Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/151

Nouvelle Revue Française (1p. 206-207).
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Le courage nourrit les guerres, mais c’est la peur qui les fait naître. Celui qui se fait redoutable n’attaque point tant qu’il ne veut point ; celui qui a peur, s’il ne peut s’enfuir, attaque avant de l’avoir voulu ; son attaque est une espèce de fuite vers l’ennemi. De même en politique. L’amour de la paix est gros de dangers, tant qu’il n’est que la peur de la guerre. Je pense malgré moi aux deux poltrons qui se battirent, une nuit, sur le pont d’Asnières, simplement parce que chacun d’eux avait peur de l’autre.

Quand la pratique des armes sera le plus noble des jeux, quand nous serons en familiarité avec l’idée de la guerre, alors nous saurons être courageux sans cesser d’être raisonnables, et l’on entendra de nobles paroles. Alors nos députés, au lieu de se laisser emporter par un frisson dans lequel il y a de tout, et de la peur aussi, feront sur la paix et la guerre des discours vraiment Spartiates. Alors, peut-être, les Chambres adopteront à mains levées, sans cris, sans tumulte, dans un silence imposant, quelque motion dans le genre de celle-ci.

« La Chambre française à tous les peuples de la terre, salut et fraternité. Au nom du Peuple français, nous déclarons que les citoyens armés ne sont armés que pour la défense de l’ordre public, des personnes et des biens. Nous repoussons cette idée que la violence collective puisse jamais être considérée comme un moyen de décider du droit. Nous renonçons donc à faire la guerre. Et si jamais d’imprudents aventuriers osaient chez nous dévaster les biens et attaquer les personnes, nous faisons savoir à tous que, lorsqu’ils seront châtiés, ils le seront comme bandits et assassins, non comme étrangers. Si donc nos voisins, rendus aveugles par la contagion des passions, franchissaient en armes nos frontières, qu’ils le sachent bien, nous n’irons pas, par une défense précipitée, imiter à notre tour leurs passions et nous rendre fous pour nous défendre contre leur folie. Non. Nous écrivons dans nos lois, à partir de ce jour, que nul n’a le droit en France de répondre à un acte de guerre par un acte de guerre avant qu’il se soit écoulé un délai de huit jours. La France se sait assez forte pour laisser à l’ennemi, quel qu’il soit, cet avantage. » C’est en ces termes, ou à peu près, que la Paix serait déclarée au monde. Quelques politiques riraient de nous ; mais les peuples comprendraient.