CHAPITRE VIII

Je suis enfant de Mars, nourri sous ses auspices,
Et je puis vous montrer de nobles cicatrices.
J’ai sur le champ d’honneur combattu tour à tour
La France et mes rivaux, pour la gloire et l’amour.

Burns.

— Ne vous laissez pas abattre, dit Bothwell à son prisonnier chemin faisant, vous êtes un brave jeune homme. Eh bien, le pire qu’il puisse vous arriver, c’est d’être pendu ; mais, en temps de guerre cela ne déshonore pas ; ç’a été le sort de plus d’un honnête garçon. Je ne puis vous cacher que la loi vous condamne, à moins que vous ne fassiez une soumission convenable, et que votre oncle ne paie une bonne amende. Au surplus, nous savons qu’il en a les moyens.

— Le danger de mon oncle est ce qui m’inquiète le plus, répondit Morton. Je sais qu’il tient à son argent autant qu’à son existence, et, comme c’est à son insu que j’ai donné retraite à Balfour, je fais des vœux sincères pour que, si j’échappe à la peine capitale, l’amende ne tombe que sur moi.

— Eh bien, peut-être que si vous consentez à prêter serment de fidélité, on vous proposera d’entrer dans un des régiments écossais qui sont au service étranger. Cela n’est pas à dédaigner ; vous ne tarderez pas à obtenir une commission d’officier.

— Cette punition n’en serait pas une pour moi, car c’est précisément ce que je désire.

— Vrai ? mais vous n’êtes donc pas un vrai whig, après tout ?

— Je n’ai embrassé aucun des partis qui divisent l’État. J’ai vécu tranquillement chez mon oncle, et quelquefois je pensais sérieusement à rejoindre un de nos régiments employés sur le continent.

— Je vous estime pour cette idée. J’ai commencé moi-même de cette manière. J’ai longtemps servi en France dans les gardes écossaises, la meilleure école pour la discipline.

— Mais d’ailleurs vous aimez le service ?

Par excellence !

— Quelle était votre principale occupation ?

— C’était de garder la personne du roi Louis-le-Grand, et puis de faire quelques expéditions contre les huguenots ; cela m’a formé la main pour mon service actuel. Mais, allons, puisque vous voulez être un bon camarado, je ferai tout pour vous servir, et il faut que vous ayez votre part de la bourse du vieil oncle, car je crois qu’il ne vous tenait pas le gousset bien garni. C’est une loi de bon vivant, quand nous avons des fonds, nous ne laissons jamais un camarade dans le besoin.

En parlant ainsi, Bothwell prit la bourse, et en tira quelques pièces qu’il offrit à Henry. Le jeune homme refusa ; et, ne jugeant pas très prudent de parler au brigadier du présent d’Alison, malgré la générosité qu’il déployait, il répondit qu’il n’en avait nul besoin, parce que son oncle lui enverrait de l’argent sur sa première demande.

— En ce cas les anges continueront à lester ma poche. Je me fais un principe de ne jamais quitter la taverne (à moins que mon devoir ne me l’ordonne) tant que ma bourse est assez pesante ; quand elle est devenue assez légère pour que le vent me la renvoie, alors vite à cheval, et je trouve bientôt le moyen de la remplir. — Mais quelle est donc cette tour qui s’élève devant nous au milieu des bois ?

— C’est le château de Tillietudlem, répondit un des dragons. C’est là que demeure lady Bellenden, une des meilleures royalistes du pays et l’amie du soldat. Lorsque je fus blessé par un de ces chiens de whigs qui m’avait tiré un coup de fusil, j’y passai un mois entier.

— Je veux lui présenter mes respects en passant, et lui demander des rafraîchissements pour mes hommes. Je me sens aussi altéré que si je n’avais rien bu chez Milnwood. — Une excellente chose dans ces temps-ci, continua Bothwell en s’adressant à Henry, c’est qu’un soldat du roi ne peut passer devant une maison sans trouver à s’y rafraîchir. Dans une maison comme le Tillie… — comment donc nomme-t-on ce château ? — on le sert par amitié ; entre-t-il chez un de vos fanatiques avares, il se fait servir de force ; se trouve-t-il chez un presbytérien modéré ou toute autre personne suspecte, la crainte lui fait obtenir tout ce qu’il désire.

— Et en conséquence vous vous proposez d’entrer dans ce château.

— Bien certainement : comment pourrais-je faire à mes officiers un rapport favorable sur les bons principes de la digne châtelaine, si je n’avais goûté à son vin des Canaries ?

— En ce cas, je vous demande une grâce. Je suis connu dans cette famille, et je ne voudrais pas qu’on y fût instruit de ce qui vient d’arriver. Ne prononcez pas mon nom, permettez-moi de me couvrir du manteau d’un de vos cavaliers, et ne parlez de moi que comme d’un prisonnier dont vous êtes chargé.

