Les Principes fondamentaux de la géométrie/5

Traduction par Léonce Laugel.
Gauthier-Villars, imprimeur-libraire (p. 62-85).


CHAPITRE V.

LE THÉORÈME DE DESARGUES.




§ 22.

Le théorème de Desargues ; sa démonstration dans le plan au moyen des axiomes de la congruence.


Parmi les axiomes énoncés dans le Chapitre I, ceux des groupes II-V sont tous soit linéaires, soit planaires. Les seuls axiomes spatiaux sont les axiomes 3-7 du groupe I. Pour bien reconnaitre la portée de ces axiomes spatiaux, concevons que t’en ait assigné une Géométrie plane quelconque et recherchons, en général, quelles sont les conditions pour que cette Géométrie plane puisse être présentée comme une partie d’une Géométrie de l’espace, où sont au moins vérifiés tous les axiomes des groupes I-III.

L’on sait qu’en s’appuyant sur les axiomes des groupes I-III on peut démontrer facilement le théorème dit de Desargues ; ce théorème est un théorème d’intersections dans le plan. Nous allons supposer en particulier que la droite, sur laquelle doivent être situés les points d’intersection des côtés homologues des deux triangles, est la droite que l’on nomme droite de l'infini et nous désignerons le théorème qui a lieu dans ce cas, ainsi que sa réciproque, sous le nom de théorème de Desargues. Le théorème aura l’énonce suivant :

Théorème XXXII (Théorème de Desargues). — Deux triangles étant situés dans un plan de telle sorte que leurs côtés homologues soient respectivement parallèles, les droites qui joignent les sommets homologues ou bien passeront par un même point, ou bien seront parallèles.

Réciproquement, deux triangles étant situés dans un plan de telle sorte que les droites qui joignent les sommets homologues ou bien passent par un même point ou bien soient parallèles (fig. 35 bis), et


de plus deux paires de côtés homologues dans les triangles étant parallèles, les troisièmes côtés des deux triangles seront également parallèles.

Comme on l’a déjà dit, le théorème XXXII est une conséquence des axiomes I-III ; par conséquent, la vérification du théorème de Desargues dans le plan est une condition nécessaire pour que la Géométrie de ce plan puisse être présentée comme une partie d’une Géométrie de l’espace où les axiomes des groupes I-III sont tous vérifiés.

Supposons maintenant, comme dans les Chapitres III et IV, que l’on ait assigné une Géométrie plane où sont vérifiés les axiomes I, 1-2 et II-IV et que l’on ait introduit dans cette Géométrie un calcul segmentaire conformément au § 15 : alors, ainsi qu’on l’a exposé au § 17, à tout point du plan on peut faire correspondre un couple de segments (x, y) et à toute droite un rapport de trois segments . de telle sorte que l’équation linéaire


représente la condition pour qu’un point soit sur une droite et qu’une droite passe par un point. Le système de tous les segments de notre Géométrie forme, conformément au § 17, un domaine de nombres où ont lieu les propriétés 1-16 exposées dans le § 13, et nous pouvons alors, au moyen de ce domaine de nombres, ainsi qu’il a été fait au § 9 ou au § 12, au moyen des systèmes numériques respectifs et , construire une Géométrie de l’espace : Nous conviendrons à cet effet qu’un système de trois segments (x, y, z) représentera un point, le rapport de quatre segments (u : ν : w  : r) un plan, tandis que la droite sera définie comme intersection de deux plans ; alors l’équation linéaire


exprime que le point (x, y, z) est situé dans le plan (u : ν : w  : r).

Enfin, quant à la distribution des points sur une droite, ou des points d’un plan par rapport à une droite de ce plan, ou finalement quant à la distribution des points de l’espace par rapport à un plan, cela sera déterminé par des inégalités entre segments d’une manière analogue à ce qui a été exposé pour le plan au § 9.

Puisqu’en prenant la valeur z = 0 nous retombons sur la Géométrie plane primitive, nous reconnaissons que notre Géométrie plane peut être regardée comme une partie de notre Géométrie de l’espace ; or la condition nécessaire pour qu’il en soit ainsi c’est, comme on l’a vu précédemment, que le théorème de Desargues soit vérifié, d’où l’on conclut que, dans la Géométrie plane assignée, le théorème de Desargues doit être également vérifié.

Observons que ce que nous venons d’affirmer peut aussi se déduire directement, sans aucune peine, du théorème XXIII de la théorie des proportions.


