CHAPITRE XVII

La chaire alors, vrai tambour de l’église,
Retentissait sous les poings des prêcheurs.

Buttler. Hudibras.

Pendant ce temps, la cavalerie des insurgés revenait sur ses pas, fatiguée des efforts qu’elle avait faits pour atteindre les débris du régiment des gardes. L’infanterie était rassemblée sur le champ de bataille conquis. Tous étaient épuisés de lassitude et de faim, mais la joie du triomphe les soutenait et leur tenait lieu de repos et de nourriture. Il est certain qu’ils avaient obtenu plus qu’ils n’auraient osé espérer : sans faire eux-mêmes une très grande perte, ils avaient mis en déroute un régiment d’hommes d’élite, et commandé par l’officier le plus renommé de l’Écosse. Ils avaient pris les armes par désespoir plutôt que dans l’attente du succès, et ce succès même semblait encore les surprendre. Leur réunion avait été presque fortuite ; aucun de leurs chefs n’avait été légalement nommé ni reconnu, et il résulta de ce défaut d’organisation que toute l’armée se forma, en quelque sorte, en conseil de guerre, pour délibérer sur la marche à suivre. Il n’y eut pas d’opinion si extravagante qui ne trouvât des approbateurs. On voulait marcher en même temps sur Glascow, sur Hamilton, sur Édimbourg, même sur Londres. Les uns voulaient envoyer une députation à Charles II, pour le convertir et lui ouvrir les yeux sur l’erreur de ses voies ; les autres, moins charitables, demandaient qu’on proclamât un successeur à la couronne ; il en fut même qui proposèrent d’ériger l’Écosse en république. Les plus sensés et les plus modérés voulaient seulement un parlement libre et une assemblée libre de l’église. Cependant une clameur s’éleva des rangs des soldats, qui criaient pour avoir des vivres sans que personne s’occupât des mesures nécessaires pour se procurer les provisions et le repos dont chacun avait besoin. En un mot, le camp des Covenantaires était près de se dissoudre au moment même du triomphe.

Tel était l’état de confusion dans lequel Burley trouva sa troupe en revenant de la poursuite des vaincus. Avec l’adresse d’un homme habitué à se tirer des embarras les plus difficiles, il fit arrêter que cent hommes, des moins fatigués, seraient chargés de faire le guet autour du camp ; que ceux qui avaient agi comme chefs pendant la bataille formeraient un comité directeur jusqu’à ce que les officiers fussent régulièrement choisis ; enfin que, pour couronner la victoire, le révérend Kettledrummle prononcerait sur-le-champ un discours d’actions de grâces. Il comptait beaucoup sur ce dernier expédient pour occuper l’attention de la masse des insurgés, se proposant de tenir dans cet intervalle un conseil de guerre avec deux ou trois chefs.

Kettledrummle répondit parfaitement à l’attente de Burley. Il prêcha pendant deux mortelles heures.

Dès que Kettledrummle, son sermon terminé, fut descendu de la pointe de rocher qui lui servait de chaire, un autre prédicateur s’y élança. Ils ne se ressemblaient guère entre eux. Le révérend Kettledrummle était déjà avancé en âge, d’une corpulence énorme ; ses traits stupides et sans expression semblaient annoncer que dans la composition de son être il entrait moins d’esprit que de matière. Celui qui lui succédait était un homme de vingt-cinq ans tout au plus. Sa maigreur et ses joues caves rendaient témoignage de ses veilles, de ses jeûnes, de ses travaux apostoliques ; les épreuves qu’il avait subies lui donnaient un grand crédit parmi les fanatiques de sa secte. Il promena ses regards sur l’assemblée et sur le champ de bataille ; un air de triomphe se peignit sur ses traits. Il joignit les mains, leva les yeux au ciel, et resta comme absorbé dans une contemplation mentale.

L’éloquence du prédicateur fut récompensée par le murmure général d’approbation qui retentit au loin dans les rangs de l’armée. Les blessés oublièrent leurs souffrances, et les faibles leurs privations, en écoutant une doctrine qui, les élevant au-dessus des besoins et des calamités de ce monde, identifiait leur cause avec celle de la Divinité. Un grand nombre se réunit autour du prédicateur, quand il descendit de l’éminence du haut de laquelle il avait débité son exhortation ; on l’embrassait avec des mains encore sanglantes, et en jurant de se montrer les vrais soldats du Très-Haut. Épuisé par son enthousiasme et par la ferveur dont il avait animé son discours, le ministre ne pouvait répondre que par des phrases entrecoupées. — Dieu vous bénisse, mes frères ! C’est de sa cause qu’il s’agit. Soyez fermes, soyez hommes de cœur : tout ce qui peut vous arriver de pis n’est qu’un passage sanglant, mais court, pour parvenir au ciel.

Pendant les exercices spirituels, les chefs militaires n’avaient pas perdu leur temps : ils avaient fait allumer des feux, placé des sentinelles, ordonné des reconnaissances, et s’étaient procuré des vivres dans les villages les plus voisins. Balfour envoya des émissaires de divers côtés pour répandre le bruit du succès qu’il avait obtenu, et engager par là tous ses partisans à se déclarer ; enfin, il fit partir des détachements pour s’emparer, de gré ou de force, dans les environs, de tout ce qui pouvait être nécessaire à ses troupes. Il réussit au delà de ses espérances ; car on se rendit maître, dans un village voisin, d’un magasin de vivres, de fourrages et de munitions, qui appartenait aux troupes royales. L’armée en conçut une nouvelle audace ; et tandis que, peu d’heures auparavant, beaucoup sentaient se refroidir l’ardeur de leur zèle, tous juraient maintenant de ne pas quitter les armes avant d’avoir obtenu un triomphe complet.

Quelque idée qu’on puisse avoir de l’extravagance et du fanatisme étroit de ces sectaires, il est impossible de refuser la gloire du courage à quelques centaines de paysans qui, sans chefs, sans argent, sans magasins, sans plan arrêté, et presque sans armes, inspirés seulement par leur zèle religieux et par la haine de l’oppression, osaient déclarer la guerre à un gouvernement établi que soutenaient une armée régulière et les forces de trois royaumes.