CHAPITRE XXII

Aisément obtenu — maintenant à cheval.
Shakspeare. Henry IV, partie I.

Morton s’éveilla au premier rayon de l’aurore, et vit près de lui le fidèle Cuddy un porte-manteau dans les mains.

— J’ai mis vos affaires en ordre, en attendant votre réveil, monsieur Henry. C’est mon devoir, puisque vous voulez bien me prendre à votre service.

— Moi, Cuddy ! c’est un rêve que vous avez fait cette nuit.

— Non, Monsieur. Hier lorsque j’étais, les mains liées, sur un cheval, je vous ai dit que si nous redevenions libres, je voulais être votre domestique. Vous ne m’avez pas répondu. Si ce n’est pas là consentir, je ne m’y connais pas. Il est bien vrai que vous ne m’avez pas donné d’arrhes, mais vous me les aviez déjà données à Milnwood.

— Eh bien, Cuddy, si vous ne craignez pas de vous associer à ma mauvaise fortune…

— Ne dites pas cela, monsieur Henry. Notre fortune prendra une bonne tournure, pourvu que ma mère ne vienne pas à la traverse… J’ai déjà bien commencé la campagne.

— Vous avez été à la maraude ! autrement d’où vous viendrait ce porte-manteau ?

— Il n’y a là ni maraude ni autre chose de ce genre. Je l’ai eu très légitimement par un commerce permis. J’avais vu nos gens déshabiller les dragons morts. Mais lorsque nos whigs furent occupés à écouter les sermons de Kettledrummle, je me mis en marche, et j’arrivai dans un endroit qu’on n’avait pas encore visité. Or, devinez qui je trouvai là étendu, le brigadier Bothwell.

— Quoi ! cet homme est mort !

— Oh ! bien mort. Ses yeux étaient ouverts. En vérité j’avais presque peur, rien que de le regarder ; cependant je pensai à prendre ma revanche. J’ai donc vidé ses poches comme il a fait dans sa vie à de plus honnêtes gens que lui ; et voilà votre argent (ou celui de votre oncle, ce qui est la même chose), les mêmes pièces d’or qu’il reçut à Milnwood, le malheureux soir que nous devînmes soldats.

— Je crois, Cuddy, que, sachant d’où vient cet argent, nous pouvons nous en servir sans scrupule ; mais je veux partager avec vous.

— Un moment, monsieur Henry ! Cette bague qui était suspendue sur son sein par un ruban noir… Pauvre diable ! C’est peut-être quelque souvenir d’amour ! Et voici un livre avec des papiers. J’ai trouvé deux ou trois objets que je garderai pour mon usage, avec une provision de linge.

— Pour un débutant, Cuddy, vous ne commencez pas mal.

— N’est-il pas vrai ? Je vous avais bien dit que je n’étais pas si bête quand il s’agissait de l’adresse des mains ; et Dieu merci ! j’ai trouvé deux bonnes montures.

— Très bonne acquisition, Cuddy. Mais quel est ce porte-manteau ?

— Il appartenait hier à lord Evandale, aujourd’hui il est à vous. Et à ce propos je voudrais bien aller voir ce que devient ma mère.

— Je ne puis accepter ces objets sans vous récompenser.

— Allons donc, Monsieur, prenez toujours : quant à la récompense, nous en causerons une autre fois.

Ne pouvant décider son serviteur désintéressé à rien accepter pour lui de ces dépouilles de guerre, Morton résolut de profiter de la première occasion pour restituer ce qui appartenait à lord Evandale, s’il vivait encore ; en attendant, il n’hésita pas à faire usage du butin de Cuddy pour changer de linge.

Il jeta ensuite les yeux sur les papiers de Bothwell ; il y en avait de plusieurs sortes : le contrôle de ses cavaliers, les doubles d’un mandat du conseil privé pour arrêter diverses personnes ; plusieurs certificats des chefs sous lesquels il avait servi, et qui tous faisaient l’éloge de son courage ; mais la pièce la plus remarquable était son arbre généalogique, dressé avec un grand soin, et accompagné des documents nécessaires pour en démontrer l’authenticité, Il s’y trouvait aussi une liste très exacte de tous les biens qui avaient été confisqués sur les comtes de Bothwell, avec le nom des courtisans à qui Jacques VI les avait accordés, et de ceux qui en étaient actuellement possesseurs.

