Les Principes de 89 et le Socialisme/Livre 3/Chapitre 20

L’Accord des contradictoires
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CHAPITRE XX


L’Accord des contradictoires.



Imprudence de M. Jaurès. — Le paysan. — Pas d’ouvriers. — Ses enfants. — Le partage. — La dot. — L’hypothèque. — Négation des principes de 89.


Dans ces pages rapides, je ne veux examiner que les rapports du socialisme avec les principes de 89. Des articles, dans lesquels M. Jaurès a commis l’imprudence de vouloir tracer sa societé idyllique, où il essaie de concilier le droit individuel et le collectivisme, je ne retiens donc que son programme général, tel qu’il l’a tracé.

La nation, ayant la propriété souveraine de la terre, confirme dans leur possession les paysans propriétaires, ceux qui cultivent eux-mêmes leur terre, ou plutôt elle rend effective et réelle pour eux la propriété qui n’est bien souvent aujourd’hui qu’apparente et illusoire. L’impôt leur prend le plus clair de leur revenu, c’est-à-dire, en somme, de leur terre. La nation le supprime. Ils sont ruinés par l’hypothèque, par les intérêts à servir. La nation assume leur dette et leur permet de s’acquitter vis-à-vis d’elle par le simple remboursement du capital en plusieurs annuités, sans intérêts.

Au moment où j’écris ces lignes, M. Jaurès n’a pas encore tracé les moyens de transition à l’aide desquels il a assuré la propriété souveraine de la terre à la nation.

Mais soit : « La nation a confirmé dans leur possession les paysans propriétaires, ceux qui cultivent eux-mêmes leur terre. » Eux-mêmes ? sans salariés, par conséquent, car ils exploiteraient ces salariés. Mais l’aide de leurs enfants leur est-elle permise ?

Si oui, le paysan propriétaire ayant une nombreuse famille pourrait cultiver une plus grande étendue de propriété que celui qui n’a qu’une famille restreinte. Admettons que l’égalité demeure entre les deux. Mais les filles vont s’établir, les garçons aussi. Que devra faire le paysan cultivateur ? va-t-il partager son bien ? va-t-il leur donner une dot en argent pour s’établir ? Son bien ? Mais si la fille se marie avec le fils d’un autre paysan cultivateur, la fille aura-t-elle un lopin de terre de son père et le fils un autre lopin de terre venant de son père : comment feront-ils pour cultiver les deux lopins séparés l’un de l’autre par une distance plus ou moins grande ? et où demeureront-ils ? Si le père de famille a donné la dot en argent, il conserve sa terre. Mais s’il n’a plus les bras de sa fille ou de son fils pour la cultiver, il est obligé de prendre des ouvriers. Alors que fera M. Jaurès ? Lui rognera-t-il sa terre de manière à la réduire à la portion qu’il pourra cultiver lui-même ? Mais peut-être, pour établir sa fille et son fils, il a pris des engagements qu’il comptait tenir avec sa terre.

— Non, me dit M. Jaurès. Il ne pourra plus l’hypothéquer.

— C’est juste. La nation a pris à sa charge toutes les hypothèques. D’après la dernière phrase du programme ci-dessus, elle a supprimé les intérêts. Les gens qui avaient placé leurs économies sur bonnes hypothèques, les considérant comme la sécurité de leurs vieux jours ne toucheront plus de revenus et devront vivre de leur capital, à moins que l’État ne leur donne des ressources ; mais où les prendra-t-il, puisqu’il supprime l’impôt ?

Je me borne ici à indiquer les conséquences de cette politique de spoliation, négation de tous les principes de la Révolution.