§ 23.

Impossibilité de démontrer le théorème de Desargues dans le plan sans employer les axiomes de la congruence.


Nous allons maintenant nous proposer cette question : Peut-on, dans la Géométrie plane, et sans invoquer les axiomes de la congruence, démontrer le théorème de Desargues ? La réponse est la suivante :

Théorème XXXIII. — Il existe une Géométrie plane où les axiomes I, i-2 ; II-II ; IV, 1-5 ; V, c’est-à-dire tous les axiomes linéaires et planaires, hormis l’axiome de cogruence IV, 6, sont vérifiés, tandis que le théorème de Desargues (théotème XXXII) NE l’est PAS. Le théorème de Desargues ne peut donc être déduit uniquement des axiomes précités : pour le démontrer, il est nécessaire d’invoquer soit les axiomes spatiaux, soit tous les axiomes de la congruence,

Démonstration. — Nous choisirons, dans la Géométrie plane usuelle, dont la possibilité a été déjà démontée au Chapitre II, § 9, deux droites quelconques perpendiculaires entre elles comme axes de coordonnées X, Y, et nous prendrons l’origine O de ce système de coordonnées pour centre d’une ellipse ayant pour demi-axes 1 et 1/2. Enfin nous désignerons par F le point situé sur l’axe X positif à la distance 3/2 de l’origine 0.

Considérons l’ensemble de tous les cercles qui coupent l’ellipse en quatre points réels (distincts ou coïncidents d’une façon quelconque) et, parmi tous les points situés sur ces cercles, cherchons à déterminer celui qui est situé sur l’axe X positif et dont la distance à l’origine est maxima. A cet effet, partons d’un cercle quelconque qui coupe l’ellipse en quatre points et qui rencontre l’axe X positif en un point C. Concevons que l’on fasse tourner ce cercle autour du point C de telle sorte que deux ou plusieurs des quatre points d’intersection se réunissent en un point unique A, les autres points demeurant réels. Agrandissons le cercle de contact ainsi obtenu, de telle façon que, pendant cette opération, le point A reste toujours un point de contact avec l’ellipse ; nous arriverons ainsi nécessairement à un cercle qui, ou bien a un contact avec l’ellipse en un autre point B, ou bien a avec elle un contact quadriponctuel en A, et qui, d’autre part, rencontre l’axe X positif en un point plus éloigné que C. Le point le plus éloigné que nous cherchons se trouve donc parmi les points d’intersection avec l’axe X positif des cercles bitangents extérieurs à l’ellipse. Ces cercles bitangents extérieurs à l’ellipse sont, on le voit aisément, tous symétriques par rapport à l’axe Y. Soient a, b les coordonnées d’un point de l’ellipse ; un calcul facile nous apprend que le cercle symétrique par rapport à l’axe Y et tangent à l’ellipse en ce point découpe sur l’axe X positif un segment

La valeur maxima de cette expression a lieu pour et sera ainsi égal à . Le point sur l’axe X que nous avons précédemment désigné par F ayant pour abscisse il s’ensuit que parmi les cercles rencontrant l'ellipse en quatre points, il n'est aucun qui passe par le point F.

Nous allons maintenant concevoir une nouvelle Géométrie plane de la manière suivante : Comme points de la nouvelle Géométrie prenons les points du plan XY (fig. 36) ; comme droites de cette nouvelle


Géométrie, prenons d’abord, sans y rien changer, les droites du plan XY qui sont tangentes à l’ellipse fixe ou qui ne la rencontrent pas ; mais, au contraire, si g désigne une droite du plan XY, qui rencontre l’ellipse en deux points P et Q, nous construirons le cercle passant par P, Q et par le point fixe F. Ce cercle, d’après ce qui a été déjà démontré, n’a aucun autre point en commun avec l’ellipse. Supposons maintenant que l’on ait remplacé la portion de la droite g intérieure à l’ellipse et joignant P et Q par l’arc PQ du cercle déjà construit, intérieur à l’ellipse. Le chemin formé par les deux portions de la droite issus de P et Q et s’étendant indéfiniment, et par l’arc de cercle PQ, nous le prendrons comme droite de la nouvelle Géométrie. Supposons alors que, pour toutes les droites du plan XY, on ait construit les chemins correspondants, on sera ainsi en présence d’un système de chemins qui, regardés comme droites d’une Géométrie, vérifient évidemment les axiomes I, 1-2 et III. Si l’on convient d’observer, pour les points et les droites de notre nouvelle Géométrie, la distribution naturelle, on reconnait immédiatement que les axiomes II sont également vérifiés.