— De tout mon cœur. J’ai promis de vous traiter civilement. — André, donnez votre manteau au prisonnier. Et vous, soldats, songez qu’il y a défense de dire qui il est, et où nous l’avons arrêté.

Ils arrivaient devant une porte cintrée, flanquée de deux tourelles dont l’une, encore entière, était habitée par la famille d’un paysan, et dont l’autre tombait en ruines. La porte avait été brisée par les soldats de Monck, pendant les guerres civiles. Bothwell et sa troupe entrèrent sans obstacle dans une avenue étroite, pavée de grosses pierres, qui conduisait au château, dont on apercevait à travers les arbres, les boulevards extérieurs. C’était une forteresse gothique, et ce qui en restait encore avait un tel aspect de solidité, que le brigadier s’écria : — Il est fort heureux que ce château soit en de loyales mains ; s’il appartenait à l’ennemi, une douzaine de vieilles femmes pourraient le défendre avec leurs quenouilles contre un escadron de cavalerie. Que dit l’inscription ? « Réparé par sir Ralph Bellenden en 1350. » C’est une antiquité respectable. Il faut que je me présente devant la vieille dame avec les égards qui lui sont dus.

Cependant un valet de lady Bellenden était allé en toute hâte annoncer qu’un parti de dragons s’avançait avec un prisonnier. — Je suis certain, dit-il que le sixième est un prisonnier, car on conduit son cheval, et les deux dragons qui le précèdent ont leurs carabines appuyées sur la cuisse. Or, c’est ainsi que nous emmenions toujours les prisonniers du temps du grand marquis.

— Des soldats du roi ! s’écria lady Bellenden ; ils ont sans doute besoin de quelques rafraîchissements. — Dites-leur qu’ils sont les bienvenus, et offrez-leur tout ce qu’ils peuvent désirer. — Je veux les recevoir moi-même. On ne peut avoir trop d’attentions, dans un temps où ils se donnent tant de peine pour faire respecter l’autorité royale. — Dites à ma nièce de venir me trouver sur-le-champ ; et que Jenny Dennison et deux autres femmes se disposent à me suivre.

Tous ces ordres furent exécutés à l’instant, et lady Marguerite descendit d’un air de dignité, jusque dans la cour de son château, pour recevoir ses hôtes. Bothwell salua la noble et respectable dame, et ses manières n’offrirent plus la rudesse qu’on pouvait attendre d’un sous-officier de dragons ; son langage même sembla s’épurer. La vérité est qu’au milieu des vicissitudes d’une vie aventureuse, Bothwell avait quelquefois fréquenté des sociétés qui convenaient mieux à la noblesse de son origine qu’au rang qu’il occupait dans le monde. Pour répondre aux offres obligeantes de lady Marguerite, il dit qu’ayant encore une marche de plusieurs milles à faire avant la nuit, il la priait de trouver bon que sa troupe fît reposer ses chevaux une heure dans son château.

— Avec grand plaisir, répondit la noble dame ; mes gens veilleront à ce qu’ils ne manquent de rien, et j’espère que pendant ce temps, vous et vos cavaliers vous accepterez quelques rafraîchissements.

— Personne n’ignore, Milady, que c’est toujours ainsi que les serviteurs du roi sont reçus dans les murs de Tillietudlem.

— En toute occasion, je tâche de m’acquitter de mes devoirs avec honneur et loyauté. Il n’y a pas encore bien longtemps, monsieur le brigadier, que Sa Majesté le roi a daigné honorer mon château de sa présence et accepter à déjeuner.

Bothwell avait fait mettre pied à terre à sa troupe ; rien ne l’empêchait donc de continuer la conversation que la dame du manoir avait eu la condescendance de commencer. Il reprit : — Puisque le roi mon maître, Milady, a eu l’avantage d’avoir des preuves de votre hospitalité, je ne m’étonne pas que votre hospitalité s’étende à tous ceux qui le servent. Au surplus, j’appartiens à Sa Majesté de plus près que ce grossier habit rouge ne semblerait l’indiquer.

— Vraiment ! vous avez peut-être fait partie de sa maison ?

— Oui, de sa maison, mais non dans le sens que vous entendez, Milady, et j’ai par là le droit de me vanter d’être allié aux plus nobles familles d’Écosse, à celle de Tillietudlem peut-être.

— Je ne vous comprends pas, dit lady Marguerite relevant majestueusement la tête en entendant un propos qu’elle regardait comme une plaisanterie déplacée,

— Dans ma situation, Milady, c’est peut-être folie à moi de rappeler ce souvenir ; mais vous avez dû entendre parler de mon aïeul Francis Stuart, à qui Jacques Ier, son cousin germain, donna le titre de comte de Bothwell, que mes camarades m’ont donné aussi par sobriquet. Sa vie fut un long enchaînement de malheurs, et son nom ne m’a pas été plus profitable.

