin.

3) Εἰς signifie le mouvement en quelque chose. Il y a εἰς, non ἐν, précisément parce que ὁ ὥν εἰς est celui qui se trouve toujours dans le Père, comme s’il avait le désir d’être dans le cœur, dans le milieu du Père.

4) Κόλπον — la poitrine, le giron. Être dans la poitrine, dans le giron, dans le cœur, signifie que l’un est enfermé dans l’autre, s’y trouve.

5) Ἐξηγέομαι, a le sens de raconter, guider, indiquer le chemin.

Les mots « personne n’a jamais vu Dieu », outre leur signification générale, ont encore ce sens particulier qu’ils nient la représentation juive de Dieu, vu au mont Sinaï et dans le buisson.

S’il pouvait subsister encore le moindre doute sur la signification exacte et logique des paroles du premier verset : que l’entendement est devenu Dieu, alors ce verset 18, n’admettant aucune fausse interprétation, dit que nous ne pouvons pas parler de Dieu, que nous ne le comprenons pas, qu’il n’y a pas et ne peut être d’autre Dieu que celui que nous découvre le Fils de Dieu par l’entendement de la vie, si elle se renferme dans la recherche de cet entendement. Personne n’a jamais vu ni compris Dieu. Seul le fils monogène, qui était dans le cœur de son père, a indiqué le chemin. Le fils signifie la vie, l’homme vivant, comme il est dit dans le verset 3. « Tout ce qui est né est né de l’entendement », et dans le verset 4 : « qu’en lui est la vie », et dans les versets 12, 13 : « les fils de Dieu sont ceux qui ont reconnu qu’ils sont nés de l’entendement. » Le fils monogène signifie pareil à Dieu. Étant dans le cœur de son père, cela signifie que la vie, l’homme vivant, étant dans le cœur, c’est-à dire se confondant avec l’entendement, lui indique seulement le chemin, mais ne le manifeste pas.

Le sens du verset est le suivant : Personne n’a vu Dieu et ne le verra jamais. Ce n’est que la vie dans l’entendement qui indique le chemin vers Lui.


L’ANNONCIATION DU BIEN PAR JÉSUS-CHRIST, FILS DE DIEU
Introduction.

Cette annonciation est écrite pour que les hommes croient que Jésus-Christ est le fils de Dieu, et par cette foi même reçoivent la vie (Jean, xx, 31).

Personne n’a jamais connu ni ne connaîtra Dieu ; tout ce que nous savons de Dieu, nous le savons parce que nous avons l’entendement. C’est pourquoi le vrai commencement de tout, c’est l’entendement. (Ce que nous appelons Dieu, c’est l’entendement. L’entendement c’est le commencement de tout, c’est le vrai Dieu) (Jean i, 1, 2).

Sans l’entendement rien ne peut-être : tout provient de l’entendement. Dans l’entendement est la force de la vie. De même que la lumière nous révèle toute la diversité des choses, de même c’est l’entendement seul qui nous révèle toute la diversité de la vie ou la vie elle-même. L’entendement est le commencement de tout (Jean, i, 3, 4).

Dans le monde la vie n’embrasse pas tout. Dans le monde la vie se manifeste comme la lumière dans les ténèbres. La lumière éclaire tant qu’elle brille, et l’obscurité ne retient pas la lumière et reste l’obscurité, de même dans le monde la vie se manifeste parmi la mort et la mort ne retient pas la vie, mais reste la mort (Jean, i, 5).

La source de la vie — l’entendement — était dans le monde et en chaque homme vivant. Mais les hommes vivants, seulement parce qu’en eux était l’entendement, ne comprenaient pas qu’ils provenaient de l’entendement (Jean, i, 9, 10).

Ils ne comprenaient pas que l’entendement leur donnait la possibilité de se confondre avec lui, puisqu’ils étaient nés, non de la chair mais de l’entendement. L’ayant compris et croyant en leur filiation envers l’entendement, les hommes pouvaient avoir la vraie vie (Jean, i, 12, 13).

Mais les hommes ne l’ont pas compris, et la vie dans le monde était comme la lumière dans les ténèbres. Dieu, le commencement de tout commencement, personne ne l’a jamais connu ni ne le connaîtra ; ce n’est que la vie dans l’entendement qui indique le chemin vers lui (Jean, i, 18).

Mais voilà que Jésus-Christ vivant parmi nous a manifesté l’entendement en chair, en cela que la vie est provenue de l’entendement et qu’elle est pareille à lui, de même que le fils provient de son père, et lui est pareil. En regardant sa vie nous avons compris la doctrine absolue du culte de Dieu par les actes, et à cause de sa perfection, nous avons compris le nouveau culte, au lieu de l’ancien. Moïse a donné la loi, mais le culte par les actes nous est donné par la vie de Jésus-Christ. Personne n’a vu Dieu et ne le verra jamais, ce n’est que le fils de Dieu en l’homme qui indique le chemin vers Lui.

  1. Note très importante. — Pour la plus grande commodité du lecteur, nous adopterons la division de chaque page en deux colonnes, pour la traduction des textes grecs.

    La colonne de gauche contient la traduction couramment admise des Évangiles.

    La colonne de droite contient la traduction de Tolstoï. (N. d. T.)