Nous dirons ensuite que, dans notre nouvelle Géométrie, deux segments AB et A’B’ sont congruents lorsque le chemin joignant A et B a la même longueur naturelle que celui qui joint A’ et B’.

Enfin, il est encore nécessaire de faire une convention relativement à la congruence des angles. Tant qu’aucun sommet des angles qu’il s’agit de comparer n’est situé sur l’ellipse, nous dirons que deux angles sont congruents lorsqu’ils sont égaux, au sens habituel de ce mot. Dans l’autre cas, nous adopterons la convention suivante : Soient A, B, C trois points qui se succèdent dans cet ordre sur une droite de notre nouvelle Géométrie, et soient A’, B’, C’ trois autres points qui se succèdent dans cet ordre sur une autre droite de notre nouvelle Géométrie ; soit D un point situé en dehors de la droite ABC, et D’ un point en dehors de la droite A’B’C’ (fig. 37) ; nous conviendrons


alors que, dans notre nouvelle Géométrie, les angles entre ces droites vérifieront les congruences


quand les angles naturels entre tes chemins correspondants vérifient, dans la Géométrie ordinaire, la proportion

.

Avec ces conventions, les axiomes IV, 1-5 et V sont également vérifiés.

Pour voir que, dans cette nouvelle Géométrie, le théorème de Desargues n’est pas vérifié, considérons, dans le plan XY, les trois droites ordinaires suivantes l’axe X, l’axe Y et la droite qui joint les deux points de l’ellipse


Comme ces trois droites ordinaires passent par l’origine O, nous pouvons aisément assigner deux triangles dont les sommets soient respectivement situés sur ces trois droites, dont les côtés homologues soient parallèles, et qui soient tous trois situés à l’extérieur de l’ellipse. Les chemins qui dérivent des trois droites en question, ainsi que le montre la fig. 38, et comme on s’en assure également par un


calcul facile, ne se rencontrant pas en un même point, il s’ensuit que le théorème de Desargues n’est pas vérifié dans notre nouvelle Géométrie pour les deux triangles que l’on a construits précédemment.

Cette Géométrie plane, que l’on vient de construire, peut également servir d’exemple d’une Géométrie plane où les axiomes I, 1-2 ; II ; III ; IV, 1-5 ; V sont tous vérifiés, et qui, cependant, NE PEUT PAS être regardée comme faisant partie d’une Géométrie de l’espace.


§ 24.

Introduction d’un calcul segmentaire indépendant des axiomes de la congruence et basé sur le théorème de Desargues.


Afin de saisir complètement la portée du théorème de Desargues (théorème XXXII), prenons pour base une Géométrie plane où sont vérifiés les axiomes I, 1-2 ; II-III, c’est-à-dire tous les axiomes planaires des trois premiers groupes d’axiomes, et, dans cette Géométrie, introduisons un nouveau calcul segmentaire indépendant des axiomes de la congruence de la manière suivante :

Prenons dans le plan deux droites fixes qui se coupent au point O, et dans ce qui suit calculons seulement avec des segments dont l’origine soit le point O et dont l’extrémité soit située sur une des deux droites fixes. Regardons aussi le point O seul comme un segment que nous nommerons le segment 0 (zéro), ce que nous écrirons

OO = 0 ou 0 = OO.


Soient E et E’ deux points fixes situés respectivement sur les droites fixes passant par O ; désignons chacun des deux segments OE et OE’ par 1 ; ce que nous écrirons ainsi

OE = OE’ = 1 ou 1 = OE = OE’.


Quant à la droite EE’, nous la nommerons pour abréger la droite-unité. Soient ensuite A, A’ des points respectivement situés sur les droites OE et OE’ ; si la droite AA’ est parallèle à la droite EE’, nous dirons que les segments OA et OA’ sont égaux, ce que l’on écrira ainsi :

OA = OA’ ou OA’ = OA.


