Mercure de France (p. 59-60).

moréas


J’attends des lumières. Moréas avait publié, en 1884, les Syrtes, qui sont écrites en vers très libérés, puis, en 1886, les Cantilènes, plus libérées encore ; nous l’avons vu donner à la Vogue, surtout en novembre de la même année, des poèmes où le vers libre trouvait une formule remarquablement réussie… Est-ce par une progression de libération qu’il est arrivé au vers libre ? a-t-il suivi un courant ? a-t-il voulu prouver que, lui aussi… ? a-t-il eu pour le vers libre un instant de béguin ? car on sait qu’il renonça vite… Je n’ai guère rencontré Moréas qu’au café et parmi beaucoup de gens, et, bien qu’il ait été mon collaborateur à la Revue Indépendante, je suis incapable d’avoir là-dessus autre chose qu’une impression. Dirai-je quelle est cette impression ? Il m’est impossible d’admettre que l’artiste profondément réfléchi qu’était Gustave Kahn ou qu’aucun des jeunes gens infiniment consciencieux que nous étions tous en matière de littérature ait pris quelque chose à un virtuose, si brillant fût ce virtuose. Il suffit de relire le poème en vers libres de la Vogue : Ah ! pourquoi vos lèvres entre les coups de hache du roi ? Quelle oreille, quel sens du rythme, quelle sensibilité, quelle adresse, — et quelles vaines paroles !… le meilleur exemple de ce que le décadento-symbolisme de 1886 a donné de pire…