— En vérité ! dit lady Bellenden d’un ton de surprise, j’avais bien ouï dire que le petit-fils de cet homme célèbre n’était pas dans une situation convenable à sa naissance ; mais j’étais éloignée de croire qu’il fût si peu avancé dans le service. Comment se peut-il que la fortune ait traité si mal un homme qui a une telle parenté ?

— Tout cela est dans le cours ordinaire des choses, Milady. J’ai eu quelques moments de bonne fortune comme mes voisins ; j’ai vidé plus d’une bouteille avec Rochester ; j’ai fait plus d’une partie avec Buckingham ; j’ai combattu à Tanger avec Sheffield ; mais tous ces amis qui me prenaient volontiers pour compagnon de leurs plaisirs, n’ont jamais songé à m’être utiles.

— Mais vos amis écossais, monsieur Stuart, votre famille, qui est si nombreuse et si puissante en ce pays ?

— Eh bien, Milady, les uns m’auraient volontiers pris pour leur garde-chasse, parce que je tire passablement ; les autres m’auraient chargé de vider leurs querelles, parce que je manie assez bien l’épée ; il en est qui, faute de meilleure compagnie, m’auraient volontiers admis à leur table, parce que je puis boire mes trois bouteilles de vin ; mais, parents pour parents et service pour service, j’ai préféré entrer à celui de mon cousin Charles II, quoique la paie soit modique et la livrée peu brillante.

— Et pourquoi ne vous adressez-vous pas à Sa Majesté ? Le roi ne peut qu’être surpris d’apprendre qu’un rejeton de son auguste famille…

— Excusez la franchise d’un soldat, Milady ; mais je suis forcé de dire que le roi est beaucoup plus occupé de ses propres rejetons que de ceux de l’aïeul de son grand-père.

— Eh bien, monsieur Stuart, il faut que vous me promettiez de coucher cette nuit à Tillietudlem. J’attends demain votre colonel, à qui le roi a tant d’obligations pour les mesures sévères qu’il prend contre les gens qui n’aspirent qu’à renverser le gouvernement. Je lui demanderai votre avancement, et je suis sûre qu’il a trop de respect pour le sang qui coule dans vos veines, et trop d’égards pour une dame qui a reçu de Sa Majesté de telles marques de distinction pour me refuser ma demande.

— Je vous remercie, Milady : je resterai certainement, puisque vous me le permettez ; d’ailleurs, ce sera le moyen de présenter plus tôt au colonel Grahame le prisonnier que j’ai avec moi.

— Et quel est ce prisonnier, monsieur Stuart ?

— Un jeune homme de bonne famille, qui en donnant retraite à un des meurtriers de l’archevêque a facilité son évasion.

— Quelle infamie ! Monsieur Stuart, je puis pardonner les injures que j’ai reçues de ces coquins ; mais qu’un homme bien né puisse se faire le protecteur d’un assassin, et surtout de l’assassin d’un vieillard, d’un archevêque ! quelle atrocité ! Si vous voulez le tenir enfermé sans embarrasser vos gens, Harrison ou Gudyil iront chercher la clef de notre cachot. Il n’a pas été ouvert depuis la bataille de Kilsythe, depuis que mon pauvre sir Arthur Bellenden y fit enfermer vingt-deux whigs. Le lieu n’est pas malsain, car il ne descend qu’à deux étages sous terre.

— Mille pardons, Milady ; je ne doute pas que votre cachot ne soit admirable, mais j’ai promis que mon prisonnier serait traité avec égards. Je vous demanderai donc une chambre pour lui.

— Comme il vous plaira ; vous connaissez votre devoir. — Je vous laisse ; j’ai chargé mon intendant Harrison de veiller à ce qu’il ne vous manque rien. Je serais charmée de vous tenir compagnie, mais…

— Milady, je sens que le grossier habit rouge du roi Charles II détruit les privilèges que pourrait avoir le sang du roi Jacques V.

— Pas auprès de moi, monsieur Stuart. Je parlerai demain à votre colonel, et j’espère que vous vous trouverez bientôt élevé à un grade dont personne n’aurait à rougir.

— Je crains, Milady, que votre espoir ne soit déçu ; mais je ne vous suis pas moins obligé de vos bonnes intentions.

Lady Marguerite fît à Bothwell une révérence cérémonieuse, et se retira en l’assurant que tout ce qui se trouvait dans le château de Tillietudlem était à son service et à celui de ses cavaliers.

Le brigadier ne manqua pas de prendre au mot la bonne dame, et il oublia facilement le haut rang d’où sa famille était descendue, dans un joyeux banquet pendant lequel M. Harrison s’évertua pour obtenir le meilleur vin du cellier, et pour exciter son hôte à la gaieté. Le vieux sommelier Gudyil descendit en courant à la cave, au risque de se casser le cou, pour explorer une catacombe secrète, connue, disait-il, de lui seul et qui, sous sa surintendance, ne s’était jamais ouverte et ne s’ouvrirait jamais que pour un véritable ami du roi.