Maintenant, pour définir d’abord la somme des segments a = OA et b = OB, construisons AA’ parallèle à la droite-unité EE’(fig. 39) ; menons alors par A’ une parallèle à OE et par B une parallèle à OE’. Ces deux droites se couperont en un certain point A". Finalement, par ce point A" menons une parallèle à la droite-unité ; cette parallèle coupera les droites fixes OE et OE’ en C et C’ ; l’on dira alors que c = OC = OC' est la somme des segments a = OA et b = OB, ce qui s’écrira


Pour définir le produit d’un segment a = OA par un segment b = OB,


servons-nous exactement de la même construction que celle du § 15, sauf qu’au lieu des côtés d’un angle droit nous prendrons ici les deux droites fixes OE et OE'. Nous emploierons donc la construction suivante : L’on déterminera sur OE' le point A’ tel que AA' soit parallèle à la droite-unité EE’ ; l'on joindra E à A', et par B l’on mènera une parallèle


à EA' (fig. 40) ; si cette parallèle rencontre la droite OE' au point C', l’on dira que E’ = OC’ est le produit du segment a = OA par le segment b = OB, ce qui s’écrira

.


§ 25.

Les lois commutatives et associatives de l’addition dans le nouveau calcul segmentaire.


Dans ce paragraphe nous allons rechercher, parmi les règles de calcul énumérées au § 13, quelles sont celles qui sont vérifiées dans notre nouveau calcul segmentaire, quand nous prenons comme base une Géométrie plane où les axiomes I, 1-2 ; II-III sont vérifiés ainsi que le théorème de Desargues.

Avant tout, nous voulons démontrer que, pour l’addition des segments définie au § 24, la loi commutative

a + b = b + a


est vérifiée. Soit

a = OA = OA’
b = OB = OB’


conformément à nos conventions, AA’et BB’ seront alors parallèles à la droite-unité ; construisons ensuite les points A" et B" en menant A’A" ainsi que B’B" parallèles à OA, et, pareillement, AB" et BA" parallèles à OA’. On voit de suite que notre affirmation revient à dire que la ligne A"B" est parallèle a AA’. Nous en reconnaissons l’exactitude en invoquant comme il suit le théorème de Desargues (théorème XXXII) :

Désignons le point d’intersection de AB" et A’A" par F, et celui de BA" et B’B" par D (fig. 41) : dans les triangles AA’F et BB’D les côtés


homologues sont parallèles. En vertu du théorème de Desargues, nous en concluons que les trois points O, F, D sont en ligne droite. Par conséquent, les deux triangles OAA’ et DB"A" sont placés d’une manière telle que les droites qui joignent leurs sommets homologues passent par le même point F, et comme, en outre, deux couples de côtés homologues, à savoir OA et DB" ainsi que OA’ et DA" sont parallèles, la deuxième partie du théorème de Desargues (théorème XXXII) nous dit que les troisièmes côtés AA’ et B"A" sont également parallèles.

Pour démontrer la loi associative de l’addition

,


nous emploierons la (fig. 42) suivante. En ayant égard à la loi commutative que l’on vient de démontrer, affirmer l’exactitude de la formule ci-dessus revient à dire que la droite A"B" (fig. 42) est parallèle


à la droite-unité. Or, ceci est évident, car la partie ombrée de la fig. 42 est exactement la même que la fig. 41.


§ 26.

La loi associative de la multiplication et les deux lois distributives dans notre nouveau calcul segmentaire.


La loi associative de la multiplication


a lieu aussi dans notre nouveau calcul.

Sur la première des deux droites fixes passant par 0, supposons donnés les segments

.


et sur la seconde les segments

.

Pour construire, conformément aux indications du § 24 et l’un après l’autre, les segments


menons A’B’ parallèle à AB, B’C’ parallèle & BC, CD parallèle à AG, et enfin A’D’ parallèle à AD (fig. 43) ; l'on reconnaît immédiatement


que ce que nous avons affirmé revient à dire que CD doit aussi être parallèle à C’D’. Désignons le point d’intersection des droites AD et BC par F et le point d’intersection des droites A’D’ et B’C’ par F’; dans les triangles ABF et A’B’F’, les côtés homologues sont parallèles ; en vertu du théorème de Desargues, les trois points 0, F, F’ sont donc alors situés en ligne droite. Grâce à ce fait, nous pouvons appliquer la seconde partie du théorème de Desargues aux deux triangles CDF et C’D’F, et nous en concluons que CD est parallèle à C’D’.

Nous allons enfin, en nous appuyant sur le théorème de Desargues, démontrer que, dans notre nouveau calcul segmentaire, les deux lois distributives

et
sont vérifiées.