À ces documents, qui peignaient le caractère et les sentiments du propriétaire de ces papiers, il s’en joignait d’autres qui le montraient sous un jour bien différent. Dans un secret du portefeuille, étaient deux ou trois lettres d’une écriture de femme. La date en remontait à vingt ans ; elles ne portaient point d’adresse, et n’étaient signés que par des initiales. Sans avoir le temps de les lire attentivement, Morton s’aperçut qu’elles contenaient les expressions d’un amour fidèle, qui cherche à calmer les soupçons jaloux d’un amant. L’encre en était effacée par le temps, et, malgré le soin avec lequel elles avaient été conservées, elles restaient illisibles dans deux ou trois endroits. Ces mots étaient écrits sur l’enveloppe de celle qui avait le plus souffert : N’importe ! je les sais par cœur.

Morton ne put s’empêcher de réfléchir avec compassion au sort de cet homme bizarre et malheureux, qui, dans un état de misère et presque d’abjection, semblait avoir sans cesse devant les yeux le rang auquel sa naissance lui donnait des droits, et qui se souvenait avec quelques remords, du temps de sa jeunesse où il avait conçu une passion vertueuse. — Hélas ! se disait-il, que sommes-nous, si nos meilleurs sentiments peuvent ainsi se dégrader ? C’est partout la même chose. Les principes généreux d’un homme se tournent en une froide insensibilité ; la piété d’un autre, en enthousiasme fanatique. Nos résolutions, nos passions, sont comme les vagues de la mer.

Pendant que Morton moralisait ainsi, Burley se présenta devant lui. — Déjà debout ! dit celui-ci. C’est bien. C’est une preuve de zèle pour la bonne cause. — Mais quels sont ces papiers ?

Morton lui rendit un compte succinct de l’expédition de Cuddy, et lui remit les papiers de Bothwell. Burley examina avec attention tous ceux qui avaient quelque rapport aux affaires publiques et dit :

— La nomination du conseil est faite. Il est composé de six membres ; vous en faites partie, et je viens vous chercher pour que vous preniez part à la délibération.

Morton suivit Balfour dans la même chaumière où il avait été la veille, et où leurs collègues les attendaient. Les deux principales factions qui divisaient cette armée rassemblée à la hâte étaient convenues, après une longue et tumultueuse discussion, que chacune d’elles nommerait trois membres du conseil. Les caméroniens avaient choisi Burley, Macbriar et Kettledrummle ; les modérés, Poundtext, Henry Morton et un petit propriétaire, le laird de Langcale. Les deux partis se trouvaient complètement balancés par cette représentation dans le conseil ; mais il paraissait probable que les opinions les plus violentes auraient la prépondérance.

La délibération de ce jour, du moins, fut plus paisible qu’on ne devait s’y attendre d’après celle de la veille. Après avoir examiné les ressources actuelles et l’accroissement présumable de leurs forces, les chefs résolurent de conserver leur position, afin de donner aux renforts le temps de les rejoindre ; mais de marcher le lendemain vers Tillietudlem, et de sommer le château de se rendre. En cas de refus, on tenterait l’assaut ; et si l’on échouait, on laisserait devant la place une force suffisante pour la bloquer et la réduire par la famine, tandis que le principal corps d’armée se porterait sur Glascow, pour en chasser lord Ross et Claverhouse.

La première démarche de Henry dans sa nouvelle carrière allait donc être d’attaquer un château appartenant à la mère de celle qui possédait toute son affection, et que défendait le major Bellenden, pour qui il avait autant d’estime que d’amitié et de reconnaissance. Il sentit tout l’embarras de sa position. Pourtant il se consola en songeant que l’autorité dont il venait d’être investi lui donnerait la facilité d’accorder aux habitants de Tillietudlem une protection à laquelle ils n’auraient pu compter s’il ne s’était pas trouvé dans l’armée presbytérienne. Il se flatta même qu’il pourrait ménager entre le château et les insurgés des conditions de neutralité qui probablement mettraient la famille Bellenden à l’abri des dangers de la guerre civile.