Pour démontrer la première de ces lois, nous emploierons la fig..44 ([1]0).

Dans cette figure on a fait

b = OA' c = OC'
ab = OB', ab = AO', ac = OC'
et ainsi de suite,
B’D2 est parallèle à C"D1, parallèle à la droite fixe OA’,
B’D1 est parallèle à C'D2, parallèle à la droite fixe OA" ;
enfin
A’A’ est parallèle à C’C",
et
A’B" est parallèlee à B’A", parallèle à F’D2, parallèle à F’D1,

Ce que nous avons affirmé revient à dire que

F’F" est également parallèle à A’A" et à C’C".

Construisons les lignes auxiliaires suivantes :

F’J parallèle à la droite fixe OA’,
F’J OA" parallèle à la droite fixe OA";


les points d’intersection des droites C"D, et C’D2, C"D<ub>1 et F’J, C’D2 et F"J, nous les désignerons respectivement par G, H1, H2 ; enfin nous obtiendrons les autres lignes auxiliaires de la figure, tracées en pointillé, en joignant les points déjà construits.

Dans les deux triangles A’B"C" et F’D2G (fig. 44), les lignes qui joignent les sommets homologues sont parallèles ; par conséquent, il résulte de la seconde partie du théorème de Desargues, que l’on a nécessairement

A’C’ parallèle à F’G.

Dans les deux triangles A’C’F" et F’GH2, les lignes qui joignent les sommets homologues sont également parallèles ; d’après ce qui précède et en vertu de la seconde partie du théorème de Desargues, l’on doit avoir

.


Dans les deux triangles couverts de hachures horizontales OA’F" et JH2F’ les côtés homologues étant parallèles, le théorème de Desargues fait voir que les trois droites qui joignent les sommets homologues

OJ, A’H2, F"F’


se coupent en un même point : en P, par exemple.

De même, nous trouvons que l’on a nécessairement

A’F’ parallèle à F’H1,


et dans les deux triangles couverts de hachures obliques, OA"F’et JH1F", les côtés homologues étant parallèles, les trois droites, qui joignent les sommets homologues,


se coupent également en un même point, le point P.

Maintenant les lignes qui joignent les sommets homologues des triangles OA’A" et JH2H1, passent également par ce point P et l’on en conclut que l’on a nécessairement

H1H2 parallèle à A’A" ;


l’on a donc aussi

H1H2 parallèle à C’C".

Considérons enfin la figure F"H2C’C"H1F’F". Comme, dans cette figure, on a

F’H2 parallèle à C’F’, parallèle à C"H1
H2C' parallèle à F*C’, parallèle à H1F'
C'C* parallèle à H1H2,


nous y reconnaissons la fig. 41, qui au § 25 a servi à démontrer la loi commutative de l’addition. Des raisonnements analogues ceux que nous avons faits à cet endroit montrent que l’on doit avoir

F’F" parallèle à H1H2,


et que, par suite, l’on a nécessairement aussi

F'F" parallèle à A'A",


ce qui fournit la démonstration complète de notre affirmation.

Pour démontrer la seconde formule de la loi distributive, nous emploierons la fig. 45 toute différente. Dans cette figure, on a fait

t = OD, a = OA, a=OB, b = OG, c = OD’,
ac = OA', ac = OB', bc = OG'


et ainsi de suite, et l’on a

GH parallèle à G'H', parallèle à la droite fixe OA
AH parallèle à A'H', parallèle à la droite fixe OB
et enfin
AB parallèle à A'B',
BD parallèle à B'D',
DG parallèle à D'G',
HJ parallèle à H'J',

Ce que nous avons affirmé revient à dire que l’on doit avoir nécessairement

DJ parallèle à D'J',

Désignons les points respectifs où BD et GD coupent la droite AH par C et F, et les points respectifs où B’D’ et G’D’ coupent la droite A’H’ par C’ et F’; enfin, menons les lignes auxiliaires FJ et F’J’ qui sont tracées en pointillé sur la fig. 45.

Dans les triangles ABC, A’B’C’ les côtés homologues sont parallèles ; par conséquent, en vertu du théorème de Desargues, les trois points O, C, C’ sont en ligne droite. De même, la considération des triangles CDF et C’D’F’ fait voir que O, F, F’ sont en ligne droite, et celle des triangles FGH et F’G’H’ nous fait aussi voir que O, H, H’ sont également en ligne droite. Maintenant dans les triangles FHJ et F’H’J' les droites qui joignent les sommets homologues passent par le même point O et, par suite, en vertu de la seconde partie du théorème de Desargues, les droites FJ et FJ’ sont parallèles,

Finalement la considération des triangles DFJ et D’FJ’ montre que les droites DJ et D’J’ sont parallèles ; ce qui précisément démontre complètement notre affirmation.


§ 27.

Équation de la ligne droite basée sur le nouveau calcul segmentaire.


Dans les §§ 24-26 nous avons, au moyen des axiomes indiqués au § 24 et en adoptant l’hypothèse de l’exactitude du théorème de Desargues, introduit dans le plan un calcul segmentaire où se vérifient la loi commutative de l’addition, les lois associatives de l’addition et de la multiplication et les deux lois distributives de cette dernière. Nous nous proposons dans le paragraphe actuel de faire voir comment, en s’appuyant sur ce calcul segmentaire, on peut obtenir une représentation analytique des points et des droites dans le plan.

Définition. — Les deux droites fixes passant par le point O nous les nommerons les axes X et Y et nous supposerons chaque point P du plan déterminé par les coordonnées x et y que l’on obtient sur les axes X et Y en menant par P des parallèles à ces axes. Ces segments x, y sont dits les coordonnées du point P. En s’appuyant sur le nouveau calcul segmentaire et en invoquant le théorème de Desargues l’on obtient la proposition suivante :

Théorème XXXIV. — Les coordonnées x, y, des points d’une droite quelconque vérifient toujours une équation segmentaire de la forme

ax + by + c = 0 ;


dans cette équation, les segments a, b sont nécessairement écrits à gauche des coordonnées x, y ; les segments a, b ne sont jamais nuls tous les deux, et c est un segment quelconque.

Réciproquement, toute équation segmentaire du type écrit ci-dessus représente toujours une droite dans la Géométrie plane assignée.

Démonstration. — Supposons d’abord que la droite l passe par O. Soit ensuite C un point déterminé de l, distinct de O, et soit P un point quelconque de l. Soient OA, OB les coordonnées de C et x, y celles de P. Désignons encore la droite qui joint les extrémités de x et de y par g. Enfin par l’extrémité du segment I sur l’axe X menons à AB une parallèle h ; cette parallèle découpera sur l’axe Y un segment e (fig. 46)


De la seconde partie du théorème de Desargues résulte clairement que la droite g est toujours parallèle AB. Or, g étant aussi toujours parallèle à h, il en résulte que pour les coordonnées x, y du point quelconque P de l on a l’équation segmentaire

cx = y.

Maintenant soit l’ une droite quelconque de notre plan. Celle-ci découpe sur l’axe X un segment c = OO'. Menons ensuite par O la droite l parallèle a i' ; soit P’ un point quelconque de l' ; la parallèle à l’axe X menée par le point P’ rencontre la droite l en P et découpe sur l'axe Y un segment y = OB ; enfin les parallèles menées par P et P’ à l’axe Y découpent sur l’axe X des segments x = OA et x' = OA (fig. 47).

Nous nous proposons alors de démontrer que l’on a l’équation segmentaire

.

À cet effet, menons O’C parallèle à la droite-unité, puis CD parallèle a l’axe X et AD parallèle à l’axe Y ; alors ce que nous avons affirmé revient à dire que l’on a nécessairement

A’D parallèle à O’C.

Construisons encore le point D’ d’intersection des droites CD et A’P et menons O’C’ parallèle à l’axe Y.

Dans les triangles OCP et O'C'P', les droites qui joignent les sommets homologues étant parallèles, il résulte de la deuxième partie du théorème de Desargues, que l’on a nécessairement

CP parallèle à C’P’ ;


de même, la considération des triangles ACP et A’C’P’ montre que l’on a

AC parallèle à A’C’.

Dans les triangles ACD et C'A'O' les côtés homologues étant parallèles, les droites AC’, CA’, DO’ devront se couper en un même point, et la considération des deux triangles C’A’D et ACO’ fait alors voir que A’D et CO’ sont parallèles.

Des deux équations segmentaires


que nous venons de trouver, résulte immédiatement l’équation

.

Finalement, si nous désignons par n le segment qui, ajouté au segment t, donne le segment o, l’on tire de la dernière équation, ainsi qu’il est facile de le démontrer, l’équation


qui est précisément de la forme énoncée par le théorème XXXIV.

Nous reconnaissons maintenant sans aucune peine que la deuxième partie du théorème XXXIV est également exacte ; en effet, toute équation segmentaire assignée


peut évidemment, lorsque l’on multiplie son premier membre par un segment convenablement choisi, se mettre sous la forme

Remarquons enfin expressément, que dans nos hypothèses une équation segmentaire de la forme


où les segments a, b sont écrits à droite des coordonnées x, y, ne représente pas, en général, une droite.

Dans le § 30 nous ferons une importante application du théorème XXXIV.


§ 28.

L’ensemble des segments regardé comme un système numérique complexe.


On reconnait de suite que dans notre nouveau calcul segmentaire établi au § 24, les théorèmes I-VI du § 13 sont vérifiés.

Nous avons vu aux § 25 et 26, en invoquant le théorème de Desargues, que dans ce calcul segmentaire les règles de calcul 7-11 du § 13 sont également vérifiées ; par suite, toutes les régies de calcul ont lieu, abstraction faite de la loi commutative de la multiplication.

Enfin, pour rendre possible une distribution des segments, nous adopterons la convention suivante : Soient A, B deux points quelconques non coïncidents de la droite OB. Supposons que les quatre points O, E, A, B se suivent, conformément à l’axiome II,4 dans un certain ordre. Si c’est dans l’un des six ordres suivants :

ABOE, AOBE, OABE, OAEB, OABE, OEAB,


nous dirons que le segment a = OA est plus petit que le segment b = OB, ce que l’on écrit ainsi

a < b


Si c’est, au contraire, l’un des six ordres suivants

BAOE, BOAE, BOEA, OBAE, OBEA, OEBA


qui a lieu, nous dirons que le segment a = OA est plus grand que le segment b = OB, ce qui s’écrit ainsi

a > b.


Cette convention subsiste lorsque A ou B coïncident avec 0 ou E ; seulement l’on doit alors regarder les points coïncidents comme un point unique, et, par suite, il n’est plus question que de la distribution de trois points.

Nous voyons maintenant sans peine que dans notre calcul segmentaire, conformément à l’axiome II, les règles de calcul 13-16 du § 13 sont vérifiées ; par conséquent, l’ensemble de tous les différents segments forme un système numérique complexe où sont vérifiées les lois 1-11, 13-16 du § 13, c’est-à-dire toutes les règles usuelles, hormis la loi commutative de la multiplication et la théorème d'Archimède. Dans ce qui suit nous désignerons, pour abréger, un pareil système numérique sous le nom de système numérique de Desargues.


§ 29.

Construction d’une Géométrie de l’espace au moyen d’un système numérique de Desargues.


Soit assigné maintenant un système numérique quelconque de Desargues D ; ce système rend possible la construction d’une Géométrie de l’espace où les axiomes I, II, III sont tous vérifiés.

Pour le reconnaître, regardons le système de trois nombres quelconques (x, y, z) du système numérique de Desargues D comme un point, et celui de quatre nombres quelconques (u : v : w : r) de D, dont les trois premiers ne sont pas simultanément nuls, comme un plan ; d’ailleurs les systèmes (u : v : w : r) et (au : av : aw : ar), a désignant un nombre quelconque de D différent de zéro, représenteront le même plan. L’équation


exprimera que le point (x, y, z) est situé dans le plan (u : v : w : r). Enfin, nous définirons la droite au moyen d’un système de deux plans (u’ : v’ : w’ : r’), (u" : v" : w" : r"), à condition que l’on ne puisse dans D trouver deux nombres a’, a" différents de zéro, tels que l’on ait simultanément

.

Un point (x, y, s) est dit situé sur la droite


lorsqu’il est commun aux deux plans (u', v', w', r') et (u", v", w", r"). Deux droites qui renferment les mêmes points sont regardées comme n’étant pas distinctes.

En appliquant les règles de calcul I-II du § 13 qui sont, par hypothèse, vérifiées pour les nombres de D, nous arrivons sans peine à ce résultat que, dans la Géométrie de l’espace que nous venons de construire, les axiomes I et III sont tous vérifiés.

Afin que les axiomes II de la distribution soient également vérifiés, nous adopterons les conventions suivantes : Soient


trois points quelconques sur une droite

 ;


nous dirons alors que le point est situé entre les deux autres lorsque l’une au moins des six doubles inégalités suivantes :

(1) (1)
(2) (2)
(3) (3)


est vérifiée.

Supposons, par exemple, qu’il en soit ainsi de l’une des doubles inégalités (1), nous en concluons sans peine ou bien que la double égalité ou bien que l’une des doubles inégalités (2) a nécessairement lieu, et de même ou bien que la double égalité ou bien que l’une des doubles inegalités (3) a nécessairement lieu. En effet, si l’on multiplie respectivement les premiers membres des équations

,
,
.


par des nombres de D convenablement choisis et si l’on additionne ensuite les équations obtenues, l’on pourra toujours trouver un système d’équations de la forme

,
.


Ici, le coefficient v" est certainement différent de zéro : en effet, s’il en était autrement, les trois nombres seraient égaux. De

on tire
d’où, en vertu de (4).
 ;
d’où
 ;


et, comme n’est pas nul, nous aurons enfin

 ;


dans toutes ces doubles inégalités, c’est toujours sans exception, soit les signes supérieurs, soit les signes intermédiaires, soit les signes inférieurs qui ont lieu simultanément.

Les considérations précédentes montrent que dans notre Géométrie les axiomes linéaires II, 1-4 de la distribution sont vérifiés. Il reste encore à faire voir que l’axiome planaire II, 5 est également vérifié.

À cet effet, soient donnés un plan et dans ce plan une droite . Convenons que tous les points situés dans le plan , pour lesquels l’expression est respectivement plus petite ou plus grande que zéro, seront alors respectivement situés d’un côté ou de l’autre côté de la droite en question. Il nous faudra donc démontrer que cette convention s’accorde avec celles qui ont été adoptées précédemment, ce qui est facile à établir.

Nous reconnaissons ainsi que les axiomes I, II, III sont tous vérifiés dans cette Géométrie de l’espace qui provient de la manière indiquée du système numérique de Desargues D. Si nous réfléchissons que le théorème de Desargues est une conséquence des axiomes I, II, III, nous voyons que la proposition que nous venons d’énoncer est la réciproque exacte du résultat auquel nous sommes arrivés au § 28.


§ 30.

La portée du théorème de Desargues.


Lorsque, dans une Géométrie plane, les axiomes I, 1-2 ; II ; III sont vérifiés et lorsque, en outre, il en est de même du théorème de Desargues, il est toujours possible, conformément aux § 24-28, d’introduire dans cette Géométrie un calcul segmentaire où les régies 1-11, 13-16 du § 13 sont applicables. Nous allons maintenant regarder l’ensemble de ces segments comme un système numérique complexe et au moyen de celui-ci nous édifierons, conformément aux développements du § 29, une Géométrie de l’espace où les axiomes I, II, III sont tous valables.

Dans cette Géométrie de l’espace, si nous considérons exclusivement les points (x, y, O) et les droites sur lesquelles il n’y a pas d’autres points que ceux-là, nous serons en présence d’une Géométrie plane, et si nous nous reportons à la proposition établie dans le § 27, il est clair que cette Géométrie plane doit coïncider exactement avec la Géométrie plane proposée au début. Nous arrivons de la sorte au Théorème suivant qui doit être regardé comme le terme final de l’ensemble des développements de ce Chapitre V :

Théorème XXXV. — Dans une Géométrie plane, supposons que les axiomes 1, 1-2 ; II ; III soient vérifiés : alors l’exactitude du théorème de Desargues est la condition nécessaire et suffisante pour que cette Géométrie plane puisse être regardée comme étant une partie d’une Géométrie de l’espace où les axiomes I, II, III sont tous vérifiés.

Ainsi le théorème de Desargues peut être caractérisé pour la Géométrie plane comme étant pour ainsi dire le résultat de l’élimination des axiomes spatiaux.

Les résultats obtenus nous permettent de reconnaitre que toute Géométrie de l’espace, où les axiomes I, II, III sont tous vérifiés, peut toujours être regardée comme une partie d’une «Géométrie a un nombre quelconque de dimensions». Par Géométrie à un nombre quelconque de dimensions l’on doit ici entendre un ensemble de points, droites, plans et autres éléments linéaires, pour lesquels les axiomes correspondants de l’association et de la distribution, ainsi que l’axiome des parallèles, sont vérifiés.





  1. Les fig. 44, 45 et 47 ont été dessinées par M. le Dr. von Schaper, qui a également pris soin des détails des démonstrations relatives à ces figures.